Mario Vargas Llosa:Biographie

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Mario Vargas Llosa
né en 1936
Vargasllosa.gif
Auteur Libéral classique
Citations
« La liberté n'est pas une notion formelle à tempérer en fonction d'impératifs révolutionnaires. »
« La chance de la littérature, c'est d'être associée aux destins de la liberté dans le monde : elle reste une forme fondamentale de contestation et de critique de l'existence. »
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Mario Vargas Llosa:Biographie
Vargas Llosa l'international


Anonyme
Analyse de Marion Van Renterghem


L'écrivain péruvien, admiré en Espagne, mais critiqué dans son pays, se joue volontiers des frontières, tant littéraires qu'idéologiques.

L'ÉCRIVAIN sortit après 5 heures. Un jeudi après-midi, à Madrid, il emprunta la rue Arenal, traversa la place Puerta del Sol, passa devant l'Assemblée nationale. Des gens lui demandaient des autographes, il entendait murmurer son nom. Regardez, c'est Mario Vargas Llosa  ! " Quand j'étais jeune, j'aimais bien ça. C'était bon pour mon ego. Maintenant, je préférerais qu'on me laisse tranquille."

Après 5 heures, jeudi après-midi, l'écrivain marchait d'un bon pas. Il traversa l'avenue du Prado jusqu'à la rue Felipe IV. Là, comme tous les jeudis à Madrid, après être passé devant l'entrée du musée et le long de l'Hôtel Ritz, il monta les marches de l'Académie royale de langue.

Il y a quelques mois, les académiciens se sont occupés du mot "globalisation". Ce ne fut pas une mince affaire. Quatre jeudis après-midi de suite, pas moins que ça, pour régler son compte à un mot où chacun entendait mettre son cœur et son idéologie personnelle. Mario Vargas Llosa, 67 ans, combattit ferme contre ceux, " à peu près la moitié d'entre nous", qui voulaient donner à la globalisation une nuance péjorative.

Il s'anime tout d'un coup, les yeux cernés sur un sourire enfantin. "Dans cette discussion apparaissait la véritable division idéologique de notre temps. Qui n'est pas entre libéralisme et marxisme, mais entre vision nationaliste et vision internationaliste. Entre ceux qui voient dans l'internationalisme un danger et ceux pour qui le dépassement des frontières est bienfaisant politiquement, économiquement, culturellement. La globalisation est imparfaite parce qu'elle n'est pas assez globale, tout le monde n'en profite pas."L'académicien, donc, a bataillé. " Ça a été dur, mais la définition est plus neutre que ce qu'elle avait failli être."Et il part d'un rire joyeux et bizarrement aigu, comme sa voix.

On ne demande pas que des autographes à Mario Vargas Llosa. Depuis qu'il a fait irruption sur la scène politique en se présentant à l'élection présidentielle de 1990 au Pérou, son pays natal, le grand écrivain n'est pas du goût de tout le monde. Dans les rues de Lima, la capitale, on le traite d'"espagnol" parce qu'il a obtenu de l'ex-président du conseil espagnol Felipe Gonzalez la double nationalité, après son échec à l'élection péruvienne. Sa femme, Patricia, fait mine de chercher les noms d'oiseau qu'on lui adresse parfois dans la rue. "Ultralibérale", "mondialiste", se souvient-elle, décidée à rester polie. Mario Vargas Llosa n'a pas caché ses affinités politiques avec Margaret Thatcher et se dit maintenant en accord avec Tony Blair ou José Maria Aznar tout en ayant pris position contre la guerre en Irak.

"Il est vachement, vachement de droite", conclut-on dans les couloirs du quotidien espagnol de centre gauche El Pais, où Vargas Llosa tient une chronique bimensuelle. Cela nous vaut un autre rire aigu. Et, pour tout commentaire, une petite histoire du "libéralisme", un mot des Lumières passé de gauche à droite. "Quand ma grand-mère disait qu'on était libéral, c'est qu'on était de gauche et contre l'Eglise. La grande victoire du totalitarisme, c'est d'avoir dénaturé des mots comme celui-ci. Le libéralisme est devenu synonyme de capitalisme sauvage, exploitation, néocolonialisme. Je n'ai pas de telles intentions."

ON a quand même voulu y voir la clé de la rupture avec son meilleur ami, Gabriel Garcia Marquez. "Gabo" pour les intimes. Il y avait Mario et Gabo, les deux héros latinos, inséparables, l'un nobélisé, l'autre nobélisable, à la vie, à la mort. Gabo, le castriste antimondialisation, et Mario, acquis sur le tard à la cause libérale. L'amitié a pris fin. Mario avait écrit sur lui un énorme essai, Histoire d'un déicide, qu'il a toujours refusé de publier en français. Dans le monde ibéro-latino-américain, la légende alimente les fantasmes. "Elle alimente les nôtres aussi", note Patricia Vargas Llosa, sibylline. On parle d'un coup de poing donné en 1976, peu de temps après la rupture de Mario avec le régime de Fidel.

A entendre les proches de l'un et de l'autre, quasi muets sur le sujet, l'affaire ne serait pas si politique. "Mario avait dragué la femme de Gabo", susurrent les amis de Gabo. "Impossible", rétorquent les amis de Mario. "C'est le contraire. D'ailleurs, le coup de poing est venu de Mario." Sur son canapé, Mario reste de marbre. La rupture avec Gabo, "on n'en parle pas. Les historiens le feront quand on sera morts".

La vie de Mario est très en ordre. Quatre appartements dans quatre villes du monde. Il a décidé de les occuper à tour de rôle, un trimestre chacun. Dans l'ordre  : Lima, Madrid, Paris, Londres. Jamais trop loin de ses trois enfants cosmopolites. Sa femme, Patricia, aidée de deux secrétaires, prend en main les affaires courantes, répond au courrier, s'occupe de tout. Où qu'il soit, l'écrivain se lève à 6 heures, lit une heure, part courir dans un jardin public avec Patricia à 8 heures ("L'âge venant, le footing se fait en marchant"), s'installe à sa table de travail et passe l'après-midi en bibliothèque, parfois au café. Mario dit qu'il connaît les villes par leurs bibliothèques.

Il aime être à Londres, "idéale parce que personne ne vous parle. Vous êtes entouré de fantômes. C'est très agréable pour un écrivain". Lima reste "chez lui", mais Madrid a pour lui quelque chose en plus. Pas seulement parce que l'Espagne l'a adopté alors que la dictature s'installait au Pérou, qu'on le déclarait traître à la nation et qu'en Europe "la paranoïa s'installait sur les étrangers"  ; pas seulement parce qu'il fut le premier Latino-Américain que l'Académie royale de langue, en 1994, reconnut parmi les siens. C'est à Madrid, en 1958, que Mario Vargas Llosa a décidé qu'il serait écrivain. Il y a fini un premier livre de nouvelles. Il a commencé un roman, un très grand livre, La Ville et les Chiens.

C'est un succès. Publié en 1963, prix de la Critique espagnole, second au prix Formentor. Mario Vargas Llosa a 27 ans, un cas de précocité littéraire. L'autre monstre de la littérature latino-américaine, Gabriel Garcia Marquez, est déjà quadragénaire quand il publie Cent ans de solitude quelques années plus tard. Avec Fuentes, Onetti, Borges, Roa Bastos, ces deux-là vont mondialiser le boom de la littérature latino-américaine.

Imprégné de Faulkner, de Flaubert, à qui il consacrera un essai, de Victor Hugo, sur lequel il est en train d'écrire, de la littérature française en général, Vargas Llosa n'attend pas. Il impose une technique savante et un style sans effets, loin du "réalisme magique", une œuvre aux voix alternées, marquée par le sexe et l'extrême violence. Près de quinze romans, des essais littéraires et politiques, des nouvelles et des pièces de théâtre, un volume de Mémoires. Il se nourrit de son pays, le Pérou, observe de près la dictature et ses toxines, le pourrissement moral, une société brutale qu'il apprit à connaître de force dans le collège militaire où l'envoya son père.

Son père haï. Jusqu'à l'âge de 10 ans, le petit Mario l'avait cru mort, c'était le discours officiel pour camoufler l'humiliation de sa mère d'avoir été abandonnée. Soudain, il ressuscite. Pour lui prendre sa mère, la cogner, soumettre le fils à la terreur et construire sans le savoir, dans la haine du père, son ressort romanesque. Il l'envoie au collège militaire afin d'en faire un homme et de le détourner de la poésie, horrible activité d'" homosexuel" à laquelle Mario s'adonne déjà. C'est raté  : Mario lit et écrit de plus belle. Au collège, il y a de tout. Des très riches et des très pauvres. Ceux des villes et ceux des campagnes, de la côte et de la sierra. La violence. Il y a le Pérou, et cela donnera, pour commencer, La Ville et les chiens. Qui sera brûlé cérémonieusement par les militaires, dans la cour du collège.

Cela donnera une relation passionnée, impossible, avec la chair péruvienne. Un corps chaotique fait de misère et d'opulence dont il ne se défait plus. Journaliste de métier, préposé entre autres aux faits divers à La Cronica (il travaillera ensuite à l'Agence France-Presse et à la Radio-Télévision française), il ne cesse d'engranger sa matière romanesque. Le " pays foutu" l'inspire. Avant d'en faire encore un grand roman, Conversation à la cathédrale, il se laisse entraîner dans l'aventure politique "parce qu'il n'y a que dans les pays démocratiques qu'on peut se payer le luxe de ne pas faire de politique".Il conduit une grève de lycéens à Piura, milite au Parti communiste, soutient Fidel Castro et les guérilleros romantiques.

Il vénère Sartre. Celui qui, justement, voyait dans la littérature un acte politique. Il lit tous ses livres, s'abonne aux Temps modernes. A Lima, ses amis le surnomment "le vaillant sartrien". Jusqu'à ce jour de 1964 où Sartre, dans un entretien au Monde, déclare que les écrivains du tiers-monde devraient, le temps nécessaire, se consacrer à la politique plutôt qu'à la littérature  : "En face d'un enfant qui meurt, La Nausée ne fait pas le poids. (...) C'est bien là le problème de l'écrivain. Que signifie la littérature dans un monde qui a faim  ?"

Pour Vargas Llosa, c'était fini. La trahison  : celle de l'"écrivain engagé", de celui dont il avait appris que les mots sont des actes, que la littérature est une forme d'action, qu'elle peut changer le cours de l'histoire. "Sartre disait soudain que la littérature était un luxe auquel moi, péruvien, je n'avais pas droit  : étant né dans un pays sous-développé, mon devoir était d'abord de faire la révolution, et quand mon pays deviendrait prospère, alors seulement je pourrais écrire. Ce fut pour moi une coupure définitive."

En 1987, passé dans le camp du libéralisme, ce sera la course à la présidence de la République, une parenthèse folle et ratée dans sa vie d'écrivain, un engrenage machiavélique qu'il raconte dans ses Mémoires. On se disait qu'un tel romancier aurait une aptitude singulière à la politique. Que rien ne lui échappait de sa terre péruvienne. Que la réalité, au moins, lui serait sans secrets. Du moins à en croire Balzac, cité par Vargas Llosa en exergue de Conversation à la cathédrale  : "Il faut avoir fouillé toute la vie sociale pour être un vrai romancier, vu que le roman est l'histoire privée des nations."

Il lui a manqué l'art de la politique. La capacité à fédérer sa coalition de centre-droite et à s'imposer contre la nationalisation des banques, la corruption de l'Etat, le terrorisme du Sentier lumineux, les réseaux de narcotrafiquants. Au bout de trois ans de campagne, Mario Vargas Llosa s'est incliné face à cet inconnu que les sondages avaient longtemps donné perdant, le futur dictateur Fujimori.

Ses Mémoires devaient s'appeler Le Poisson hors de l'eau.Le livre terminé, l'écrivain a changé d'avis  : ce serait Le Poisson dans l'eau. Parce que, une fois racontée, l'expérience politique, même désastreuse, était devenue une matière littéraire. Son aquarium familier. Le point de départ à ce qui sera son avant-dernier roman, La Fête au bouc, décryptage à plusieurs voix des ambiguïtés de la dictature en République dominicaine. "J'ai appris tellement de choses pendant ma campagne,dit-il, sur la corruption du pouvoir. Pour y arriver, pour ne pas le perdre. Ce qui m'a sauvé, moi, c'est que mon point faible n'est pas l'ambition politique. A moins de pouvoir vraiment changer un pays, je ne crois pas que ce soit important d'être président de la République. D'être un grand écrivain, oui."

Pages correspondant à ce thème sur les projets liberaux.org :

Jeudi, dans la soirée, Mario Vargas Llosa a descendu les escaliers de l'Académie. Il a traversé l'avenue du Prado et remonté la rue Arenal. Le hasard a voulu que les deux rues voisines de sa maison portent chacune le nom d'un de ses personnages. L'une s'appelle du prénom de Flora Tristan, utopiste, révolutionnaire et féministe, éprise de justice sociale, grand-mère de Paul Gauguin et originaire de la ville péruvienne, Arequipa, où naquit Mario. Flora le hante depuis son enfance, elle vient de finir en personnage romanesque dans Le Paradis un peu plus loin. Son auteur, lui, n'en finit pas de parler d'elle. "Flora n'a jamais joué le jeu de la politique, elle allait toujours à l'essentiel. Changer le monde, sauver l'humanité, elle y croyait."

Toujours journaliste, trempé dans l'actualité pour nourrir son œuvre, présent dans le débat public, insatisfait du monde, Mario Vargas Llosa, écrivain réaliste, libéral pragmatique, revendique sa part d'utopie. "Comme Flora." Pas d'utopie collective, horreur, mais "mes utopies à moi"  : l'écriture et la politique, ses manières à lui de tout recomposer.

En exergue de son Paradis, Paul Valéry  : "Que serions-nous, sans le secours de ce qui n'existe pas  ?"

Marion Van Renterghem

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