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Ludwig von Mises
1881-1973
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Auteur minarchiste
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« Le marxisme et le national-socialisme ont en commun leur opposition au libéralisme et le rejet de l'ordre social et du régime capitaliste. Les deux visent un régime socialiste. »
« Les gens qui se battent pour la libre entreprise ne défendent pas les intérêts de ceux qui se trouvent aujourd'hui être riches. »
« À la base de toutes les doctrines totalitaires se trouve la croyance que les gouvernants sont plus sages et d'un esprit plus élevé que leurs sujets, qu'ils savent donc mieux qu'eux ce qui leur est profitable. »
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Ludwig von Mises:Les Équations de l'économie mathématique et le problème du calcul économique en régime socialiste
Les Équations de l'économie mathématique et le problème du calcul économique en régime socialiste


Anonyme


Revue d'Économie politique (Paris : Librairie du Recueil Sirey, 1938, pp. 1055-1062).
traduit de l'allemand par Gaston Leduc

I

On a prétendu que l'utilisation des équations à l'aide desquelles l'économie mathématique représente l'état d'équilibre devrait permettre de résoudre le problème du calcul économique dans une communauté socialiste. Cette conception a été pour la première fois exposée par Barone, dans une étude publiée en 1908 [1] ; elle a été depuis lors toujours reproduite et bénéficie aujourd'hui d'une certaine réputation.

Hayek a déjà fait valoir les considérations pratiques qu'il convient d'opposer à cet essai de solution. Il serait nécessaire de faire entrer dans le calcul toutes les applications et combinaisons d'application possibles englobant tous les biens disponibles. Étant entendu qu'il ne peut suffire de considérer comme constituant une unité les ensembles de biens qui se présentent, d'un point de vue purement technologique, comme quantités partielles d'une catégorie d'ensemble uniforme. Et comme la rationalité du transport doit être évaluée par le recours au calcul économique et que, d'autre part, celui-ci doit également permettre de résoudre tous les problèmes de localisation (Standort), il en résulte que des biens technologiquement similaires doivent figurer dans le calcul en tant qu'éléments autonomes, du moment qu'ils ne se trouvent point disponibles au même endroit. Lorsque Hayek situe aux centaines de milliers l'ordre de grandeur du nombre des équations et calculs requis, il est certain qu'il reste encore bien loin du chiffre auquel nous conduisent les considérations précédentes [2].

On comprendra sans peine que la collation de ces données, jointe à l'établissement des équations, dépasse de beaucoup les possibilités d'action humaine de la direction centralisée d'une communauté socialiste. Les opinions ne sont certes pas divergentes, lorsqu'il s'agit de souligner l'impossibilité d'appliquer pratiquement les propositions qui recommandent, soit la solution précédente, soit quelque autre semblable. Et l'on pourrait en somme renoncer à se préoccuper plus longtemps de la question lorsqu'on examine uniquement le problème du calcul économique et des possibilités de mise en application du régime socialiste. Mais de telles propositions offrent un intérêt particulier pour la théorie économique. Et leur critique conduit à des constatations importantes sur le caractère des équations de l'économie mathématique.

II

On ne saurait concevoir le problème de l'échange autrement qu'en considérant qu'il a pour but la réalisation d'un état de choses dans lequel plus rien ne sera échangé, soit que la satisfaction intégrale des besoins ait été obtenue, soit que l'on soit parvenu à une situation qui, bien que n'étant point pleinement satisfaisante, n'est cependant pas susceptible d'être transformée en un état meilleur, dans les conditions envisagées, par le moyen d'un échange ultérieur. La représentation de l'équilibre statique en matière économique n'est pas poussée au point de traduire un état de repos absolu, qui ne comporterait absolument plus échanges. Elle se contente de formuler une situation dans laquelle l'échange est devenu uniforme. Ce serait toujours les mêmes tractations qui s'y trouveraient pratiquées, puisque resteraient constantes aussi bien les conditions qui déclenchent l'échange que celles qui en gouvernent l'exécution. Dans un tel état d'équilibre, les individus dont le comportement économique est rationnel ne possèdent plus aucun motif d'introduire une modification dans l'emploi des moyens de production, puisque aucune utilisation concevable et applicable n'apparaît susceptible d'apporter la plus légère amélioration à leur état d'insatisfaction.

Les équations qui décrivent l'équilibre économique donnent à cette série de considérations une expression en langage mathématique. Elles ne disent rien de plus, rien de moins. Elles disent en somme : lorsqu'un état d'équilibre doit être atteint, ce ne peut être que dans le cas où une amélioration de l'état de satisfaction des besoins n'est plus susceptible d'être provoquée par l'adoption de changements quelconques.

Ces équations économiques présentent d'ailleurs la caractéristique particulière d'être nécessairement inapplicables pour toutes les propositions et évaluations pratiques. Les équations de la mécanique peuvent servir à prévoir des événements futurs, parce que le physicien est à même d'établir, au moins de façon approximative, des relations empiriques constantes entre les grandeurs de nature physique. Si l'on introduit ces constantes dans les équations, il devient alors possible de les utiliser pour le calcul. On peut — d'une manière à vrai dire approximative, mais avec une exactitude néanmoins suffisante pour les applications pratiques — résoudre des problèmes bien déterminés. Mais cela n'est pas possible avec les équations économiques. Car nous ne connaissons, dans le domaine des échanges sociaux, aucune relation constante entre les grandeurs. Les seules grandeurs que nous parvenons à déterminer ne possèdent qu'une signification historique et dépourvue de généralité [3].

Même si nous connaissons les conditions présentes, il nous est impossible, sur la base de cette connaissance, de faire aucune prédiction d'ordre quantitatif concernant l'évolution future des estimations. C'est là précisément que réside l'erreur essentielle que commettent tous ceux qui prétendent substituer une économie "quantitative" à l'économie "qualitative".

Le traitement quantitatif des problèmes économiques ne peut jamais consister qu'en une histoire économique, jamais en une théorie économique. Or, il n'existe pas d'histoire économique du futur.

Les estimations des consommateurs se présentent comme éléments constitutifs des équations qui décrivent l'état d'équilibre économique. Ce sont des estimations valables pour le moment précis où l'équilibre se trouvera réalisé sur le marché. Elles sont différentes des estimations d'aujourd'hui, que nous connaissons dans la mesure où elles parviennent à s'exprimer aujourd'hui sur le marché. Nous ne savons rien d'elles aujourd'hui ; nous sommes hors d'état de pouvoir énoncer aujourd'hui quoi que ce soit à leur sujet. Donc, même si nous connaissons l'état actuel du marché et si nous sommes en possession de toutes les données nécessaires à la détermination quantitative de la situation présente du marché, y compris les estimations des consommateurs qui parviennent à s'y exprimer, nous ne pouvons cependant rien savoir au sujet des estimations futures de ces consommateurs. Nous sommes fondés à supposer que ces estimations ne seront modifiées s'il en est de même de toutes les autres données. Mais une telle supposition ne nous est d'aucune utilité. Car l'économie ne se trouve pas aujourd'hui en situation d'équilibre ; et nous désirons connaître les estimations des consommateurs qui seront valables pour le moment précis où l'équilibre aura été atteint et où s'imposeront aussi, bien entendu, des données différentes. L'évolution progressive des choses vers une situation d'équilibre, que nous considérons ici et qui constitue l'objet de notre recherche, implique un changement progressif des données qui conditionnent ces estimations et, par conséquent, une modification de ces estimations elles-mêmes.

Pour utiliser les équations, nous n'avons pas seulement besoin de connaître des estimations qui seront formulées à un moment ultérieur et sur lesquelles nous ne possédons aujourd'hui aucun renseignement précis. Mais nous ne pouvons évaluer les estimations d'aujourd'hui que dans la mesure où elles s'expriment dans les prix d'aujourd'hui. Et cela signifie que nous pouvons arriver à déterminer la grandeur de la demande d'une marchandise par le prix qui s'en est formé aujourd'hui sur le marché. Mais nous ne savons pas du tout ce que deviendrait la demande pour un prix différent. Nous ne connaissons même pas la forme des courbes d'offre et de demande, mais uniquement la position d'un point qui correspond à l'intersection actuelle des deux courbes ou, plus exactement, à une intersection qui vient d'être actuelle. C'est là absolument tout ce que puisse nous fournir l'expérience. Nous ne pouvons en tirer aucune connaissance précise des données qui seraient nécessaires à la résolution de nos équations.

Il faut enfin noter une troisième considération : l'état d'équilibre que décrivent nos équations est un état imaginaire ; il représente une notion logique qui, bien qu'absolument indispensable, n'est cependant que purement hypothétique et ne correspond à rien de réel. Il correspond en effet non seulement à une situation future, qui est différente de la situation qui vient précisément de se produire et qui est celle que nous connaissons, mais il traduit une situation purement imaginaire et une construction purement théorique, qui ne prendra jamais corps dans la réalité.

Hayek a bien montré à cet égard que l'application au calcul économique des équations qui décrivent l'état d'équilibre suppose la connaissance des estimations futures des consommateurs [4]. Mais il n'a seulement considéré en cela qu'une difficulté de mise en application pratique des équations, au lieu d'y voir un obstacle fondamental et infranchissable à leur utilisation pratique.

Il n'importe absolument pas en l'occurrence que nous envisagions le régime socialiste sous la forme d'une dictature à direction centralisée, dans laquelle les seules estimations du dictateur général seraient prises en considération, plutôt que sous la forme d'une communauté organisée selon des conceptions démocratiques et dans laquelle la direction économique s'inspirerait des estimations des consommateurs isolés ou des groupes de consommateurs. le dictateur lui-même ne peut absolument pas savoir aujourd'hui comment il fera ses estimations dans le futur, alors que les circonstances se seront modifiées ; il ne peut certes pas le savoir davantage qu'un consommateur considéré isolément.

III

Les équations décrivent l'état d'équilibre hypothétique que doit atteindre en fin de compte l'économie lorsque aura été assuré l'élimination de toutes les causes susceptibles de provoquer une modification des estimations.

Le calcul économique que réclame la vie des affaires ne nécessite cependant pas la connaissance de cet état imaginaire qui ne peut jamais être atteint au cours du déroulement de l'économie réelle. Ce qu'il importe de déterminer en vue de l'action économique, c'est le comportement immédiat. Il faut trouver parmi les multiples possibilités d'action celle qui est susceptible de provoquer l'amélioration la plus notable dans la satisfaction des besoins, d'après les estimations des consommateurs ou celles du dictateur. Les équations qui décrivent l'état d'équilibre final sont absolument impropres à un tel usage. Elles ne nous renseignent en rien sur le chemin sur lequel doit s'engager l'économie afin d'atteindre finalement l'équilibre. Une vague conscience de cet état de choses apparaît, semble-t-il, dans la critique communément élevée contre ces équations auxquelles on reproche d'être "statiques" et non point "dynamiques".

IV

Les socialistes irréductibles ont pris l'habitude de rétorquer aux arguments qui démontrent l'impossibilité du calcul économique en régime socialiste en alléguant les défauts prétendus du calcul économique à base monétaire dans la société capitaliste. Il n'oublieront certes pas de faire valoir l'objection suivante contre les raisonnements qui précèdent : les entrepreneurs, dans l'économie de marché capitaliste, ne connaissent que les estimations et les prix d'aujourd'hui et non pas ceux de demain. Cela ne les empêche pas de faire des calculs et de produire sur la base de ces derniers. Pourquoi en serait-il différemment pour le directeur général de l'économie collectiviste ?

Celui qui pose ainsi la question démontre tout simplement qu'il ne comprend absolument rien au problème dont il s'agit.

L'avenir est toujours incertain pour les hommes. Tout échange orienté vers l'avenir est, de ce fait, une spéculation. Il n'existe aucune différence à cet égard entre le socialisme et le capitalisme.

Mais, en ce qui concerne le problème du calcul économique, les choses se présentent de manière entièrement différente. On projette la construction d'une voie ferrée de A à B. Quel sera le tracé choisi parmi les diverses possibilités ? Lui fera-t-on gravir la montagne, percera-t-on un tunnel ou bien contournera-t-on l'obstacle ? Chacune de ces solutions exige l'utilisation d'un matériel et d'un ensemble de travaux d'ordre différent et en quantités diverses ; et dans chacun des cas le trafic et l'entretien de la voie nécessiteront des dépenses différentes. Comment fera-t-on la comparaison entre ces divers emplois et déterminera-t-on celui des différents projets qui est le plus économique ? Comment fixera-t-on s'il convient tout d'abord d'entreprendre la construction ou s'il ne serait pas préférable d'orienter vers des emplois plus urgents les moyens de production que nécessitent la pose et l'exploitation de la voie ? Telles sont les questions auxquelles doit répondre le calcul économique. Il y répond par la comptabilité monétaire dans la mesure où l'on peut y répondre en se basant tant sur l'état du présent que sur les préventions actuelles concernant l'état du futur.

Pages correspondant à ce thème sur les projets liberaux.org :

Mais lorsque l'on veut utiliser les équations de l'économie mathématique pour la solution du problème du calcul économique, les choses se présentent tout différemment. Car les estimations inconnues du futur figurent comme éléments des ces équations ; le fait qu'elles sont inconnues exclut l'emploi de ces équations pour le calcul.

Lorsque l'entrepreneur de l'économie de marché capitaliste fait ses calculs, il n'envisage pas de parvenir à un état d'équilibre hypothétique, situé dans un futur éloigné, mais il considère les démarches les plus immédiates qu'il lui faut accomplir en vue de réaliser un bénéfice. Il détermine son prix de revient à l'aide du prix actuel du marché qui lui est connu ; et il n'a pas besoin, pour ce faire, de connaître les estimations et prix d'un état d'équilibre hypothétique. C'est là précisément que repose la différence fondamentale : les prix du marché autorisent précisément le calcul des coûts sans qu'il soit nécessaire de connaître les estimations de l'état d'équilibre.

Notes

[1] Barone, "Il ministro della produzione nello stato collectivisto". Giornale degli economisti, traduction anglaise par Hayek, Collectivistic Economic Planning, Londres, 1935, p. 245-290. [Disponible en français, dans la traduction du même ouvrage, parue en 1939 à la Librairie de Médicis sous le titre "L'économie dirigée en régime collectiviste". Note d'Hervé de Quengo]

[2] V. Hayek, op. cit., p. 207-214.

[3] V. Mises, Grundprobleme der Nationalökonomie, Iéna, 1933, p. 113-115, 150 et s. [Traduction française : Les Problèmes fondamentaux de l'économie politique]

[4] V. Hayek, op. cit., p. 211.

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