Claude Harmel:La pensée libérale et les questions sociales

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Claude Harmel:La pensée libérale et les questions sociales
La pensée libérale et les questions sociales


Anonyme


Tiré du livre Aux sources du modèle libéral français, Perrin, 1997

C'est une idée depuis longtemps ancrée dans les esprits que les libéraux ont toujours ignoré, qu'ils ignorent encore et qu'ils ignoreront toujours les problèmes sociaux, entendus au sens étroit et banal du mot social: les problèmes concernant la condition matérielle et morale des travailleurs salariés, tout particulièrement des ouvriers et des employés de l'industrie et du commerce. Qu'ils les ont ignorés et les ignorent encore et les ignoreront toujours comme par définition, sous l'effet à la fois : - d'une insensibilité au sort des autres qu'aurait cultivée en eux une philosophie de l'homme qui pousserait l'individualisme jusqu'à l'égoïsme du « chacun pour soi » , qui, pour parler comme Marx dans le Manifeste communiste, ne connaîtrait plus « d'homme à homme d'autre lien que l'intérêt tout nu, que l'impassible paiement au comptant, (...), l'eau glaciale du calcul égoïste ». - et d'une idéologie qui les ferait croire (car cette conviction relèverait de la croyance et non de l'analyse scientifique) en la vertu de prétendues «  lois naturelles » dont le libre jeu suffirait pour réaliser les Harmonies économiques, pour résoudre tous les problèmes de la vie des hommes en société, y compris ceux qu'on appellerait indûment « sociaux » pour leur conférer une spécificité qu'ils n'auraient pas - le sort des laissés-pour-compte relevant des oeuvres charitables que la généralisation de la richesse permettrait de financer aisément.

Bref, même si l'on ne la cite plus guère, on en est toujours, pour résumer la pensée des libéraux, à la formule prêtée à Gambetta: « Il n'y a pas de question sociale », formule odieusement travestie, dont le texte authentique oppose admirablement la pensée libérale consciente et amoureuse de la diversité des choses à la simplification de type totalitaire à laquelle la doctrine socialiste incline si aisément: « Il n'y a pas la question sociale, il y a des questions sociales. »

La réhabilitation du travail

Le premier apport de la pensée libérale à l'amélioration de la condition ouvrière (puisque c'est de ce seul point de vue qu'en cette étude nous envisagerons les aspects sociaux de la pensée libérale), ce premier apport fait maintenant partie à ce point de la pensée commune que la plupart des gens ne savent plus d'où il nous est venu: la réhabilitation du travail productif, du travail de production des biens matériels, en particulier la réhabilitation du travail manuel. Réhabilitation est d'ailleurs ici un terme assez impropre, car il laisse entendre que le travail aurait été honoré avant de sombrer dans le mépris. Or, il n'a jamais été à l'honneur. On le tenait pour oeuvre servile, aux yeux de certains, la conséquence et la preuve de la malédiction divine.

Que de fois n'a-t-on pas cité le mot d'Aristote en sa Politique, que le maître n'aurait plus besoin d'esclaves quand les navettes tisseraient d'elles-mêmes. Sans doute penserait-on par cette évocation du philosophe donner ses lettres de noblesse à « la libération de l'homme par la machine ». On ne se rendait pas compte qu'en parlant de la sorte, on avouait implicitement que l'on continuait à penser au fond de soi--même qu'un homme libre ne se met pas au métier, qu'il ne travaille pas de ses mains.

Vivre noblement, ce fut longtemps vivre sinon à ne rien faire, du moins à ne rien faire qui relevât de la production et du commerce, qui ne fût pas gouverner, guerroyer, à un niveau un peu inférieur, administrer, et M. Jourdain, qui se voulait faire passer pour gentilhomme, laissait dire avec délice que son père, qui avait honorablement enrichi la famille dans le commerce des étoffes, n'avait jamais été marchand, mais que « comme il était fort obligeant et qu'il se connaissait fort bien en étoffes, il en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui et en donnait à ses amis pour de l'argent ». Soixante ans plus tard, la pensée libérale faisait ses premiers pas, et Voltaire ne sera pas seul à penser que « le plus utile à l'État n'est pas le Seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le Roi se lève, à quelle heure il se couche et qui se donne des airs de grandeur en jouant le rôle d'esclave dans l'antichambre d'un ministre « , mais le négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate et au Caire, et contribue au bonheur des hommes » (Lettres philosophiques Xe siècle). L'activité productrice sortira moins vite de l'opprobre, le mépris des clercs pour les arts mécaniques s'ajoutant ici au dédain nobiliaire, et la cabale qui accompagna tout le long de son règne le roi réformateur, le bon Louis XVI, se gaussera de ce monarque qui s'avilissait jusqu'à travailler de ses mains. Mais le pas n'allait plus tarder à être franchi. Les économistes révélant la nature et les causes de la richesse des nations, la révolution industrielle confortant les analyses des économistes, le travail allait trouver enfin sa place légitime. Désormais, vivre honorablement, ce sera vivre en travaillant, ce sera travailler pour vivre. « Enrichissez-vous par le travail » dira Guizot. Lamartine chantera le travail, « sainte loi du monde » et le titre de travailleur, naguère humiliant, sera porté si haut qu'on se le disputera. Dans ses admirables Lettres sur l'organisation du Travail - un trésor méconnu de la pensée libérale - Michel Chevalier, parlant de l' « amélioration du sort des travailleurs », s'excusera de sacrifier à la mode du jour en disant travailleur là où il aurait dû dire ouvrier, « car un chef d'industrie est un travailleur au même titre que l'homme qui se livre au travail manuel de l'atelier ».

Qu'on n'aille pas croire que ce n'était là que des vues théoriques et qu'on glorifiait le travail sans se soucier du sort matériel des travailleurs! Les socialistes revendiquent pour eux-mêmes quelque chose comme le monopole du coeur. Ce sont eux qui auraient mis les premiers en lumière la misère ouvrière que les beaux esprits de l'économie auraient refusé de voir. Mais les économistes libéraux, - c'était là une expression qui n'avait pas cours au début du XIXe siècle, car elle eût fait pléonasme en ce temps où tout économiste était libéral, où l'économie s'opposait au socialisme et réciproquement, où le socialisme d'avant Marx se présentait comme une anti-économie, niant les lois du marché, ou prétendant qu'on pouvait les abolir. (François Mitterrand ne parlera-t-il pas encore des « prétendues lois économiques » ?)

Les économistes témoins de la révolution industrielle dont ils fondaient la doctrine n'étaient pas insensibles aux misères que multipliait le passage d'une économie à une autre. On pense au Dr Villermé, à son Tableau de l'état physique et moral des ouvriers, témoin d'une préoccupation collective, puisque l'enquête lui avait été demandée par l'Académie des sciences morales et politiques. Ils étaient des libéraux, les parlementaires de la monarchie de Juillet qui votèrent notre première « loi ouvrière », celle du 28 mars 1841, interdisant le travail dans les fabriques des enfants de moins de 8 ans, et limitant à huit heures de travail diurne, le travail des enfants de 8 à 12 ans. Loi difficile, parce qu'il s'agissait de concilier ce qu'on n'avait guère eu à faire jusqu'alors, (et les concepts manquaient) « les principes de la liberté industrielle, les droits des chefs de famille, et les sentiments qu'inspire l'humanité », comme disait le rapporteur de la loi à la Chambre de Paris, le très libéral Charles Dupin. Car tout partisans et propagateurs qu'ils fussent de la division du travail et de l'emploi des machines (seuls capables de permettre l'accroissement presque à l'infini de la production et son bon marché, sans lesquels ils pensaient à bon droit qu'on ne pourrait pas « éteindre le paupérisme »), ils n'en étaient pas moins sensibles aux efforts et aux sacrifices que ces méthodes nouvelles imposaient aux ouvriers, au moins dans un premier temps. Ils montraient - ce qui fut longtemps vrai - que les machines ne supprimaient pas vraiment le travail, mais le déplaçaient et qu'après un certain temps la fabrication dans laquelle les machines ouvrières ont été introduites, occupait un plus grand nombre d'hommes qu'auparavant .

Et qui voudrait croire, parmi nos « politiquement corrects » du forum, de l'université ou du prétoire, qu'il est de Jean-Baptiste Say, l'Adam Smith français, ce texte de 1803 sur les effets de la division du travail :

« Un homme qui ne fait pendant toute sa vie qu'une même opération parvient à coup sûr à l'exécuter mieux et plus promptement, mais en même temps il devient moins capable de tout autre occupation soit physique, soit morale. Ses autres facultés s'éteignent et il en résulte une dégénération dans l'homme considéré individuellement. C'est un triste témoignage à se rendre que de n'avoir jamais fait que la dix-huitième partie d'une épingle (..). La séparation des travaux est un habile emploi des forces de l'homme, elle accroît les produits de la société, sa puissance et ses jouissances, mais elle ôte quelque chose à la capacité de chaque homme pris individuellement. »

La solution, Say l'entrevoyait dans le développement et le meilleur emploi de la partie de l'existence qui n'est pas consacrée au travail- gagne-pain, dans « les facilités qu'une civilisation plus avancée procure à tous les hommes pour perfectionner leur intelligence et leurs qualités morales ».

L'instruction de la première enfance mise à la portée des familles d'ouvriers, l'instruction qu'ils peuvent puiser dans des livres peu chers et cette masse de lumière qui circule perpétuellement au milieu d'une nation civilisée et industrieuse ne permettent pas qu'aucun de ses membres soit abruti seulement par la nature de son travail. Un ouvrier n'est pas constamment occupé de sa profession. Il passe nécessairement une partie de ses instants à ses repas et à ses jours de repos au sein de sa famille. S'il se livre à des vices abrutissants, c'est plutôt aux institutions sociales qu'à la nature de son travail qu'il faut les attribuer .

Cent vingt-cinq ans plus tard, au romancier Georges Duhamel qui déplorait l'organisation scientifique du travail, le taylorisme, on disait en France la « rationalisation », en quoi il voyait - avec bien d'autres - le méfait suprême de la « civilisation », l'abrutissement des hommes par le travail parcellaire et répétitif, l'ouvrier mécanicien Hyacinthe Dubreuil répondait qu'il appréciait quant à lui bien différemment un système qui avait permis aux ouvriers de ne plus passer à l'atelier que huit heures par jour au lieu de dix ou de douze. Signalons ici, parce que nous n'aurons pas l'occasion d'y revenir en ce chapitre, un des éléments de la part d'utopie que comportait la pensée libérale du XIXe siècle : la croyance (le mot s'impose) en la vertu quasi magique d'une formation intellectuelle de type scolaire, on devrait dire cléricale - de clerc qui veut dire intellectuel - trop éloignée du métier et de la vie. Car il ne faut pas oublier que les promoteurs quasi héroïques de l'obligation scolaire furent des libéraux, injustement accusés pour cela par Jules Guesde, l'introducteur du marxisme (et quel marxisme!) dans le mouvement socialiste en France, de chercher à procurer aux exploiteurs capitalistes une main-d'oeuvre plus rentable.

La réhabilitation du salariat

Comme elle a donné au travail productif ses lettres de noblesse, la pensée libérale a puissamment contribué à la réhabilitation morale du salariat. Car le salaire a été considéré longtemps comme une forme inférieure et même dégradante de revenu. Un salarié, c'était quelque chose comme un mercenaire. Le 10 août 1789, Mirabeau avait « blessé la dignité du sacerdoce » en proposant que la nation « salariât les ministres des autels » et il tenta d'apaiser l'ire épiscopale en dénonçant « les préjugés d'ignorance orgueilleuse qui font dédaigner les mots salaire et salariés ». Car il ne connaissait quant à lui que « trois manières d'exister dans la société: mendiant, voleur ou salarié ».

Napoléon se le tint pour dit et, en négociant le Concordat, il veilla à ne pas heurter l'amour-propre des évêques; les prêtres ne recevraient pas de l'État un salaire, mais un traitement. En pleine Révolution de 1848, Bastiat dut se battre pour faire admettre que, « considéré sans son origine, sa nature et sa forme, le salaire n'a en lui-même rien de dégradant ». A juste titre, il faisait grief aux socialistes d'avoir surenchéri sur ce préjugé aristocratique et clérical: « Peu s'en faut qu'ils ne l'aient signalé comme une forme à peine adoucie de l'esclavage et du servage. » Il reprochait à leur propagande d'avoir fait « pénétrer la haine du salariat dans la classe même des salariés », et c'est en effet la source d'une grande misère morale que d'avoir honte de la façon dont on gagne sa vie, si honorablement que ce soit.

Les ouvriers se sont dégoûtés de cette forme de rémunération. Elle leur a paru injuste, humiliante, odieuse. Ils ont cru qu'elle les frappait du sceau de la servitude. Ils ont voulu participer selon d'autres procédés à la répartition de la richesse. De là à s'engouer des plus folles utopies, il n'y avait qu'un pas - et ce pas a été franchi. A la révolution de Février, la grande préoccupation des ouvriers a été de se débarrasser du salaire. Sur les moyens, ils ont consulté les dieux, mais quand les dieux ne sont pas restés muets, ils n'ont selon l'usage rendu que d'obscurs oracles, dans lesquels dominait le grand mot d'association, comme si association et salaire étaient incompatibles.

A la vérité, les socialistes n'étaient pas seuls à considérer le salariat comme un opprobre, et même une abjection. L'excellent Pierre Larousse qui, en son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle ne cachait pas, affichait plutôt ses convictions libérales (« le beau mot de libéralisme ») écrivait au mot salaire, après avoir multiplié les citations d'auteurs défavorables au salariat (« e salaire n'est que l'esclavage prolongé », Chateaubriand), que seule l'association de production permettrait à l'ouvrier d'échapper « à la tyrannie du salariat, cette forme moderne du servage ». Ainsi s'explique que tant de penseurs, de publicistes et d'hommes politiques libéraux - et non des moins connus jusque de nos jours - menèrent campagne sous la IIe République et le Second Empire en faveur des associations ouvrières de consommation et de production, de celles-ci surtout. Certains allèrent même - Léon Say qui fut l'initiateur, Léon Walras, d'Haussonville, Hippolyte Comte, Casimir-Périer, Jules Simon, Delessert, Récamier, Germain, Benoist-d'Azy, le duc Décazes - jusqu'à fonder de leurs propres deniers en 1864 une « caisse d'escompte des associations populaires » dont l'objet était d'aider, sans but lucratif, les sociétés ouvrières de production et de consommation à réunir leurs premiers fonds. Napoléon III tenta de faciliter les efforts en ce sens avec sa loi des 24-29 juillet 1867, qui, en même temps qu'elle reconnaissait aux sociétés anonymes (associations typiquement capitalistes) le droit de se former sans l'autorisation de la puissance publique, définissait sous le titre énigmatique de « dispositions particulières des sociétés à capital variable » le statut de ce que le langage courant commençait à désigner du nom de « coopératives de production ».

Sans doute les libéraux n'allaient-ils pas, ce faisant, à l'encontre de la pensée libérale, car la coopérative, elle aussi, est soumise à la concurrence et aux autres lois du marché. Et ils pouvaient exciper du fait que (outre que l'ouvrier coopérateur échappait à l' « humiliation » du salaire qui semblait ravaler le travail au rang d'une marchandise ainsi qu'à la tutelle d'un patron) il accédait ainsi à la propriété (et notamment à la propriété de ses instruments de travail), et l'école libérale a toujours souhaité la diffusion la plus large possible de la propriété. Villermé pourtant les avait mis en garde non contre le principe économique de la coopérative, mais contre les difficultés qu'on pourrait dire « politiques » d'un type d'association qui ne pouvait exister qu'à la condition d'une estime, d'une amitié réciproques, d'un accord parfait et d'une certaine conformité de sentiments, de volonté, surtout dans les tendances morales de ceux qui la composent (...)Essayez donc de maintenir constamment unis dans une même opinion et en bonne intelligence seulement dix hommes. Essayez de les plier à une organisation qui les rende solidaires; puis, quand vous aurez vu la persistance, la ténacité qu'il faut avoir, les immenses difficultés de cette tâche, vous nous direz si vous croyez encore à la possibilité d'envelopper dans une même organisation et de rendre sérieusement solidaires des milliers d'individus .

Bref, la réussite d'une association ouvrière ne peut être, en France surtout, qu'une exception, ce mode d'activité économique échouant beaucoup moins à cause des impératifs inexorables des lois du marché que du fait des difficultés du gouvernement des hommes, dont on a trop tendance à oublier que leurs groupements, dès qu'ils parviennent à un certain niveau d'effectif, rapidement atteint, ne peuvent continuer de vivre et de progresser qu'en sécrétant, en quelque sorte, un pouvoir, une direction, pour les gouverner.

Osons dire que cette dérive marginale de la pensée libérale au XIXe siècle n'a pas été sans conséquence sur l'évolution du mouvement ouvrier. Certes, c'est la contamination de l'idée syndicale par la ou les doctrines socialistes et par les rêveries anarchistes qui a conduit le mouvement syndical à la redoutable incapacité de sortir de la contestation que nous lui connaissons aujourd'hui.

Mais on ne peut pas oublier que notre premier syndicalisme, celui de la fin du Second Empire et des débuts de la IIIe République, qui n'était nullement révolutionnaire, nullement étatiste, encore moins « collectiviste », s'est fourvoyé dans la coopération aux applaudissements de certains libéraux. Chaque syndicat se croyait obligé de s'adjoindre un atelier coopératif dont l'inéluctable faillite entraînait à peu près aussi inéluctablement la ruine et la disparition de la chambre syndicale.

Échecs répétés qui auraient pu être formateurs et salutaires si les désillusions qu'ils causèrent n'avaient ouvert une brèche par où s'engouffra toute la démagogie socialiste et son affirmation qu'il n'y avait pas à perdre son temps à rapetasser le vieux monde, maintenant que le collectivisme offrait sa panacée sociale. C'est du temps de ces illusions sur les possibilités de la coopération que date la fameuse formule qui figure encore dans les statuts de la CGT Force ouvrière: « La disparition du patronat et du salariat », car c'était alors l'association ouvrière de production qui paraissait présenter le modèle d'une entreprise sans salarié et sans patron. La coopérative écartée, la formule a permis de rattacher à l'idée syndicale des notions comme celles de nationalisation et de socialisation qui, en fin d'analyse, lui sont étrangères.

Pourtant, les libéraux avaient tendu la main au mouvement syndical pour sa défense du salariat. Bastiat déjà avait souligné que dans leur recherche de la sécurité commune à tous les hommes, dans leur désir « d'être tranquilles sur leur avenir, de savoir sur quoi compter, de pouvoir disposer d'avance tous leurs arrangements », les ouvriers trouvaient un commencement de solution dans cette forme de rémunération qu'est le salaire.

Elle les délivre, si l'on peut dire, de la servitude de la marchandise, car celui qui recevrait pour paiement de son travail la marchandise qu'il a fabriquée devrait attendre de l'avoir vendue avant d'être vraiment rémunéré. Bastiat priait les socialistes de considérer lesquels étaient les plus assurés d'être payés, de l'ouvrier qui reçoit une part du produit ou de celui qui perçoit un salaire. Leroy-Beaulieu lui fera écho à la fin du siècle : « Un salaire présente pour l'ouvrier ces deux avantages: le dégager de l'inconnu des résultats de la production, lui permettre, sans attendre ces résultats, de satisfaire ses besoins qui sont immédiats. »

Et de produire à l'appui cet exemple (qui de surcroît nous rappelle que la construction immobilière à toujours eu une allure chaotique avec des hauts qui peuvent être des pics et des bas en forme d'abîmes):

« De 1879 à 1885, on a construit une douzaine de mille maisons à Paris. Les ouvriers maçons, charpentiers, couvreurs, ont été occupés très activement avec des salaires moyens de 7,8 ou 9 francs par jour. (..) Or, sur dix entrepreneurs de ces travaux si rémunérateurs pour les ouvriers, neuf au moins ont fait faillite ou sont tombés en liquidation, les maisons qui leur avaient prêté ont perdu la moitié de leur avoir, quelques-unes les quatre cinquièmes.

Mais les ouvriers avaient été payés. »