Philippe Simonnot:Que vive la « science » économique !

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Philippe Simonnot
né en 1939
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Auteur anarcho-capitaliste
Citations
« Je pense que si Constitution il doit y avoir, elle doit être de type hayékien, c’est-à-dire le moins possible soumise aux aléas de la politique conjoncturelle et forgée sur des principes garantissant les libertés individuelles, la liberté des échanges et les droits de propriété. »
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Que vive la « science » économique !


Anonyme


Le curieux procès fait au jury d'agrégation présidé par Pascal Salin

On répugne à entrer dans la vilaine polémique qui s'est engagée à propos de l'actuel jury d'agrégation de sciences économiques présidé par Pascal Salin. Les contempteurs du professeur de Dauphine n'ont pas hésité à faire courir des rumeurs et à porter des coups bas pour tenter de déstabiliser un concours en plein exercice. Mais l'enjeu est trop important pour que l'on garde le silence, car ce n'est pas seulement l'enseignement universitaire de l'économie qui est en cause ici, mais aussi le statut scientifique de cette discipline dans notre pays.

L'affaire remonte à la motion de défiance votée en décembre par le Conseil national des universités. Cet auguste organe a ouvert la voie à la calomnie, lui donnant par avance une sorte de légitimité. En effet, le CNU déclarait craindre que «la représentation du caractère pluriel des sciences économiques ne soit pas pleinement représentée» par l'actuel jury (Le Figaro du 27 février). Il allait même jusqu'à regretter «la déconsidération qui pourrait ainsi affecter notre profession».

Faudrait-il donc que la composition d'un jury d'agrégation se fasse sur le mode des directions de parti ou de syndicat où les «courants» sont représentés en proportion de leur importance en cartes ou en voix ? Les lauréats devraient-ils être choisis sur tout l'éventail des diverses sciences économiques, depuis l'ultralibéralisme jusqu'au néomarxisme ? L'adjectif employé ici par la plus haute instance universitaire serait-il un hommage nostalgique aux vertus passées de la gauche dite «plurielle» ?

Dans un de leurs libelles, les contempteurs remarquent que sur les quarante candidats déclarés admissibles, «au moins six ont un profil très proche de celui du courant majoritaire du jury». Six sur quarante, voilà une proportion qui rendrait plutôt hommage à la neutralité du jury, s'il s'agissait de représentativité. Mais c'est encore trop pour nos censeurs qui jugent que le «courant» en question, à savoir le libéralisme, qu'ils estiment minoritaire dans la gent des économistes, serait ici surreprésenté. Un tel comptage confine au grotesque.

Engagé de cette façon, le débat ne peut que s'envenimer sur le mode «à chacun son tour». Aux keynésiens ou néomarxistes qui ont dominé le concours d'agrégation pendant au moins deux décennies, des «libéraux» pourraient se livrer à une sorte de revanche. Puisque nous avons la chance d'avoir pour une fois un président de notre bord, diraient-ils, laissez-nous en profiter alors que vous vous êtes partagé sans vergogne le gâteau pendant si longtemps. Vous prétendez que ce jury n'est pas scientifique, vous qui avez dévoyé l'agrégation pour avantager vos copains et autres coquins. Qui ne voit que la science économique ne peut rien gagner à ce débat de chiffonniers ?

Encore faut-il que l'on s'accorde sur ce qu'on entend par «science» économique. Il ne s'agit pas de récuser le terme. Condillac, l'un des plus grands et des plus méconnus économistes français (nul n'est prophète en son pays), l'emploie dès les premières pages de son chef-d'oeuvre Le Commerce et le gouvernement (1776). Mais le concept de science que Condillac utilise est tout à fait étranger au modèle de science expérimentale que suivent tant d'économistes, de droite ou de gauche. Et pourquoi le suivent-ils ? Parce qu'ils prétendent pouvoir faire des prévisions, ce qui est leur gagne-pain. Evidemment ces prévisions sont toujours erronées, car l'homme n'est pas un animal sur lequel on puisse faire des expérimentations de laboratoire.

La science économique digne du nom de science, forcément, est axiomatico-déductive. Son savoir se déduit d'un axiome bien simple : l'homme agit et ne peut faire autrement qu'agir, même quand il n'agit pas. Toutes les grandes lois économiques que l'on enseigne (le prix équilibrant l'offre et la demande, l'utilité marginale décroissante, la loi des rendements non proportionnels, la mauvaise monnaie qui chasse la bonne, etc.) ne sont pas tirées de ces énormes travaux statistiques et économétriques, payés à grand frais par l'Etat. Issues d'un raisonnement rigoureux, elles sont vraies en tout temps et en tout lieu. Exemple : si j'augmente le smic, alors, j'aurai, en économie de marché, un niveau de chômage plus élevé que si je n'avais pas procédé à cette augmentation. L'économiste ne préconise pas de ne pas augmenter le smic. Il dit simplement : si vous faites cela, alors vous aurez telle conséquence.

Bien évidemment, vous pouvez dénoncer le salariat comme une forme atténuée de l'esclavage, ce qui se peut soutenir, renoncer à la marchandisation de la force de travail, et, pendant que vous y êtes, à l'économie de marché, mais alors vous aurez la stagnation. La croissance économique n'est pas une valeur suprême, mais si on veut l'obtenir il faut respecter les lois toutes bêtes de l'offre et de la demande. Même la liberté, pour l'économiste qui ne se préoccupe que de science, n'est pas une valeur absolue. Dans certains cas, il est tout à fait légitime de choisir la servitude, ne serait-ce que pour sauver sa vie ou celle de ses proches.

C'est à cette aune que l'actuel jury devra juger et être jugé. Il n'y a aucun raison de douter a priori de sa probité scientifique.

Notes

Le Figaro, 02 mars 2004

  • Directeur de l'Observatoire économique du droit-Université de Versailles Saint-Quentin (contact@oed.uvsq.fr). Dernier ouvrage paru : L'Erreur économique, Denoël, 2004.

wl:Philippe Simonnot

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