https://www.catallaxia.org/index.php?title=Sp%C3%A9cial:Nouvelles_pages&feed=atom&hidebots=1&hideredirs=1&limit=50&offset=&namespace=0&username=&tagfilter=&size-mode=max&size=0Catallaxia - Nouvelles pages [fr]2024-03-29T11:15:38ZDe CatallaxiaMediaWiki 1.37.1https://www.catallaxia.org/wiki/Raymond_Aron:Introduction_%C3%A0_la_philosophie_politiqueRaymond Aron:Introduction à la philosophie politique2023-12-14T09:24:53Z<p>Lexington : Page créée avec « {{Infobox Raymond Aron}} {{titre2|Raymond Aron, Introduction à la philosophie politique|Extrait de Introduction à la philosophie politique : Démocratie et révolution|Paru initialement sur Catallaxia.net}} <div class="text"> Il y a un [https://wikiberal.org/wiki/Marxisme marxisme] critique ou encore un marxisme humaniste, concret, qui ne comporte aucun dogmatisme mais qui, tout au contraire, me paraît inspiré par l'idée que j'ai indiquée au point de départ,... »</p>
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<div>{{Infobox Raymond Aron}}<br />
{{titre2|Raymond Aron, Introduction à la philosophie politique|Extrait de Introduction à la philosophie politique : Démocratie et révolution|Paru initialement sur Catallaxia.net}}<br />
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Il y a un [https://wikiberal.org/wiki/Marxisme marxisme] critique ou encore un marxisme humaniste, concret, qui ne comporte aucun dogmatisme mais qui, tout au contraire, me paraît inspiré par l'idée que j'ai indiquée au point de départ, à savoir qu'il faut juger les régimes sociaux non pas par leurs déclarations idéologiques, mais d'après leurs réalisations. Le marxisme critique consiste à opposer perpétuellement à l'imperfection des réalisations sociales les idées impératives de l'humanisme. Le but de cette critique serait d'améliorer constamment les institutions sociales pour les rendre conformes à notre idéal, c'est-à-dire pour aboutir à deux thèmes qui sont :<br />
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1. Ce que Marx appelle l'homme total ; <br />
2. L'organisation rationnelle de la vie collective. <br />
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La notion d'homme total, qui se trouve un peu partout dans les textes de jeunesse de Marx, est difficile à définir en rigueur parce qu'il faudrait remonter à Hegel, mais si nous prenons simplement l'interprétation vulgaire, cela revient à l'idée suivante : à l'heure présente, les hommes enfermés dans un métier parcellaire, sont appauvris par la division du travail ; aucun ne réalise complètement sa nature, aucun ne réalise complètement ses virtualités. L'idée de Marx est de dépasser cette espèce d'appauvrissement, qui résulte de la division du travail, en donnant à l'homme la possibilité d'être aussi complet que possible, c'est-à-dire d'être aussi polytechnicien, aussi complètement homme que possible. L'organisation rationnelle de la vie collective vient d'une révolte contre l'idée de Providence et de Fatalité. L'homme, étant créateur de lui-même, se donnant à lui-même un certain objectif ou un certain idéal, doit organiser souverainement la vie collective de manière qu'elle soit conforme à cet idéal. Cet humanisme critique, ou encore cette critique des sociétés actuelles en fonction des idéaux démocratiques, avec la confiance dans la capacité d'organisation de l'homme, c'est quelque chose qui n'est absolument pas dogmatique ni, en tant que tel, révolutionnaire, car on peut, à partir de cette idée d'humanisme critique, arriver à l'idée de réforme et non pas seulement à l'idée de révolution. Ce qui conduit, dans le marxisme, à l'idée de révolution et à l'obsession révolutionnaire, c'est le jugement porté sur l'origine des maux de nos sociétés : l'affirmation que l'origine de toute aliénation humaine, c'est l'aliénation économique ; que l'origine de l'aliénation économique, c'est la propriété privée ; que le régime capitaliste est défini essentiellement par la propriété privée des moyens de production ; que la propriété privée des moyens de production entraîne l'injustice de la plus-value ; que cette injustice est essentiellement liée au régime capitaliste ; et que, par conséquent, on ne peut pas améliorer le régime capitaliste et qu'il faut donc le détruire. A quoi s'ajoute l'idée que le capitalisme se détruit de lui-même, au fur et à mesure qu'il se développe, et que le prolétariat sera capable de détruire le capitalisme parce que le capitalisme, de lui-même, le mettra dans des conditions où il sera spontanément révolutionnaire. Autrement dit, une fois qu'on a déterminé que l'origine fondamentale des maux est la propriété privée et, en second lieu, une fois qu'on a démontré que le capitalisme va à sa destruction, mais que c'est très bien ainsi puisque, après la révolution, il y aura la société sans classes, alors on glisse volontiers à ce que j'appelle le millénarisme, c'est-à-dire l'acceptation presque satisfaite des luttes et des catastrophes qu'amène avec lui le capitalisme, parce que ces catastrophes seront fécondes. C'est ce que j'appellerai l'optimisme catastrophique : plus il y a de catastrophes capitalistes, mieux cela vaut, parce que c'est par les catastrophes que se réalisera la société sans classes. <br />
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{{Raymond Aron}}</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Philippe_Nataf:La_pens%C3%A9e_sociale_des_auteurslib%C3%A9raux_fran%C3%A7ais_du_XVIIe_au_XXe_si%C3%A8clePhilippe Nataf:La pensée sociale des auteurslibéraux français du XVIIe au XXe siècle2023-12-13T16:36:52Z<p>Lexington : /* Notes et références */</p>
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<div>{{titre2|La pensée sociale des auteurs libéraux français du XVIIe au XXe siècle|Philippe Nataf|présentation effectuée dans le cadre du Club Angelina}}<br />
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''NOTE DE L’ÉDITEUR : Ce texte est la transcription d’une présentation effectuée dans le cadre du Club Angelina. Animé par Bernard Cherlonneix, le fondateur de la revue Liberalia, ce club parisien réunissait chaque mois, dans le salon de thé parisien éponyme, quelques uns des meilleurs esprits libéraux pour une conférence suivie d’un débat, dont heureusement des enregistrements nous sont restés. Philippe Nataf a l’habitude de parler sans notes, et le cadre amical de ces rencontres lui fait adopter un style proche de la conversation, qui pour cette publication, m’a demandé un travail de réécriture. J’ai cependant souhaité garder le ton de l’improvisation. Pour les lecteurs qui, comme moi, sont peu familiers avec les auteurs et les ouvrages mentionnés par Philippe Nataf, j’ai ajouté quelques notes en fin de texte.''<br />
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''C’est à un double paradoxe que s’attaque ici Philippe Nataf, et il apparaît dans le titre même de son intervention. Qui dit libéral, semble-t-il au grand public, dit à la fois américain et anti-social. Or, le mouvement libéral a des ancêtres bien français, dont l’intérêt premier fut la question sociale.''<br />
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Il y avait une époque où je croyais que les libéraux n’avaient pas de pensée sociale. Cependant, récemment, je lisais une intervention de [https://www.wikiberal.org/wiki/Claude_Harmel Claude Harmel] à ce sujet, qui m’a ouvert les yeux. Claude Harmel, que je salue ici ce soir, est chercheur à l’Institut du Travail, il est un fin connaisseur du mouvement social français, et un des fondateurs de l’association, bien connue des libéraux, l’ALEPS, qui est, rappelons-le, l’Association pour la Liberté Économique ET le Progrès Social.<br />
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Il existe donc une pensée sociale chez les libéraux. Qui sont les libéraux ? Le titre est revendiqué par bien des gens différents, et les ennemis du libéralisme ne se privent pas non plus de mettre dans le même sac des penseurs que de véritables libéraux récuseraient. Alain Laurent, qui est ici ce soir, a défini mieux que je ne saurais faire ce qu’est l’étiquette libérale dans son livre, Les Grands courants du libéralisme<ref>Alain Laurent, Les Grands courants du libéralisme, Armand Colin, coll. Synthèse, 1998</ref>. Je n’en dirai pas plus ici.<br />
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Quand on parle de libéralisme, on imagine des doctrinaires anti-sociaux. Or la première préoccupation des libéraux, dès l’origine, a été de s’interroger sur la question sociale. Quel est le moteur du progrès social ? comment réaliser le bien-être de l’ensemble de la société ? Les libéraux se sont voulus, dès l’origine, les analystes et les partisans du progrès social. Leur projet était d’étudier comment la société évolue vers la prospérité générale, ce que l’on peut et doit faire quand elle est bloquée. Les premiers libéraux n’étaient pas des idéologues, qui se seraient mis à faire de l’économie pour appliquer à ce domaine je ne sais quels principes, mais ce sont des chercheurs qui ont voulu comprendre, je dirai scientifiquement, comment l’économie fonctionne, de façon à apporter des solutions aux problèmes qui se posaient à leur époque, et ils ont déduit de cette recherche les principes qu’on appelle aujourd’hui « libéraux ». Leur souci est de comprendre comment fonctionne la société, de repérer par quel mécanisme elle progresse, et d’élaborer les solutions pour la débloquer.<br />
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Ce n’est pas un hasard si ces tout premiers économistes furent des libéraux. Quand il s’agit de trouver honnêtement des solutions aux problèmes de l’économie, depuis trois siècles, les économistes en reviennent toujours à des solutions plus ou moins, parfois moins que plus, mais toujours, libérales. Quand commence la pensée économique commence la pensée libérale, on ne peut pas séparer les deux. Or, c’est une pensée liée au bien-être matériel des gens dans la société.<br />
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Les débuts de la pensée économique (donc de la pensée économique libérale)<br />
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Cette émergence de la pensée économique en France peut être située à l’apparition de l’État centralisé, avec la succession des grands ministres, dès Henri IV : Sully, Richelieu, Mazarin, Colbert…<br />
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Le premier à citer est Boisguilbert.[2] Boisguilbert constate, en 1697, que l’économie du royaume traverse une crise, qui dure en fait depuis 30 ans. Il fait alors remarquer que depuis Sully, on a accumulé les impôts, leur nombre est devenu faramineux, et effectivement, dans un premier temps, les recettes de l’État ont augmenté, puis voilà qu’elles n’augmentent plus, et même que le pays connaît une véritable dépression économique. Il se demande s’il n’y pas là une relation de cause à effet. Mais cette crise est-elle due à la diminution des dépenses de l’État, consécutive à la baisse des rentrées fiscales, ou n’est-elle pas la conséquence d’une fiscalité impitoyable ? De nos jours aussi, on entend parler de crise économique, et d’aucuns se demandent s’il ne faut pas augmenter les impôts pour relancer l’économie par des dépenses de l’État. Or Boiguilbert rappelle qu’on a ajouté 1/3 d’impôts dans les années 1660, et l’économie s’écroule. Dans certaines provinces françaises, le montant des impôts dépasse même le revenu des agriculteurs. Conséquence : ils arrêtent de produire. La production agricole a diminué de moitié, il donne le chiffre, 5 à 600 millions de livres de perdus. Pour Boisguilbert, ce n’est pas l’impôt lui-même qui est cause de la crise, mais à la marge, l’impôt trop lourd décourage la production et entraîne une crise, donc une baisse des rentrées d’impôts. L’économie politique de l’offre, théorisée par Laffer, a été précédée de 300 ans par Boisguilbert !<br />
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Un autre de ces premiers économistes, Antoine de Montchrestien, était mercantiliste. Il croyait qu’il fallait mettre de la monnaie dans l’économie pour assurer la croissance. Il avait tort, mais sa démarche était bien motivée par le souci du progrès social. C’est lui d’ailleurs qui invente, vers 1615, le terme d’économie politique, même si, lui, fait de la mauvaise économie politique.<br />
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Il est frappant de constater que la crise dont parlent ces premiers économistes ne dura pas 3-4 ans, comme les crises du 19ème, mais plus de 30 ans. Boisguilbert écrit en 1697, la crise dure depuis les années 1660. C’est-à-dire depuis le ministère de Colbert ! Colbert meurt en 1683, mais les historiens ne le soulignent pas assez, le dirigisme de Colbert a été fatal à l’industrie française qui n’a rattrapé qu’au 20ème siècle son retard sur ses rivales anglaises et hollandaises.<br />
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Les historiens, qui traitent de ces questions, nous présentent cette époque en disant que le régime monétaire métallique, fondé sur l’or, empêchait la création monétaire, et donc on ne pouvait relancer la production. Or, les contemporains ont vécu les choses différemment. Pour eux, le problème n’était pas la quantité de monnaie. Colbert, vers 1680, demande à des entrepreneurs de l’époque, des commerçants, des manufacturiers, leur avis pour sortir de la crise, et l’un d’entre eux, Thomas Legendre, répond fameusement, « laissez-nous faire ». Cette maxime a été reprise et complétée au 18ème siècle sous la forme « laissez faire, laissez passer », c’est-à-dire, laissez-nous produire, laissez-nous commercer. Liberté du travail, liberté du commerce. (Notons que « laissez » est avec un « z », pas un « r », il s’agit d’une injonction, pas d’une démission).<br />
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La vision de Boiguilbert a été parfois récupérée par les keynesiens, mais il est bien un économiste de l’offre. Il dit bien que s’il n’existe pas de production, il est peu de chance qu’il puisse y avoir de consommation. La production est première. Il n’est pas non plus récupérable par les libertariens. Il s’adresse au roi Louis XIV, en abondant dans son sens. C’est parce que le roi désire augmenter le rendement de l’impôt que Boisguilbert le met en garde. Si vous voulez plus de moyens financiers, il faut la liberté du commerce.<br />
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Autour de Boisguilbert, il y des clubs, un courant de pensée, et quand Cantillon[3] va publier son Essai sur la nature du commerce, ce livre ne tombe pas de nulle part, il arrive dans un contexte, qui est à la fois celui des économistes parisiens, mais aussi de l’expérience de John Law. Le débat économique est devenu partie intégrante du mouvement intellectuel. Les livres de Boisguilbert n’étaient pas des « traités » ; celui de Cantillon veut tout théoriser : l’offre, la demande, les prix, la valeur-travail, le coût, l’utilité… Il rédige un cours de micro-économie, absolument magnifique, comme on n’en fait plus.<br />
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Cantillon meurt en 1734, et Vincent de Gournay[4] reprend le même problème. Il travaille dans l’administration, et il voit que la société française, encore une fois, est bloquée. Il n’hésite pas à désigner une cause, les droits de douane, les octrois. Un commerçant doit faire franchir à ses produits, si je me souviens bien, pas moins de 12 douanes entre Paris et Rouen. C’est Vincent de Gournay qui popularise la formule « laissez faire, laissez passer ». Turgot a fait son éloge, en donnant l’exemple des producteurs de toiles, qui arrêtent simplement leur production, à cause d’un trop grand nombre de réglementations et de taxes. Dirigisme et réglementation étouffent la production, donc supprimons-les. Malheureusement, à la fin du règne de Louis XVI, toutes ces douanes n’avaient pas disparu.<br />
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Vincent de Gournay avait beaucoup de disciples, une vingtaine, qui se réunissaient fréquemment dans une sorte de club. Turgot était l’un d’entre eux.[5]<br />
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Turgot et les physiocrates<br />
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L’importance de Turgot, en dehors de son passage de deux ans au gouvernement, est celle d’un analyste économique, auteur de beaucoup de textes brefs, mais aussi d’un livre, traité XXX, qui vont bien plus loin que Cantillon dans l’approfondissement de la théorie économique, en particulier sur la nature de la monnaie, de la valeur, de la banque, du crédit. Ainsi, Cantillon, Gournay et Turgot sont les socles de la théorie économique au 18ème siècle, auxquels il faut ajouter le physiocrate Quesnay. Quesnay aussi est un partisan du libre échange.<br />
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L’influence intellectuelle de ces penseurs français de l’économie est manifeste sur Adam Smith. Smith a passé 3 ans en France, il a fréquenté les cercles d’économistes, et il reconnaît volontiers sa dette envers Turgot, et, bien plus encore, Cantillon. Il rejoint leurs thèses sur bien des points, sauf évidemment, sur la théorie de la valeur, qui chez Smith est le coût, et non pas l’utilité.<br />
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L’importance de Smith n’est pas d’être un libéral. Les économistes français sont bien plus libéraux qu’Adam Smith, c’est certain. Au plan théorique, Smith n’arrive pas au niveau de Turgot et ses amis. Mais l’apport de Smith est d’intégrer l’histoire à l’économie, il remonte à Babylone, aux Égyptiens, il sait mêler le libéralisme économique et l’Histoire, une leçon dont Marx se souviendra.<br />
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L’influence de Smith est considérable, y compris en France. Dans les 20 ans qui précèdent la Révolution, on ne publiera pas moins de 4 traductions différentes des Causes de la richesse des nations.<br />
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Pendant la Révolution française, c’est Dupont de Nemours[6] qui reprend le flambeau de la défense de la liberté et de l’abolition des privilèges, tant économiques que politiques. Dès 1789, il demande la liberté des banques. Il n’est pas isolé dans ce combat. Président de l’Assemblée constituante, on peut supposer qu’il n’a pas été élu à cette fonction sans que l’influence des physiocrates et des disciples de Turgot n’y soit prépondérante. Plus tard, fidèle à ses principes, Dupont de Nemours a combattu vigoureusement la politique monétaire des assignats, ce qui lui valut de se retrouver en prison pour avoir eu raison.<br />
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C’est bien parce qu’il milite pour le progrès économique que Dupont de Nemours tient à arracher la liberté pour les banques. L’enjeu est de taille. La volonté de progrès économique passe par la déréglementation du marché du crédit. Il faudrait qu’en France, explique-t-il, on puisse avoir un réseau de banques, comme en Écosse, qui est un pays naturellement pauvre (sans resources agricoles), mais dont les banques permettent une création de richesses par le commerce et l’industrie inconnues en France.<br />
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En 1803, sous Bonaparte, la Banque de France est établie, mais se retrouve avec un monopole d’émission, et, en 1805, la France traverse une sérieuse crise monétaire. Dupont de Nemours n’hésite pas à établir un lien entre cette crise et le monopole de l’institut d’émission. Dans sa critique de la politique économique de l’Empire, Dupont de Nemours va se retrouver aux côtés d’un autre grand économiste, Jean-Baptiste Say.[7]<br />
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Jean-Baptiste Say<br />
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Comme le note Claude Harmel, Say est loin, lui aussi, de se désintéresser du problème social. L’une de ses grandes préoccupations est l’asymétrie de la relation entre employeurs et employés, et sa politique économique est une proposition de solutions. Say n’est pas un de ces idéologues déconnectés de la réalité, qui veulent imposer leur programme à ceux qui n’en veulent pas. Si on a reproché à Say un dogmatisme, c’est qu’il a des principes. Quand il offre son Traité d’économie à Napoléon, en 1803, l’Empereur lui demande de modifier certaines conclusions, dans un sens que Say tient pour parfaitement faux. Il refuse. Conséquence : il ne lui sera plus permis de publier une ligne d’économie jusqu’à la chute de l’Empire.<br />
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L’opposition de Say (après Dupont de Nemours, et d’autres) à la politique de Napoléon après son couronnement ne tient pas seulement à la censure intégrale dont il est l’objet. Comme tous les libéraux, Say est hostile à la guerre. Turgot déjà, au nom des principes de l’économie libérale, refusait d’engager la France dans une guerre contre l’Angleterre pour soutenir la révolte des colons américains ; et, de l’autre côté de la Manche, Smith refusait la guerre que l’Angleterre menait contre ces mêmes colons. Car ils avaient compris que la guerre est la négation de toute l’économie, elle ne mène qu’à la régression économique, politique et sociale.<br />
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Say ne publiera donc son Cours d’économie politique qu’en 1817, suivi d’un Catéchisme d’économie politique, et c’est lui répand la notion d’une science économique.<br />
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A la fois un disciple de Turgot, des physiocrates et de Smith, Say reprend les mêmes positions, à savoir : les impôts freinent la production, une faible production maintient des prix élevés qui pénalisent les plus pauvres, le protectionnisme est calamiteux. (Say a procédé à une analyse « en direct » des conséquences catastrophiques du blocus continental). La guerre économique entraîne la guerre tout court, et réciproquement. Mais Say penche plus vers Smith que vers les physiocrates, tout en allant plus loin que Smith dans son analyse économique.<br />
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En particulier, Say montre l’importance de l’accumulation du capital, un terme repris par Marx plus tard. Il faut épargner, et il faut que cette épargne soit investie pour augmenter la production. Une production abondante cause une baisse des prix, donc une élévation, certes pas du salaire, mais du pouvoir d’achat des travailleurs, ce qu’on appelle le salaire réel, et une amélioration de leurs conditions de vie. C’est à nouveau la définition d’une politique économique ET sociale, on ne peut pas différencier les deux.<br />
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L’analyse de Say est celle d’un scientifique rigoureux, sans compromis, mais avec un but, qui est explicitement le progrès et le bien-être général.<br />
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Il critique Napoléon sur la monnaie. Le franc continue la livre, qui était un poids, mais on a commis la faute de ne pas marquer le poids (d’or) sur la pièce de monnaie. C’est un point qui sera repris tout au long du 19ème siècle, par des économistes, comme Joseph Garnier, Michel Chevalier etc. Si le poids est marqué, on aura une monnaie unique mondiale, car 1 gramme d’or frappé en France, en Russie, aux États-Unis, sera toujours 1 gramme d’or. On aura une monnaie mondiale, sans dénomination unique, et sans banque centrale. Say expliquait qu’on n’a pas besoin de banque centrale. Coquelin, plus clairement encore que Say, repèrera bien la relation directe entre les fluctuations cycliques de l’économie et le monopole d’émission.<br />
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On dit que les libéraux n’avaient pas de théorie des cycles économiques (Keynes en particulier le leur reprochait, mais Keynes, qui ne lisait pas le français, ne connaissait que le Traité, le seul des ouvrages de Say traduit en anglais à l’époque, et Keynes n’a jamais compris la fameuse « loi de Say [8] »). Mais, dès 1819, Say montre bien que c’est l’intervention de l’État qui cause ces chutes et ces reprises de l’économie. Et avec Coquelin,[9] il insiste, la solution pour les éviter passe par la liberté des banques.<br />
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Un mot sur Marx<br />
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Chez Say, comme chez Bastiat,[10] comme chez Coquelin, la préoccupation sociale n’est jamais absente. Et c’est pourquoi ils posent ces questions : D’où viennent les crises, viennent-elles du régime de liberté, ou bien de l’intervention de l’État dans le système bancaire ? Et les économistes classiques reçoivent un renfort inattendu en la personne de Karl Marx. Lui aussi est un critique du monopole des banques centrales, il montre qu’en Écosse, ça marche mieux qu’en France. Mais évidemment, comme il l’a dit lui-même, Marx n’était pas marxiste !<br />
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Tous les socialistes, y compris Proudhon, ignoraient délibérément l’économie. Ce refus de considérer la réalité économique leur valait de la part des libéraux l’appellation de « socialistes utopiques », que Marx a reprise contre eux. Au congrès des économistes de 1867, figure un seul économiste socialiste, Marx. Il est le seul que les économistes reconnaissent comme un des leurs, il est le seul qui comprend l’économie. Curieusement, Marx ne participera plus aux congrès des économistes après 1871, et il y a une raison à chercher. Je ne suis pas spécialiste, mais je pense qu’il y a une recherche à faire en suivant la piste suivante : Marx ne publie plus rien sur l’économie après 1871, il se contente de parler de politique. Or Marx a presque certainement connu les textes fondateurs de la révolution marginaliste à Vienne, en Angleterre, puis en France avec Walras ; et si la valeur ne dépend pas du coût, mais de l’utilité, et en particulier, de l’utilité marginale, la théorie entière du capital s’écroule. Je pense qu’il y a corrélation entre le soudain silence de Marx sur l’économie et les premières publications des marginalistes, en tous cas, il y a là un bon sujet de thèse.<br />
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[Ici, mon vieux magnéto a malencontreusement endommagé une partie de la bande. Je pense que Philippe Nataf y parlait de Bastiat.]<br />
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Le Journal des économistes<br />
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Coquelin, Bastiat et Gilbert Guillaumin[11] créent le Journal des économistes en 1840. cette entreprise éditoriale est aussi un acte de militance politique. Il est impossible de dire que quelqu'un est libéral en économie, mais pas en politique. Guillaumin, d’ailleurs, fonde parallèlement la Société d’économie politique, qui existe encore, qui ne compte plus beaucoup de libéraux aujourd’hui, mais qui a quand même vu passer Charles Rist,[12] Jacques Rueff,[13] etc.<br />
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En 1848, avec la révolution, Coquelin attribue le retard de la France au plan économique et social à une législation qui ne permet pas la constitution de sociétés par actions, et donc de banques. Là encore, sa motivation est le progrès économique. L’absence de stabilité monétaire cause des crises, qui engendrent du chômage. Le chômage est la préoccupation majeure de Coquelin. Et il conclut que si l’État bloque tout et cause des crises, il faut se libérer de l’État. Si l’Angleterre est en avance sur nous, c’est que l’Angleterre est plus libre. Le paradoxe est qu’il existe de l’argent, en fait de l’or, partout en France, mais que cet or n’est pas placé, les capitaux n’irriguent pas l’économie, et ce manque d’investissement cause du chômage.<br />
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Il a fallu une campagne obstiné des économistes, par la voix du Journal, pour obtenir la création d’un statut des sociétés, puis des banques, puis enfin le libre-échange. Le système s’est débloqué avec Napoléon III. En 1859, on permet les première banques, puis en 1866 (ou 1867), la création des sociétés par actions, et la France se couvre de banques, ce qui montre le besoin qui existait. En 1865, on signe le traité de libre-échange avec l’Angleterre. Et immédiatement, on constate une forte croissance économique.<br />
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Or, il y a des historiens qui disent que parce que le développement économique était important, on a procédé à ces réformes. C’est raisonner à l’inverse de la réalité. De façon générale, beaucoup historiens raisonnent ainsi, de façon inverse à la réalité. Ils disent : « Si la production baisse, c’est que la consommation a baissé ». Ils renversent la cause et l’effet.<br />
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Gustave de Molinari et la banque libre<br />
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Gustave de Molinari publie Les Soirées de la rue Saint Lazare en 1849. C’est un livre extraordinaire, qui touche à d’innombrables sujets. Molinari a exercé une influence considérable ; il a dirigé le Journal des économistes jusqu’en 1909. Il faut noter que tous les économistes français de l’époque étaient libéraux. Lorsqu’il se rencontrent en 1867 pour discuter des banques, tous sont contre la création d’une banque centrale, à l’exception du seul Volovsky ; tous les autres, Joseph Garnier, Michel Chevalier, etc, disent que l’économie fonctionnera beaucoup mieux sans banque centrale. Le crédit peut se répandre, les crises financières sont résorbées, on évite les cycles inflation/récession, qu’on a effectivement connus depuis. Victor Modeste[14] et Henri Cernuschi,[15] sont des partisans non seulement de la libération des banques, mais de leur confier l’émission des bullets, si elles le souhaitent. Cernuschi avance cet argument que si une banque émet des billets qui ne sont pas gagés, elle fabrique de la « fausse monnaie » (c’est là que le terme apparaît pour la première fois). Si toutes les banques font ça, il n’y aura plus billets, les gens n’en voudront plus, la « fausse monnaie » disparaîtra, donc il n’existera plus de vol par l’inflation, etc. Aujourd’hui cette question de la liberté des banques reparaît, tout le monde est partisan du free banking, comme si c’était une recette magique.<br />
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Mais, pardonnez-moi, il faut que je dise cela, dans ce débat sur le free banking, qui dure depuis dix ans, on repère les économistes qui soutiennent que si les banques étaient libres, il y aurait création de monnaie et surabondance de monnaie, et on voit que ces économistes de la banque libre sont soutenus par les collectivistes, les keynesiens, etc., car ils leur tendent une perche : Si vous voulez plus de création monétaire, il faut aller vers des banques libres. Et il y a les autres économistes, qui disent que la banque libre permettra plus de crédits, mais restreindra la circulation monétaire, et c’est évidemment l’école de Cernuschi, de Coquelin, d’Hayek, de Mises, et de tous les autrichiens.<br />
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De 1860 à 1892, on connaîtra une période de libre-échange généralisé en Europe. Après 1892, Bismarck en Allemagne, une succession de gouvernements anglais aussi, amènent un retour du protectionnisme. La guerre de 1914 n’est pas seulement la conséquence de Sarajevo, elle a des causes économiques.<br />
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Molinari fonde au début du 20ème siècle une association en faveur du libre-échange, qui va ramer à contre courant jusqu’en 1914.<br />
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Économiste, militant politique, sous le Second Empire, il sera anti-bonapartiste républicain convaincu, jusqu’à la chute de Napoléon III.<br />
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Dans la IIIème République naissante, après la Commune, on le placera à l’extrême gauche. A l’époque, les vrais libéraux ne sont pas à droite, ni même au centre, mais à l’extrême gauche. Et alors Molinari ne changera pas de positions dans ses analyses politiques, il sera tour à tour catalogué à gauche, puis au centre, puis au centre-droit, selon l’évolution des partis politiques concernant la question sociale.<br />
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<br />
<br />
Guyot succède à Molinari à la direction du Journal, qui exercera une influence fondamentale sur la détermination de la politique monétaire jusqu’en 1922.<br />
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<br />
La lutte contre l’inflation<br />
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<br />
Après la Grande Guerre, on assiste à une inflation terrifiante en Allemagne, mais la tendance inflationniste se fait sentir en France et en Angleterre aussi. Pas un seul économiste n’est alors capable d’expliquer le pourquoi de cette inflation. On était convaincu qu’il fallait fabriquer des billets, parce que les prix montaient, il fallait fournir plus de billets aux gens pour leur permettre d’acheter.<br />
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<br />
<br />
En Autriche, un représentant du gouvernement a consulté un jour un dénommé Ludwig von Mises, qui commençait d’avoir une réputation d’expert en cette matière. Il lui a demandé ce qu’il fallait faire pour arrêter inflation. « Pas difficile, répond Mises, retrouvons-nous demain soir minuit, au coin de telle et telle rue, et vous comprendrez tout se suite comment on arrête l’inflation. »<br />
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<br />
Comme Mises avait l’air sérieux, le ministre se rend avec toute une délégation à l’endroit désigné, et Mises leur fait signe : « Chut, écoutez ». Ils entendent alors un bruit mécanique, ils s’interrogent du regard, et Mises leur dit : « Ce que vous entendez est la presse à billets de la banque centrale. Arrêtez cette machine, et il n’y aura plus d’inflation ». Ils ont suivi ce bon conseil, et il n’y a plus eu d’inflation en Autriche. En France aussi, les articles de Guyot ont convaincu le gouvernement, qui a renoncé à augmenter la masse monétaire, et ils ont épargné à la France l’inflation qui a détruit l’économie allemande et était une des causes de l’hitlérisme.<br />
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Le 20ème siècle<br />
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Deux grandes figures de libéraux classiques dominent le 20ème siècle en France, Charles Rist et Jacques Rueff.<br />
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<br />
Rist crée un nouveau journal, la Revue d’économie politique, qui existe encore aujourd’hui. Son importance est d’avoir montré que le protectionnisme, la destruction de la monnaie et le dirigisme vont ensemble. Ils sont liés. Rist aura dans ce combat un jeune disciple, Jacques Rueff.<br />
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<br />
<br />
S’il existe des grands libéraux en France au 20ème siècle, c’est parce qu’on conserve la tradition des économistes libéraux du 19ème, dans une filiation qui va, à travers Charles Rist, jusqu’à Jacques Rueff. Rist a écrit plusieurs grands ouvrages, dont l’Histoire des doctrines monétaires, qui, aujourd’hui encore. fait autorité sur la question. Je vais passer vite sur Rist, parce que le temps nous presse. C’est quelqu'un qui explique que l’inflation et le papier-monnaie sont désastreux pour le pays qui les pratique, mais aussi pour l’ensemble du système commercial et financier international. Il montre que, certes, il y a l’idéologie nazie, mais après la crise de 1929, la généralisation d’un protectionnisme impitoyable a été un indéniable facteur supplémentaire de guerre. Pour Rist, puis pour Rueff, le papier-monnaie, la crise monétaire et économique de 29, la politique, se confondent. Rueff reprendra ces idées avant 1939, et les développera après la guerre. Pour lui, je schématise, le papier-monnaie ne peut fonctionner que s’il y a un État qui le fabrique. A l’état naturel, il ne saurait exister de papier-monnaie. Il pourrait y avoir certains instruments de paiement, ici ou là, qui prendrait cette forme. Mais sûrement pas de façon généralisée, et certainement, sous forme d’instruments convertibles en or ou en argent. L’or et l’argent, eux, n’ont pas besoin de contrepartie étatique.<br />
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<br />
<br />
Pour Rueff, puisque les gouvernements ont déréglé les systèmes monétaires, il faut pour faire cesser ce dérèglement, revenir à l’état originel, c’est-à-dire, à l’or. Rueff est l’avocat d’un retour à l’étalon-or. Il ne précise pas, d’ailleurs, quel genre d’étalon-or, lingots ou pièces.<br />
<br />
<br />
<br />
Pour revenir à la question sociale, il est clair pour Rueff que l’inflation est préjudiciable aux salariés et aux retraités, elle l’est moins aux détenteurs de capital, et c’est en ce sens qu’on peut établir un lien direct entre son libéralisme, la question monétaire, et la question sociale. Les trois sont liées.<br />
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Voilà. Merci de m’avoir écouté si longtemps.<br />
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QUESTION : Y a-t-il chez les libéraux, contemporains, quelque chose qui prête le flanc au reproche qu’on leur fait d’être insensibles à la question sociale (en dehors du fait que le progrès économique est nécessaire au progrès social) ?<br />
<br />
<br />
<br />
PN : La création de l’Aleps (Association pour la liberté économique ET le progrès social) manifeste bien cette préoccupation du progrès social. A la création de l’Aleps, il y avait des syndicalistes de la CFTC, il y avait Jacques Rueff, et la plupart des premiers membres n’étaient pas des capitalistes. Peut-être que certains n’étaient pas des libéraux à 100%, mais que veut dire être libéral à 98%, 100%… ?<br />
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<br />
<br />
Rappelons que le premier grand traité de libre-échange à été le Traité de 1786, qui mettait fin à une guerre de libération et assurait la liberté de commerce et de navigation sur toutes les mers. Un grand progrès à mettre au crédit de Louis XVI, qui efface les humiliations et les plaies de la Guerre de Sept Ans. Malheureusement, ses effets ont disparu trop vite avec la Révolution.<br />
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<br />
<br />
Encore une réalisation à mettre au crédit de Louis XVI, mais François de Guibert n’est pas là pour l’entendre, c’est lui qui publie toute l’œuvre de Girod de Coursac, qui consiste à établir la réalité historique et politique de Louis XVI, au-delà de tout ce qu’on en a dit, à droite comme à gauche.<br />
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<br />
<br />
Il existe des courants de gauche, et il faut le souligner, qui, au plan économique, sont des partisans des libertés économiques. A la fin du 19ème siècle, les solidaristes, par exemple, ne considèrent pas antithétiques par nature avec le libre marché de construire société plus solidaire. On a tendance à couper les courants de pensée dans un axe gauche-droite, suivant leur position sur le libéralisme économique. Mais même au sein du parti socialiste d’avant 1914, il existait un courant assez libéral en économie qui s’opposait aux dirigistes. C’est le cas de l’opposition entre Jaurès et Jules Guesde. Jaurès a écrit article faisant l’éloge du chef d’entreprise. Malheureusement, il a été assassiné, il eut mieux valu que ce fût Guesde ! Jaurès ne récusait pas du tout une économie libérale.<br />
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<br />
<br />
Son problème n’était pas celui de la prospérité, comme chez les économistes libéraux, mais était celui du pouvoir, comme chez Marx, et on retrouve ce problème chez quelqu'un comme François Perroux.<br />
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<br />
Jaurès n’était pas économiste, mais il avait de justes intuitions. Il était, on le cache aujourd’hui, un chaud partisan des retraites par capitalisation, contre les retraites par répartition. C’est un de ses premiers textes. Avec la capitalisation, la classe ouvrière deviendra propriétaire des entreprises, disait-il, et le problème de la propriété des moyens de production sera résolu.<br />
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<br />
<br />
ALAIN LAURENT : Bastiat et Guyot ont bien montré, cependant, l’imposture du solidarisme. Le solidarisme collectivise en aval les revenus de ceux qui produisent. Le solidarisme est un socialisme à l’état pur. Philippe, je salue ta prodigieuse érudition, mais dans cette discussion qui dure entre nous depuis longtemps, tu dis que le libéralisme est une conséquence de la science économique. Or, cela me paraît faux, le libéralisme est historiquement et logiquement une philosophie. Locke, le père du libéralisme, est un philosophe. Montesquieu, qui est le père du libéralisme français (tu n’en as pas dit un mot ce soir) est un philosophe. Il se trouve qu’il est en France le père de la liberté du commerce, et ce qui est intéressant chez lui est qu’il déduit de sa philosophie politique une conséquence, qui est de libérer le commerce. Smith n’est pas un économiste. Sa profession est d’enseigner la philosophie morale à l’université d’Édimbourg. Son ouvrage phare n’est pas la Richesse des nations, mais la Théorie des sentiments moraux. On vient d’ailleurs de le retraduire, et Philippe Simonnot a écrit un bel article à ce sujet. Il existe une démarche tout a fait méthodique pour arriver à liberté du travail, du commerce, à celle d’entreprendre, etc., c’est-à-dire, au libéralisme, et cette démarche n’est pas une conséquence de la science économique. En fait, je ne connais pas un libéral qui ne se soit occupé que de politique ou que d’économie. Tocqueville ou Constant, qui sont essentiellement des politiques, s’occupent néanmoins d’économie. Il y a des textes de Tocqueville de 1848, où il rejoint totalement Bastiat à propos de la liberté du travail. Constant ne cesse de faire la louange du laissez-faire. Ce ne sont, ni des économiste, ni des philosophes politiques, ce sont des penseurs.<br />
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<br />
<br />
PHILIPPE NATAF : Je vais répondre en désordre. J’ai dû faire un choix dans les courants. J’ai cité ton livre en commençant parce qu’il existe plusieurs courants dans le libéralisme. Toi et d’autres, vous les avez traités, je ne vais pas recommencer. Je n’ai pas parlé de Vauban, par exemple. Au début, les économistes s’appelaient « philosophes économistes ». C’est le cas de Quesnay, entre autres, avant que terme de « physiocrate » ne soit inventé. Je crois qu’il faut quand même insister sur la diversité des courants libéraux, avec une grande ligne de partage entre un premier courant de ceux qui sont pour la propriété naturelle, pour les droits de l’homme, et qui vont en faire découler la liberté économique, et l’autre courant, celui des économistes, au 18ème siècle avec Boisguibert, au 19ème avec Say, etc., qui analysent l’économie proprement dite, et qui adoptent des solutions libérales, parce que l’analyse économique les amène à ces solutions. Yves Guyot est un autre exemple de quelqu'un qui n’est pas particulièrement enthousiaste des droits naturels. Philosophiquement, il n’est pas facile de réconcilier les deux courants. Pour les libertariens américains, les deux approches, du droit naturel et de l’utilitarisme, ne sont pas compatibles. Ici, nous, économistes, on va avoir une approche utilitaire. Je commence toujours par exposer les droits naturels, ça fait plaisir à l’autre courant, et j’enchaîne sur l’utilitarisme. Rothbard, dans For A New Liberty, fait un chapitre entier sur les droits naturels, puis il introduit subrepticement l’utilitarisme. Pour moi, il n’est pas évident qu’au niveau de la logique, on puisse rapprocher les deux courants. Dunoyer, peut-être, parvient à soutenir les deux positions à la fois. Bastiat part des droits naturels, mais beaucoup de ses raisonnements sont utilitaristes. Simonnot, qui n’est pas là ce soir, avec ses 39 leçons, nous donne de la pure science économique utilitariste.[16]<br />
<br />
<br />
<br />
Léon Bourgeois, dans le solidarisme, mélange les principes libéraux et l’étatisme ; c’est pourquoi je ne le range pas parmi les libéraux. Yves Guyot critique Léon Bourgeois, qui était un de ses amis personnels, et il montre que le solidarisme ne peut pas fonctionner. En fait, Yves Guyot montre qu’il y a eu une transformation chez les radicaux, qui se sont divisés en deux courants, les radicaux-socialistes et les sans-épithète. Guyot se rangeait bien dans la catégorie des radicaux, donc à gauche, mais une gauche radicale sans épithète ; alors que Bourgeois évoluait vers le socialisme. Bourgeois était disciple de Guyot et Bastiat, forcément il lui en restait quelque chose, mais dans le sens que pour lui, le libre marché fonctionne bien, c’est pratique, il crée de la richesse, et le solidarisme demande ensuite qu’on partage cette richesse.<br />
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<br />
<br />
Alors, quand une société est prospère, et qu’on prélève un peu de sa richesse pour la redistribuer, ça continue de fonctionner, mais si on ajoute beaucoup de redistribution, ça finit par produire une société bloquée, comme on a vu avec Boisguilbert. Chez tous les étatistes, quels qu’ils soient, il y a un reste de liberté, et quand on voit une société socialiste bloquée, on voit un reste de libéralisme.<br />
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<br />
<br />
PELISSIER TANON : Les libéraux constatent que nous sommes dans société bloquée, et ils se demandent comment sortir les gens de la misère. Le social, pour un libéral, consiste toujours à se demander comment on produit, pour produire plus et moins cher, et rendre les biens accessibles à tous.<br />
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<br />
<br />
PHILIPPE NATAF : On repère bien une corrélation directe entre l’absolutisme monarchique et le dirigisme économique. L’absolutisme, c’est le politique qui dicte l’économique, le politique qui dit « j’accorde tel monopole à telle entreprise », que ce soit la marine, le crédit, etc. Vous avez toujours dans l’absolutisme un lien avec le dirigisme. Bastiat le formulait assez bien : « le mercantilisme est le socialisme des riches ». Ce ne sont pas encore des privilèges syndicaux, mais des privilèges accordés à des entrepreneurs, des droits de douane pour protéger des industries, des monopoles… Boisguilbert donne cet exemple. Avant Colbert, il y avait un commerce florissant entre la Normandie et la Hollande et l’Angleterre. Avec les taxes prélevées par Colbert, les acheteurs étrangers sont allés ailleurs, donc les entreprises et les agriculteurs normands ont cessé de produire, donc Colbert n’a plus perçu d’impôts, et puisqu’il n’y avait plus de production, il a fallu acheter des produits plus chers ailleurs, ce qui a évidemment pénalisé les plus pauvres.<br />
<br />
<br />
<br />
Le mercantilisme à la Colbert n’est pas une analyse économique, c’est une politique, une politique dirigiste, qui soumet l’économie au politique, qui par la suite a été théorisée, et a trouvé des défenseurs chez des économistes, comme Montchrestien et d’autres. Voilà la différence avec le libéralisme, qui lui est une analyse économique, et, en même temps, une philosophie. Qu’elle soit philosophie du droit naturel ou pas, ce sont les différentes facettes que l’on mentionnait plus tôt ; elles se rejoignent pour demander la suppression des entraves, plus de libertés, tant économiques que politiques, etc.<br />
<br />
<br />
<br />
ANTOINE CASSIN : Je voudrais revenir à la question sociale. Quelle était l’attitude des économistes libéraux en 1841, à la publication du rapport Villermé ? <br />
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<br />
<br />
PHILIPPE NATAF : A ma connaissance, on n’a pas vraiment de sources pour nous l’indiquer. Le Journal des économistes et la Société d’économie politique n’existaient pas. On sait que Molinari était en faveur de la Bourse du Travail. Les libéraux étaient pour le droit d’association, pour les syndicats, contre le corporatisme…<br />
<br />
<br />
<br />
CLAUDE HARMEL : Le marche du travail ne fonctionnait pas. On se trouvait dans une situation où il y avait des chômeurs d’un coté, des offres d’emplois de l’autre, qui s’ignoraient. La Bourse du Travail devait permettre une augmentation des salaires et la fin du chômage. Les compagnons ont résisté. Leur argument était que la publicité des salaires ferait tomber les salaires à Paris, car les provinciaux verraient les salaires plus élevés à Paris, et y afflueraient. L’ennemi pour eux n’est pas le patron, qui veut faire travailler, mais la sous-enchère des employables.<br />
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<br />
<br />
La Mairie de Paris, dans une initiative qu’elle voulait généreuse, vers 1889, mais qui s’est avéré catastrophique, a interdit aux syndicats de faire payer aux ouvriers le service d’embauche, une sorte d’equivalent de bureau de placement ou d’ANPE. Ce qui était une source de revenu pour les syndicats. En échange, la Mairie de Paris a offert aux syndicats des subventions. C’est le debut du subventionnisme qui a été fatal aux syndicats. Ils n’avaient plus de sources de revenus indépendante du pouvoir politique.<br />
<br />
<br />
<br />
BERNARD CHERLONNEIX : Est-ce que dans l’opinion publique de l’époque, on avait la perception que les économistes libéraux apportaient une réponse à la question sociale ?<br />
<br />
<br />
<br />
CLAUDE HARMEL : La vision du mouvement ouvrier au 19ème siècle nous est donnée quasi exclusivement par les historiens marxistes. C’est vrai que la liberté du travail n’a pas donné tout de suite la prospérité. Mais le monde ouvrier a été très sensible à la liberté du travail, c’est-à-dire à la possibilité d’ascension sociale qu’ouvrait pour eux et leurs enfants la liberté du travail. Le « marchandage » a permis l’apparition des petits patrons. Le marchandage, à l’époque, ce sont les ouvriers qui prennent du travail à la tâche, ou en fermage, « je vais monter ce mur pour vous à ce prix-là », quitte ensuite à l’intérieur du prix convenu, à embaucher un ou deux aides. Les ouvriers, malheureusement, se sont orientés vers les coopératives ouvrières de production, qui n’ont pas marché pour des raisons psychologiques et d’organisation. Les syndicats ont monté beaucoup d’ateliers pour faire travailler les chômeurs, et leurs faillites ont contribué à ruiner financièrement les syndicats.<br />
<br />
<br />
<br />
PHILIPPE NATAF : Pourquoi le libéralisme a-t-il été accepté au 19ème, et soudain ne l’a plus été ? En 1848, on a supprimé des universités l’enseignement de l’économie, puis on l’a réintroduit, mais en Faculté de Droit. Ce qui veut dire que ne pouvaient enseigner l’économie que ceux qui avaient des diplômes de droit. Certes, on peut être juriste et économistes, mais ce monopole des juriste sur l’enseignement de l’économie a eu une influence évidente sur la façon dont on percevait des questions comme la réglementation, l’intervention de l’État, la fiscalité, etc. Les libéraux ne pouvaient plus s’exprimer que dans le Journal des économistes.<br />
<br />
<br />
<br />
ANTOINE CASSIN : La monarchie absolue française, pour les gens du 18ème siècle, donnait l’impression d’être un État de droit, plus que les dictatures du despote éclairé en Prusse ou en Russie. Les grands propriétaires terriens, qui soutenaient la monarchie des Bourbons, haïssaient en même temps l’industrie naissante, la vulgarité des nouveaux riches. Ils ont bien accueilli le Rapport Villermé, ils avaient aussi intérêt a dénoncer les horreurs du travail à l’usine. Or la France, comme les autres pays industriels à l’époque, voient les ruraux affluer vers les villes et les usines parce qu’on risquait de mourir de faim à la campagne. L’usine, malgré ses terribles conditions de travail leur offrait un progrès social.<br />
<br />
<br />
<br />
ALAIN LAURENT : Pour rebondir sur la démarche des libéraux en faveur de la question sociale, deux d’entre eux au moins, parmi les plus influents, ont milité pour une action forte en faveur de l’éducation des plus pauvres : Jean-Baptiste Say et Émile Faguet. L’éducation est le moyen d’améliorer sa condition sociale et celle de ses enfants. C’était déjà la démarche de Condorcet. Elle permet de voir s’ouvrir plus largement le marché du travail et d’y faire valoir ses talents. Faciliter l’ascension sociale, c’est une réponse libérale. Jules Ferry, sur ce point, est l’héritier du libéralisme.<br />
<br />
<br />
<br />
PHILIPPE NATAF : Absolument, Coquelin et surtout Bastiat militent pour un système d’éducation totalement libre, même si certains autres libéraux reconnaissent à l’État un rôle dans ce domaine.<br />
<br />
BERNARD CHERLONNEIX : Merci beaucoup de cette intervention qui s’inscrit bien dans la tradition du Club Angélina.<br />
<br />
''Conférence donnée au Club Angélina, le 12 mai 1999''<br />
<br />
== Notes et références ==<br />
<references /><br />
<br />
<br />
<br />
[2] Pierre de Boisguilbert, dit le Pesant (1646-1714). Il est l’auteur d’une « dissertation » : De la nature des richesses, de l'argent et des tributs, où l'on découvre la fausse idée qui règne dans le monde à l'égard de ces trois articles (1704). Une version numérisée est disponible sur<br />
<br />
http://www.socsci.mcmaster.ca/~econ/ugcm/3ll3/boisguillebert/boisg02.htm<br />
<br />
[3] Cantillon, né en Irlande en 1680. Il émigre en 1708. Après une mission en Espagne, il s’établit à Paris et y devient banquier. Il comprend vite la folie du Système de Law (1717 - 1720), et gagne une fortune en spéculant contre. Il meurt dans l’incendie de sa maison à Londres en 1734. On attribue à Cantillon l'ouvrage paru sans nom d'auteur en 1755, soit vingt et un ans après sa disparition, qui portait le titre, Essai sur la nature du commerce en général. Voir http://www.taieb.net/fiches/cantillon.htm#. Friedrich Hayek a consacré un long article à Cantillon, publié dans The Collected Works of F.A. Hayek, Vol. III, The Trend Of Economic Thinking, p. 245, Routledge, 1991.<br />
<br />
[4] Jacques-Claude-Marie Vincent, seigneur de Gournay (1712 — 1759). C’est lui qui fit connaître au public français nombre d’ouvrages d’économistes parus en anglais, dont celui de Cantillon.<br />
<br />
[5] Anne-Robert-Jacques Turgot, baron de l'Aulne (1727-1781). Voir http://cepa.newschool.edu/het/profiles/turgot.htm, où l’on trouvera nombre d’essais de Turgot, plus un lien vers le beau site de Patrick Madrolle et la traduction française de l’hommage rendu à Turgot par Murray Rothbard (L’Eclat de Turgot) http://perso.wanadoo.fr/patrick.madrolle(economie/_turgot1.html.<br />
<br />
François-René Rideau a publié ses « notes de lectures » de Turgot sur son site http://fare.tunes.org/books/index.html#Turgot<br />
<br />
<br />
<br />
[6] Dupont de Nemours (Paris, 1739 — Eleutherian Mills, Delaware, États-Unis, 1817). Il inventa le terme de « physiocratie ». Sa préoccupation sociale est bien manifestée par cette déclaration «la prospérité de l'humanité entière est attachée au plus grand produit net possible». Emigré aux Etats-Unis après l’Empire, où il s’était fait des amis en négociant le Traité d’indépendance de 1786, son fils y fonda la célèbre société chimique qui porte leur nom.<br />
<br />
<br />
<br />
[7] Jean-Baptiste Say (1767 – 1832). Son Traité d'économie politique ou Simple Exposé de la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses date de 1803. Auteur prolifique, on peut citer aussi Catéchisme d'économie politique (1815), Cours complet d'économie politique pratique (1828-1830), etc.<br />
<br />
<br />
<br />
[8] Sur la fameuse Loi de Say, les anglophones liront avec profit l’article de Ben Best http://www.benbest.com/polecon/sayslaw.html<br />
<br />
<br />
<br />
[9] Charles Coquelin est l’ auteur du très remarquable Dictionnaire de l'Economie politique, publié en 1854.<br />
<br />
<br />
<br />
[10] On ne présente plus Bastiat. Tout, ou presque, est dit sur les deux admirables sites, www.bastiat.org et www.bastiat.net, tenus par François-René Rideau.<br />
<br />
<br />
<br />
[11] Élève de Say, Guillaumin devint le premier éditeur d’ouvrages économiques du 19ème siècle, en particulier ceux de la « bande des 5 amis de la liberté » : Bastiat, Coquelin, Fonteyraud, Garnier and Molinari.<br />
<br />
<br />
<br />
[12] Charles Rist Rist est le coauteur avec Charles Gide (oncle d’André) de l’ Histoire des doctrines économiques depuis les physiocrates jusqu'à nos jours, réédité chez Dalloz.<br />
<br />
<br />
<br />
[13] Jacques Rueff (1896-1978), universitaire, diplomate, Membre de l’Académie française, conseiller écouté de De Gaulle et de Pinay, est l’auteur notamment de Théorie des phénomènes monétaires, L’Ordre social, Épître aux dirigistes, l’Âge de l’inflation, Les Dieux et les Rois (Essai sur le pouvoir créateur), Le Péché monétaire de l’Occident,<br />
<br />
<br />
<br />
[14] Victor Modeste est l’auteur de Du Paupérisme en France. Etat actuel, causes, remèdes possibles. - Paris, Guillaumin, 1858. texte publié sur http://gallica.bnf.fr/themes/PolXVIIIIt.htm<br />
<br />
<br />
<br />
[15] Henri Cernuschi, avocat milanais, qui ne plaida qu’une cause (pour sauver sa tête), devenu banquier et monté à Paris faire fortune, reste plus connu pour le magnifique musée qu’il offrit à la ville de Paris que pour ses écrits théoriques.<br />
<br />
<br />
<br />
[16] Philippe Simonnot, 39 Leçons d’économie contemporaine, Gallimard Folio, 1998<br />
<br />
Version formatée du texte [https://web.archive.org/web/20060222031105/http://www.liberalia.com/htm/pn_pensee_sociale.htm]<br />
<br />
</div><br />
[[wl:Philippe Nataf]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Pierre_Lemieux:L%27illusion_keyn%C3%A9siennePierre Lemieux:L'illusion keynésienne2023-12-11T11:29:31Z<p>Lexington : Page créée avec « {{titre2|L'illusion keynésienne|Pierre Lemieux|Publié dans La Tribune (Paris), 13 janvier 2009, p. 8.}} <div class="text"> Les idées reçues étaient keynésiennes même avant John Maynard Keynes. ''Le Meilleur des Mondes'' d’Aldous Huxley, publié en 1932 soit quatre ans avant La ''Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie'', en témoigne : « Mais les vieux habits sont affreux, répétait-t-on aux bébés pour l... »</p>
<hr />
<div>{{titre2|L'illusion keynésienne|Pierre Lemieux|Publié dans La Tribune (Paris), 13 janvier 2009, p. 8.}}<br />
<div class="text"><br />
Les idées reçues étaient keynésiennes même avant John Maynard Keynes. ''Le Meilleur des Mondes'' d’[[:wl:Aldous Huxley|Aldous Huxley]], publié en 1932 soit quatre ans avant La ''Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie'', en témoigne : « Mais les vieux habits sont affreux, répétait-t-on aux bébés pour les conditionner. Nous jetons toujours les vieux habits. Mieux vaut finir qu’entretenir… » Il importe de stimuler la consommation.<br />
<br />
On en est resté à ce keynésianisme primaire. La rhétorique par laquelle on rationalise les politiques adoptées pour contrer la crise actuelle est, en effet, bien keynésienne.<br />
<br />
Le premier problème des politiques keynésiennes concerne le court terme, où Keynes aimait tant se cantonner. Si la demande globale fait vraiment défaut, il est illusoire de croire que l’État peut la relancer ex nihilo et sans égard aux anticipations. Ce que l’État « injecte » dans l’économie devra un jour ou l’autre être financé par quelqu’un. Sachant cela, les futures victimes du fisc ou de l’inflation prendront des mesures pour se protéger – épargne, exportation des capitaux, etc. – qui annuleront au moins partiellement les efforts de l’État.<br />
<br />
Le concept de demande globale est suspect. Les tenants de l’école dite « autrichienne » d’économie proposent une autre explication selon laquelle les cycles économiques sont créés par le monopole de l’État sur la masse monétaire. Le crédit facile créerait des bulles dont l’éclatement se traduit en récession. Friedrich Hayek (1899-1992), un des fondateurs de cette école et récipiendaire du prix Nobel d’économie en 1974, avait été, à l’époque, un des principaux adversaires intellectuels de Keynes.<br />
<br />
Le deuxième défaut des politiques keynésiennes se rapporte au long terme et aux aspects structurels plutôt que conjoncturels de l’économie. Car il y a peut-être deux Keynes, un dieu en deux personnes en quelque sorte. Le second Keynes admettait que la régulation économique à court terme entraîne des conséquences à long terme. Dans la Théorie générale, l’économiste de Cambridge écrit : « Aussi pensons-nous qu’une assez large socialisation de l’investissement s’avérera le seul moyen d’assurer approximativement le plein emploi ».<br />
<br />
Les politiques actuelles sont keynésiennes au sens du second Keynes : elles reposent sur cette idéologie keynésienne que l’interventionnisme étatique est nécessaire et efficace. Plusieurs des mesures adoptées au cours des derniers mois ressemblent davantage à des éléments de stratégie industrielle qu’à des politiques conjoncturelles. Or – et c’est un autre point sur lequel Hayek s’opposait à Keynes –, l’État ne possède pas et ne peut obtenir les informations nécessaires pour planifier efficacement l’économie.<br />
<br />
La crise actuelle illustre dramatiquement cette impossibilité. Elle découle de l’appesantissement presque continu de la réglementation qui l’a précédée. Les budgets des organismes américains – fédéraux seulement – de réglementation des institutions financières et bancaires ont augmenté, en dollars constants, de 44% depuis 1990 et de 17% depuis 2000, sans compter les nouveaux contrôles depuis le déclenchement de la crise. Dans le marché où la crise a éclaté, le marché des hypothèques résidentielles, la moitié de celles-ci étaient détenues ou garanties par l’État fédéral. La crise actuelle, une crise de l’étatisme, manifeste la victoire d’Hayek sur Keynes.<br />
<br />
Le troisième défaut, rédhibitoire, des solutions keynésiennes est qu’elles ignorent l’institution même qui est censée les mettre en œuvre. L’État est habité par des politiciens et des bureaucrates qui sont des hommes ordinaires et non par des Séraphins et des Chérubins. À partir de cette hypothèse s’est développée, sous l’instigation de [[James Buchanan]] (lauréat Nobel d’économie en 1986), toute une école de pensée qui propose une analyse économique de la politique (voir les chapitres 18 et 19 de mon Comprendre l’économie). Les politiques publiques sont le produit de l’intérêt des politiciens et des bureaucrates de l’État. Les premiers adopteront devant la crise les mesures qui favorisent leur maintien au pouvoir ; les seconds chercheront à préserver leur statut et l’empire de leurs bureaux. Même si l’État keynésien était en mesure d’aplanir le cycle économique, son fonctionnement nécessaire l’amènera plutôt à aggraver et à prolonger les crises.<br />
<br />
GMAC, la filiale du géant de l’automobile qui finance clients et concessionnaires de celui-ci, vient d’obtenir du gouvernement américain le statut de banque et, grâce à cela, quelques milliards de financement additionnel. Qui eût cru que la réglementation des banques aurait un jour cette conséquence ? Qui eût cru qu’une théorie keynésienne proposant le relancement de la consommation produirait, dans le plus grand désordre, une assistance tous azimuts des producteurs les moins efficaces ? Mais, pardi, le praticien de l’économie des choix publics ! Le pouvoir de l’État finit toujours par servir des intérêts particuliers plutôt qu’un indéfinissable intérêt général.<br />
<br />
Peut-être, en définitive, la crise donnera-t-elle tout autant raison à l’économie des choix publics qu’à la théorie autrichienne, à James Buchanan qu’à Friedrich Hayek.<br />
<br />
</div><br />
[[wl:Pierre Lemieux]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Jean-Yves_Naudet:Soci%C3%A9t%C3%A9_et_subsidiarit%C3%A9Jean-Yves Naudet:Société et subsidiarité2023-11-29T17:42:41Z<p>Lexington : Page créée avec « {{Infobox Auteur|nom=Jean-Yves Naudet |image= 100px |dates = 1948 |tendance = |citations = |liens = Wikibéral }} {{titre|Société et subsidiarité|Jean-Yves Naudet|Conférence de Jean Yves Naudet, professeur d'Economie à l'Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, à l'occasion de la XXIII° Université d'Eté de la Nouvelle Economie, qui se tenait à Aix en Provence du 2 au 4 septembre 2000.}} <div... »</p>
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<div>{{Infobox Auteur|nom=Jean-Yves Naudet<br />
|image= [[Image:Jean-Yves Naudet.jpg|100px]]<br />
|dates = 1948<br />
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|citations = <br />
|liens = [[:wl:Jean-Yves Naudet|Wikibéral]]<br />
}}<br />
{{titre|Société et subsidiarité|[[Jean-Yves Naudet]]|Conférence de Jean Yves Naudet, professeur d'Economie à l'Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, à l'occasion de la XXIII° Université d'Eté de la Nouvelle Economie, qui se tenait à Aix en Provence du 2 au 4 septembre 2000.}}<br />
<div class="text"><br />
La définition du principe de subsidiarité est difficile, car elle comporte de nombreux risques d’ambiguïté. En effet, en apparence, il s’agit d’un mot savant, du vocabulaire religieux, récent, limité, voire même non libéral. Or, la réalité est différente de ce tableau. <br />
<br />
On dit qu’il s’agit d’un mot savant, mais il recouvre une idée simple et essentielle et nous sommes souvent partisans de la subsidiarité sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose lui aussi sans le savoir. C’est le mode naturel d’organisation des sociétés. On dit qu’il s’agit d’un mot du vocabulaire religieux, longtemps réservé au catholicisme social et à la doctrine sociale de l’Église, précisée par un pape, Pie XI, approfondie par ses successeurs, alors qu’il s’agit, avant tout, d’un terme qui s’applique à la société politique et à la société civile, qui figure même dans des traités internationaux, ou dans des constitutions fédérales, qui est utilisé par des juristes et des économistes et donc largement déconnecté de son contexte religieux, largement laïcisé. L’Église catholique a inventé le mot, pas nécessairement la chose et elle n’en a pas le monopole. <br />
<br />
On dit que c’est un mot récent, puisqu’il est inventé par le pape Pie XI en 1931, voire auparavant par Mgr Ketteler à la fin du 19e siècle, un peu avant Rerum novarum. Or, l’idée est ancienne, elle vient de la philosophie réaliste européenne et sa généalogie passe par Aristote, Saint Thomas, Locke ou Tocqueville et donc il s’agit d’un concept ancien de la philosophie politique ou économique. <br />
<br />
On dit que c’est un mot limité, limité à l’organisation administrative d’une société. (Certains ne l’appliquent même qu’au droit administratif), limité à la répartition du pouvoir entre l’État et les autres collectivités publiques, alors qu’il touche toute l’organisation de la société et d’abord la répartition des sphères d’influence entre la société politique et la société civile. <br />
<br />
Enfin, on dit que c’est un mot souvent avancé par des non-libéraux, par exemple par des corporatistes à la fin du 19e, au début du 20e siècle, voire des étatistes pour défendre ou augmenter la place de l’État, alors qu’il s’agit d’un concept fondamental de la philosophie libérale, destiné à marquer les droits de l’individu, l’aptitude de chacun à gouverner sa propre vie, la souveraineté de la personne, et donc à réduire la prétention de l’État à occuper le plus d’espace possible. <br />
<br />
Est-ce que l’étymologie peut alors nous éclairer ? Le mot « subsidiarité » vient du latin subsidium qui signifie « secours » et qui est entendu en son sens militaire. C’est une ligne de réserve ou une troupe de réserve dans l’ordre de bataille, d’où l’idée de soutien, de renfort, de secours, d’aide, d’appui, voire même à l’extrême d’assistance, avec toutes les ambiguïtés du mot. C’est là qu’il faut être clair. Ce sont des troupes dont on ne se sert pas normalement. Ce ne sont pas ces troupes qui livrent en temps normal la bataille. Elles constituent un appoint en cas de besoin, en cas de défaillance exceptionnelle et pour la durée de la défaillance, donc une intervention provisoire. Ces troupes viennent à l’appui du principal, donc elles ne sont pas le principal, comme peut l’être une raison subsidiaire dans une argumentation ou une question subsidiaire dans un concours. Donc secourir n’est pas remplacer, et ce n’est pas secourir que de proposer une aide superflue et, habituellement, en temps normal, on n’a pas besoin de secours et cela concerne toutes les communautés et les organisations et pas seulement l’État qui n’est pas le seul à pouvoir apporter son concours. <br />
<br />
L’histoire nous aide-t-elle alors à lever les ambiguïtés ? Et bien, en apparence, le mot a une généalogie courte, en réalité, son histoire est beaucoup plus longue. <br />
<br />
En apparence, le mot a une généalogie courte : celle du catholicisme social. On se situe dans la deuxième moitié du 19e siècle et ces idées sont favorisées par un retour en force du thomisme dans les idées religieuses de l’époque. Il semble que ce soit Mgr Ketteler, évêque allemand qui ait fait apparaître dans les premiers l’idée, par exemple, à partir de la formule suivante : « tant que la famille, la commune, peuvent se suffire pour atteindre leur but naturel, on doit leur laisser la libre autonomie. Le peuple règle lui-même ses propres affaires ». <br />
<br />
Mais Mgr Ketteler n’était pas le seul, et l’idée était dans l’air du temps religieux de la deuxième moitié du 19e siècle. On peut en voir une bonne illustration à partir d’un exemple concret qui est celui de l’éducation, tel qu’il est présenté par un des évêques important de l’époque, Mgr Freppel, lors d’un débat à la chambre des députés en 1887. Il dit ceci, et en tire des conséquences générales : « l’enseignement primaire est avant tout un service familial et ce n’est que subsidiairement et à défaut de la famille qu’il peut devenir un service communal, certains disent un service d’État, et il serait facile de contester qu’il puisse jamais être un service d’État, car la fonction éducatrice n’entre nullement dans l’idée de l’État qui est pouvoir de gouvernement et non pas un pouvoir d'enseignement. Dire que c'est un service d’État, c’est franchir un abîme que l’absolutisme seul peut franchir ». Il s’agit donc, poursuit Mgr Freppel, avant tout d’un service familial, car de droit naturel, les enfants appartiennent à leurs parents et ils doivent s’en occuper au même titre que de les nourrir. <br />
<br />
Mais, il y a là, dit Mgr Freppel, une vraie doctrine sociale : ne pas inverser l’ordre des facteurs. Ce n’est pas l’État qui fonde et entretient les écoles, le principe essentiel est le suivant -je cite- : « … l’État ne doit faire que ce que les particuliers et les associations secondaires ne peuvent pas faire. Si vous sortez de ce principe, ajoute l’Évêque, vous êtes en plein dans le socialisme d’État. Alors, le gouvernement s’obstine à faire quantité de choses qu’il devrait abandonner à l’initiative privée ». <br />
<br />
Au-delà ce cette origine, l’idée est reprise par Léon XIII, dans Rerum novarum, en 1891. Le principe, bien que non explicitement nommé constitue toute l’ossature de son texte, pour respecter la dignité humaine, et non pour égaliser les résultats, et la dignité implique la liberté et nécessite donc de limiter au maximum les interventions étatiques. <br />
<br />
Mais c’est bien entendu Pie XI qui va approfondir la définition en 1931 dans Quadragesimo anno ; je cite : « … il ne reste pas moins indiscutable qu’on se saurait ni changer, ni ébranler, ce principe si grave de philosophie sociale ; de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi, ce serait de commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social que de retirer aux groupements d’ordre inférieur pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes ». <br />
<br />
Donc, ce n’est pas seulement un problème d’efficacité, mais un principe fondamental, intangible, lié à la justice et à l’ordre social, c’est l’une des conditions de la dignité des personnes. Je cite encore : « … l’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, non pas de les détruire, ni de les absorber ». Cela vaut pour toute autorité et pas seulement pour l’État. <br />
<br />
Tous les papes ont repris la même idée tout au long du 20e siècle et je ne citerai que Jean-Paul II qui y fait allusion dans Centesimus annus, dans le paragraphe 48 consacré au rôle de l’État et à la critique de l’État providence : « … dans ce cadre - dit Jean-Paul II - il convient de respecter le principe de subsidiarité, une société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’ordre inférieur en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité ». Il en donne une illustration immédiate et critique par sa critique radicale de l’état de l’assistance et de sa bureaucratie ruineuse. La subsidiarité, c’est le contraire de l’Etat-providence. <br />
<br />
Mais cette généalogie courte, en apparence, cache en réalité une histoire beaucoup plus longue. Chantal Millon Delsol a bien montré qu’elle s’inscrit dans toute l’histoire de la philosophie européenne. Elle en fait remonter l’idée à Aristote, plus près de nous à Saint Thomas, donc au courant de la philosophie réaliste. On se situe dans le cadre du réel et non pas du constructivisme. On n’est pas dans le cadre de l’utopie, ni de la perfection, mais dans celui de la prudence. Ce n’est pas un idéal abstrait, il s’agit simplement de gouverner des hommes dignes, mais imparfaits. On est donc dans le domaine essentiel de l’équilibre entre ordre et liberté. <br />
<br />
Déjà chez Aristote l’idée d’un rôle de suppléance du pouvoir où chacun mène son destin comme il l’entend, la politique étant alors l’art de gouverner des hommes libres. Le moyen-âge accentuera cette idée de personne, de sa dignité, et du rôle des groupes autonomes. Plus tard, c’est Locke qui montrera que la forme de pouvoir importe moins que la limitation de son rôle. La société est souveraine, pas seulement pour choisir ses dirigeants, mais pour œuvrer à ses propres finalités. On passe alors à la liberté d’autonomie, la cité s’efface et le rôle de l’État n’est pas de se substituer à la société et aux individus, mais de garantir leur autonomie. <br />
<br />
On le voit, la généalogie de ce concept est non seulement ancienne, mais également libérale, car c’est aussi Tocqueville : chacun peut gérer son propre destin, et les groupes sociaux savent gérer leurs affaires, d’où la vitalité de la société civile. La subsidiarité, cela consiste alors à laisser faire la personne et les communautés, considérant que chacun est apte à gouverner sa propre vie en raison de la souveraineté de la personne. On est alors passé à la lecture libérale de la subsidiarité, encore faut-il en écarter de fausses lectures. <br />
<br />
Nous verrons d’abord, dans un premier point, quelles sont ces fausses lectures de la subsidiarité, avant de nous tourner ensuite dans un deuxième point, vers la lecture libérale de la subsidiarité.<br />
<br />
'''I - Les fausses lectures de la subsidiarité'''<br />
<br />
Les fausses lectures : si la subsidiarité est souvent mal comprise, voire mal aimée, c’est que l’on cache sous ce nom de faux concepts en faisant de fausses lectures de la subsidiarité. De manière non exhaustive, on peut ainsi écarter six erreurs fréquentes dans ce domaine, six fausses lectures qui nous conduiraient à des impasses.<br />
<br />
Première fausse lecture : la subsidiarité, comme justification, en toute bonne conscience, de l’intervention de l’État. <br />
<br />
Puisque l’on doit laisser libre désormais personnes et communautés, sauf si elles en sont incapables, il y aurait une obligation d'intervention de le la part de l’État. Chaque fois qu’existe une difficulté, l’État est là pour réguler, remplacer, faire à notre place. Ce ne sont plus les circonstances exceptionnelles ou les cas urgents, comme dit Bastiat, mais le secours de l’État bienveillant pour tous, mais l’État au centre, à l’affût de toutes nos faiblesses et sous un emballage libéral, on vend du socialisme d’État. Nous sommes tous faillibles, donc l’État va nous remplacer. Toutes les faiblesses humaines justifieraient l’intervention de l’État infaillible. ça, c’est de l’anti-subsidiarité, c’est la grande fiction qui nous protège en tout temps et en tout lieu. La subsidiarité ne met pas au centre l’État, elle doit mettre au centre la personne.<br />
<br />
Deuxième fausse lecture : la subsidiarité à l’européenne ou encore la lecture de Jacques Delors. <br />
<br />
Le traité sur l’Union européenne, dit traité de Maastricht, en effet parle de la subsidiarité. Jacques Delors a une conception tout à fait typique de l’organisation de l’Union européenne qui est celle d’une subsidiarité à l’envers. C’est une conception politique. Il dit lui-même : décider les problèmes qui concernent les citoyens le plus près d’eux et chaque fois que l’action communautaire apparaît indispensable elle doit le faire. Autrement dit, on ne s’intéresse pas au problème des hommes, mais des citoyens, on est dans un contexte exclusivement politique et on cherche à justifier l’intervention de la communauté européenne. <br />
<br />
C’est une conception tout à fait particulière ; Jacques Delors, je cite encore, distingue bien les compétences de la communauté et les compétences concurrentes entre la communauté et les états membres, autrement dit ce qui est à moi, communauté, reste à moi, tout ce qui est à toi, état membre, peut être alors en discussion. <br />
<br />
Cette conception particulière se retrouve dans le traité dit de Maastricht sur l’Union européenne, dans son article 3 b. Je cite : « … la communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées. Dans les domaines qui ne relèvent de sa compétence exclusive, la communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, qui si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres ». Autrement dit, le principe est le même : la communauté a un domaine de départ intangible, le reste est négociable en fonction des circonstances, et surtout ne concerne que le débat entre les états et l’Union européenne ; c’est une conception descendante et non remontante de la subsidiarité. <br />
<br />
On ne part pas de la personne, mais de l’Union européenne. C’est du Jacobinisme européen, c’est la subsidiarité à l’envers et limitée à un jeu à deux acteurs : les organisations européennes et les États. Le reste n’existe pas. <br />
<br />
On peut mieux le comprendre à partir d’un exemple savoureux, cité par Jacques Delors lui-même, une histoire de pattes de volailles. Un état membre voulait que l’on fixe dans l’une des directives européennes à quelle hauteur on devait couper les pattes de volailles, et la Commission européenne a refusé au nom du principe de subsidiarité, en répondant, ça n’est pas à l’Union européenne, c’est aux États à décider à quelle hauteur on coupe les pattes de volailles. Et bien voilà la subsidiarité selon Monsieur Delors ! La vraie subsidiarité, c’est de dire que c’est à chaque éleveur de volailles de décider et non pas à Bruxelles ou aux États.<br />
<br />
Troisième fausse piste : la décentralisation. <br />
<br />
Cette décentralisation est en soi une excellente chose, mais la subsidiarité ne se limite pas, comme on le dit souvent, à la décentralisation et elle repose encore sur une conception inverse : les États ont des activités légitimes. Pour des raisons de souplesse, d’efficacité, on va les concéder, et transférer des compétences à la région, au département, à la commune. On part de l’État qui, dans un geste bienveillant, transfère les pouvoirs au niveau local. Or, la vraie subsidiarité dira, au contraire, que c’est légitimement que le niveau local doit être investi de ces pouvoirs et subsidiairement le niveau supérieur.<br />
<br />
Quatrième contresens : la subsidiarité qui concerne la seule organisation des pouvoirs publics. <br />
<br />
Comme le dit Monsieur Delors, il s’agit de décider au plus près des citoyens, donc par exemple dans la commune si elle peut mieux le faire que la région. Et si on se demandait si le citoyen, l’entreprise, l’association, pouvaient le faire mieux que la commune ou la région ? Il y a là une idée perverse de la subsidiarité qui la limite aux seuls pouvoirs publics alors que c’est d’abord un problème de répartition entre la société civile et la société politique et donc la question n’est pas ou la commune, ou la région, ou l’État, mais la personne, ou l’association, ou l’entreprise, ou le club-services, ou l’Église, ou la fondation. Certes, mieux vaut la commune que l’État, mais mieux vaut les familles que les communes.<br />
<br />
Cinquième contresens : les poupées russes ou la hiérarchie des communautés. <br />
<br />
On donne souvent, d’où en particulier l’attirance à la fin du 19e siècle de nombreux monarchistes en France, l’idée d’une société organisée en communautés bien définies, hiérarchiquement liées les unes aux autres. Voilà une société close, une vision par échelons hiérarchisés, du moins important, la personne, la famille, au plus essentiel, l’État. Or, la subsidiarité, comme l’a souligné souvent Monsieur Audouin, c’est d’abord le jeu des complémentarités horizontales, ça n’est pas la société figée, c’est la mobilité, c’est la flexibilité et évidemment l’essentiel, c’est la personne et non pas l’État.<br />
<br />
Et voilà enfin la sixième erreur qui est le corporatisme. <br />
<br />
Le concept de subsidiarité a été récupéré en France à la fin du 19e siècle par La Tour du Pin, Albert de Mun, par des visions corporatistes de la société, c’est une vision antilibérale de la subsidiarité, la société économique est organisée en corps intermédiaires un peu comme les corporations de l’ancien régime, définitivement supprimées en 1791 ; clos, obligatoire pour tous, organisés par l’État. On est alors dans un risque de glissement totalitaire, antilibéral, dont on trouvera des applications dans l’entre-deux guerres avec Salazar ou Mussolini. C’est la suppression des libertés économiques et de la concurrence, l’idée que la liberté individuelle n’est qu’un leurre, car l’homme n’agit qu’à travers des groupes qui, eux-mêmes, seraient sous la surveillance de l’État. <br />
<br />
C’est l’anti-contrat où chacun vit dans des organismes de droit public que sont les corporations. C’est la tentation de l’École de Liège, combattue par l’École d’Angers qui en tient, au contraire, pour des organisations uniquement volontaires et indépendantes de l’État. Léon XIII sur ce point donnera raison à l’École d’Angers, libérale, en démontrant que les associations et corporations se créent librement et n’ont aucun caractère obligatoire. <br />
<br />
Mais la tentation est grande encore aujourd’hui (voir les syndicats, et le corporatisme) en particulier en France, est encore très actif et empêche la mise en place d’une véritable subsidiarité. <br />
<br />
Alors quelle peut être la lecture libérale de la subsidiarité ? Quels sont, c’est le deuxième point, les éléments essentiels d’une lecture libérale de la subsidiarité ?<br />
<br />
'''II - Pour une lecture libérale de la subsidiarité'''<br />
<br />
Retenons sept idées, dont certaines seront vues rapidement parce qu’elles ne sont que l’envers des arguments précédemment évoqués. <br />
<br />
Première idée : la subsidiarité, c’est la société civile en action.<br />
<br />
La subsidiarité, c’est laisser la société civile fondamentalement libre dans son ordre communautaire, comme dans son ordre marchand. C’est la personnalité de la société au sens de Jean-Paul II. Ce n’est pas la société des castes, des corporatismes, mais la vivacité de la société civile à la Tocqueville. Cela signifie, du côté de l’État, de laisser toute son autonomie à la société civile et, du côté de la société civile, la volonté d’agir, de se prendre en charge, d’être entreprenant, actif, cela nécessite des institutions qui poussent en ce sens et non à la passivité comme l’Etat-providence par exemple. Si l’ingérence détruit la dignité de la personne, comme dans le cas de l’assistance, au lieu de la rétablir, il vaut mieux alors s’abstenir. Enfin, la subsidiarité doit s’appliquer à l’intérieur de chaque institution ou communauté, par exemple dans l’entreprise où elle est un mode élémentaire de bonne gestion.<br />
<br />
Deuxième élément de cette lecture libérale : les droits des individus et des familles.<br />
<br />
Avant même la société civile, la subsidiarité, c’est la personnalité de l’individu et celle des familles, communauté naturelle de base de toute société. C’est la tradition de LE PLAY, interrompue par les corporatistes, la famille est le seul corps naturel et personnes et familles ont des droits antérieurs et supérieurs à ceux de l’État, qu’aucun État ne peut remettre en cause. C’est encore plus nécessaire à l’heure de la mondialisation d’affirmer les droit des individus et des familles. <br />
<br />
Troisième élément de cette lecture : l’ampleur n’est pas la valeur et le sommet n’est pas le couronnement.<br />
<br />
Une lecture un peu hiérarchique de la subsidiarité présente des cercles successifs d’importance de plus en plus grande jusqu’au sommet et au couronnement qui est l’État. Or, la subsidiarité, c’est l’inverse, et l’ampleur d’une communauté ne dit rien sur sa valeur. S’il y avait un couronnement, cela serait la personne et la famille. Il faut oublier les conceptions descendantes de la subsidiarité où tout part de l’État et revenir aux conceptions remontantes ou tout part de la personne et de sa dignité.<br />
<br />
Quatrième élément de cette lecture : des collectivités publiques locales.<br />
<br />
Pour autant, si la subsidiarité concerne d’abord personnes, familles, société civile, elle s’applique aussi aux collectivités publiques et passe par une décentralisation bien comprise. Mieux vaut certes la famille que la commune, mais mieux vaut la commune que la région ou l’État. Mais il y a des lectures libérales du fonctionnement des collectivités locales, comme il peut aussi exister un socialisme municipal. Il faut donc avoir à l’esprit que même la commune a un rôle subsidiaire par rapport à l’entreprise, à la famille ou aux associations. <br />
<br />
Cinquième élément de cette lecture libérale : La fin de l’État jacobin<br />
<br />
C’est un point dont nous aurons l’occasion de reparler souvent cette semaine. La subsidiarité, c’est le contraire du jacobinisme, de l’État centralisateur, éducateur, banquier, assureur, protecteur, entrepreneur de spectacles, que nous connaissons. De nouvelles formules doivent être envisagées avec des abandons de souveraineté, des formules fédérales et souples. <br />
<br />
Sixième élément de cette lecture : la véritable répartition se fait entre société politique et société civile.<br />
<br />
Elle n’est pas entre l’État et la commune et la région, mais entre organisme public et société civile, c’est-à-dire personnes, familles et autres communautés volontaires. Laisser vivre et respirer les personnes et la société civile, mais si la société civile ne veut pas se prendre en charge elle-même, on reviendra au tout politique et au tout État. <br />
<br />
Septième et dernier élément de cette lecture libérale : on parle de secours en cas de défaillance, mais secours de qui et défaillance de qui ?<br />
<br />
Qui défaille ? Il y a un gros travail de notre part pour montrer que les défaillances des familles, des entreprises, des associations, qui justifieraient selon la subsidiarité des interventions des pouvoirs publics sont en fait dues déjà à une omniprésence de l’État et à des causes simples comme des droits de propriété insuffisamment reconnus, voyez l’environnement. Quelqu’un n’est pas défaillant s’il a les pieds et les mains liés et donc il faut réduire les défaillances, donc les secours, en libérant la société civile. <br />
<br />
Ensuite, après qui défaille, qui porte secours ? Qui porte secours s’il y a une véritable défaillance ? Pourquoi dire défaillance, par exemple des familles dans l’éducation, donc une solution publique. Il y a bien d’autres solutions au sein de la société civile, des clubs, des fondations, des associations, des organisations privées d’entraide, des coopérations de toutes sortes. C’est vrai pour l’éducation, pour la subsidiarité, pour la solidarité, pour la protection sociale, etc. Et donc, la subsidiarité ne signifie pas l’existence d’une défaillance, donc l’intervention de l’État ou de la commune, mais premièrement de se demander pourquoi il y a défaillance et de qui et, s'il y a vraiment défaillance, alors il existe des solutions privées qui préservent la dignité et la liberté.<br />
<br />
'''Conclusion'''<br />
<br />
<br />
Un mot rapide de conclusion. La véritable lecture de la subsidiarité, c’est donc pour reprendre les expressions de Jean-Paul II, la personnalité de l’individu et la personnalité de la société qui avaient été éliminées par le socialisme réel, mais aussi par l’État providence ou par les économies mixtes. C’est avant tout l’idée que chacun est apte à gouverner sa propre vie, seul et en tissant des liens naturels et volontaires avec les autres au sein de communautés librement constituées. Cette subsidiarité nécessite donc le respect des droits fondamentaux de la personne à commencer par celui du droit de propriété et donc un état de droit. <br />
<br />
C’est ce qui permettra de réaliser un autre concept important de la philosophie politique réaliste, celui du bien commun que l’on peut évoquer en conclusion. Pourquoi ? Parce que le bien commun est comme la subsidiarité un concept mal connu et déformé. On en fait un résultat, un objectif à atteindre, une sorte d’intérêt collectif ou général. Or, la définition est très différente, le bien commun, c’est l’ensemble des conditions qui favorisent le plein épanouissement des personnes. Le but du bien commun, c’est l’épanouissement libre de chacun de nous. <br />
<br />
Cela implique des conditions, dont l’état de droit, cela passe par l’existence d’une société civile active, composée de personnes libres, capables d’agir en hommes responsables. Cela passe donc par la discrétion la plus grande possible des pouvoirs publics et la libre initiative des personnes au sien de la société civile, c’est-à-dire par la subsidiarité. <br />
<br />
La subsidiarité, c’est donc la façon de promouvoir le bien commun, c’est-à-dire la primauté des personnes qui trouvent leur dignité dans la liberté de leurs choix responsables et peuvent ainsi s’épanouir librement au contact des autres.<br />
<br />
</div></div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/G%C3%A9rard_Bramoull%C3%A9:Hommage_aux_immigr%C3%A9s_clandestinsGérard Bramoullé:Hommage aux immigrés clandestins2023-11-28T11:18:24Z<p>Lexington : Page créée avec « {{titre|Hommage aux immigrés clandestins|Gérard Bramoullé|Cet article est paru à l’origine sur le site de Bertrand Lemennicier}} <div class="text"> L’immigré clandestin pèse moins que l’immigré régulier sur les comptes de la Sécurité Sociale, et il n’alimente pas les arguments de ceux qui fondent leur xénophobie sur le prélèvement qu’opèrent les étrangers sur les moyens et les services du « Club » France, tout simplement parce qu’il ne... »</p>
<hr />
<div><br />
{{titre|Hommage aux immigrés clandestins|Gérard Bramoullé|Cet article est paru à l’origine sur le site de Bertrand Lemennicier}}<br />
<div class="text"><br />
<br />
L’immigré clandestin pèse moins que l’immigré régulier sur les comptes de la Sécurité Sociale, et il n’alimente pas les arguments de ceux qui fondent leur xénophobie sur le prélèvement qu’opèrent les étrangers sur les moyens et les services du « Club » France, tout simplement parce qu’il ne dispose pas des papiers nécessaires pour accéder à la plupart des faveurs de l’État-Providence.<br />
<br />
Face aux problèmes de société que soulève l’immigration et malgré leurs divergences idéologiques, les hommes de l’État - ceux qui sont en place, comme ceux qui voudraient l’être - sont au moins unanimes sur un point : il faut lutter contre l’immigration clandestine. Cette lutte constitue la priorité affichée de toutes les politiques d’immigration qui nous sont proposées, de quelque parti qu’elles émanent. Une unanimité trop criante pour être honnête... En fait, bouc émissaire facile d’un problème difficile, l’immigré clandestin présente des avantages que n’a pas l’immigré régulier.<br />
<br />
En premier lieu, pour son travail au noir, l’immigré clandestin abaisse les coûts monétaires et non monétaires de la main d’oeuvre. II renforce la compétitivité de l’appareil de production et freine le processus de délocalisation des entreprises qui trouvent sur place ce qu’elles sont incitées à chercher à l’extérieur. Il facilite les adaptations de l’emploi aux variations conjoncturelles et augmente la souplesse du processus productif. Le clandestin, qu’il soit étranger ou national, ne fait qu’anticiper les allègements légaux de charges sociales qui tendent à se généraliser. Animant le réseau de « l’économie informelle », il participe à ce qui est à la fois une régulation non négligeable des fluctuations économiques, et une bouée de sauvetage pour nombre d’institutions en situation désespérée.<br />
<br />
L’immigré clandestin qui ne participe pas au financement du système de protectorat social, ne participe pas non plus à son exploitation au détriment des cotisants, du fait même de sa clandestinité. Ceci compense cela, tout simplement parce qu’il ne dispose pas des papiers nécessaires pour accéder à la plupart des faveurs de l’Etat-Providence, dont on connaît les exigences en matière de paperasserie. L’immigré clandestin pèse ainsi moins que l’immigré régulier sur les comptes de la Sécurité Sociale, et il n’alimente pas les arguments de ceux qui fondent leur xénophobie sur le prélèvement qu’opèrent les étrangers sur les moyens et les services du « Club » France.<br />
<br />
Enfin, ceux qui craignent de voir un jour le droit de vote accordé aux étrangers résidant régulièrement sur le territoire national peuvent être rassurés avec l’immigré clandestin qui, par définition et à cause de son irrégularité, ne pourra participer à ces réjouissances électorales. La politique, qui n’est souvent qu’un moyen de faire prévaloir la subjectivité de sa foi en la parant de l’autorité de la loi, est une voie dont l’accès lui est fermé. Ce n’est pas l’immigré clandestin qui pourra utiliser le monopole public du pouvoir de coercition pour nous imposer des règles de vie contraires à nos habitudes.<br />
<br />
Mais justement, l’immigré clandestin ne viole-t-il pas ces règles de vie en société ? Pas nécessairement, car s’il est vrai qu’il ne respecte pas les règles définies par l’État, il est faux de croire que ces règles étatiques recouvrent toutes les règles de la vie en société. La législation n’est pas le Droit, comme la légalité n’est pas la légitimité, et comme aucune loi ne fixe les principes de la politesse. Dès lors que l’immigré clandestin respecte les règles naturelles de la vie en société, telle que par exemple le respect de la parole donnée, et même s’il est hors-la-loi, il mérite moins l’expulsion que ceux qui font l’inverse. Enfin, dans un monde où la puissance tutélaire de l’État se fait de plus en plus étouffante, ce clandestin inconnu nous montre le chemin de l’indépendance et réveille notre sens anesthésié dé la liberté individuelle. A ce titre, il valait bien cet hommage qui n’a du paradoxe que la forme. <br />
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[[wl:Gérard Bramoullé]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Alan_Greenspan:Plaidoyer_pour_l%27%C3%A9talon-orAlan Greenspan:Plaidoyer pour l'étalon-or2023-11-27T13:25:25Z<p>Lexington : Page créée avec « {{titre|L’Or et la liberté économique|Alan Greenspan|Cet article est paru à l’origine en 1966 dans le journal ''The Objectivist''. Il a été repris dans le livre ''Capitalisme, l’idéal inconnu'' d’Ayn Rand avec d’autres articles d’Alan Greenspan et de Robert Hessen](Signet Books 1967, ISBN 0451147952). Traduction Dilbert. }} <div class="text"> Une hostilité presque hystérique à l’égard de l’étalon-or est un trait commun aux « étatis... »</p>
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{{titre|L’Or et la liberté économique|Alan Greenspan|Cet article est paru à l’origine en 1966 dans le journal ''The Objectivist''. Il a été repris dans le livre ''Capitalisme, l’idéal inconnu'' d’[[Ayn Rand]] avec d’autres articles d’Alan Greenspan et de Robert Hessen](Signet Books 1967, ISBN 0451147952). Traduction Dilbert. }}<br />
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Une hostilité presque hystérique à l’égard de l’étalon-or est un trait commun aux « étatistes » de toutes tendances. Apparemment ils comprennent (peut-être plus clairement et plus subtilement que beaucoup de défenseurs du libre-échange) que l’or et la liberté économique sont inséparables, que l’étalon-or est un instrument de la liberté économique et que l’un ne va pas sans l'autre.<br />
<br />
Pour comprendre la source de leur hostilité, il est nécessaire d’abord de rappeler le rôle spécifique de l'or dans une société libre.<br />
<br />
L'argent est le dénominateur commun de toutes les transactions économiques. C'est cet instrument qui sert de moyen d'échange, qui est universellement accepté dans une économie d'échange pour le paiement de marchandises ou de services, et peut, par conséquent, être utilisé pour mesurer la valeur et pour stocker de la valeur, c’est-à-dire, pour épargner.<br />
<br />
L'existence d'un tel produit est une condition nécessaire pour une division économique du travail. Sans un produit ayant une valeur objective qui puisse être accepté comme monnaie, les hommes devraient avoir recours au troc ou vivre en autarcie agricole et renoncer aux avantages inestimables de la spécialisation. Si les hommes n'avaient aucun moyen d'entreposer de la valeur, c’est à dire d’épargner, ni l’échange ni la planification à long terme ne seraient possibles.<br />
<br />
Un instrument d'échange acceptable pour tous les acteurs économiques ne se détermine pas arbitrairement. En premier lieu, le moyen d'échange doit être durable. Dans une société primitive pourvue de peu de richesses, le blé peut durer assez longtemps pour servir de monnaie, dès lors que tous les échanges se produisent pendant et immédiatement après la récolte, sans qu’un surplus soit conservé. Mais quand le besoin de stocker est important, comme c’est le cas dans les sociétés plus riches et plus civilisées, la monnaie d'échange doit être un produit solide, habituellement un métal. Un métal est choisi en général parce qu’il est homogène et divisible : chaque unité est semblable à une autre et le métal peut être fondu en quantité variable. A l’inverse, les bijoux précieux ne sont ni homogènes ni divisibles.<br />
<br />
Bien plus important est le fait que le produit choisi comme monnaie soit un produit de luxe. Les désirs de luxe sont illimités, par conséquent les produits de luxe sont toujours demandés et seront toujours acceptés. Le blé est un luxe chez les peuples sous-alimentés, mais pas dans une société prospère. Ordinairement les cigarettes ne serviraient pas comme monnaie, cependant ce fut le cas en Europe après la Deuxième Guerre où on les considérait comme un luxe. Le terme « produit de luxe » équivaut à pénurie et à haute valeur unitaire. Avec une haute valeur unitaire, un tel produit est facilement portable, à titre d’exemple une once d'or vaut une demi-tonne de fonte brute.<br />
<br />
Dans les étapes initiales d'une économie en voie de développement, plusieurs monnaies d'échange pourraient être utilisées, car une grande variété de produits rempliraient les conditions précédentes. Cependant progressivement un des produits prévaut sur tous les autres, étant davantage accepté. Le choix d’une monnaie de réserve se portera sur le produit le plus accepté, ce qui en retour le rendra encore plus acceptable. Le changement est progressif jusqu'à ce que ce produit devienne le seul moyen d'échange. L'usage d'un seul moyen est très avantageux pour les mêmes raisons qu'une économie dotée d’une monnaie est supérieure à une économie de troc : cela rend les échanges possibles sur une échelle incomparablement plus large.<br />
<br />
Que cette monnaie soit de l'or, de l’argent, des coquillages, du bétail ou du tabac dépend du contexte et du développement d'une économie donnée. En fait, tous ces moyens ont été employés, à différentes époques, comme monnaie d'échange. Et même dans notre siècle, deux produits majeurs, l’or et l’argent, ont été utilisés comme monnaie internationale d'échange, l’or devenant prédominant. L'or, ayant un usage artistique et utilitaire, et restant relativement rare, a toujours été considéré comme un produit de luxe. Il est durable, portable, homogène, divisible, et par conséquent a des avantages considérables sur toute autre monnaie d'échange. Depuis le commencement de la Première Guerre Mondiale, il a été virtuellement la seule monnaie internationale d'échange.<br />
<br />
Si tous les biens et services étaient payés en or, les paiements de grands montants seraient difficiles à exécuter, et cela aurait tendance à limiter la division du travail et la spécialisation. Une conséquence logique de la création d'une monnaie d'échange est le développement d'un système bancaire et d’instruments de crédit (billets de banque et dépôts) qui viennent remplacer l’or, tout en étant convertibles en or.<br />
<br />
Un système bancaire libre basé sur l'or est capable de développer le crédit et donc de créer des billets de banque (de la monnaie) et des dépôts, selon les besoins de production de l'économie. Les individus propriétaires d'or sont incités, par le versement d’intérêts, à déposer leur or dans une banque (sur laquelle ils peuvent tirer des chèques). Mais comme il est rare que tous les déposants viennent retirer leur or en même temps, le banquier garde seulement en réserve une fraction des dépôts d’or. Cela permet au banquier de prêter plus que le montant de l’or déposé (ce qui signifie qu'il détient des à-valoir sur l’or plutôt que de l'or comme sécurité pour ses dépôts). Mais le montant des prêts qu'il peut faire n'est pas arbitraire : il doit l’évaluer par rapport à ses réserves et à l’état de ses investissements.<br />
<br />
Quand les banques financent des efforts productifs et rentables, les prêts sont remboursés rapidement et le crédit bancaire continue à être disponible. Mais quand les projets financés par le crédit sont moins avantageux et rapportent moins vite, les banquiers découvrent bientôt que leurs engagements sont excessifs par rapport à leurs réserves d’or, et ils commencent à restreindre les prêts, habituellement en exigeant des taux d'intérêt plus hauts. Cela a tendance à limiter le financement de nouveaux projets et oblige les emprunteurs actuels à améliorer leur rentabilité s’ils veulent obtenir de nouveaux crédits pour leur expansion. Donc, sous le régime de l’étalon-or, un système bancaire libre apparaît comme un dispositif qui protège la stabilité d'une économie et permet une croissance équilibrée.<br />
<br />
Quand l'or est accepté comme un moyen d'échange par une partie ou la totalité des nations, cette liberté sans entraves permet une division mondiale du travail et favorise un commerce international à grande échelle. Bien que les unités d'échange (dollar, livre, franc, etc.) soient différentes d’un pays à l’autre, dès lors que toutes sont rattachées à l’or, les économies des différents pays marchent de concert — à condition que le commerce et les mouvements de capitaux soient libres. Le crédit, les taux d'intérêt et les prix deviennent comparables dans tous les pays. Par exemple, si les banques d’un pays accordent des crédits trop libéralement, les taux d'intérêt dans ce pays auront tendance à baisser, ce qui induira les déposants à envoyer leur or dans les banques d’autres pays pour obtenir de meilleurs rendements. Cela provoquera immédiatement une pénurie de réserves bancaires dans le pays « laxiste », rendra le crédit plus difficile et entraînera un retour à des taux d’intérêt plus élevés.<br />
<br />
Un système bancaire complètement libre et un régime d’étalon-or à part entière restent encore à construire. Mais avant la première guerre mondiale, le système bancaire aux États-Unis (et dans la plupart des pays) était basé sur l'or et, bien que les gouvernements interviennent parfois, le système bancaire était plus libre et moins contrôlé. Périodiquement, par suite d’une expansion trop rapide du crédit, les banques ont prêté jusqu'à la limite de leurs réserves en or ; alors les taux d'intérêt ont augmenté très vite, le crédit a été restreint, et l'économie est tombée dans une récession aiguë, mais éphémère (en comparaison avec les dépressions de 1920 et 1932, les récessions d’avant la première guerre étaient vraiment bénignes). Ce sont les réserves d'or qui ont stoppé des expansions économiques en plein déséquilibre, avant que celles-ci ne tombent dans le désastre qui suivit la première guerre mondiale. Les périodes de rajustement étaient courtes et les économies sont reparties sur une base saine pour renouer rapidement avec l'expansion.<br />
<br />
Mais on a confondu le remède et le mal : si une pénurie de réserves bancaires cause un déclin économique — argumentaient les interventionnistes — pourquoi ne trouverait-on pas un moyen de fournir plus de réserves aux banques pour qu’elles n’en manquent jamais ! Si les banques pouvaient continuer à prêter de l'argent indéfiniment — prétendait-on — il n’y aurait jamais de crise économique. C’est ainsi que la Réserve Fédérale a été bâtie en 1913. Elle consistait en douze Banques régionales de Réserve Fédérale détenues en nom propre par des banquiers privés, mais en fait parrainées, contrôlées et supportées par le gouvernement. Le crédit développé par ces banques est en pratique (bien que non légalement) adossé par le pouvoir fiscal du gouvernement fédéral. Techniquement, nous restions dans le régime de l’étalon-or ; les individus étaient encore libres de posséder de l'or,<br />
et l'or servait toujours de réserve bancaire. Mais outre l'or, le crédit détenu par les banques de la Réserve Fédérale (les réserves « papier ») pouvait servir à payer les déposants.<br />
<br />
Quand l’économie des États-Unis a subi une légère contraction en 1927, la Réserve Fédérale a créé plus de réserves papier dans l'espoir de prévenir toute pénurie possible de réserves bancaires. Plus désastreuse encore fut la tentative de la Réserve Fédérale d’aider la Grande-Bretagne qui perdait de l'or par rapport à nous parce que la Banque d'Angleterre s’était opposée à une augmentation des taux d'intérêt sous la pression du marché (c'était désagréable politiquement). Le raisonnement des autorités concernées était le suivant : si la Réserve Fédérale alimentait les banques Américaines de réserves papier, les taux d'intérêt aux États-Unis tomberaient à un niveau comparable avec ceux de la Grande-Bretagne ; cela stopperait l’hémorragie en Grande-Bretagne et éviterait les problèmes politiques d’une hausse des taux d'intérêt.<br />
<br />
La ''Fed'' a réussi : l’hémorragie en or a été arrêtée, mais, dans ce processus, on a presque détruit les économies de la planète. L'excès de crédit que la ''Federal Reserve'' a injecté dans l'économie s’est répandu sur le marché boursier et a déclenché un fantastique boom spéculatif. Tardivement, les dirigeants de la Fed tentèrent d’éponger les réserves et réussirent finalement à freiner le boom. Mais c'était trop tard : en 1929, les déséquilibres spéculatifs étaient tels qu’on aboutit à des restrictions économiques et à une perte de confiance du monde des affaires. Il en résulta un écroulement de l'économie américaine. En Grande-Bretagne ce fut encore pire : plutôt que d’affronter toutes les conséquences de ses erreurs antérieures, le pays abandonna complètement l’étalon-or en 1931, rompit ce qui restait du tissu de la confiance et provoqua une série de banqueroutes dans le monde. Les économies mondiales plongèrent dans la Grande Dépression des années 30.<br />
<br />
Avec une logique qui remontait à une génération précédente, les étatistes ont prétendu que l’étalon-or était pour une grande part la cause de la débâcle qui a mené à la Grande Dépression. Si l’étalon-or n'avait pas existé, arguaient-ils, l'abandon par la Grande-Bretagne en 1931 des paiements en or n'aurait pas causé des faillites bancaires dans le monde entier (l'ironie était que depuis 1913, nous étions, non pas dans un régime d’étalon-or, mais dans ce que l’on pourrait appeler un « étalon-or mixte » ; cependant c'est l'or qui a été mis en cause).<br />
<br />
Mais l'opposition à l’étalon-or sous toutes ses formes, visible dans un nombre croissant d’États-Providences, provient d’une prise de conscience plus subtile : la constatation que l’étalon-or est incompatible avec le déficit budgétaire chronique (signe caractéristique de l'état-providence). Si l'on laisse de côté le langage officiel, l'État-Providence n’est rien de plus qu'un mécanisme par lequel les gouvernements confisquent la richesse des membres productifs d'une société pour engager toutes sortes de programmes d’assistanat. La confiscation s’opère en grande partie à travers la fiscalité. Mais les partisans de l’État-Providence furent prompts à reconnaître que, s’ils voulaient garder le pouvoir politique, la ponction fiscale devait rester raisonnable ; aussi durent-ils avoir recours à des programmes de déficit budgétaire massif, c’est-à-dire à l’emprunt, en émettant des obligations d’État, pour financer à grande échelle les dépenses de l’État-Providence.<br />
<br />
Sous le régime de l’étalon-or, le niveau de crédit qu'une économie peut supporter est déterminé par ses actifs tangibles, puisque chaque instrument de crédit est en dernier lieu une option sur un actif tangible. Mais les obligations émises par un gouvernement ne sont pas adossées à des richesses tangibles, elles ne tiennent que par la promesse du gouvernement de rembourser en prélevant sur les impôts futurs ; et ces obligations ne peuvent pas être absorbées facilement par les marchés financiers. Un grand volume d’obligations d’État ne peut être vendu au public qu’à des taux d'intérêt de plus en plus hauts. Donc, le déficit budgétaire de l’État sous un régime d’étalon-or est rigoureusement limité.<br />
<br />
L'abandon de l’étalon-or a permis aux partisans de l’État-Providence d’utiliser le système bancaire pour parvenir à une expansion illimitée du crédit. Ils ont créé des réserves papier sous la forme d’obligations d’État que les banques, à travers une suite complexe d’étapes, acceptèrent en lieu et place d'actifs tangibles et traitèrent comme si cela constituait un dépôt réel, c’est-à-dire comme l'équivalent de ce qui était autrefois un dépôt d'or. Le détenteur d'une obligation ou d'un dépôt bancaire résultant de réserves papier croit qu'il a une option valable sur un actif réel. Mais en réalité il y a maintenant plus d’options en circulation que d’actifs réels.<br />
<br />
On ne peut pas contourner la loi de l’offre et de la demande. Comme l’offre d'argent (options) augmente par rapport à l’offre d’actifs économiques réels, les prix finissent nécessairement par augmenter. Donc l’épargne des membres productifs de la société perd de sa valeur en termes de pouvoir d’achat. Quand on finit par tirer le bilan, on trouve que cette perte de valeur équivaut aux dépenses de l’État-Providence permises par l’émission d’obligations financées par l’expansion du crédit bancaire.<br />
<br />
En l'absence d’étalon-or, il n'y a aucun moyen de protéger l’épargne de la confiscation à travers l’inflation. Il n'y a aucune réserve de valeur sûre. S'il y en avait, le gouvernement devrait rendre illégale sa détention, comme cela fut le cas pour l'or. Par exemple, si tout le monde décidait de convertir ses dépôts en argent ou en cuivre ou en n’importe quel autre bien, et par la suite refusait les paiements par chèque, les dépôts bancaires perdraient leur pouvoir d’achat et le crédit bancaire créé par le gouvernement serait sans valeur. La politique financière de l'État-Providence exige que les détenteurs de richesse n’aient aucun moyen de se protéger.<br />
<br />
Voilà le secret éculé des partisans de l’État-Providence contre l’étalon-or. Dépenser par la voie du déficit est simplement un stratagème pour confisquer la richesse de façon cachée. L'or se dresse contre ce processus insidieux. Il apparaît comme un dispositif de protection des droits de la propriété. Ayant saisi cela, on n'a aucune difficulté à comprendre l’opposition des étatistes à l’égard de l’étalon-or.<br />
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[[wl:Alan Greenspan]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Robert_Nozick:In_Memoriam_Robert_NozickRobert Nozick:In Memoriam Robert Nozick2023-11-27T11:55:46Z<p>Lexington : </p>
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<div>{{Infobox Auteur|nom=Robert Nozick<br />
|image=[[Image:Nozick.gif]]<br />
|dates = 1938-2002<br />
|tendance = [[:wl:minarchistes|minarchiste]]<br />
|citations = « L'imposition est sur un pied d'égalité avec les travaux forcés. » <br />
|liens = [[:wl:Robert Nozick|Wikibéral]]<br />
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{{titre2|In Memoriam Robert Nozick|Henri Lepage|28 janvier 2002}}<br />
<div class="text"><br />
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Le philosophe Robert Nozick, professeur à Harvard, est décédé le 23 janvier 2002. C'est largement l'écho fait à son livre "Anarchy, State and Utopia" qui, dans les années 1970, avaient relancé l'intérêt pour l'étude de la philosophie morale du libéralisme, avant que nous ne redécouvrions l'oeuvre d'Hayek, un peu plus tard, au début des années 1980.<br />
<br />
Même s'ils ne sont pas toujours totalement d'accord avec lui, Robert Nozick est un homme dont les travaux ont joué un rôle décisif dans l'engagement d'un grand nombre de ceux qui, depuis trente ans, tant en Europe qu'aux Etats-Unis, ont consacré leur vie à faire progresser les idées libérales et libertariennes.<br />
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Ci-suivent deux textes pour nous rappeler qui était Robert Nozick et le sens de son oeuvre. Le premier a été écrit il y a dix ans pour figurer dans une mini-encyclopédie de la pensée libérale contemporaine. Mais le livre n'est jamais paru, l'éditeur ayant fait faillite entretemps.<br />
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Le second est un commentaire que Marc Grunert, Professeur à Strasbourg, vient de diffuser par mail sur le Forum du Cercle Hayek.<br />
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H.L.<br />
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Avec John Rawls (dont le livre "Une Théorie de la Justice" était paru trois ans plus tôt avant son propre "Anarchy, State and Utopia"), Robert Nozick est celui qui a relancé aux Etats-Unis le débat de philosophie morale sur la théorie des droits; ou, tout au moins, qui lui a permis de sortir du cénacle académique de quelques initiés auxquels il était jusque là réservé.<br />
<br />
Publié en 1974, son ouvrage Anarchy, State and Utopia (traduit en français sous le titre "Anarchie, Etat et Utopie", et publié aux P.U.F) réalisera en quelques mois un score tout à fait inhabituel pour un livre philosophique dont la lecture est loin d'être aisée. Son succès contribua à révéler l'existence du mouvement libertarien qui,à l'époque, faisait ses premiers pas sur la scène politique américaine ( le "Parti Libertarien" a été fondé en 1971).<br />
<br />
Sachant que ce qui définit l'Etat est le monopole de la violence, est-il possible d'imaginer une forme d'état compatible avec le principe que les gens ont des droits qu'il n'est permis à personne , sous quelque prétexte que ce soit, de violer ? Telle est la question centrale que pose le livre.<br />
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Oui, répond en un mot Robert Nozick, mais à condition que cet état ne dépasse pas les fonctions qui seraient celles d'un état "ultra minimal", sorte de veilleur de nuit collectif. Classé par son livre comme un auteur "libertarien", Nozick réplique à son ancien professeur de Harvard, John Rawls, en lui démontrant que ses critères de justice violent les droits fondamentaux des gens, et sont donc en réalité immoraux (réfutation de l'Etat social-démocrate); mais en même temps il s'oppose aux "anarcho-capitalistes" du mouvement libertarien pour qui tout état est nécessairement illégitime (David Friedman).<br />
<br />
Ses arguments consistent à démontrer que l'une des agences de protection privée existant dans l'état de nature peut se transformer en monopole sans que cela se traduise par une violation des droits des agences ainsi éliminées du marché, et de leurs clients. Pour cela, il invoque deux idées . D'abord l'idée qu'en profitant de sa force pour établir son monopole, l'agence dominante rend en réalité un service à tout le monde car, dit-il, cela réduit "le risque" de voir les autres agences recourir à des techniques d'auto-défense "dangereuses" pour tous. Ensuite l'idée que personne ne doit se plaindre de la nouvelle situation dans la mesure où l' agence gagnante offre en quelque sorte une compensation aux clients des autres agences en leur apportant désormais de façon gratuite un service identique, mais plus efficacement produit.<br />
<br />
Les limites de cette argumentation ont été démontées par les réponses d'un certain nombre d'auteurs "libertariens" comme Rothbard, Roy Childs et Maurice Goldsmith. Son argument sur le risque ressemble beaucoup à ceux qui expliquent que l'agriculture est un secteur spécial où les risques du temps sont tellement aléatoires qu'il n'y a que l'état qui puisse les prendre en charge (avec le résultat que les agriculteurs ont aujourdhui à supporter, en matière de prix ,une incertitude politique qui s'avère en définitive d'amplitude plus importante encore que le risque naturel et , surtout, qui est non assurable). Quant au mécanisme de la compensation, il se heurte bien sùr à la non comparabilité des préférences, et donc à l'impossibilité pratique de jamais pouvoir en évaluer le montant.<br />
<br />
Par ailleurs, le défaut de Nozick est de ne jamais expliquer d'où viennent précisément ces "droits" que les gens sont supposés avoir. Bien qu'il reprenne le principe de non-agression , commun à tous les libertariens, il n'y a dans son livre aucune théorie de l'origine des droits. Pour cela, il faut se tourner vers des auteurs comme Ayn Rand, Murray Rothbard, Tibor Machan, Douglass Rasmussen, Erick Mack.<br />
<br />
Cela dit, il ne fait aucun doute que, par les arguments qu'il développe notamment pour contester la validité des "droits sociaux", Anarchy, State and Utopia est un ouvrage très représentatif de ce que représente actuellement sur le plan intellectuel l'émergence d'un mouvement "libertarien".<br />
<br />
H.L. (1988)<br />
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DES ATOMES ET DU VIDE par Marc Grunert<br />
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On a pu parler d'équilibre cosmique lorsque disparurent, la même semaine, deux philosophes, Robert Nozick et Pierre Bourdieu, défendant des conceptions du monde radicalement opposées. En restant dans le registre métaphysique et du jeu de mot, j'ai bien envie de me laisser aller à une métaphore inspirée par la cosmologie de Démocrite. Nozick, Bourdieu : des atomes et du vide.<br />
<br />
Du côté "atomes", Robert Nozick, théoricien de la liberté, initiateur d'un libéralisme éthique fondée sur la propriété de soi, usant<br />
<br />
d'arguments parfois difficiles mais ayant toujours le souci de la clarté et le respect de l'intelligence du lecteur. Robert Nozick a connu une renommée mondiale grâce à son ouvrage "Anarchie, Etat et utopie" publié en 1974.<br />
<br />
Les arguments de Nozick visaient à réfuter les thèses de "Théorie de la justice" de John Rawls, le plus important théoricien de la social-démocratie. Le livre de Rawls prétendait justifier la possibilité d'un accord unanime raisonnable pour une société dans laquelle les ressources seraient redistribuées de manière équitable, en conciliant un principe de liberté et un "principe de différence" destiné à justifier certaines inégalités. Cette construction théorique ne pouvait déboucher sur rien d'autre que la pérpétuation d'un État redistributeur soumis aux chantages des groupes de pression. Mais du moins, elle fournissait aux élites de l'Etat, une nouvelle justification de leur pouvoir. Avant Hayek, Nozick, critiqua la conception de "justice sociale" ou "distributive" car il n'existe pas un état de la société que l'on pourrait qualifier de "juste en soi". "Toute chose, écrit Nozick, quelle qu'elle soit, qui naît d'une situation juste, à laquelle on est arrivé par des démarches justes, est-elle même juste".<br />
<br />
Depuis Nozick, le libéralisme n'est plus seulement une théorie économique mais une théorie politique fondée sur le principe de justice, sur une une théorie du droit. Les libéraux pouvaient enfin s'appuyer sur une oeuvre qui ne cantonnait plus le libéralisme dans l'efficacité du marché. Simultanément, l'école autrichienne d'économie, et principalement Rothbard, accomplissait le même travail théorique d'une autre manière. Le libéralisme se dotait d'un volet éthique en cohérence parfaite avec la théorie économique. On ne peut plus dire depuis Nozick et Rothbard : le libéralisme c'est utile en économie mais il ne vaut rien, ou ne dit rien, en matière d'éthique et de justice.<br />
<br />
Comme vient de l'écrire Pierre Lemieux, Nozick a montré combien il était difficile de justifier l'Etat. Dans "Anarchie, Etat et utopie" (PUF, libre-échange), Nozick tente de montrer qu'un Etat minimal pouvait naître à partir d'un marché libre où une multitude d'agences privées de sécurité conduirait sans violence à un monopole dont l'unique fonction légitime serait la protection des droits individuels, qui sont des droits de propriété. Toute extension de l'Etat minimal par le financement obligatoire de services dont certains ne veulent pas serait illégitime car nécessiterait l'usage de la force. Nozick, c'était le côté "plein" de l'univers, celui de l'épanouissement personnel par la minimisation de la violence de l'Etat.<br />
<br />
De l'autre côté, avec Bourdieu, nous avons une science crypto-marxiste, prétentieuse et verbeuse, parfaitement adaptée aux fabriques de politiciens, sciences-po, ENA, et autres panthéons de la critique du capitalisme (école supérieure de journalisme de Paris) et marchepieds vers le pouvoir. L'oeuvre de Bourdieu, hypercritique, traquant les rapports de domination et expliquant les mécanismes de leur reproduction a débouché sur une théorisation de la pratique du "mouvement social" comme un moyen, pour les dominés, éclairés par un bon guide (Lui), de se "libérer". Le verbiage bourdivin a dégénéré en un soutien "théorique et pratique" aux grandes grèves et manifestations "prolétariennes" qui existent encore parfois en France (celles des routiers, des chômeurs, des "exclus" en tous genres...).<br />
<br />
En voulant croire que les gémissements des victimes de l'Etat-providence en faillite étaient autant de signes de l'Histoire annonçant la fin du capitalisme, ou du moins sa nocivité, Bourdieu a simplement pris ses désirs pour des réalités. Enrober la contestation et la "misère du monde" dans le verbiage de la révolution permanente contre "la dictature du marché" et se mettre soi-même en avant pour révéler le Sens de l'Histoire, c'était l'opportunisme et le charlatanisme incarnés en une seule personne.<br />
<br />
Après avoir élaboré "une version distinguée du marxisme", Bourdieu a trouvé le temps long et s'est jeté lui-même dans la bataille en participant aux manifestations et en théorisant "le mouvement social". Il a fondé une collection de petits ouvrages militants (Liber raisons d'agir) qui devaient servir de bréviaires à la classe des intellectuels, elle-même ayant pour mission de guider et d'éclairer les "prolétaires".<br />
<br />
Dans un recueil de textes intitulé "contre-feux" et sous-titré "Propos pour servir à la résistance contre l'invasion néo-libérale", Bourdieu démontre son ignorance totale et volontaire de l'aspect éthique du libéralisme, tel que Nozick, Rothbard ou Pascal Salin, en France, l'ont justifié. Selon Bourdieu, et l'intelligentsia française, le libéralisme est impossible sans la complicité de l'Etat et du pouvoir politique. C'est le mythe du complot capitaliste qui renaît sous une forme plus digeste que celle du marxisme vulgaire. Mais au delà de tout ce gâchis de mots consacré à l'analyse des rapports sociaux, on peut retenir que la solution de Bourdieu est dans l'Etat, un autre Etat, qui ne serait plus complice des financiers et des capitalistes. Ainsi écrit-il, "une des raisons majeures du désespoir de tous ces gens tient au fait que l'Etat s'est retiré, ou est en train de se retirer, d'un certain nombre de secteurs de la vie social qui lui incombaient et dont il avait la charge: le logement public, la télévision et la radio publique, les hôpitaux publics etc." (p.10). Bourdieu n'était pas pour le statu quo, il était contre le capitalisme, il diabolisait le "néo-libéralisme", notion inventée à l'usage des militants trop bêtes pour réfléchir. Quelle société désirait Bourdieu ? Eh bien vous ne le saurez jamais. Disons qu'elle aurait comme un petit goût de paradis. Un paradis où toute "domination" serait abolie. Cela nécessiterait juste un peu de contrainte, pour forcer l'Histoire. La chute du mur de Berlin n'était, pour Bourdieu, qu'une simple...vue de l'esprit.<br />
C'était le côté "vide" de l'univers.<br />
<br />
Marc Grunert<br />
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</div><br />
{{Robert Nozick}}[[wl:Robert Nozick]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Guido_H%C3%BClsmann_:_Faut-il_avoir_peur_de_la_d%C3%A9flationGuido Hülsmann : Faut-il avoir peur de la déflation2023-11-24T18:46:34Z<p>Lexington : Page créée avec « {{titre|Faut-il avoir peur de la déflation|Jörg Guido Hülsmann|Paru initialement sur le site de l'Institut Turgot. Traduit par Jan Laarman, reprise d'un texte iconoclaste – mais sérieusement argumenté - de Guido Hulsmann initialement publié en anglais sur le site du Mises Institute. Nos réactions instinctives à la menace de déflation reposent en réalité sur une série de mythes inflationnistes. }} <div class="text"> La perspective de la déflation hante... »</p>
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<div>{{titre|Faut-il avoir peur de la déflation|Jörg Guido Hülsmann|Paru initialement sur le site de l'Institut Turgot. Traduit par Jan Laarman, reprise d'un texte iconoclaste – mais sérieusement argumenté - de Guido Hulsmann initialement publié en anglais sur le site du Mises Institute. Nos réactions instinctives à la menace de déflation reposent en réalité sur une série de mythes inflationnistes. }}<br />
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<br />
La perspective de la déflation hante les élites de nos démocraties occidentales. Il faut reconnaître que d'un point de vue économique leurs craintes sont tout à fait fondées.<br />
<br />
Considérons ces trois propositions de base de l'économie monétaire:<br />
<br />
1°) La richesse d'une nation ne s'explique ni par la quantité de monnaie ni par le niveau des prix. Quelle que soit la quantité nominale de monnaie, les entreprises et les ménages peuvent produire n'importe quelle quantité de biens de consommation. Les vraies ressources de l'homme sont en réalité l'épargne, la technologie et l'esprit d'entreprise – pas l'offre de monnaie ni le niveau des prix.<br />
<br />
2°) Les variations de la masse monétaire n'affectent donc pas la richesse d'une nation dans l'ensemble. Elles modifient cependant la répartition des ressources entre ses membres. Par exemple si on augmente l’offre de monnaie, les premiers à recevoir les quantités supplémentaires de monnaie vont en bénéficier au détriment de tous les suivants. En fait ces effets redistributifs ne résultent pas seulement de changements dans la quantité de monnaie, mais aussi d'un changement dans la fourniture de n'importe quel bien. Il n’y a pas en réalité de différence essentielle entre la monnaie et les autres biens, à part dans un régime de monnaie fiduciaire.<br />
<br />
3°) Un système de monnaie fiduciaire facilite considérablement la redistribution des ressources. Il permet aux propriétaires de l'imprimerie de papier-monnaie et à leurs alliés de s'enrichir beaucoup plus rapidement et à un coût beaucoup plus bas que dans toute autre activité. Voilà pourquoi pendant des siècles les gouvernements ont cherché à établir une monnaie de papier. Après y être parvenus au XXème siècle, les gouvernements et leurs alliés du monde des affaires connurent une croissance exponentielle. L'Etat-providence explosa et le secteur bancaire grandit comme presque aucun des secteurs de l'économie.<br />
<br />
Tout cela n'aurait pas été possible sur un libre marché de la monnaie : personne n’y accepterait des billets dont le pouvoir d'achat dépend du bon vouloir de leur producteur. Le papier-monnaie en effet n'a jamais existé dans un marché des changes vraiment libre (1). Il s'agit en effet essentiellement de monnaie fiduciaire, monnaie que le gouvernement impose à ses citoyens. Le papier-monnaie est protégé par le «cours légal», ce qui signifie que chacun peut être contraint à l'accepter comme moyen de paiement, même s'il a prévu contractuellement de payer avec une autre monnaie. En outre, dans de nombreux pays c'est le code des impôts qui protège le papier-monnaie contre la concurrence des pièces en métal précieux : il instaure des taxes sur leurs transactions et impose les plus-values sur ces métaux. Bref, le papier-monnaie, c'est de l'argent de Monopoly qui enrichit les privilégiés au détriment de tous les autres.<br />
<br />
Nos élites ont donc peur de la déflation. C'est une réaction rationnelle pour ceux qui profitent des privilèges de notre régime inflationniste. Ce sont eux qui ont en effet le plus à perdre si ce régime est renversé par un «coup d’état» déflationniste.<br />
<br />
Alors que l'inflation durable est basée sur un monopole d'Etat, la déflation fait souffler l'air frais du libre marché. Les véritables élites doivent leurs positions de leaders uniquement au soutien volontaire des autres membres de la société. Elles n'ont rien à craindre de la déflation qui diminue la masse monétaire, parce que leur succès est fondé sur l'offre de biens et de services utiles. Elles offrent à leurs concitoyens des services qui subsisteraient même si la masse monétaire ou le niveau des prix changeaient.<br />
<br />
De fait, beaucoup de nos élites d'aujourd'hui sont de fausses élites, c'est-à-dire des entrepreneurs politiques. Ces gens doivent leur revenu et leur pouvoir à des privilèges qui les protègent de la concurrence et les enrichissent au détriment de tous les autres. Et le sort de beaucoup d'entrepreneurs politiques est directement ou indirectement lié au monopole de la banque centrale. C’est seulement grâce à ce monopole que la banque centrale peut créer une expansion de la masse monétaire presque sans limites. Et cette inflation à son tour finance l'expansion presque illimitée de toutes les activités de l'Etat. Pour atteindre et maintenir ces positions dominantes, beaucoup consacrent leurs efforts à du lobbying auprès de la banque centrale, au lieu d'améliorer la qualité de leurs produits.<br />
<br />
Les entrepreneurs politiques ont donc raison de craindre la déflation. La déflation ôterait la source illégitime de leur revenu et les remettrait à égalité avec tous les autres membres de la société, ceux dont les revenus sont basés sur des efforts et des services fournis dans un environnement concurrentiel.<br />
<br />
Mais ces privilèges ne peuvent survivre qu’en raison de l'ignorance du véritable caractère de la déflation (2). Un examen plus attentif révèle que le dossier monté contre la déflation repose entièrement sur une litanie de mythes inflationnistes. Ce sont eux que nous allons maintenant révéler.<br />
<br />
- Mythe n°1: « Vous ne pouvez pas gagner votre vie et faire des bénéfices lorsque le niveau des prix chute »<br />
<br />
Peu d'économistes ou de néophytes sont prêts à accorder des avantages à la déflation entendue comme diminution de la masse monétaire. Mais quand elle a une définition un peu différente, à savoir une diminution du niveau général des prix, elle attire beaucoup moins de critiques. Cette constatation rend ce mythe n°1 très intéressant d'un point de vue politique. Précisons ici que notre analyse à venir portera essentiellement sur la déflation entendue comme diminution de la masse monétaire. Mais il pourrait être utile de l'aborder comme dans l'énoncé du mythe pour s'échauffer avant les discussions ultérieures.<br />
<br />
Ainsi, est-il vrai qu'on ne peut pas gagner sa vie lorsque le niveau des prix diminue? La réponse est non. Les affaires qui réussissent ne dépendent pas du niveau général des prix, mais des écarts de prix ou, plus précisément, des écarts entre les recettes des ventes et les coûts. Mais ces écarts peuvent exister et existent effectivement à n’importe quel niveau général des prix. Ils peuvent exister et existent effectivement même quand il y a une baisse durable des prix. La raison essentielle est que les entrepreneurs peuvent anticiper une baisse des prix, tout comme ils peuvent anticiper l'augmentation des prix. S’ils anticipent une baisse future de leurs recettes, ils négocieront à la baisse le prix actuel des facteurs de production. Ainsi ils assurent une production rentable et un emploi rémunéré pour tous ceux qui sont prêts à travailler. C'est exactement ce qui s'est passé dans les quelques périodes de l'histoire moderne où la déflation n'a pas été bloquée par des mesures inflationnistes. Par exemple, les États-Unis et l'Allemagne ont enregistré des taux de croissance très soutenus à la fin du XIXème siècle. Le niveau des prix y a cependant diminué pendant plus de deux décennies. Durant cette période les salaires nominaux sont restés globalement stables, mais les revenus ont augmenté en termes réels : à quantité de monnaie inchangée on pouvait acheter plus de biens de consommation. Cette période déflationniste a été si bénéfique pour les peuples qu'elle a produit la première grande crise du socialisme. La théorie socialiste avait en effet prédit que le capitalisme de marché aboutirait à l’exact opposé. Eduard Bernstein et d'autres socialistes révisionnistes plaidèrent alors en faveur d'une modification de la théorie. Aujourd'hui aussi nous avons aussi un besoin urgent de révisionnisme, mais d'un révisionnisme déflationniste.<br />
- Mythe n°2: « Bien qu’une baisse des prix soit bonne, une demande globale faible est mauvaise »<br />
<br />
C'est une variante du mythe n°1. Les partisans de ce mythe concèdent que des prix en baisse sont bons pour les consommateurs. Mais ils prétendent qu'ils ont des inconvénients manifestes pour les producteurs. Les incitations à investir diminueraient dans un environnement de prix en baisse. Nous avons déjà réfuté ce point de vue en soulignant que le niveau absolu des prix futurs n'est pas pertinent pour les entreprises. Le facteur déterminant est la possibilité de réaliser un écart entre les recettes des ventes et les coûts, et cette possibilité existe indépendamment du mouvement du niveau des prix.<br />
<br />
Notre contradicteur anti-déflation pourrait maintenant avancer l'objection suivante: une entreprise n'est rentable en période de baisse des prix que si les hommes d'affaires peuvent négocier le prix des facteurs de production à la baisse. S’ils n'arrivent pas à trouver ces facteurs de production à prix bas, ils n'investiront pas du tout. CQFD.<br />
<br />
Cet argument méconnaît le fait qu'à tout moment la totalité des ressources est investie quelque part. Pourquoi nos entrepreneurs visionnaires sont-ils dans l’impossibilité de négocier le prix des facteurs à la baisse? Parce que de toute évidence soit les propriétaires des facteurs ne sont pas prêts à les vendre en baissant leurs prix ; soit d'autres entrepreneurs ont offert des prix légèrement plus élevés. Dans ce dernier cas, il est clair qu'on ne manque pas d'investissement ni d'activité productive. Les facteurs en question sont achetés et vendus - mais à des prix plus bas que ce qui aurait été offert en période inflationniste. Et même dans le premier cas, les facteurs restent investis : ils sont investis dans le «stock de réserve» du propriétaire de ces facteurs, et une telle demande de réservation remplit une fonction sociale aussi utile que toute autre forme de demande.<br />
- Mythe n°3: « Vous ne pouvez pas gagner votre vie et faire des bénéfices lorsque la masse monétaire se contracte »<br />
<br />
Les êtres humains sont capables non seulement d'anticiper une baisse du niveau des prix, mais aussi les conséquences d'une baisse de l'offre de monnaie. Ces anticipations accélèrent généralement le processus de déflation et font très rapidement toucher le fond d'une offre stable de monnaie. Deux cas doivent être distingués: A) le cas d'un système bancaire à réserves fractionnaires sur la base d'une monnaie-marchandise comme l'or ou l'argent et B) le cas d'un papier-monnaie.<br />
<br />
Dans le cas A, l'offre physique d'or ou d'argent ne peut évidemment pas simplement s'évanouir, et donc ce stock reste la base en cas de déflation des billets de réserves fractionnaires. Une telle déflation commence généralement lorsque de plus en plus de gens refusent d'accepter ces billets comme moyen de paiement. Elle se termine généralement par une panique bancaire, quand les titulaires des billets n'en veulent plus et se précipitent à la banque émettrice pour les échanger en or ou en argent. Après la panique, l'offre de monnaie a souvent considérablement diminué parce que tous les billets à réserves fractionnaires ont disparu de la circulation. Mais le stock de monnaie métallique demeure et offre une base au-dessous de laquelle l'offre de monnaie ne peut pas descendre. Il est probable que ce processus déflationniste se termine en quelques heures ou quelques jours. A la fin, de nombreuses banques seront en faillite ainsi que beaucoup d'entrepreneurs qui auront financé leurs entreprises avec de la dette plutôt que sur fonds propres. Mais cela ne signifie pas que la production ne peut pas continuer sans eux. En fait, elle peut continuer et se poursuivra avec un nouveau propriétaire. Voilà pourquoi de nos jours les élites qui se financent par la dette résistent férocement à la déflation.<br />
<br />
Dans le cas B, il n'y a pas de base pour fournir un point d'arrêt au processus déflationniste de réduction de l'offre de papier-monnaie. Quand les gens ne veulent plus détenir ce papier-monnaie et qu’ils commencent à le vendre à tout prix, le résultat est la diminution croissante du pouvoir d'achat de cette monnaie, ce qui convainc à leur tour même ceux qui l’avaient achetée qu'ils devraient au plus vite se débarrasser d’elle. Le résultat est une spirale déflationniste: moins de détenteurs - moins de pouvoir d'achat - moins de détenteurs - moins de pouvoir d'achat et ainsi de suite, jusqu'à ce que le papier-monnaie ait complètement disparu de la circulation. Précisons que cela ne signifie pas que l'économie retournera nécessairement au troc. Ce qui se passe habituellement en pareil cas, c'est que les gens commencent à utiliser d’autres monnaies, comme les pièces d'or et d'argent, ou des devises étrangères. La spirale déflationniste a donc pour effet de remplacer une monnaie de qualité inférieure - inférieure du point de vue des utilisateurs de la monnaie – par de la monnaie de qualité supérieure. Encore une fois, il n'y a aucune raison pour que ce processus ne s'achève pas en quelques jours. Et il n'y a donc aucune raison de s'attendre à ce que la production ne reprenne pas très rapidement avec de nouveaux propriétaires.<br />
<br />
- Mythe n°4: « La déflation entraîne une croissance économique plus basse qu’en période d'inflation »<br />
<br />
Certains partisans de l'inflation admettent que la production puisse se poursuivre après une déflation, et peut-être même au milieu d'une déflation. Mais ils affirment que la croissance économique sera sérieusement entravée par les ajustements nécessaires, au point qu'il aurait été préférable d'éviter la déflation pour faire de l'inflation - ou comme on dit, de la reflation.<br />
<br />
Il est difficile de discuter de ces affirmations en l'absence d'un accord sur la définition de la croissance économique. Mais ça n'empêche pas d'affirmer que le problème de l'ajustement à la déflation (toujours entendue comme diminution de la masse monétaire) est en soi un problème à court terme. Ce problème, c'est d'identifier les projets d'investissement qui sont les plus rentables (et donc les plus bénéfiques pour la société) dans les conditions nouvelles que la déflation a fait naître. Dans le pire des cas, la déflation pousse les hommes d'affaires et les propriétaires de facteurs de production à conserver leurs actifs pour éviter de les gaspiller dans une entreprise fantaisiste. La déflation incite donc à la sobriété et à la prudence financière.<br />
<br />
En revanche, l'inflation attire en permanence des capitaux dans des projets d'investissement qui ne trouvent pas le soutien spontané des autres membres de la société : les capitalistes, les travailleurs et les clients. Ils ne sont rendus possibles que par un financement direct ou indirect avec la monnaie de l'imprimerie d'Etat. L'exemple le plus frappant est l'État-providence. Il peut être financé ni parce qu'il offrirait une quelconque perspective de rendements futurs, ni parce qu'il attirerait une quantité suffisante de dons volontaires, mais uniquement parce qu'il s’appuie sur un nombre toujours croissant de dettes qui un jour seront payées avec la nouvelle monnaie de l'imprimerie d'Etat. Cette considération vaut même indépendamment du fait, souligné par les économistes autrichiens, que l'inflation peut induire une mauvaise affectation temporelle du capital.<br />
<br />
Compte tenu de l'énorme gaspillage qui va de pair avec l'inflation, il n'est pas exagéré de supposer que la déflation va stimuler la croissance économique à long terme et à court terme. Il faut cependant employer une définition de la croissance qui mette l'accent sur l'échelle de valeur propre à chacun des membres de la société, plutôt que sur quelque critère arbitraire de justice sociale.<br />
- Mythe n°5: « La déflation est particulièrement lourde pour les groupes à faible revenu »<br />
<br />
Le principal atout des personnes pauvres, c'est leur travail, et le travail est un atout relativement non spécifique, ce qui signifie qu'il peut être utilisé dans de nombreuses branches de l'industrie. Si un travailleur ne peut plus être employé dans son poste actuel, il est toujours possible pour lui de trouver un nouvel emploi ailleurs, même si c’est à un prix plus bas. En revanche, les personnes plus riches tirent généralement une plus grande partie de leurs revenus d'actifs financiers. Au bout du compte, ces actifs sont liés à la propriété de biens d'équipement, qui en revanche sont des actifs très spécifiques : ils ne peuvent très souvent être utilisés que de la façon exacte dont ils sont actuellement utilisés. Si cette utilisation n'est plus rentable, il y aura une baisse plus ou moins importante de leur prix de marché, réduite parfois à la valeur de la ferraille<br />
<br />
Il s'ensuit que la déflation affecte moins les groupes à faible revenu que les groupes à revenu élevé.<br />
- Mythe n°6: « La déflation détruit le crédit de l'Etat »<br />
<br />
Entendue comme contraction de la masse monétaire, la déflation certes rend impossible à un gouvernement le remboursement des dettes publiques. Il sera ensuite, pendant un certain temps impossible, au gouvernement d'obtenir de nouveaux crédits.<br />
<br />
Mais c'est un mythe de croire que nous devons attendre la déflation pour arriver à ce résultat. Les dettes publiques sont en croissance exponentielle au point qu'aucun fonctionnaire ne parle même de les rembourser. Les gouvernements occidentaux sont déjà sur une pente glissante qui finira inévitablement soit dans l'hyperinflation soit dans la faillite de l'État. C'est juste une question de temps, le temps qu'il leur faudra pour détruire eux-mêmes leur crédibilité. La déflation ne peut qu’accélérer ce processus.<br />
<br />
Remarquons également qu'il y a des effets potentiellement bénéfiques à la faillite de l'Etat. Les gouvernements seront par exemple à nouveau dépendants de l'obtention de recettes par la fiscalité et non par la dette, ce qui devrait conduire à arrêter leur expansion.<br />
Mythe n°7: « La déflation crée du chômage »<br />
<br />
Il n'y a que deux cas où un facteur de production reste inutilisé:<br />
A) si son propriétaire n'est pas disposé à le louer au prix qui lui est offert, ou<br />
B) si la loi l'empêche de le faire.<br />
<br />
Il est donc faux que la baisse des salaires entraîne nécessairement le chômage. Les gens ne sont pas chômeurs par nature. Ils choisissent de travailler pour un employeur selon les conditions (pécuniaires et non pécuniaires) qui leur sont offertes. Certes aucune personne sensée n’accepte de travailler pour quelqu'un si le niveau de salaire ne lui permet de toute façon pas de survivre. Mais ce n'est pas le cas dans une déflation. Rappelez-vous ici que tous les prix baissent, et donc la baisse des salaires est compensée par une baisse parallèle des prix de biens de consommation. Il est vrai qu'il n’y a peut-être pas toujours un parallèle exact entre la baisse des salaires et celle des prix des biens de consommation. Mais tout écart sera temporaire et pourra être facilement comblé pendant un certain temps avec l'aide de la famille, des amis et d’institutions charitables.<br />
<br />
Le chômage involontaire ne peut survenir pendant une déflation que si ce dernier est combiné avec les lois du salaire minimum qui empêchent le travailleur d'offrir ses services à des taux inférieurs. De toute évidence ce chômage ne résulte pas de la déflation, mais de la législation sur le salaire minimum, qui porte atteinte à la liberté d'association.<br />
- Mythe n°8: « La déflation fait porter des fardeaux inégaux et arbitraires aux citoyens »<br />
<br />
Il est vrai que la déflation créerait de lourdes charges pour de nombreuses personnes. Il suffit de voir qu'aujourd'hui la grande majorité des ménages occidentaux a contracté des dettes considérables, généralement sous forme de prêts hypothécaires immobiliers. Si une contraction de la masse monétaire s'installe, les revenus des ménages vont diminuer et il sera impossible de rembourser ces dettes. Il sera alors nécessaire de renégocier les dettes, et certains seront en faillite personnelle. Il est vrai aussi que la déflation a des conséquences inégales pour les citoyens. Certains vont prospérer dans un environnement déflationniste plus qu'ils n’auraient prospéré dans le régime actuel d'inflation, et d'autres s'en sortiront moins bien. Enfin, il est vrai que ces redistributions sont souvent difficiles à concilier avec la conception que chacun a de qui est juste et injuste.<br />
<br />
Alors, où est le mythe?<br />
<br />
Le mythe consiste à croire que seule la déflation fait porter des fardeaux inégaux et arbitraires aux citoyens. La vérité est que le régime actuel inflationniste n'est pas moins arbitraire dans la redistribution des revenus que la déflation. L'inflation redistribue constamment les revenus des personnes qui offrent des services véritables à des personnes qui se trouvent avoir la chance de profiter d’alliances politiques avec les maîtres de l'imprimerie d'Etat.<br />
<br />
Même si le recours à l’inflation vise à empêcher une déflation imminente, ces effets de redistribution arbitraire ne peuvent être évités. On peut donc affirmer que la déflation n'est certainement pas plus injuste que l'inflation. Mais comme on le verra plus loin, la déflation a des avantages tangibles qui la rendent préférable à une inflation prolongée. Mais avant d'en venir à ce point, abordons brièvement un autre sujet:<br />
- Mythe n°9: « Il faudra des décennies pour régler les litiges induits par la déflation »<br />
<br />
Réfléchissons un instant. N'avons-nous pas été trop optimistes en supposant que la déflation n'est qu'une question d'heures ou de jours? N'est-il pas probable que la déflation bouleversera un grand nombre de contrats à long terme, contrats hypothécaires, obligations industrielles et baux immobiliers? Et ne faudra-t-il pas une vingtaine d'années devant les tribunaux pour régler toutes les différends?<br />
<br />
A moins d'une intervention du gouvernement pour entraver le processus d'ajustement, la structure des prix s'ajustera aux nouvelles conditions créées par la déflation en quelques heures ou quelques jours. Mais le règlement des différends juridiques quant à lui pourrait prendre beaucoup plus de temps. Cependant sur la base de données empiriques, on exagère certainement en supposant qu'il faudrait plus d'un mois.<br />
<br />
La déflation allemande qui a suivi la faillite de la banque Darmstädter le 13 juillet 1931 a duré environ deux ans. La crise a très rapidement mis en péril la liquidité du secteur bancaire et de presque toutes les branches de l'industrie allemande. Les relations contractuelles ont été considérablement bouleversées. Des faillites d'une ampleur sans précédent se sont produites, auxquelles se sont ajoutées des révisions de contrats à l'intérieur comme à l'extérieur des tribunaux, ainsi que des moratoires de paiements. Le chômage monta de 7 millions, la production cessa dans de nombreuses entreprises, les salaires chutèrent ainsi que tous les autres prix. La baisse radicale des prix de l'immobilier mis en péril le système des hypothèques, ainsi que les titres adossés à des créances hypothécaires.<br />
<br />
Comment ces problèmes furent-ils traités? Eh bien, le problème du chômage ne fut jamais traité parce qu'avec l'assurance-chômage et les lois sur le salaire minimum le gouvernement avait créé les conditions d’un chômage inévitable. Le résultat conduisit à des bouleversements sociaux et douze années de national-socialisme.<br />
<br />
Mais les problèmes relatifs au règlement des réclamations ont été traités assez rapidement et efficacement, en partie parce qu'à la suite de l'hyperinflation de 1923 les tribunaux allemands avaient acquis une certaine expérience dans le traitement des grands changements de pouvoir d'achat. Dans un grand nombre de cas les différends n’ont jamais été soumis aux tribunaux d'État, mais ils ont été réglés par arbitrage privé. Le reste a été réglé devant les tribunaux d'État ou traité dans une série de quatre lois d'urgence, la dernière votée le 8 décembre 1931. Ainsi, quelques mois après l’arrivée de la déflation, tous les outils nécessaires et les institutions juridiques avaient été mis en place et exploités assez efficacement.<br />
<br />
Il n'y a aucune raison de supposer que les choses aujourd'hui seraient traitées de manière moins efficace dans nos pays, surtout si les juristes se mettaient au service de l'analyse des problèmes qui sont ici en jeu (3).<br />
- Mythe n°10: « La déflation ne confère aucun avantage net positif »<br />
<br />
Supposons qu’en ce qui concerne la répartition des charges entre les citoyens déflation et inflation se valent. On pourrait trouver que nous nous sommes pas adaptés à l'environnement inflationniste, et qu’il faudrait d’importants efforts pour s’ajuster à un processus déflationniste. Cet ajustement coûterait à tous les membres de la société. Alors, quels sont les avantages de la déflation pour le citoyen responsable, à part la perspective incertaine d'être du côté des gagnants à l'issue du réajustement?<br />
<br />
Premièrement, à la suite d’une crise financière majeure, la déflation est un mécanisme très efficace pour accélérer l'adaptation aux nouvelles conditions économiques. En effet, comme nous l'avons noté plus haut, la déflation affecte plus les prix des facteurs de production que des biens de consommation. En conséquence, la déflation accroît l'écart entre les recettes des ventes et les coûts, c'est-à-dire le taux d'intérêt. Elle crée ainsi de puissantes incitations à épargner et à investir.<br />
<br />
Deuxièmement, et c'est tout aussi important, la déflation est le seul processus qui a le pouvoir de détruire les institutions qui génèrent de l'inflation de façon permanente. Ces institutions sont les banques à réserves fractionnaires et les producteurs de la monnaie fiduciaire ("banques centrales"). La destruction de ces institutions élimine l’avantage à la marge dont jouit le financement par la dette par rapport à l'autofinancement. En d'autres termes, le pouvoir économique et social est retiré de la banque centrale et des banques de second rang, et retourne entre les mains des citoyens. Les entreprises opèrent sur la base de fonds propres beaucoup plus élevés qu'auparavant, et les ménages épargnent plus fréquemment avant d’acheter une maison. En outre, la destruction de la machine inflationniste détruit le principal moteur financier de l'Etat-providence. Les gouvernements devront dorénavant obtenir leurs ressources exclusivement par la fiscalité, soumise à un contrôle social beaucoup plus grand que la méthode cachée qui permet d'obtenir des ressources en gonflant la masse monétaire.<br />
<br />
Mythe n°11: « Laisser venir la déflation, c'est de la passivité »<br />
<br />
À la lumière de la discussion qui précède on ne peut assimiler l'arrivée de la déflation à une démission apathique devant la puissance des forces mystérieuses et des mécanismes aveugles du marché. La déflation peut remplir des fonctions sociales extrêmement utiles, et ceux qui chérissent la liberté individuelle et défendent la propriété privée ont de bonnes raisons de laisser la déflation suivre son cours. A la limite, la résignation apathique consiste plutôt à laisser filer l’inflation. C’est se soumettre à la puissance d'un monopole monétaire qui se nourrit de l'ignorance, et qui bénéficie aux membres des réseaux politiques au détriment de la société civile.<br />
<br />
Notes :<br />
(1) On pourrait objecter que les billets de la Banque d'Angleterre qui ont circulé de 1797 à 1821 ont été une exception, parce qu'ils n'avaient pas cours légal. Mais ces billets ne sont pas du papier-monnaie, mais la monnaie de crédit. Pendant toute la durée de cette «livre papier», les participants au marché s'attendaient à une reprise des paiements en espèces de la Banque d'Angleterre dans un proche avenir. Pour la distinction entre la monnaie-marchandise, la monnaie de crédit, et la monnaie fiduciaire (dans la plupart des cas: le papier-monnaie), voir Mises, Theory of Money and Credit, première partie, chap. 3, sect. 3.<br />
<br />
(2) Bien sûr, nous n’entendons défendre que la déflation en libre marché. La déflation de confiscation est indéfendable. Voir Rothbard dans Making Economic Sense, et Salerno, Taxonomy of Deflation<br />
<br />
(3) L'un des problèmes les plus intéressants d'aujourd'hui pour les recherches juridiques libertariennes est l'élaboration d'une théorie juridique de la déflation. Trait_html_691a601b.jpg<br />
<br />
Jörg Guido Hülsmann est Senior Fellow du Mises Institute (Alabama) et professeur des universités. Il enseigne l’économie à l'Université d'Angers. La version originale de ce texte a été publiée en anglais sur le site du MIses Institute en 2003 sous le titre : "[https://web.archive.org/web/20131103181600/http://mises.org/daily/1254 Deflation the Biggest Myths]". Traduction de Jan Laarman.<br />
<br />
Les thèses présentées dans cet article sont plus longuement développées dans le petit livre publié par Guido Hülsmann en 2008 "Deflation and Liberty". la traduction française de ce remarquable opuscule (réalisée par Stéphane Couvreur) est maintenant disponible sur le site de l'Institut Coppet.<br />
<br />
Sur le même sujet, il est également intéressant de relire [https://web.archive.org/web/20131103181600/http://blog.turgot.org/public/documents/defla96.PDF l'étude publiée en 1996 par l'Institut Euro92, sous la signature d'Henri Lepage : "L'ère de la déflation"], même si certains passages de ce document sont évidemment très décalés par rapport aux événements que nous avons vécu depuis''.<br />
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[[wl:Jörg Guido Hülsmann]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Philippe_Nemo:Famille_et_lib%C3%A9ralismePhilippe Nemo:Famille et libéralisme2023-11-22T17:38:37Z<p>Lexington : Page créée avec « {{Infobox Auteur|nom=Philippe Nemo |image= 100px |dates = 1949 |tendance = libéral classique |citations = |liens = Wikibéral }} {{titre|Famille et libéralisme|Philippe Nemo|Compte rendu de la soirée du 25 septembre 2004 avec Philippe Nemo, Cercle Frédéric Bastiat}} <div class="text"> Dans son Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains, Philippe Nemo a montr... »</p>
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<div>{{Infobox Auteur|nom=Philippe Nemo<br />
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{{titre|Famille et libéralisme|[[Philippe Nemo]]|Compte rendu de la soirée du 25 septembre 2004 avec Philippe Nemo, Cercle Frédéric Bastiat}}<br />
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Dans son Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains, Philippe Nemo a montré que la vie politique depuis 1800 se structure en trois grandes familles, la droite, la gauche et la démocratie libérale. Les individus de chacune de ces familles ont en commun un certain modèle de la société, pas forcément explicite ; c’est à travers ce modèle qu’ils pensent la société et l’ordre social, qui garantit stabilité, prospérité et réussite. Selon les manière dont on voit l’ordre social, il y a autant de manières de voir le désordre social, les difficultés, les risques d’échec, d’horreur et de barbarie. Il y a trois grands paradigmes d’ordre social. Leurs schémas ne sont pas explicites mais sous-jacents, même quand ils sont perçus explicitement par ceux pour qui ils forment un horizon indépassable.<br />
<br />
A l’origine, il y a la société primitive, l’ordre sacral : les choses sont ce qu’elles sont parce que les dieux en ont décidé ainsi, dans leurs dimensions cosmique et sociale : le réel est ordonné par les dieux. Si bien que ce type d’ordre ne peut être modifié, car celui qui entreprendrait cette critique se mettrait contre les dieux et serait accusé de sorcellerie par les autres membres du groupe. C’est pourquoi les sociétés primitives sont des sociétés fixistes.<br />
<br />
Les Grecs ont fait la découverte extraordinaire qu’il y a des ordres qui ne sont pas intangibles mais variables dans le temps et dans l’espace. Ils avaient en effet colonisé la Méditerranée, rencontré nombre d’ethnies différentes ayant chacune leurs us et coutumes singuliers. Mais ils avaient vu que, sous ces ethnies différentes, il y avait une même nature humaine, des besoins identiques, des comportements communs, universels et nécessaires. Ils en avaient déduit qu'un ordre pouvait être changé, précisément parce qu’il n’était pas nécessaire et universel. Ils ont ainsi distingué ce qui était par nature de ce qui était du fait d’une création humaine, physis et nomos.<br />
<br />
Cette distinction entre nature et artifice était un grand progrès. Mais ces deux modèles d’ordre se sont révélés insuffisants pour décrire d’autres réalités sociales. Il y a un troisième type d’ordre ni artificiel ni naturel, mais culturel : il a de commun avec l’artificiel qu’il est créé par les hommes et qu’il change dans le temps et l’espace, et il a de commun avec le naturel qu’il n’est pas modifiable à volonté par les hommes parce qu’il est le fruit de millions d’essais et d’erreurs par toute la collectivité qui finit par trouver des structures stables. One peut pas s’en écarter arbitrairement. Ce troisième type d’ordre est appelé spontané ou auto organisé. Par exemple, appartiennent à ce type d’ordre le langage et la morale, le marché et le droit, finalement toute la culture.<br />
<br />
Les plus grands penseurs des Temps modernes sont ceux qui ont identifié ce troisième type d’ordre et qui ont compris que la liberté, c’est à dire le pluralisme, pouvait, sous certaines conditions, créer de l’ordre, alors que du point de vue de la loi naturelle tout ce qui est initiative nouvelle est désordre, car on ne peut s’écarter des exigences de la nature. De la même façon, par rapport à une conception artificialiste de l’ordre, n’est ordonné que ce qui est pensé par l’esprit humain. Donc la liberté par rapport à ces préconceptions est perçue comme un désordre. Cela a été un vrai progrès intellectuel d’avoir compris que, dans certains cas et sous certaines conditions, la liberté, le polycentrisme, le pluralisme, étaient capables de créer de l’ordre, mais encore un type d’ordre d’une efficience sans commune mesure avec celle des ordres artificiels pensés par les hommes ni avec celle des ordres naturels.<br />
<br />
Lorsque les grands penseurs ont décliné ce modèle sur le registre politique, cela a donné la démocratie; lorsqu’ils l’ont appliqué à la vie de la pensée et à la vie économique, cela a donné le libéralisme. Dans la vie des idées, la liberté de penser, la liberté de recherche scientifique sont causes du progrès des sciences; dans la vie économique, la liberté produit un optimum économique. Une fois posées ces bases de la démocratie libérale, on a pu assister à la révolution industrielle, à l’émergence de la modernité, à l’extraordinaire croissance scientifique, technologique, économique et démographique qui la caractérise, déterminant un bouleversement complet du visage du monde.<br />
<br />
Face à ce bouleversement, il y a eu deux types de réactions qui ont émané de ceux qui n’avaient pas accédé à cette pensée supérieure et continuaient à penser l’ordre selon les deux vieux modèles de l’ordre naturel ou de l’ordre artificiel.<br />
<br />
- Il y a ceux qui refusent ce monde moderne ou qui en sont effrayés : la droite. Ils pensent qu’il faut revenir à la société naturelle dont on n'aurait jamais dû s’écarter. C’est l’époque du romantisme. On idéalise cette société agricole et artisanale qu’on croit " naturelle " et l’on refuse le monde de l’industrie et de la ville.<br />
<br />
- En face, il y a ceux qui ne pensent l’ordre qu’à travers le prisme de l’artificialisme et estiment que la liberté empêche d’organiser la société conformément à une Idée : la gauche. Ils vont réagir à cette émergence de la démocratie libérale par une fuite en avant dans l’utopie, avec la volonté de construire une société nouvelle, qui serait plus efficace et plus juste.<br />
<br />
La question de la famille. Position de la droite<br />
<br />
Pour la droite, qui rêve donc du retour à une société naturelle, il faut se garder absolument de la liberté individuelle, car elle est dissolvante, et il faut, par conséquent, préserver ou reconstituer autant qu’il est possible les groupes humains ou cette liberté n’existe pas. Une solidarité, une organicité, si vous voulez, des rapports entre les hommes qui constituent un ordre. La droite, cultive le thème des " communautés naturelles " ou " corps intermédiaires " - thème constant depuis le duc de Saint-Simon ou Boulainvilliers jusqu'à Maurras ou La Tour du Pin, sans oublier Montesquieu. Ces deux expressions insistent sur deux aspects de la même chose, et se référent toutes deux aux " communautés naturelles " d’Aristote. Dans ces communautés naturelles, les membres ont des fonctions différenciées et complémentaires. Par exemple, dans la famille, il y a les parents et les enfants, le mari et la femme, les maîtres et les serviteurs.<br />
<br />
Le monde d’Aristote est un monde fixe. L’idée est que, de la même façon qu’il y a dans la nature une hiérarchie éternelle, au sein de l’humanité il y a des communautés emboîtées les unes dans les autres d’une façon permanente et éternelle. Le bonheur, la perfection existe quand ces structures naturelles sont respectées, d’où la condamnation par Aristote du grand commerce : celui-ci permet d’amasser de très grands capitaux et déforme les proportions de chaque membre dans le corps de la cité. L’illimitation de la spéculation est un cancer de la nature familiale et civique.<br />
<br />
Cette idée qu’il faut respecter la structure des communautés naturelles est reprise par saint Thomas, puis par les penseurs de droite. Le monde moderne est littéralement cancéreux. Les rôles sociaux sont redistribués sans mesure, tout est en désordre. D’où la doctrine qu’il faut protéger les communautés naturelles, famille, corporation (base par métier), seigneurie, province (base territoriale). La famille est vue sous un jour clanique, aristocratique (comme chez Tocqueville) : un nom, un patrimoine à conserver : d’où le droit d’aînesse (que la " démocratie " supprime au grand dam de Tocqueville). Il faut que chacun se perçoive comme un chaînon dans la longue chaîne du clan. Tout ce qui dissout les communautés amène le néant et le malheur.<br />
<br />
Position de la gauche<br />
<br />
La gauche est au contraire l’adversaire des communautés naturelles et de la famille, car le socialisme, entend recréer une unique famille, le groupe tribal en fusion. L’existence de corps intermédiaire entre l’Etat et les individus est un obstacle à la vision socialiste. Le corps intermédiaire le plus coriace, c’est la famille, et voilà pourquoi elle est la cible privilégiée de toute les théories socialistes, et ceci depuis les premières doctrines socialistes connues.<br />
<br />
Cela commence avant Platon, au temps des Sophistes. Chez Platon même, il y a cette théorie fameuse du communisme des gardiens et de la communauté des femmes et des enfants, dûment argumentée. Il faut que les gardiens soient unis pour pouvoir veiller sur le troupeau de la cité et pour qu’il soit " un ", il ne faut pas qu’ils soient divisés en familles, car dans ce cas il y aura une vie privée, des patrimoines, des rivalités. Il faut donc que les femmes soient en commun, et les enfants aussi car on ne saura pas de qui ils sont. Pour Platon ce sera un gage d’unité. Et par conséquent la famille est supprimée.<br />
<br />
Chez les auteurs socialistes ultérieurs, on retrouve de façon récurrente la même thèse. C’est chez eux une idée fixe. On dirait que toute leur énergie est constamment dirigée à la destruction de la famille. Quelques exemple, chez Thomas More, dans l’Utopie, chez Campanella, Cité du Soleil. More supprime la liberté des familles mais ne prône pas la communauté des femmes, alors que Campanella prône celle-ci. La famille est supprimée. Ce qui ne veux pas dire que la sexualité est libre, pas plus que chez Platon : elles est soigneusement réglée par les magistrats, comme chez Platon qui se référait à Sparte, avec un souci d’eugénisme. La suppression de la famille va avec la communauté des biens, plus de chez soi, d’espace privé. Chez Campanella, on distribue à chaque individu des maisons et des meubles mais on change tous les six mois pour qu’il ne s’attache pas à un lieu.<br />
<br />
Marx, dans le Manifeste, dit de façon ironique que c’est le capitalisme qui a détruit la famille : les bourgeois n’achètent-ils pas les femmes ? Les mariages sont intéressés et par conséquent, c’est une logique marchande à l’œuvre et non la vieille logique de la famille. Chez Fourrier, le phalanstère est une destruction programmée de la famille: la famille enferme dans une structure et force des personnes à vivre ensemble des relations fixes. SI une seule passion est satisfaite, les autres sont sacrifiées. Il faut que toutes soient satisfaites et qu’on puisse donc " papillonner ".<br />
<br />
Dans les Temps modernes, la gauche, chaque fois qu’elle a exercé une part ou la totalité du pouvoir politique a accompli en pratique, autant qu’elle a pu, cette destruction de la famille voulue par la doctrine. Philippe Nemo raconte qu'il a eu le privilège de dîner, peu de temps avant sa mort, avec Jean Imbert, le grand spécialiste de l’histoire du droit privé. Il lui a demandé : "comment jugez-vous le monde moderne?" - "Une effroyable décadence, car nous avons détruit le droit de la famille. Divorce pour faute grave, puis par consentement mutuel, puis par consentement d’un seul conjoint : le mariage n’a plus de valeur juridique ! La baisse de l’âge de la majorité, 18 ans maintenant alors qu’elle a été pendant très longtemps à 21 ans (chez les Romains, à 25 ans)".<br />
<br />
La majorité, c’est l’âge de l’autonomie. Or les jeunes restent de plus en plus longtemps chez leurs parents. Et l’on fait obligation aux parents de subvenir de plus en plus longtemps aux besoins de leurs enfants (notamment une loi oblige les parents à financer le logement de leurs enfants s’ils ne veulent pas habiter chez eux). Cela signifie qu’on crée une liberté sans autonomie ni responsabilité, en clair la zizanie au sein de la famille. Les parents n’ont plus d’autorité : ils ont l’obligation juridique d’entretenir leurs enfants presque sans limite dans le temps s’ils sont étudiants, mais, à 18 ans, ceux-ci peuvent faire absolument ce qu’ils veulent et d’ailleurs même avant, puisque la rumeur publique veut qu’ils soient adultes dès la puberté.<br />
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Autre mesure dont le sens est transparent quand on la voit dans l’optique de cette obsession socialiste à détruire la famille. Les infirmières scolaires sont aujourd’hui autorisées à administrer la " pilule du lendemain " aux jeunes filles sans l’autorisation des parents et même sans même que les parents soient informés. Le gouvernement Jospin a fait cela par circulaire, laquelle a été annulée par le conseil d’Etat puisque c’était contraire au droit fondamental des parents, et à leur devoir d’être responsable de la santé de leurs enfants. La pilule est un médicament et le fait d’administrer un médicaments à un enfant sans l’autorisation des parents est illégal. Qu’à cela ne tienne, les socialistes ont changé la loi. Aujourd’hui, si votre fille de 13 ans est enceinte, l’infirmière scolaire est censée s’en occuper mieux que vous. Le simple fait de faire savoir à la fille qu’elle peut aller voir l’infirmière scolaire qui sera complice contre ses parents, c’est un signal qui lui dit que ses parents sont ses ennemis. Evidemment, si une jeune fille devient enceinte sans l’avoir désiré, qui pourra mieux l’aider que ses parents, qui l’aiment certainement plus que l’institution scolaire ? C’est désagréable pour la jeune fille, pendant 5 minutes, le temps qu’elle explique la chose à ses parents mais ils sont là pour cela et il peut arriver des tas de choses à leurs enfants pire que celle là. Donc vous avez l’idée que la vraie famille des lycéens, c’est l’Etat. Ce qui est absolument monstrueux, car l’infirmière scolaire qui va aider la jeune fille à prendre la pilule du lendemain ne sera pas là pour en assumer les conséquences. l’Etat est le pire des protecteurs, comme on le voit par les abus de l’assistance sociale.<br />
<br />
Les socialistes ont systématiquement encouragé la libération sexuelle. Quand le sida a fait son apparition, vous vous souvenez des campagnes de presse hystériques contre Le Pen parce qu’il avait dit qu’il fallait prendre des mesures prophylactiques? Avec son goût des mauvaises plaisanteries, il avait parlé de sideum ou de sidatorium... On avait conclu qu’Hitler était revenu parmi nous. La gauche a été folle de rage. Elle faisait toute sorte de campagne selon lesquelles on ne courrait aucun danger pourvu qu’on mette des préservatifs : elle a manifesté sa terreur à l’idée que les jeunes pourraient ne plus pratiquer la sexualité précoce et hors mariage.<br />
<br />
Ce n'est pas que les gens de gauche soient plus particulièrement portés sur le sexe que les autres, mais consciemment ou pas, ils pensent que si vous avez des activités sexuelles avant mariage, cela revient à retarder celui-ci, voire à le rendre inutile. Pourquoi se contraindre subitement à un moment? Leur attitude vis-à-vis du comportement sexuel des jeunes n’est pas seulement la reconnaissance d’un fait, c’est un encouragement actif. Et les campagnes de la gauche pour la libération sexuelle n’ont été qu’un aspect parmi d’autres de l’entreprise de destruction systématique de la famille.<br />
<br />
L’intérêt, pour la gauche, de miner peu à peu la famille par un ensemble de mesures de ce type est qu’alors les individus se retrouvent comme des électrons libres. On cherche à déloger l’électron. Mais est-ce vraiment pour le libérer ? C’est toute la question. Et c’est là que certains libéraux se sont fourvoyés. Ils ont accompagné certaines de ces mesures, parce qu’ils ont cru que cela allait dans le sens des libertés : moins on est tenu par des lois, des structures, des moeurs, des solidarités, plus on est libre. La réponse est non car en réalité l’homme est ainsi fait qu’il ne peut pas vivre seul et encore moins l'enfant. Concrètement : dès que l’électron libre est chassé il est rendu disponible pour être immédiatement embrigadé dans d’autres structures. Tous ces jeunes que l’on a chassé de leurs familles, que l’on a chassé en condamnant les mouvements de jeunesse comme les scouts, tous ces jeunes se retrouvent libres pour faire quoi ? Pour aller à la fête de la musique de Jack Lang ou aux fêtes de Delanoé,<br />
<br />
Quand vous êtes séparé de votre famille, dès lors que vous ne pouvez pas vivre seul, vous avez vocation à entrer immédiatement dans les familles de substitution que le socialisme vous propose, qui vont de la sécurité sociale aux cliniques de la MGEN, pour les enseignants, en passant par les maisons de retraites : quand elles n’ont pas de famille et dès lors qu’elles ne peuvent plus vivre seules, les personnes âgées sont condamnées à être socialisées dans des structures collectivistes. La destruction de la famille par les socialistes ne vise pas à libérer l’individu, mais à libérer l’individu des structures traditionnelles pour qu’il soit obligé d’entrer dans ces structures utopiques qui sont le but du socialisme.<br />
<br />
La position des libéraux<br />
<br />
Les libéraux, eux aussi, ont toujours travaillé à libérer les forces individuelles, entrepreneuriales, par exemple, en supprimant les corporations : c’est la grande œuvre de Turgot, supprimée après lui et rétablie par les révolutionnaires de 89, avec le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier... C’est parce qu’ils comprenaient la fécondité de l’économie de marché qu’ils ont libéré le travail, l’initiative économique, le commerce, la propriété. ils ont rendu mobile la propriété foncière en supprimant les derniers restes de féodalité qui liaient la propriété aux fonctions sociales de seigneurie. Les libéraux, eux aussi, ont cherché à dissoudre les communautés naturelles, parce qu’ils étaient guidés par l’idée qu’ils libéreraient des forces productives, et d’une façon plus générales, des forces créatrices. C’est vrai aussi sur le plan intellectuel : on a encouragé la liberté de pensée, d’expression, de publication par opposition au dogmatisme, à l’esprit de censure. Sur le plan intellectuel il y avait aussi de grandes " familles ", si l’on peut dire, qui étaient les Eglises. Tout le mouvement des Lumières a voulu libérer l’intellectuel, le penseur, qui pense seul et publie seul, et sous son nom, et qui n’est plus tenu d’avoir l’imprimatur ou le nihil obstat pour ses écrits. Ils ont fait route commune avec la gauche contre les communautés naturelles auxquelles la droite s’accrochait.<br />
<br />
La question est de savoir jusqu’où les libéraux peuvent faire route commune avec la gauche dans ce sens.<br />
<br />
Il y a une limite : on peut dissoudre les communautés naturelles, les pays, les corporations, la famille clanique. Mais il y a un butoir, la famille nucléaire, bourgeoise si vous voulez. On peut et on doit dissoudre les communautés qui sont au dessus de ce niveau ; mais lorsqu’on arrive à ce niveau, il faut s’arrêter et ne pas dissoudre ce qu’il y a au dessous, car, si on le fait, on libère des " électrons " qui vont immédiatement se réinvestir dans des familles de type socialiste.<br />
<br />
La société de liberté suppose en effet des personnes libres. Or la famille nucléaire est le lieu où se forme cette personne libre. Si on détruit la famille, on détruit ce par quoi le libéralismFe existe, c’est à dire la personne libre. Comment expliquer cela ?<br />
<br />
1) On peut se référer d’abord à Locke, qui a expliqué qu’il n’y a pas de liberté sans loi. En effet, l’ordre spontané c’est la société où chacun agit comme il l’entend, mais conformément à une loi, c’est-à-dire à une règle qui lui dit ce qu’il a le droit de faire et de ne pas faire. Moyennant quoi, quand j’agis librement, si je respecte la loi, je ne risque pas d’entrer en conflit avec autrui ou avec l’Etat. Il n’y a de liberté qu’avec une loi, la même pour tous, publique, stable, claire et précise. Et la loi est un guide intellectuel, non une force contraignante comme le pensait Hobbes : dès lors que je connais la loi, je sais ce que je peux faire ou ne pas faire si je ne veux pas entrer en conflit avec autrui. Pour Locke, seul peut être libre quelqu’un qui peut observer la loi.<br />
<br />
Or seul le peut un être qui a atteint le plein développement de sa raison, ce qui, pour Locke, a lieu à 21 ans (il cite ce chiffre). Avant cette date, l’enfant ou l’adolescent n’a pas la maîtrise rationnelle de sa personnalité. Partant, il n’est pas capable de suivre la loi, il ne peut donc vivre librement dans la société de rule of law. Il ne peut arriver aux mineurs que des malheurs, devenir Hitler Jugen, aller aux fêtes de Jack Lang... Bref, ils ne peuvent faire que des bêtises ! Premier point, en citant Locke, l’acquisition de la raison.<br />
<br />
2) Plus profondément, c’est dans la famille que se construit la personnalité psychologique, vraiment individuelle. Ce n’est que dans la famille que l’on est une personne, Pierre, Paul ou Martin. La personnalité se forge, elle n’existe pas dans le fœtus. Comme l’ont montré les psychologues (je pense à Paul Watzlavick, Une Logique de communication, Points Seuil), la personnalité se forge par les milliers d’actes de communication par lesquelles on est confirmé dans l’identité que l’on propose aux autres. On est confirmé dans sa personnalité. On n’acquiert sa personnalité de Pierre, Paul ou Martin, que si, pendant des années, quelqu’un vous a considéré comme Pierre, Paul ou Martin. Que si l’on a eu un père et une mère qui vous ont spontanément appris, par leur exemple quotidiennement présent, ce que c‘est d’être homme, ce que c’est d’être femme. Et nous savons bien que cette construction est très fragile. La psychopathologie montre les innombrables cas où elle n’aboutit pas. C’est la preuve a contrario du fait que, pour que les hommes soient entièrement construits, il faut qu’il y ait eu cette longue période où chacun, en miroir, s’est renvoyé sa propre personnalité. Et d’ailleurs, cela continue quand on est à son tour père ou mère car c’est en ayant des enfants qu’on forge sa personnalité de père ou de mère. Et les enfants continuent à forger la personnalité de leurs parents. Tout ceci est essentiel, pour des raisons qui tiennent à la nature humaine, et ne peut pas avoir lieu dans un groupe trop grand. Ce n’est pas en allant à la fête de Jack Lang qu’on peut construire sa personnalité. Là on n'est guère que des numéros, des zombies. On n’est quelqu’un que lorsqu’on est considéré comme tel par d’autres personnes, on n’a de sens de la dignité, et de l’égalité de dignité, que lorsqu’on a eu un long commerce avec des proches, parents, frères et sœurs, pour qui l’on était quelqu’un d’unique et d’irremplaçable. Ce qui n’a lieu que dans la famille.<br />
<br />
3) La famille, c’est aussi le lieu où ont fait l’expérience de la propriété. Là encore, on peut discuter de la notion de patrimoine familial et on peut ne pas être d’accord avec la droite qui voulait conserver le grand patrimoine de la famille clanique avec cette notion emblématique du droit d’aînesse qui permet que le patrimoine ne soit pas divisé. Mais, même si l’on admet que chaque enfant hérite d’une partie seulement du patrimoine et le fasse fructifier à sa manière ensuite, l’idée même de patrimoine naît dans la famille. Sans famille, plus de patrimoine. Sans patrimoine, disparaît la possibilité de prendre des initiatives économiques, avec un point de départ et la sécurité de la liberté que l’on aura de pouvoir utiliser ce patrimoine pour en faire telle ou telle chose.<br />
<br />
Plus généralement, la famille est le lieu où on fait l’expérience d’un espace privé. Personnalité et patrimoine, c’est la vie privée, par opposition à la vie publique. C’est justement pourquoi les socialistes sont en rage contre la famille : là se développe des personnalités qui échappent à l’Etat, qui échappent au groupe, qui ont leur propre continuité et légitimité. Dans la tradition libérale, l’Etat est l’instrument que la société civile se donne pour pouvoir continuer à vivre, créer, prospérer. Pour cela, elle a besoin de la paix, de l’ordre public, et l’instrument qui la lui apporte, c’est l’Etat. Mais tous les holismes pensent qu’il n’y a qu’une seule vie, qui est celle de l’Etat. Jamais l’individu n’est opposable à l’Etat. Au contraire, pour les libéraux, l’individu existe par lui-même. Mais cela n’a de sens que s’il a une activité propre. Si dans toutes ses activités il a été soumis à l’infirmière scolaire, au programme scolaire imposé par les syndicats, comment aurait-il pu forger sa personnalité ? Il n’a jamais constitué cette base qui lui permettra de revendiquer l’autonomie de la société civile face à l’Etat.<br />
<br />
4) Plus généralement encore, la famille est le lieu où se transmettent des valeurs et des histoires indépendamment de l’Etat. Chaque famille a des expériences professionnelles, existentielles et cela constitue des histoires qui ont leur légitimité indépendamment de l’Etat. Il faut donc absolument protéger ce noyau de la famille, c’est-à-dire assumer la non-liberté de ses membres. Il ne faut pas qu’on puisse divorcer par simple décision individuelle. Il faut que l’enfant ne puisse pas partir faire ce qu’il veut, que les gendarmes le ramènent à la maison s'il fait des bêtises. Il y a des réalités juridiques précises quand on parle de protection de la famille. Il faut protéger la famille, c’est-à-dire assumer la non liberté de ses membres, jusqu’à ce qu’ils soient majeurs et qu’ils créent, à leur tour, s’ils le veulent, une famille. Il faut donc protéger la famille pour que la liberté soit possible. Par conséquent, toute politique qui consiste à accompagner la gauche dans son œuvre de destruction de la famille au delà du niveau butoir dont j’ai parlé est une politique imbécile, si elle se croit libérale, car elle coupe la branche même sur laquelle la liberté est établie.<br />
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[[wl:Philippe Nemo]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Jean-Fran%C3%A7ois_Revel:Le_terrorisme_intellectuel_:_Un_moyen_de_faire_taire_une_v%C3%A9rit%C3%A9_qui_g%C3%AAneJean-François Revel:Le terrorisme intellectuel : Un moyen de faire taire une vérité qui gêne2023-11-21T15:51:05Z<p>Lexington : Page créée avec « {{Infobox Jean-François Revel}} {{titre|Le terrorisme intellectuel : Un moyen de faire taire une vérité qui gêne|Jean-François Revel|Le Figaro, 24 février 2000}} <div class="text"> Le Figaro : La France a-t-elle le monopole du terrorisme intellectuel ? Jean-François Revel : Personnellement, je ne suis pas partisan de l'expression " terrorisme intellectuel ". C'est un cliché. En fait, c'est moins le problème du terrorisme intellectuel qui compte, mais... »</p>
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<div>{{Infobox Jean-François Revel}}<br />
{{titre|Le terrorisme intellectuel : Un moyen de faire taire une vérité qui gêne|[[Jean-François Revel]]|Le Figaro, 24 février 2000}}<br />
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Le Figaro : La France a-t-elle le monopole du terrorisme intellectuel ?<br />
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Jean-François Revel : Personnellement, je ne suis pas partisan de l'expression " terrorisme intellectuel ". C'est un cliché. En fait, c'est moins le problème du terrorisme intellectuel qui compte, mais plutôt de comprendre pourquoi ceux qui le pratiquent ont ces convictions. A-t-on, oui ou non, tiré les leçons de l'expérience ? Or, nous assistons à un refus de prendre acte de ce que l'Histoire a démontré. Le terrorisme intellectuel, ce sont les moyens que mettent en oeuvre ceux qui savent très bien qu'ils ont tort pour empêcher que les objections les atteignent. Ils n'ont pas d'autres méthodes.<br />
<br />
La France n'a pas le monopole du terrorisme intellectuel. Par exemple, aux Etats-Unis en 1975-1976, il était pratiquement impossible de dire du mal de la Chine de Mao, tant elle était à la mode. Et maintenant, il y a le politiquement correct. Le terrorisme intellectuel exprime un symptome chez ceux qui le pratiquent. Ils ne sont pas du tout sûr de leur cause.<br />
<br />
Qui furent dans l'Histoire les premiers à pratiquer le terrorisme intellectuel ? Peut-on incriminer Jean-Jacques Rousseau ?<br />
<br />
Le terrorisme intellectuel a plus ou moins pris naissance au XXVIII ème siècle. Qu'appelle-t-on terrorisme intellectuel ? Le fait de vouloir déconsidérer une personne qui exprime des opinions au lieu de les réfuter par des arguments. On peut dire dans un certain sens que Rousseau en a été la victime. Il a été mis au ban par les encyclopédistes qui lui reprochaient de garder une certaine religiosité. La Profession de foi du vicaire savoyard a déchaîné l'indignation de Voltaire et d'Helvétius. D'un autre côté, dans sa manière d'affirmer les choses, Rousseau est d'une virulance qui frise le terrorisme intellectuel. Il était plus paranoïaque que terroriste.<br />
<br />
Peut-on aussi qualifier les révolutionnaires de terroristes intellectuels ?<br />
<br />
Pendant la terreur, il ne s'agissait pas de savoir si quelqu'un avait raison ou tort mais s'il était en désaccord avec le Comité de salut public. S'il l'était, on le guillotinait. Cest absolument les procès de Moscou ! C'est le même principe. La révolution est arrivée à ce stade extrême : la seule réponse à un désaccord, même avec quelqu'un qui est en adéquation avec les objectifs généraux des révolutionnaires, ce qui va au-delà du terrorisme intellectuel, c'est de le liquider physiquement.<br />
<br />
Y a-t-il eu, pour vous, du terrorisme intellectuel pendant l'affaire Dreyfus ?<br />
<br />
Non. Dans ce cas, il y avait une recherche : avait-on ou non prouvé la culpabilité de Dreyfus ? Les dreyfusards, parmi lesquels je me serais rangé, ont simplement exigé que l'on fasse la lumière sur les faits. Il y a eu du terrorisme intellectuel dans l'autre sens. Les soi-disants patriotes qui s'opposaient à la quête de la vérité. Il y a eu une erreur judiciaire sur laquelle s'est greffée une volonté de dissimulation avec une forte connotation antisémite.<br />
<br />
L'extrême droite française, et Charles Maurras en particulier, n'ont ils pas pratiqué le terrorisme intellectuel ?<br />
<br />
Absolument ! Comme, plus tard, Doriot et plusieurs leaders d'extrême droite. Quand vous n'avez pas la possibilité parce que vous êtes en démocratie, de tuer l'adversaire, vous tentez de l'amoindrir par les moyens d'information. Ce qu'a fait Maurras avec l'Action française. Tous les auteurs qui lui déplaisait comme Julien Benda, étaient dicrédités.<br />
<br />
Quand commence, selon vous le terrorisme intellectuel de la gauche ?<br />
<br />
Avec la révolution bolchéviste. C'est là que le système a été l'objet d'une organisation méthodique scientifique. Ces méthodes ont été mis au point par le communisme dès le début et par Lénine, lequel était lui-même un très grand terroriste intellectuel. Le point essentiel est que tous les Partis communistes ont obéi aux injonctions de Moscou.<br />
<br />
Quel regard portez-vous sur la situation à la libération et après ?<br />
<br />
Prenons le procès Kravchenko, une affaire qui a été montée par les communistes. Il a fait un procès aux Lettres françaises pour diffamation et l'a gagné. C'était un haut fonctionnaire soviétique qui savait comment fonctionnait le système, puis il est passé à l'Ouest. Les PC occidentaux et le PCF, le plus asservi, au lieu de répondre sur les faits ont prétendu qu'il était un faussaire, un ivrogne...<br />
<br />
Sartre était-il un maître es terrorisme intellectuel ?<br />
<br />
Bien sûr ! Sartre excommuniait ceux qui n'était pas d'accord avec lui. Ainsi Camus, Merleau-Ponty, quand ils osait formuler un désaccord. Sa pratique était de les déconsidérer. Sartre était un terroriste intellectuel typique.<br />
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Dans votre livre, vous stigmatisez l'action et les paroles de Pierre Bourdieu.<br />
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Bourdieu explique tous les jours que le grand échec du XXème siècle, c'est le libéralisme et le capitalisme. Il a une conception de l'économie qu'il voudrait voir totalement dirigée. C'est exactement une thèse marxiste sur le modèle stalinien. D'autre part, il affirme que tous les intellectuels, tous les journalistes, tous les gens de la radio et de la télévision sont entièrement aux ordres du pouvoir politique du moment lequel est aux ordres du grand capital.<br />
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L'absolution donnée aujourd'hui au communisme que vous dénoncez, est-il un acte visant à faire taire les esprits libres ?<br />
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C'est surtout un acte visant à épargner ceux qui ont soutenu le communisme, une repentance. Il y a tellement de gens qui se sont compromis qu'une confession générale prendrait l'allure s'un rassemblement de millions de personnes ! Il y a des gens qui le disent pourtant, à titre individuel. Le PCI a admis s'être trompé, avoir été complices de crimes. Dans les partis, je ne vois que les Italiens à l'avoir dit. Souvent, ceux qui n'ont pas été inscrit mais furent des compagnons de route du Parti sont plus retors que ceux de PC. Ils ne veulent pas reconnaître que cela a été une erreur.<br />
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Comment expliquez-vous qu'autant de bien-pensants veuillent excuser le communisme et discrédité ses critiques, pour condamner le libéralisme ?<br />
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Il faut voir qu'il y a toujours, même dans les démocraties, une fraction importante de gens qui n'aiment pas la liberté et préfèrent la tyrannie. C'est la tentation totalitaire. Certains pour l'exercer, d'autres pour subir cette tyrannie, ce qui est plus mystérieux. Si on discrédite Stéphane Courtois et Le Livre noir du communisme, c'est que cela souligne que des milliers d'auteurs de manuels scolaires, d'intellectuels et d'artistes ont soutenu un régime criminel. Il n'est pas agréable de l'entendre. Il y a eu une réaction différente relative à l'ouvrage de François Furet, Le Passé d'une illusion. Le Livre Noir, lui, a été traîné dans la boue. Furet n'a pas beaucoup plu à une partie de la gauche. Mais évoquer le thème d'une illusion, surtout si elle passe pour généreuse, est plus supportable que d'être accusé de crime.<br />
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D'où sort cette vague déferlante d'anti-américanisme et pourquoi José Bové est-il devenu un héros ?<br />
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C'est inquiétant qu'il soit devenu un héros parce que tout ce qu'il dit est faux ! La France est l'un des pays où l'agriculture intensive et chimique est la plus développée. L'agriculture et l'élevage sont entièrement subventionnés, ce qui pousse à la surproduction, avec des primes à l'exportation. Et un fort protectionnisme. C'est ce système que Bové veut préserver. Et on suppose que les Etats-Unis veulent libéraliser les échanges internationaux pour vendre leurs produits en europe et l'on crie : les Etats-Unis nous attaquent !<br />
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Considérez-vous qu'aujourd'hui, par rapport à notre histoire, que la liberté de penser soit condamnée ?<br />
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Pas du tout. J'ai voulu décrire dans mon livre un phénomène intellectuel et culturel. Dans la réalité, il n'y a pas un pays qui ne s'achemine vers le libéralisme. C'est récent et remonte au début de la dernière décennie. Chez certains intellectuels qui ne comprennent pas l'évolution en cours, on défend une doctrine antilibérale, tandis que les gouvernement se libéralisent de plus en plus. Il y a un véritable décalage entre ce climat intellectuel et la réalité. Les libéraux ne sont pas des théoriciens mais des praticiens.<br />
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== Notes ==<br />
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<references /> <br />
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[[wl:Jean-François Revel]]<br />
{{Jean-François Revel}}</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Bertrand_Lemennicier_:_La_solidarit%C3%A9_entre_les_g%C3%A9n%C3%A9rations_a-t-elle_un_avenir_%3FBertrand Lemennicier : La solidarité entre les générations a-t-elle un avenir ?2023-11-06T11:00:22Z<p>Lexington : Page créée avec « {{titre2|La solidarité entre les générations a-t-elle un avenir ?|Bertrand Lemennicier|}} <div class="text"> L'État Providence n'est pas le propre de la société industrialisée, ni de notre siècle. Les sociétés anciennes ont connu des périodes de solidarité forcée. Les premières lois sur l'aide aux pauvres - dite taxe des pauvres- datent du règne des Tudor en Angleterre. Henri VIII, Edouard VI et Elisabeth avec le statut du 19 décembre 1601, ont dével... »</p>
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<div>{{titre2|La solidarité entre les générations a-t-elle un avenir ?|Bertrand Lemennicier|}}<br />
<div class="text"><br />
L'État Providence n'est pas le propre de la société industrialisée, ni de notre siècle. Les sociétés anciennes ont connu des périodes de solidarité forcée. Les premières lois sur l'aide aux pauvres - dite taxe des pauvres- datent du règne des Tudor en Angleterre. Henri VIII, Edouard VI et Elisabeth avec le statut du 19 décembre 1601, ont développé sur une grande échelle des secours aux pauvres.<br />
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Les actions de redistributions de nos états contemporains ne sont pas de cette nature. Il ne s'agit pas d'un système de redistribution des riches vers les pauvres, mais d'un système de redistribution entre générations. Les actifs redistribuent leurs revenus aux retraités. La solidarité forcée, dans notre société contemporaine, résulte du pouvoir qu'ont les anciens de vivre aux dépens du revenu des actifs ou du contribuable au travers d'un système de pension de retraite par répartition. Cette mutation s'opère dans les années 45 .<br />
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En 1991, 700 milliards de francs ou 106,7 milliards d'euros ont été transférés des actifs vers les retraités, en 2003 c'est la somme de 177 milliards d'euros soit 12,6% du PIB qui ont été transférés, en 2010 ce chiffre passera à 213 milliards d'euros. En 20 ans le chiffre aura doublé ! Pour vous donner une idée du chiffre sachez que l'ensemble des recettes fiscales d'aujourd'hui-en 2003- font seulement 250 milliards d'euros. 177 milliards est un chiffre supérieur au prélèvement de la TVA et de l'impôt sur le revenu! Les Français qui seront actifs en l'an 2010 -dans 15 ans- devront nous transférer à nous les futurs retraités le double de ce que nous redistribuons, contraints et forcés, à nos anciens.<br />
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La génération née aux alentours de 1890-1900 a atteint l'âge de la retraite dans les années 1955-65. Elle est arrivée au pouvoir dans les années 45- 55. Elle a bénéficié du système de pension de retraite par répartition. En effet, au temps où elle était active elle n'a pas cotisé à un système général qui n'existait pas. La seconde génération qui a payé les pensions de retraite de cette première génération est née entre 1915 et 1925. Active entre les années 1950 et 1970-1980, elle cotise au système. Cette seconde génération a pris sa retraite dans les années 1980. Notre génération, la troisième, née après 1945, active en ce moment, paie la retraite de cette deuxième génération. La fécondité de cette deuxième génération qui a donné naissance au Baby-Boom d'après guerre aurait pu rendre supportable le transfert. Mais notre génération, beaucoup plus riche que les anciennes, prend plus de loisirs, voyage, change d'épouse, a moins d'enfants et prend sa retraite tôt. Un tel mode de vie implique déjà un transfert sur ses propres actifs . Conséquence de ce mode de vie, les enfants nés dans les années 1975 constitue désormais une génération creuse. Or cette quatrième génération devra payer nos retraites. Pourra-t-elle et désirera-t-elle le faire? La solidarité forcée entre les générations a-t-elle réellement un avenir?<br />
<br />
Les livres blanc sur les retraites, demandés par les gouvernements successifs après le premier de M.Rocard, insistent sur ce phénomène démographique. Un tel contrat implicite entre les générations n'a vraisemblablement pas d'avenir. Quelles obligations, quels liens existent-ils entre les jeunes cotisants d'aujourd'hui et de demain vis-à-vis de la sociale-démocratie de leurs prédécesseurs ? A quelles bases morales se rattache un tel contrat liant les générations entre elles puisqu'il repose sur un transfert forcé et donc non consenti? Cette question sera au coeur de tous les débats à venir. En effet, les générations futures refuseront de coopérer à un système dont elles ne verront pas les fruits.<br />
Ainsi le livre blanc de Michel Rocard<br />
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Les effets pervers du système de retraite par répartition.<br />
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Pourquoi en sommes nous arrivés là ? Le système de pension de retraite par répartition contient en lui-même les mécanismes de son auto destruction. En absence d'intervention de l'Etat, les retraites se financent de deux manières différentes :<br />
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1) par des transferts intergénérationnels au sein de la famille ou d'un groupe professionnel, c'est-à-dire en autarcie,<br />
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2) par une épargne privée capitalisée sur un marché financier. Chaque famille épargne une fraction de ses revenus présents en prévision d'une baisse des revenus futurs.<br />
<br />
Dans un système de retraite par répartition, il en va tout autrement. L'État assure à chacun, une fois l'âge de la retraite venue, un revenu indépendant de ses efforts. Ce revenu prélevé directement par un impôt (que l'on appelle pudiquement une cotisation sociale) sur la génération des actifs est redistribué aux retraités du moment.<br />
<br />
Comme les individus savent qu'une retraite leur est assurée, ils s'attendent à une hausse du revenu futur sans à avoir à sacrifier leur consommation présente. Avec des revenus futurs plus élevés, les individus ont moins besoin d'épargner. L'épargne individuelle diminue. Comme le système par répartition ne capitalise pas les sommes prélevées par l'impôt sur cette génération active, mais les versent directement aux retraités d'aujourd'hui, la baisse de l'épargne privée n'est pas compensée par une épargne publique. L'offre totale de fonds prêtables diminue entraînant un montant d'épargne privée plus faible par rapport à ce que l'on aurait observé en absence d'un système de retraite par répartition. Les possibilités d'investissement et donc de croissance du revenu futur en sont réduites d'autant.<br />
Mais les effets pervers ne s'arrêtent pas là. Si les parents s'attendent à un revenu certain pendant les années de retraite, ils sont moins incités à avoir des enfants pour assurer leurs vieux jours. Un enfant supplémentaire coûte cher à élever et comme la retraite est payée par les enfants des autres, chaque famille compte sur les autres pour avoir le nombre d'enfants suffisant pour payer sa retraite. Chaque famille fait "cavalier seul" et la génération suivante est moins nombreuse. Le système de pension de retraite par répartition affecte la fécondité à la baisse. La fécondité diminue.<br />
<br />
Assurer un revenu futur indépendamment de ses propres efforts, incite les gens à ne pas travailler. Dans une perspective d'arbitrage entre loisir et consommation tout au long du cycle de vie, une hausse du revenu futur pousse les gens à consommer davantage de loisirs présent et futur. Les gens rentrent le plus tard possible sur le marché du travail et en sortent le plus vite possible! L'âge auquel les individus désirent prendre leur retraite est avancé. Cet effet pervers allonge la durée de paiement des retraites et raccourcit celle des cotisations! Le poids des transferts s'alourdit sur la génération d'actifs.<br />
<br />
Le système de pension de retraite par répartition est un système de redistribution entre deux générations : la première génération qui bénéficie du système et la dernière génération qui ne se renouvelle pas.<br />
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Dans un système de retraite par répartition, l'Etat ( ou les assurances sociales) prélève un impôt sur les actifs pour financer la retraite des vieux et opère une redistribution des revenus entre les générations. Une seule génération bénéficie de cette redistribution: la première génération de retraités. La première génération de retraités a été jeune et active, elle n'a pas été taxée à ce moment là puisque le système de pension de retraite par répartition (généralisé) n'existait pas. Elle n'a pas eu à se priver de consommation pour assurer ses vieux jours. Une fois à la retraite, elle consomme grâce aux sacrifices non consentis des actifs de la génération suivante puisque les retraités vivent sur leurs cotisations sociales. Mais toutes les générations qui suivent auront d'une manière ou d'une autre sacrifier leur consommation présente pour payer (par un impôt) la retraite des anciens avant de bénéficier de leur retraite en taxant les générations suivantes.<br />
<br />
La première génération qui aurait dû consommer son revenu courant se retrouve avec un revenu futur supérieur et améliore son bien être d'une façon définitive. On suppose que l'impôt perçu sur les jeunes générations correspond à l'épargne excédentaire qui aurait été désirée par les individus de cette première génération pour stabiliser leur consommation d'une période sur l'autre. Ils se retrouvent donc dans une situation meilleure que celle qu'ils auraient eue en absence d'une telle répartition forcée puisqu'ils font supporter aux générations suivantes le sacrifice qu'ils auraient du supporter eux-mêmes. Mais pourquoi les générations suivantes acceptent-elles le transfert involontaire opéré par la première génération? Parce que chaque génération croît avoir le pouvoir de taxer la suivante en usant de la contrainte publique!<br />
Imaginez qu'il existe une génération qui ne se reproduise pas! La dernière génération va payer les cotisations sociales, mais une fois inactive, elle ne touche pas le revenu correspondant. Cette génération se retrouve donc avec un bien être inférieur à celui qu'elle aurait eu, si elle avait consommer ses revenus courants. La hausse du bien être de la première génération a pour contrepartie la baisse de bien être de la dernière génération!<br />
<br />
Un système par répartition augmente le bien être de certains au détriment d'autres, ceux qui sont nés mais qui ne sont pas remplacés! C'est en cela qu'il s'agit d'un système de redistribution. Un tel système de pension de retraite repose sur une hypothèse fausse : le remplacement à l'identique des générations pour l'éternité. Cette hypothèse fausse en pratique, puisque le taux de fécondité varie de génération en génération, est aussi fausse en théorie. Avoir des enfants n'est pas une décision involontaire. Elle n'est pas sans coût. Une génération n'est pas remplacée spontanément par des cigognes comme le supposait implicitement le prix Nobel Samuelson à qui l'on doit ce modèle erroné de génération imbriquée. Le taux de fécondité varie avec le revenu. Plus la richesse s'élève, moins les familles ont d'enfants. Une hausse du revenu présent et futur diminue le nombre d'enfants par famille.<br />
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La première génération est peut-être bénéficiaire, mais il n'en est plus de même des générations suivantes. Celles-ci paient un impôt pour financer la retraite des inactifs et un impôt pour financer la fécondité des générations suivantes. Son bien être est inférieur à celui qu'elle aurait obtenu en absence d'un tel système. La solution traditionnelle consiste à régler ce problème à l'intérieur de la famille par des transferts intergénérationnels. Chaque famille élève le nombre d'enfants qu'elle désire pour assurer ces vieux jours. Les enfants sont tenus moralement, une fois actif, de redistribuer une fraction de leur revenu à leurs parents pour leur assurer un niveau de vie identique ou à peu près stable entre la période d'activité et d'inactivité. Ces transferts intergénérationnels se font en autarcie à un taux d'échange correspondant à l'altruisme des uns et des autres. C'est ce qui se passe en absence d'un marché financier.<br />
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Le système de pension de retraite par répartition est un système inefficace<br />
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L'existence d'un marché financier bouleverse totalement cette redistribution intergénérationnelle. Il n'y a plus besoin de faire appel à la solidarité familiale ou à celle forcée de l'Etat. Il suffit de capitaliser une fraction de son revenu durant la période d'activité. Comparons la rentabilité du système de retraite par répartition à celui par capitalisation.<br />
<br />
Prenons d'abord le système de retraite par répartition. Si les prélèvements obligatoires étaient capitalisés dans des fonds de pension de retraite, une épargne forcée se substituerait à l'épargne privée. Cette substitution ne serait pas sans conséquence, puisque l'usage de l'épargne ainsi collectée n'est plus mise dans les mêmes mains. Toutes les critiques formulées à propos du coût d'opportunité d'un transfert forcé sont valables. Mais il ne s'agit pas d'une épargne forcée. Il s'agit d'un impôt. Le revenu présent est diminué de ces prélèvements obligatoires et ne sont pas capitalisés. Ils vont directement dans la poche des retraités du moment. Si la génération se reproduit à l'identique, les prix et les salaires sont identiques et le transfert sans coût d'opportunité (en particulier sans coût de transaction), la consommation future correspond exactement aux prélèvements obligatoires Maintenant si le salaire croît d'une génération à l'autre, ou si la génération qui suit est une génération nombreuse le sacrifice forcé peut être rentable pour la génération qui va opérer le transfert sur la génération suivante.<br />
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Posons le montant de la pension égale à S(1+g)(1+n) où g mesure le taux de croissance des taux de salaires d'une génération à l'autre et n le taux de croissance du nombre d'actifs..<br />
<br />
Si le salarié avait dû épargner, dans sa période d'activité, un capital qui produit un revenu égal ou supérieur, il aurait dû faire un effort d'épargne chaque année pendant sa vie active pour se constituer ce capital. Son revenu futur avec un régime de retraite par capitalisation aurait été de S(1+r) où r est le taux d'intéret réel monétaire..<br />
<br />
Pour la même somme prélevée sur le revenu d'activité, en termes réels, S , et pour un temps de travail identique, tout dépend de l'évolution des taux d'intérêt nominaux, du taux d'inflation ( c'est-à-dire du taux d'intéret réel monétaire) et de la croissance des salaires ou du revenu comme du taux de croissance des actifs.<br />
<br />
Le revenu futur attendu avec un régime par répartition pour 1 franc de cotisation est de (1+g)(1+n) . Le revenu futur obtenu avec un régime de retraite par capitalisation est de (1+r) .<br />
Si le taux d'intérêt réel r excède la somme des taux de croissance de l'emploi et du revenu, g+n+ n.g alors le salarié ne bénéficie pas d'un système de retraite par répartition. Son avantage est au contraire d'adopter un système de retraite par capitalisation.<br />
<br />
Logiquement, si le système par répartition était consenti en s'inscrivant dans le cadre de transferts intra-familiaux, si l'Etat ne manipulait pas sur les marchés financiers les taux d'inflation, ni les taux d'intérêt, et si le passage d'un système à l'autre était sans coût de transaction, les individus devraient être indifférents entre les deux systèmes. Choisir l'un ou l'autre constitue un arbitrage entre l'autarcie et le marché. Laissez libre de leur choix certains individus adopteraient la capitalisation sur les marchés financiers, d'autres adopteraient le système de répartition intra-familial ou des formules de mutualités inspirées de la solidarité professionnelle. En effet, en adoptant la capitalisation toutes choses égales d'ailleurs, l'offre d'épargne augmente et les taux d'intérêt réel baissent jusqu'à ce que le revenu réel que l'on pourrait tirer d'enfants supplémentaires deviennent juste égal à la rentabilité du marché financier. Malheureusement le système par répartition contemporain ne s'inscrit pas dans un cadre intra-familial et il n'est pas consenti.<br />
<br />
Revenons à notre génération et à quelques faits stylisés. Le taux de croissance des personnes actives en France, n, est proche de 1,25, le taux de croissance du revenu oscille actuellement entre 1% et 3% l'an. Le taux d'intérêt réel monétaire est entre 4 et 5%. En revanche, dans les années 1980-84, cette différence était plus marquée. Le taux d'intérêt monétaire a atteint le chiffre record de 17% et le taux de croissance du revenu réel était proche de zéro. De la période 1967 à 1990 par exemple le rendement des actions étaient 9,4% alors que celui du revenu réel était de 4%. En revanche, de 1945 à 1975 le système par répartition a largement fonctionné aux bénéfices des retraités de l'époque. En effet la croissance du revenu réel était de 5 % l'an en moyenne, alors que le taux d'intérêt réel monétaire consécutivement à l'inflation était proche de zéro ou négatif. On peut rappeler incidemment que l'Etat a détruit le système de retraite par capitalisation après la première guerre mondiale. Un tel système s'était instauré spontanément au dix-neuvième siècle via les placements financiers privés ou publics (les fameux emprunts russes) et les investissements immobiliers parallèlement aux mutuelles et aux transferts intra-familiaux. L'État après la première guerre mondiale pratiqua l'inflation pour ne pas à avoir à payer les dettes de guerre et bloqua les loyers pour préserver la veuve et l'orphelin. Cette politique a spolié la génération des retraités qui avaient accumulé avant guerre une épargne en prévision de leurs vieux jours! L'échec de la capitalisation n'est pas celui du marché, mais le refus par l'Etat de respecter les disciplines monétaires. C'est-à-dire le refus par la génération qui va instaurer le système de retraite par répartition de payer les dettes de guerre! Cette génération d'actifs détruit la retraite de leurs aînés du secteur privé et se finance sa retraite en taxant les générations suivantes sans leur consentement puisqu'elles ne sont pas encore nées.<br />
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Offrir un revenu futur à une génération indépendamment de ses efforts a un impact direct sur l'épargne. En effet, toutes choses égales d'ailleurs, cela permet de ne pas sacrifier ses revenus présents (mais ceux des générations futures) pour atteindre le profil optimal de consommation que l'on désire tout au long de son cycle de vie. Il y a donc un moindre besoin d'épargner. Une hausse du revenu futur, nous l'avons vu plus haut, entraîne une baisse de l'épargne. Cette baisse de l'épargne n'est pas sans conséquence sur l'investissement ou l'accumulation de capital et donc sur la croissance d'une économie.<br />
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La première génération qui bénéficie du système de retraite par répartition accroît sa consommation du montant du franc transféré puisque les retraités consomment la totalité de leur revenu. Quand ils sont actifs, anticipant cette hausse du revenu futur, ils réduisent leur épargne en conséquence n'ayant pas à sacrifier leur consommation présente pour obtenir ce revenu futur supplémentaire. Les actifs des générations suivantes sur qui sont prélevés les retraites voient leur revenu présent diminuer du franc transféré et leur revenu futur augmenter de (1+g)(1+n). S'ils avaient pu capitaliser ce revenu transféré ils auraient sacrifié ce montant pour en tirer un revenu de (1+r) une fois retraité et aurait maintenu leur niveau de consommation d'une période sur l'autre au niveau qu'ils désiraient. Or, ils reçoivent (1+g)(1+n), si (1+ r ) > (1+g)(1+n) leur richesse est inférieure à celle qu'ils auraient dans le système alternatif. La baisse permanente de leur revenu actualisé (r-(n+g))/(1+r), diminue leur consommation d'une manière permanente. Mais comme ils sont actifs, ils n'épargnent pas la totalité du franc transféré. De telle sorte que la baisse de l'épargne des anciens n'est pas compensée par une hausse de l'épargne des actifs suite à la baisse de leur revenu. Cette baisse de l'épargne entraîne donc une moindre accumulation de capital.<br />
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Le système de pension de retraite par répartition est inéquitable<br />
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Non seulement le système de retraite par répartition semble inefficace, mais il est sans doute injuste. Il redistribue les revenus des pauvres vers les riches. Un homme qui commence à travailler à 25 ans et s'arrête 40 ans après, finance la retraite des inactifs seulement pendant 40 ans. Un individu qui commence à travailler à 15 ans et s'arrête à 65 ans finance la retraite des autres pendant dix années supplémentaires! Celui qui prolonge ses études travaillera moins et gagnera plus d'argent, paradoxalement il contribuera moins aux pensions de retraite en termes d'années de cotisation. L'espérance de vie d'un riche ou d'un étudiant (ou d'une femme) est plus longue que celle d'un pauvre ou d'un ouvrier (ou d'un homme). Ce dernier contribue plus et bénéficie moins. Alors que le, cadre contribue peu et bénéficie plus longtemps de ce système! La redistribution s'opère aussi entre fonctionnaire et non-fonctionnaire. La variété des régimes de retraite fait que le régime le plus avantageux est celui des fonctionnaires.<br />
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Les fonctionnaires ont un régime particulier. Au bout de 37 ans et demi ils peuvent prendre leur retraite. Celle-ci est calculée sur le dernier grade atteint dans la fonction publique au moment où le salaire est le plus élevé dans la carrière professionnelle. Un Colonel de gendarmerie qui part à la retraite sera nommé Général, juste avant son départ. Général à la retraite, il bénéficie de la retraite correspondant à celle d'un Général, de telle sorte que son traitement une fois à la retraite sera égal ou supérieur à celui d'active! La retraite d'un fonctionnaire est en fait une pension civile payée par le Trésor. Elle est assise non pas sur une génération d'actifs mais sur l'ensemble des contribuables! Elle fait partie de la dépense publique. Le fonctionnaire ne craint pas le déséquilibre des générations, il craint la banqueroute de l'Etat.<br />
<br />
Cette fameuse solidarité entre générations est surtout avantageuse pour les gens ayant une bonne formation ou des diplômes et les fonctionnaires et non pour les individus non qualifiés ou les non-fonctionnaires. Dans un système de capitalisation une telle redistribution des revenus ne s'opère pas.<br />
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La première génération qui a bénéficié du système (ceux qui sont arrivés à l'âge de la retraite dans les années 50) sans payer de cotisations lorsqu'elle était active a empoché le pactole. Et il est difficile aujourd'hui de demander à cette génération des comptes puisque ses membres sont morts.<br />
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Question d'évaluation<br />
Vrai faux ou incertain?<br />
Un professeur d'économie prétend que l'on peut comparer le système de retraite par capitalisation à la vente d'un viager. Durant sa vie active le travailleur fait des économies, il s'achète une maison et, une fois à la retraite, il la vend en viager pour s'assurer une rente. S'il en est ainsi, la capitalisation n'est pas indépendante des phénomènes démographiques. D'une part les enfants de ce travailleur n'hériteront pas de sa maison. S'ils désirent l'avoir c'est à eux de l'acheter. Les enfants paieront donc la retraite de leurs parents. Si la génération suivante est peu nombreuse comparée aux anciens la valeur de la maison baisse faute d'une demande suffisante de la part des jeunes pour se loger. Il faut donc rejeter le système de retraite par capitalisation.<br />
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Réponse :<br />
Il y a deux fautes majeures de raisonnement dans cet argument. La capitalisation n'est pas comparable à la vente d'une maison en viager et la vente en viager de son capital ou de sa maison n'est choisie souvent que si on n'a pas d'enfants. Ce professeur suppose que les gens qui ont des enfants ne sont pas altruistes à l'égard de leurs enfants pour choisir une telle solution. Par ailleurs, les enfants, au lieu de racheter la maison, peuvent verser une pension à leurs parents. Les parents peuvent aussi habiter chez les enfants et louer la maison pour en tirer un revenu. Enfin, un placement immobilier s'il dépend de la structure démographique pour savoir dans quel type de logement il faut investir, en revanche il n'est pas lié à l'évolution démographique en tant que tel. S'il y a moins de jeunes, ce que suppose l'auteur, il y a aussi plus de vieux, auquel cas on achète un appartement dans une Hespéride c'est-à-dire dans une immeuble offrant aux propriétaires ou locataires un environnement non seulement médicalisé mais aussi restaurants, salles de jeux, églises, salle de concert etc.<br />
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Habituellement le placement en capitalisation est un investissement dans une entreprise par l'achat d'obligations ou d'actions. Cet investissement stimule directement la croissance et donc les revenus futurs. Quand on parle de capitalisation on ne pense pas à l'achat d'un bien de consommation ( sa maison) mais à un investissement dans une entreprise. C'est la deuxième faute de raisonnement. La capitalisation n'est pas liée aux phénomènes démographiques mais à l'évolution des marchés financiers et de leur rentabilité. C'est justement sa force. Cependant le débat est plus féroce qu'il en a l'air. Les tenants de la répartition sont obligés de maintenir l'argument de la sensibilité de la capitalisation aux chocs démographiques pour le maintenir. En effet si la capitalisation et la répartition sont deux systèmes identiques quant aux chocs démographiques pourquoi vouloir passer à la capitalisation ? Une autre ligne de défense est proposée par le directeur de l'ENSAE, Didier Blanchet dans son rapport paru dans le livre Retraites et Epargne publié à la Documentation Française sous l'égide du CAE ( Conseil d'Analyse Economique). Cet auteur part d'une fonction de production de Cobb Douglas traditionnelle où l'on exprime le produit par tète en fonction du ratio capital sur travail (c'est-à-dire de l'intensité capitalistique). Posons y le produit par tête et k l'intensité capitalistique ; on a y=f(k). La combinaison capital travail qui sera choisie sera déterminée normalement par l'égalisation du taux d'intérêt réel monétaire à la productivité marginale du capital : r=f'(k) où r est le taux d'intérêt réel monétaire que l'on suppose donné par le marché financier mondial compte tenu de la forte mobilité des capitaux. Mais Didier Blanchet ne dit pas cela il écrit que la capitalisation varie à peu près comme la productivité marginale du capital f'(k). Notre auteur en déduit que si le coefficient de capital α est constant, alors la productivité marginale du capital dépend du nombre de personnes employées. Pour le système de répartition, à taux de cotisation donné, les pensions de retraites varient avec la masse salariale. Supposons que les revenus du capital par tête , r.k et ceux du travail w épuisent le produit par tête, y : y=r.k+w. w=y-r.k ou bien w=f(k)-kf'(k), la masse salariale est alors égale à w.L=L[f(k)-k.f'(k)] . Les deux systèmes dépendraient des chocs démographiques. Didier Blanchet inverse le raisonnement. Les revenus de la capitalisation ne sont pas déterminés par la productivité marginale du capital mais par le taux d'intérêt réel monétaire qui détermine le niveau d'intensité capitalistique c'est-à-dire le taux d'actifs dans l'économie pour un stock de capital donné. Le choc démographique donne simplement l'abondance ou la rareté des personnes susceptible de travailler. S'il y en a de trop, le taux de salaire qui s'établit sur le marché diminue jusqu'à ce que tout le monde soit employé. Si le taux d'intérêt n'est pas exogène c'est alors le montant d'épargne dans la collectivité comparé à la demande d'emprunts qui décidera du taux et donc aussi du ratio capital sur travail. Le débat se déplace sur des analyses fondamentales sur la question de savoir ce qui déterminent les prix et les quantités.<br />
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L'altruisme des parents et la redistribution intergénérationnelle<br />
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L'idée que l'épargne baisse à la suite de l'instauration de ce système de pensions de retraite, ou que les gens augmentent leurs loisirs tout au long du cycle de vie, dans un système forcé de répartition présuppose une absence d'altruisme des parents à l'égard de leurs enfants. Si les parents ont conscience de cet effet et qu'eux-mêmes désirent égaliser la consommation d'une génération à l'autre, ils vont épargner et travailler davantage pour transmettre à leurs enfants un capital qui compensera l'impôt prélevé pour financer la retraite des autres. L'épargne privée ne diminue pas, le temps de travail tout au long du cycle de vie n'est pas affecté par le système. En présence d'altruisme, l'héritage laissé aux enfants est une manière de compenser l'impôt prélevé sur les enfants pour financer les retraites des parents. La baisse de l'épargne privée est compensée par une augmentation de l'héritage: c'est le théorème d'équivalence de Ricardo.. Dans un tel cas le système de pension de retraite par répartition est sans effet sur l'épargne ou sur les loisirs et donc sur la croissance. La seule chose que l'on observerait est une redistribution pure des revenus d'une génération à l'autre. Mais cet argument ne vaut que ce que vaut le théorème d'équivalence de Ricardo.<br />
<br />
Le théorème d'équivalence de Ricardo<br />
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L'argument a été présenté par David Ricardo dans le chapitre 17 de son livre The Principles of Political Economy and Taxation paru en 1821.<br />
Le gouvernement décide d'une réduction de 50% des impôts pour cette année. Un ménage qui payait 20 000 F d'impôts se retrouve avec 10 000 F de revenu supplémentaire.<br />
A dépenses gouvernementales identiques, l'Etat décide de financer cette réduction d'impôts sur l'année par un emprunt. Cet emprunt consiste en des obligations arrivant à échéance dans un an et rapportant un taux d'intérêt réel monétaire de 5%. Au bout d'un an l'Etat doit rembourser capital et intérêt. Il doit donc lever un impôt l'année suivante équivalent au montant de l'emprunt et des intérêts versés.<br />
<br />
Si le ménage anticipe correctement que les dépenses du gouvernement n'ont pas diminuée du montant de la réduction d'impôts, il sait que l'an prochain le gouvernement va lever un impôt pour payer les emprunts! Il conserve donc les 10 000 F de la réduction d'impôts, les placent sur le marché des fonds prêtables, il achète les obligations émises par l'Etat, et reçoit un an plus tard 10 500 F qui correspondront très exactement au supplément d'impôts de cette année là. Cet exemple simple illustre le théorème de Ricardo.<br />
<br />
Des individus rationnels comprennent qu'une réduction d'impôt financée par des emprunts est équivalent à des impôts futurs en hausse. Ils annulent l'impact attendu de cette réduction d'impôt sur la consommation présente en épargnant la somme correspondante et en la capitalisant en prévision des hausses futures d'impôt.<br />
<br />
L'intérêt du théorème réside dans les hypothèses implicites qui le rend valide. Si celles-ci ne tiennent pas, le théorème ne tient pas. Les hypothèses implicites principales sont : horizon temporel illimité, pas de différence entre taux d'intérêt débiteur et créditeur , pas de transfert net de richesse entre individus.<br />
<br />
En fait l'horizon illimité n'est pas une hypothèse cruciale. Il est clair que si vous anticipez mourir avant que l'emprunt soit remboursé et que vous êtes sans descendant vous préférez l'emprunt à l'impôt. L'horizon limité met en échec le théorème. Cependant si vous avez des enfants ce sont eux qui vont payer l'impôt futur servant à rembourser l'emprunt. Si les individus sont altruistes à l'égard de leurs propres enfants le théorème tient toujours. L'altruisme à l'égard des génération future est une manière d'avoir un horizon temporel illimité.<br />
<br />
Imaginez maintenant que vous bénéficiez d'une réduction d'impôts et que vous sachiez que cette réduction a pour contrepartie une hausse des emprunts et non pas une baisse des dépenses gouvernementales! Vous émigrez vers un Etat moins dépensiers ou qui n'impose pas les citoyens. Imaginez que vous n'ayez pas d'enfants et que les enfants des autres vous laissent totalement indifférent. Ou encore imaginez que vous n'aimiez pas vos enfants. Au lieu d'économiser la réduction d'impôt pour la transmettre à vos enfants ou à ceux des autres vous la consommez entièrement! Ces effets redistributifs sont non négligeables et peuvent mettre en échec le théorème d'équivalence de Ricardo.<br />
Supposez que le taux d'intérêt prêteur diverge du taux d'intérêt emprunteur. Que se passe-t-il? Le bien être de la génération qui bénéficie de la réduction d'impôt diminue parce qu'elle manifestait dans l'exemple pris une préférence pour le futur alors que la réduction d'impôt augmente son revenu réel en termes de consommation présente. Avec une divergence des taux prêteurs et emprunteurs, les générations présentes préfèreront la réduction d'impôt s'ils ont une préférence pour le présent et au contraire une augmentation d'impôt s'ils ont une préférence pour le futur!<br />
<br />
On peut imaginer aussi qu'un grand nombre de contribuables sont soumis à une illusion fiscale. Ils sont irrationnels.<br />
<br />
Enfin l'impôt considéré dans notre exemple est un impôt par tête, un impôt qui affecte le revenu non salarial ou la richesse. S'il s'agit d'un impôt sur le revenu tiré du travail, cela affecte l'arbitrage loisir consommation au cours du temps. Une réduction d'impôt sur la génération présente augmente le salaire réel et incite à une augmentation du temps de travail et de la consommation présente par rapport à la consommation future. Là encore le théorème ne tient plus.<br />
<br />
<br />
La transition à la capitalisation<br />
<br />
Maintenir le système de retraite par répartition tel qu'il est, veut dire :<br />
1) imposer des transferts forcés de plus en plus lourds sur les générations futures, c'est-à-dire prendre le risque politique de voir ces générations ne pas payer. Notre génération sera alors brutalement appauvrie au moment de sa retraite.<br />
2) allonger la période de cotisation et ne plus payer les retraites à taux plein pour la génération actuelle de futurs retraités, c'est rompre les promesses et spolier notre génération. On prend le risque de voir la génération actuelle de futurs retraités brandir "ses droits acquits".<br />
3) payer les retraites en monnaie de singe. L'inflation a toujours été le moyen sournois privilégié par l'Etat pour ne pas payer ses dettes. Mais cela veut dire quitter l'euro et renoncer aux disciplines monétaires.<br />
<br />
Ce que l'Etat propose en ce moment même à notre génération c'est de continuer à payer les retraites des anciens et ne pas lui payer les retraites qu'elle était "en droit" d'attendre compte tenu du poids des cotisations sociales qu'elle supporte!<br />
<br />
De telles politiques se heurtent aux intérêts privés des générations futures d'actifs, celle de nos enfants comme à celles des futurs retraités, c'est-à-dire à la génération actuelle d'actifs. Elles vont droit à l'explosion sociale.<br />
<br />
Pourquoi faire perdurer un modèle qui coûte cher et qui est socialement risqué, alors qu'il existe un système plus simple et plus sûr : Le système par capitalisation ? C'est tout le problème de la transition.<br />
<br />
Si on adopte pour nos enfants un système par capitalisation, il ne faut pas compter sur eux pour payer nos retraites dans les années 2010 et suivantes. Or, notre génération paie la retraite des anciens. Qui paiera la notre? Notre génération doit alors refuser de rester dans un système dont on nous prédit qu'elle n'en verra pas les fruits. Si elle quitte dès maintenant le système c'est alors la génération présente de retraités qui est brutalement appauvrie! Ils refuseront le passage à la capitalisation. Notre génération est prisonnière des générations futures d'actifs qui refuseront de payer et des retraités du moment qui les empêchent de quitter le système! La transition impose de payer les retraites du moment et d'acheter le consentement de notre génération en lui assurant une pension de retraite plus élevée que celle qu'elle escomptait dans l'ancien système.<br />
<br />
Existe-t-il un moyen simple de réaliser cet exploit? Oui.<br />
<br />
Donnons d'abord le choix à notre génération :<br />
1) de quitter l'ancien système en lui restituant son salaire plein ( celui correspondant à ce que paie l'employeur)<br />
2) ou d'y rester.<br />
Puis obligeons la nouvelle génération d'actifs, celle de nos enfants, à passer à la capitalisation.<br />
<br />
Dans un monde où l'Etat ne peut plus faire d'inflation pour éponger ses dettes sur le dos des épargnants et où les taux d'intérêts réels monétaires sont largement positifs, les gains à attendre d'un système de retraite par capitalisation sont très élevés.<br />
<br />
Ainsi, en épargnant 10 000 F par mois, montant moyen des cotisations (patronale et salarié) pour la retraite d'un cadre supérieur, on obtient au bout d'un an 120 000 F. Ces 120 000 F placés à un taux d'intérêt de 5% l'an rapporte l'année suivante 6000 F soit 500 F par mois. Au bout de 40 ans les 10 000 francs par mois ou les 120 000 F épargnés dans un bas de laine chaque année font un capital de 4 800 000 F (120 000x 40 ans). Ce capital placé sur un marché financier à un taux de rentabilité de 5 % par an, rapporte 240 000 F par an, soit 20 000 F par mois ! Mais au lieu d'attendre 40 ans pour placer votre argent, on peut le faire tout de suite et placer les 120 000 F annuel sur le marché financier au bout de 40 ans au taux d'intérêt de 5% par an, on obtient un capital de 14 492 400 F ! Ce qui fait un revenu de plus de 60 000 F par mois. Si au lieu d'épargner 120 000 F par an (somme qui est prélevée par le système de sécurité sociale), vous épargnez 24 000 F par an (c'est-à-dire 2000 F par mois sur votre salaire) au bout de 40 ans cela fera une somme non négligeable de 2 898 480 F ce qui génère quand même un revenu mensuel de 12077 F au taux d'intérêt de 5%.<br />
<br />
En fait les actifs transfèrent environ 76 000 F par an (6358Frs que multiplient 12 mois) aux retraités du moment. Pour produire 76 000 F de revenu chaque année, il faut un capital de 1 520 000 F à 5% de taux d'intérêt réel. Si les actifs devaient épargner chaque année une somme qui produit au bout de 40 ans un capital égal à 1 520 000 F, quel montant annuel devrait-il épargner? Placer chaque année sur le marché financier une somme égale à 12580 F suffit à générer ce capital! Soit une somme de 1048 F par mois environ ! Nous sommes loin des 6358Frs de cotisations prélevées en moyenne sur le salaire des actifs pour payer directement la retraite des anciens pour une période de cotisation largement supérieure.<br />
<br />
On peut procéder autrement. Chaque année l'Etat prélève 76 000 F par an sur le revenu de chaque actif. Mais 76 000 F chaque année placés sur le marché financier à un taux d'intérêt naturel de long terme de 3% l'an, permet d'accumuler un capital au bout de 40 ans équivalent à 5 726 925Frs ! Si les mêmes sommes avaient été capitalisée, le retraité aurait touché un salaire mensuel de 14 317 F (à un taux d'intérêt du moment de 3% ) au lieu des 6358 F qu'il perçoit actuellement.<br />
<br />
Si les gains de la capitalisation sont supérieurs à ceux de la répartition, il existe une opportunité de redistribuer les gains pour faciliter la transition à la capitalisation. Voyons comment faire. Imaginons un salarié à 15 ans de la retraite. Restituons à cet actif les 76 000 Francs prélevés par la force et laissons le capitaliser ces sommes sur les 15 années restantes. Le montant de capital obtenu est de 1 640 004 F. A 5% d'intérêts il touchera un revenu de 6833 F par mois, plus que les 6358 F par mois perçus par les retraités de 1991. A 15 ans de la retraite les gens ont encore intérêt à changer de système.<br />
<br />
Restes à payer les retraites du moment jusqu'en 2010. En 1991, d'après le Livre blanc sur les retraites, notre génération a payé 700 milliards de francs aux retraités du moment. Comment dégager, maintenant et jusqu'à 2010, 700 milliards de francs chaque année pour libérer nos enfants du système par répartition et en même temps assurer à notre génération une retraite supérieure à celle anticipée? Il faut constituer dans un temps très court un capital qui rapporte chaque année au moins ce chiffre de 700 milliards de francs. Il faut générer un capital de 14000 milliards de francs en supposant un taux d'intérêt de 5% l'an. Il faudrait donc créer un fonds de pension doté d'un capital de 14 000 milliards de francs .<br />
<br />
Pour le constituer plusieurs moyens existent:<br />
<br />
1) vendre le patrimoine de l'Etat. La valeur nette du patrimoine des administrations publiques était de 2000 milliards de francs en 1992. Ce patrimoine comprend les bâtiments publics, les routes et matériels de bureaux. Mais on pourrait vendre les autoroutes, les rues et monuments historiques, tel le château de Versailles, les oeuvres d'art volés au cours de l'histoire à des étrangers par nos armées ou volés aux collectionneurs privés par l'Etat lui même via les préemptions, les dations ou interdiction à l'exportation. On pourrait vendre les rivages et voies maritimes ou aériennes dont la valeur nette n'est pas à l'heure actuelle estimée. En revanche, vendre la banque de France rapporterait 210 milliards de francs, valeur nette de ces actifs. Les entreprises publiques peuvent subir le même sort. On estime ainsi la valeur en bourse des Télécommunications à 200 ou 300 milliards de francs. Ce vaste programme de privatisation des services publics permettrait de constituer et démarrer un fonds de pension capitalisable.<br />
<br />
2) Lever directement un capital par la vente d'une exemption au contribuable : le droit de ne plus payer d'impôt sur le revenu jusqu'à son décès. Quelqu'un qui est taxé chaque année de 30 000 F d'impôts sur le revenu et qui escompte vivre 20 ans, paiera finalement la coquette somme de 600 000 F d'impôts au bout de vingt ans. A un taux d'intérêt de 5% l'an, si l'individu ou une entreprise avait pu disposer de cette somme et la placer sur le marché financier il aurait généré au bout de 20 ans un revenu égal à 990 000Frs. Le contribuable, individu ou entreprise, peut être prêt à payer plus que 600 000 F le droit de disposer des 30 000 F qu'il paie à son inspecteur des impôts pour les placer sur le marché financier. Il peut même emprunter cette somme pour acheter le droit de ne plus être imposé. Tout le monde y gagne : l'Etat et le contribuable. S'il y a 10 000000 de contribuables prêts à acheter ce privilège pour 600 000 francs, on lève ainsi 6 000 milliards de francs.<br />
<br />
3) Payer pour avoir le droit de passer à la "capitalisation " . La génération à qui on permet de quitter le système de répartition pour assurer sa propre retraite profite du passage à la capitalisation. Une façon de constituer ce fonds de pension est alors d'exiger de ceux qui veulent le quitter d'acheter ce droit d'être libre. C'est immoral, mais cela permet la transition. 20 millions d'actifs qui achète le droit une fois pour toute de passer à la capitalisation pour 100 000 F génère 20 000 milliards de francs!<br />
4) Faire un emprunt forcé dont le remboursement s'étale sur plusieurs générations.<br />
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En utilisant une combinaison quelconque de ces quatre moyens, on lève un fonds de pension extraordinaire. L'épargne ainsi dégagée permet d'investir et de générer des revenus futurs exceptionnels et nos enfants seront beaucoup, beaucoup plus riches que nous. En même temps les hommes politiques font l'économie d'une révolution.<br />
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La transition dans les faits.<br />
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L'expérience chilienne.<br />
Le chili a instauré un système généralisé de pension de retraite par répartition en 1924 sous l'impulsion d'un gouvernement socialiste de l'époque. Quelques générations plus tard en 1981 ce système a été supprimé.<br />
Les anciens- ie les retraités- ont eu le choix soit de quitter l'ancien système, ce avant 1986, soit d'y rester. Tous les nouveaux entrants sur le marché du travail bénéficient du nouveau système par capitalisation. Un montant équivalent à 10 % du salaire doit être obligatoirement déposé dans un compte épargne. Ce montant est déductible des impôts. Les individus peuvent ajouter volontairement à ces 10% , un supplément équivalent à 10% de leur salaire. Ce supplément est lui aussi déductible.<br />
Ces fonds sont investis et le revenu tiré de ces investissements est non imposable. En 1990, 13 compagnies privées gèrent ces fonds. Les Administradoras de Fondas de Pensiones (AFP). Elles ont été créées pour cela. Ces compagnies privées ne peuvent s'engager dans d'autres activités financières. Chaque salarié doit placer son compte épargne dans l'une quelconque de ces compagnies. Ils peuvent naturellement changer de firme. Ces pseudos assurances peuvent investir en titres actions certificat de dépot en banque ou autres instruments financiers. Des règles précises de gestion leur sont imposées par l'Etat. 30 % des fonds peuvent être en actions mais elles ne peuvent investir plus de 5% de leurs fonds dans les actions d'une seule firme. Chaque AFP doit offrir un taux de rendement minimum sur ses comptes. Ce minimum est un % du taux moyen offert par ces 13 compagnies. Enfin le gouvernement garantit ce minimum. Le nouveau système impose un âge de la retraite de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes. Mais le salarié peut prendre sa retraite à n'importe quel âge. Il peut la prendre à 55 ans.<br />
Le salarié qui arrive à l'âge de 65 ans peut:<br />
1) percevoir les fonds accumulés et financer sa retraite avec.<br />
2) Il peut acheter une annuité d'une assurance. Une telle obligation offre un revenu annuel donné pour la vie du retraité plus les bénéfices aux ayants droits.<br />
3) Il peut retirer à intervalle régulier les fonds qu'il a accumulé. De tels retraits sont limités sur la base d'une espérance de vie à l' âge de la retraite.<br />
Comme les fonds sont privés, après le décès, ils entrent dans le patrimoine et vont aux ayants droits.<br />
Ce système a été prévu pour rapporter environ 70 % du salaire plus les bénéfices. Au conjoint survivant revient 50 % du salaire, plus 15% par enfant.<br />
Enfin le gouvernement garanti une pension minimale de 40 % du salaire moyen. 3,5% du salaire est consacré à l'achat d'une assurance vie en cas de décès avant l'âge de la retraite.<br />
Au moment de la transition au système par capitalisation. Les charges sociales des entreprises disparaissent, mais en contrepartie les entreprises ont augmenté les salaires de 20% montant approximatif des charges salariales des entreprises chiliennes de l'époque.<br />
La réforme a été extrêmement populaire. 90 % des travailleurs et salariés ont choisi le nouveau système. Seuls ceux qui étaient proche de la retraite sont restés dans l'ancien système. Aujourd'hui, au Chili, a un taux d'épargne très élevé équivalent à 25 % du PNB. Ces AFP sont les plus grands investisseurs du Chili. On estime qu'en 1995, les AFP détiennent 21 % de l'épargne nationale!<br />
<br />
Devant ce succès beaucoup de pays d'Amérique latine sont passés à la capitalisation : Le Pérou en 1993, L'Argentine et la Colombie en 1994, l'Uruguay en 1995, le Mexique, le Salvador et la Bolivie en 1997, même les officiels de la République Populaire de Chine sont venus étudier le système le retraite chilien !<br />
</div><br />
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[[wl:Bertrand Lemennicier]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Guillaumat_:_la_secte_des_adorateurs_du_march%C3%A9François Guillaumat : la secte des adorateurs du marché2023-11-03T10:25:36Z<p>Lexington : /* Notes et références */</p>
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<div>{{titre2|La Secte des adorateurs du marché|François Guillaumat|}}<br />
<div class="text"><br />
Quelles qu’aient été leurs dénonciations mutuelles, communistes et socialistes nationaux hitlériens n’en étaient pas moins adeptes du même socialisme, principe véritable de leur mimétique criminalité. De fait, rien n’était plus facile que de devenir nazi quand on était communiste, et réciproquement. Au plus fort donc des condamnations et des insultes que s’échangent deux ennemis déclarés, l’esprit libre doit toujours chercher l’erreur qui leur est commune. Il découvrira souvent que cette erreur-là est bien plus intéressante que le motif de leur haine réciproque. Ainsi Marianne, hebdomadaire pour zombis du régime, décrivait récemment Alain Madelin (le politicien démocrate-social tendance libérale bien connu), comme "le chef de la secte des adorateurs du marché". De l’autre côté de la barricade, dans son dernier livre La Grande trahison, le pseudo-conservateur américain Patrick Buchanan écrivait :<br />
<br />
"Ce qui ne va pas dans l'économie globale est ce qui ne va pas dans notre politique ; elle est fondée sur [https://www.wikiberal.org/wiki/Homo_oeconomicus le mythe de l'homo oeconomicus]<ref>L'homo œconomicus est une aberration des économistes britanniques du siècle dernier, qu'Adam Smith avait engagés sur la voie de garage de l'étude des seuls phénomènes pécuniaires.<br />
<br />
Aux politiciens et aux philosophes qui ont négligé d'apprendre l'économie politique, cette erreur vieille d'un siècle et demi donne encore des prétextes pour continuer à l'ignorer, en laissant entendre que l'"économie" ne ferait qu'exprimer un intérêt exclusif pour un domaine secondaire, voire méprisable de celle-ci. Dénaturation d'autant plus plausible qu’ils la connaissent moins bien.<br />
<br />
Aux falsificateurs de la norme politique, l'homo œconomicus fournit une occasion de faire croire que la liberté personnelle ne bénéficierait qu'aux obsédés de l'enrichissement matériel : dans ce cas, les puissants qui exploitent les autres ne feraient qu'incarner une sorte de morale supérieure. C'est le thème rebattu du sale égoïste qui refuse de se laisser voler sans doute par de purs esprits.</ref>. Elle met l'économie au-dessus de tout. Mais l'homme ne vit pas que de pain. L'adoration du marché est une forme d'idolâtrie, pas moins que l'adoration de l'état. Il faut que le marché soit mis au service de l'homme, et non l'inverse<ref>On dirait que, pour Buchanan, le marché serait une sorte d’entité, d’être vivant qui aurait des intérêts propres. Or, il n’a pas d’autres intérêts que ceux de ses participants. De tous ses participants. Alors, qu'est-ce qui l'assure le mieux, ce fameux service de l'homme ?</ref><br />
<br />
Patrick Buchanan, ancien rédacteur des discours du Président Reagan et esprit libre à défaut d’être bien informé, serait certainement classé à l’"extrême-droite", éventuellement "antisémite" (pour avoir critiqué les excès du sionisme) par les voyous de presse de l’hebdomadaire précédemment cité, et lui-même les jugerait "vendus au mondialisme".<br />
<br />
'''Erreurs commises de concert'''<br />
<br />
''C’est commode de désigner ses adversaires par des termes qu’on ne comprend pas soi-même''<br />
<br />
Cela fait déjà un certain temps que les démocrates-sociaux essaient de faire passer pour des extrémistes les partisans de la liberté naturelle. Le terme d’ultra-libéral vise à cela, qui n’ose pas tout à fait dire "extrémiste" mais le suggère fortement. On emploie déjà le mot de secte pour désigner des libéraux réels (Contribuables Associés) ou supposés (le socialiste Balladur).<br />
<br />
Si les étatistes ont besoin de faire passer leurs adversaires pour des cinglés<ref>Quand il ne voit pas des éléphants roses (alors qu’en fait ce sont des rats noirs qui sont en train de passer), vous avez deux bonnes raisons pour traiter quelqu’un de fou :<br />
<br />
soit vous ne comprenez pas ce qu’il dit (mais ce n’est pas forcément de sa faute à lui),<br />
<br />
· soit vous ne le comprenez que trop bien, et ce qu’il vous dit vous gêne terriblement alors que vous ne pouvez pas le réfuter parce que c’est vrai.</ref>, c’est qu’ils n’ont plus d’autre argument que cette insinuation-là :<br />
<br />
Les étatistes passent leur temps à voler les autres tout en reconnaissant verbalement la propriété d’autrui. Quiconque leur oppose des principes démontre le caractère indéfendable de cette pratique pillarde. Le démocrate-social, c’est pire encore : quand il vole, c’est au nom de croyances absurdes (l’égalité, la représentation démocratique, les droits à) dont vous ne pouvez dénoncer la folie intrinsèque sans exposer par là-même son incapacité à lui en tant qu’être pensant. Vous ne combattez pas seulement son intérêt, vous démontrez son impuissance à saisir le réel. C’est donc forcément vous qui êtes fou, vous qu’il faut exclure, vous qui êtes un danger public, un ennemi du peuple, ou comme dit Jean Madiran, une vipère lubrique. En somme, un extrémiste. Un extrémiste, à savoir quelqu’un qui n’est pas dupe des croyances absurdes de la démocratie sociale.<br />
<br />
''Le marché est-il un concept normatif ?''<br />
<br />
C’est pourquoi les étatistes, pour dénoncer les partisans de la liberté naturelle, se gardent bien de les désigner par le critère de l’acte juste qui est le leur ; "que personne ne vole personne" et tout ça, c’est bien trop parlant, ça rappelle trop de choses ; d’ici à ce qu’on s’imagine qu’ils ont raison. Heureusement, on a entendu dire qu’ils étaient "pour une économie de marché".<br />
<br />
Alors va pour l’économie, va pour le marché : voilà des termes assez abstraits pour que leurs partisans mêmes — a fortiori leurs adversaires — ne les comprennent pas toujours ; on pourra donc y associer les sous-entendus que l’on veut, de manière à en faire des sortes d’épouvantails, de fétiches grimaçants qu’adorerait une bande de fous.<br />
<br />
Or, le marché ne désigne que l’ensemble des relations à la fois volontaires et potentielles entre les personnes.<br />
<br />
Volontaires, cela veut dire que tout le monde y entre exprès en relation, et c’est une preuve suffisante qu’elles y trouvent toutes leur intérêt. L’autre terme de l’alternative volontaire-involontaire, c’est la relation forcée, où les uns s’imposent aux autres et en profitent à leurs dépens.<br />
<br />
Potentielles, cela veut dire qu’il y a marché tant qu’il y a choix. Quand le choix est fait, et le marché conclu, ce choix-là n’est plus disponible et tout un pan du marché s’évanouit. Si l’échange est à long terme, on entre alors dans un contrat, et quand les contrats sont multiples, dans une organisation. Marché et organisation ne s’opposent donc que dans ce sens-là. Autrement, c’est le premier qui fonde normalement la seconde.<br />
<br />
Dans toute organisation, il y aura toujours un marché résiduel : des relations possibles, ou dont on découvre la nécessité, qu’il faudra négocier ou renégocier. A l’inverse, sur un marché, tout contrat à long terme engendre une forme d’organisation.<br />
<br />
Quel lien avec la norme politique ? Du marché, d’après sa propre définition, il y en aura toujours : dans l’état le plus autoritaire, le plus follement (le plus socialistement) réglementé, il restera toujours un certain choix d’entrer ou non en relation avec d’autres. On choisira toujours des amis, un conjoint, des alliés politiques. Toute société humaine est donc une économie de marché, et ne peut pas ne pas en être une.<br />
<br />
Alors où se trouve la norme, quel lien avec la liberté naturelle ? En quoi peut-on "prôner" le marché ? Il est indiscutable qu’on peut défendre la justice naturelle sans jamais en parler. Cependant, on peut lier les deux si le marché en question est libre, car il correspond alors à la seule définition rationnelle de la Justice : la propriété naturelle, qui interdit l’agression et le vol, et qui voudrait de ce fait que, marché ou organisation, toutes les relations soient volontaires dans la société. En somme, le concept normatif n’est pas le marché mais le marché libre et ce qui importe dans le marché libre, c’est la liberté.<br />
<br />
<br />
'''Erreurs commises de conserve'''<br />
<br />
''Le matérialisme démocrate-social''<br />
<br />
Marianne recrute ses lecteurs parmi ceux dont le monopole communiste de l’"éducation nationale" a définitivement atrophié la capacité de penser la norme politique. Son idéologie, comme tout ce qui est aujourd’hui "républicain", "de gauche", "socialiste" est donc la démocratie sociale ; en l’occurrence, la démocratie-sociale tendance communiste.<br />
<br />
Quand il est de bonne foi, le démocrate-social se prend — tenez-vous bien — pour un rationaliste. Il sait que la société doit être organisée, régulée. Mais comme il ne sait rien d’autre, il se trompe à deux titres sur le marché :<br />
<br />
— il l’oppose à l’organisation, comme si le contrat n’était pas la façon normale de constituer celle-ci : comme si une société fondée sur les seules relations volontaires ne pouvait être faite que de rapports fugaces, en somme comme si on ne pouvait organiser la société que par la force<ref>On trouve cette extravagance chez [[:wl:John Rawls|John Rawls]], "penseur" à la mode chez les démocrates-sociaux français. Anthony de Jasay rend ainsi compte de cette faute de logique :<br />
<br />
"[Rawls suppose] qu'une distribution [des revenus] non seulement spontanée, mais délibérée, [pourrait produire] une plus grande quantité de biens primaires, par rapport à celle qui s’est déjà faite spontanément [Mais] le fait que cela n'ait pas déjà eu lieu et que [les] contrats ne comportent pas déjà ces meilleures conditions, suffit à prouver que le contrat social, conçu comme une redistribution en échange d'une meilleure coopération sociale, ne peut pas correspondre à la préférence unanime d'êtres rationnels qui coopéreraient déjà pour une distribution naturelle." (L’état, Paris, les Belles-Lettres, 1993, ch. 3 "Les Valeurs démocratiques", section : "où la justice sociale foule aux pieds les contrats".)<br />
<br />
En somme, une coopération spontanée est déjà une coopération délibérée ; et une société organisée par les seuls accords volontaires est déjà parfaitement organisée. D’ailleurs c’est la seule qui puisse l’être.</ref> ; <br />
<br />
et surtout, le démocrate-social s’imagine que la violence des hommes de l’état pourrait instituer une forme de "rationalité supérieure", alors que la violence c’est l’irresponsabilité, et qu’elle détruit forcément l’information pertinente. Il méconnaît entièrement que la responsabilité est nécessaire et suffisante pour que la société soit régulée.<br />
<br />
— le matérialisme scientiste joue évidemment tout son rôle dans cette erreur typiquement socialiste. Si le démocrate-social est incapable de raisonner sur l’organisation sociale, c’est parce qu’il n’a jamais appris que la théorie du même nom (la théorie sociale) est une science morale. Il croit qu’avec des statistiques, on peut en principe manipuler rationnellement la richesse parce qu’il imagine la valeur comme mesurable. Or, cette valeur-là ne se trouve jamais que dans la tête des gens, et les prix qui l’expriment perdent leur sens s’ils ne sont plus formés librement par des propriétaires subissant personnellement les conséquences de leurs choix.<br />
<br />
Et surtout, il croit que la production est matérielle, alors qu’on ne produit jamais que de l’information. Il croit qu’on peut voler la richesse à ceux qui l’ont produite, c’est-à-dire détruire sa raison d’exister, sans détruire sa capacité à servir l’homme. Il croit que recevoir de l’argent ou des services volés par les hommes de l’état n’est pas différent de gagner honnêtement sa vie et de payer les services que l’on reçoit.<br />
<br />
En somme, le démocrate-social est un infirme moral, et il ne sait pas que l’étatisme est tout entier empoisonné par la malédiction de l’argent volé. Il croit que la redistribution politique socialiste est bonne et même nécessaire, alors qu’elle détruit deux fois : là où elle vole, et là où elle distribue son butin.<br />
<br />
C’est pour cela qu’il prend pour des fous les partisans de la liberté naturelle : eux savent à quelles conditions on peut résoudre les problèmes de la société alors que lui ne comprend même pas la nature de ces problèmes. Eux connaissent la responsabilité personnelle comme la seule manière de produire et d’utiliser le maximum d’information pertinente, alors que lui-même s’imagine que seuls les hommes de l’état — qui ne font que détruire l’information — en seraient capables. Il idolâtre les hommes de l’état, et croit ses contradicteurs idolâtres du marché.<br />
<br />
''Le pseudo-moralisme de droite''<br />
<br />
La confusion pseudo-conservatrice, au moins, n’est pas matérialiste et n’idolâtre pas les hommes de l’état. Mais elle n’en traduit pas moins un amalgame délétère de la morale, du droit et de la science.<br />
<br />
Lorsque le pseudo-conservateur Patrick Buchanan dit que la société américaine met l'économie au-dessus de tout, on peut le croire en train de critiquer ses concitoyens qui ne pensent qu’à l'argent. Mais il n'écrit pas pour prêcher la morale : c’est une politique qu’il prône, et son propos réel est d'attaquer la liberté personnelle. Et par quels actes concrets se traduit cette norme politique, qu’il a le culot d’appeler "idolâtrie du marché ?" Cela vaut la peine de le rappeler :<br />
<br />
— tu ne voleras pas,<br />
<br />
— tu ne désireras pas injustement le bien d'autrui,<br />
<br />
— tu n’assassineras pas,<br />
<br />
— tu ne mentiras pas.<br />
<br />
C’est cela, la propriété naturelle : c’est tout cela, et rien que cela. Présenter comme une "idolâtrie" la Justice ainsi définie par le Décalogue, qu'il a sûrement enseignée à ses enfants et sans doute pratique lui-même quand il ne se prend pas pour un penseur social, c'est le comble du contresens.<br />
<br />
Ce qui manque aux pseudo-conservateurs à la Buchanan c’est la lucidité — ou l’honnêteté — qui les contraindrait à admettre qu’interdire aux autres de choisir leurs fournisseurs, les décrétant brutalement mariés de force à certains producteurs (sous prétexte qu’ils sont ses voisins), c’est tout aussi sûrement les voler que par l’impôt ou toute autre forme de racket.<br />
<br />
Mais il n’y a pas que cette confusion-là : car ce qu’il vitupère nommément, ce n’est pas le matérialisme pratique de ses concitoyens, mais l’économie. Or, l’"économie" en tant que telle n’est rien d’autre qu’une science. Et une science ne peut être que vraie ou fausse. Cela n’a aucun sens de la dénoncer, a fortiori quand ne la maîtrise pas. En outre, l’économie n’est pas une science de la richesse matérielle mais une logique générale de l’action humaine : elle intéresse toute action humaine quel qu'en soit le motif, et elle est donc vraie pour toute valeur, y compris spirituelle.<br />
<br />
Consciemment ou non, le discours pseudo-conservateur de Patrick Buchanan est donc une double confusion : on croit qu’il rappelle une règle morale, alors que c’est au Droit des autres qu’il s’en prend. Il croit traiter de normes sociales, mais les mots dont il se sert relèvent de la seule science ; probablement parce que cette science, justement, il ne la maîtrise pas.<br />
<br />
'''Où est la secte ?'''<br />
<br />
Il n’y a donc pas de secte des adorateurs du marché. Il n’y a qu’une règle de justice universelle : "personne ne vole personne", que tout le monde connaît et que tout le monde pratique, même ceux qui la dénoncent, quand ils ne se rêvent pas en hommes de l’état.<br />
<br />
N’ont "le marché" à la bouche que ceux justement qui cherchent à falsifier ou à diffamer cette règle évidente de conduite.<br />
<br />
Et la seule folie en la matière se trouve dans les arguties, qui prétendent en exempter les hommes de l’état. Folie dont la mystique étatiste et la mystique démocratique sont les avatars contemporains.<br />
<br />
Ce sont donc leurs adeptes qui adhèrent à des croyances ridicules, soit qu’ils aient l’esprit confus, soit qu’ils prêtent aux hommes de l’état des qualités qui n’appartiennent qu’à Dieu.<br />
<br />
== Notes et références ==<br />
<references /><br />
<br />
''Article paru initialement sur Liberalia''<br />
</div><br />
[[wl:François Guillaumat]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Friedrich_A._Hayek:La_d%C3%A9mocratie_est_un_moyen,_non_une_finFriedrich A. Hayek:La démocratie est un moyen, non une fin2023-10-31T18:24:46Z<p>Lexington : Page créée avec « {{Infobox Auteur|nom=Friedrich A. Hayek |image=Image:hayek.gif |dates = 1899-1992 |tendance = libéral classique |citations = « La liberté, laissée à chacun d'utiliser les informations dont il dispose ou son environnement pour poursuivre ses propres desseins, est le seul système qui permette d'assurer la mobilisation la plus optimale possible de l'ensemble des connaissances dispersées dans le corps social. »<br> « Laisser la l... »</p>
<hr />
<div>{{Infobox Auteur|nom=Friedrich A. Hayek<br />
|image=[[Image:hayek.gif]]<br />
|dates = 1899-1992<br />
|tendance = [[:wl:Libéraux classiques|libéral classique]]<br />
|citations = « La liberté, laissée à chacun d'utiliser les informations dont il dispose ou son environnement pour poursuivre ses propres desseins, est le seul système qui permette d'assurer la mobilisation la plus optimale possible de l'ensemble des connaissances dispersées dans le corps social. »<br> « Laisser la loi aux mains de gouvernants élus, c'est confier le pot de crème à la garde du chat. »<br />
|liens = [[:wl:Friedrich August von Hayek|Wikibéral]]<br />
}}<br />
{{titre|La Constitution de la liberté<br>Édition française : Litec (1994)|[[Friedrich A. Hayek]]|Extrait : La démocratie est un moyen non une fin Tiré de la Constitution de la liberté Collection Liberalia par F.Von Hayek Prix Nobel 1974.}}<br />
<div class="text"><br />
<br />
L'emploi inconsidéré du mot « démocratique » pour en faire un qualificatif élogieux à usage généralisé n'est pas sans danger. Il suggère que, dans la mesure où la démocratie est quelque chose de bon, c'est toujours un avantage pour le genre humain d'en étendre le domaine. Cela peut sembler incontestable, mais il n'en est rigoureusement rien.<br />
Il est presque toujours possible d'étendre la démocratisation à deux égards : donner le droit de vote à des gens plus nombreux, et allonger la liste des sujets sur lesquels on décidera par la procédure majoritaire. Ni dans un cas ni dans l’autre, il n’est sérieux de prétendre que toute extension possible soit un gain, ou qu'il faille par principe élargir indéfiniment le champ d’application. Pourtant, presque à chaque occasion déterminée, l'argument démocratique est communément présenté comme s’il était incontestable que l’entendre au maximum possible soit souhaitable.<br />
<br />
Que la réalité soit différente, cela est implicitement admis par presque tout le monde en ce qui concerne le droit de vote. Aucune théorie démocratique ne fournit de raison convaincante de considérer comme une amélioration tout élargissement du corps électoral. Nous parlons de suffrage universel des adultes, mais en fait des limitations sont édictées au vu de considérations d’opportunité. L'âge limite de 21 ans, et l'exclusion des criminels, des résidents étrangers, des citoyens non résidents, et des habitants de régions ou territoires spéciaux, sont généralement tenus pour raisonnables. Il ne semble nullement démontré que la représentation proportionnelle soit préférable parce que plus démocratique (3). On peut difficilement soutenir que l’égalité de droits implique nécessairement que tout adulte ait le droit de vote; le principe vaudrait si la même règle impersonnelle était valable pour tous également. Si seules les personnes de plus de quarante ans, ou les titulaires de revenus, ou les chefs de famille, ou les personnes sachant lire et avaient droit de vote, il n'y aurait guère plus d'atteinte au principe que dans le cadre des limitations actuellement admises. Des gens raisonnables peuvent soutenir que les idéaux de la démocratie seraient mieux servis si, disons, tous les fonctionnaires d’Etat, ou tous les bénéficiaires de l’aide publique étaient privés du droit de vote (4). Que dans le monde occidental, le suffrage universel des adultes soit considéré comme le meilleur arrangement, ne prouve pas que ce soit requis par un principe fondamental.<br />
<br />
Nous devrions aussi rappeler que le droit de la majorité est habituellement reconnu à l’intérieur du pays seulement, et que ce qui se trouve être un seul pays politiquement parlant n’est pas toujours une unité naturelle ni évidente. Nous ne considérons incontestablement pas qu'il soit légitime que les citoyens d’un grand pays dominent ceux d'un petit pays voisin, sous prétexte qu'ils sont plus nombreux que ces derniers. Il n’y a pas davantage de raison pour que la majorité des gens qui se sont assemblés pour un certains objectif, que ce soit une nation ou quelque organisation supranationale, ait le droit d'étendre son autorité à sa guise. La théorie courante de la démocratie souffre du fait qu'on l'élabore d'ordinaire en vue d'une communauté homogène idéale, et qu'on l'applique ensuite à ces unités, ô combien imparfaites et souvent artificielles, que constituent les Etats existants.<br />
<br />
Ces remarques ne sont avancées que pour montrer que même les plus dogmatiques des démocrates ne sauraient prétendre que toute extension de la démocratie soit une bonne chose. Si solide que soit le plaidoyer général pour la démocratie, elle n'est pas une valeur ultime et absolue, et doit être jugée sur ce qu’elle peut réaliser. C'est probablement la meilleure méthode pour aboutir à certaines fins, elle n’est pas une fin en soi (5). Bien qu'il y ait une forte présomption en faveur de la méthode démocratique de décision la où il est évident qu'une action collective est nécessaire, la question de savoir s'il est opportun d'élargir le pouvoir collectif doit être tranchée sur d'autres bases que le principe démocratique en tant que tel.<br />
<br />
'''Souveraineté du peuple'''<br />
<br />
Les traditions démocratique et libérale sont cependant d'accord pour dire que, chaque fois que l’action de l'Etat est requise, et particulièrement si des règles coercitives sont à établir, la décision doit être prise à la majorité. Elles divergent néanmoins sur le champ ouvert à l’action politique censée guidée la décision démocratique. Alors que le démocrate dogmatique considère qu'il est souhaitable que le plus grand nombre possible de problèmes soient résolus par un vote majoritaire, le libéral estime qu’il y a des limites précises au domaine des questions à résoudre ainsi. Le démocrate dogmatique pense, notamment, que toute majorité courante doit avoir le droit de décider de quels pouvoirs elle dispose et comment les employer, tandis que le libéral considère comme important qu’une majorité momentanée n’ait que des pouvoirs limités par des principes à long terme. Aux yeux de ce dernier, une décision à la majorité ne tient pas son autorité d’un simple acte de volonté de la majorité du moment, mais d’un accord plus large sur des principes communs.<br />
<br />
Le concept crucial pour le démocrate doctrinaire est celui de souveraineté populaire. Ce concept signifie pour lui que la règle majoritaire n’est pas limitée ni limitable. L'idéal de démocratie, originairement destiné à empêcher tout pouvoir de devenir arbitraire, devient ainsi la justification d'un nouveau pouvoir arbitraire. Pourtant, l'autorité d'une décision démocratique vient de ce qu'elle émane de la majorité d'une communauté dont la cohésion est maintenue par certaines convictions partagées par la plupart de ses membres; et il est nécessaire que la majorité se soumette à des principes communs, même lorsque son intérêt immédiat se trouve être de les violer. Il importe peu que cette façon de voir ait été jadis appelée " loi naturelle " ou " contrat social ", ces concepts ont perdu leur attrait. Le point essentiel demeure celui-ci : c’est l’acceptation de tels principes communs qui fait d’un nombre quelconque de gens une communauté. Et cette commune adhésion est la condition indispensable d’une société libre. Un groupe l'individus devient normalement une société non pas en se donnant des lois mais en obéissant aux mêmes règles de conduite (6). Cela veut dire que le pouvoir de la majorité est borné par ces principes communément adoptés, et qu'il n’y a pas de pouvoir légitime qui franchisse cette borne. A l'évidence, il est indispensable que les gens se mettent d'accord sur la façon de procéder à des tâches nécessaires, et il est raisonnable que cet accord soit dégagé par la majorité ; mais il n'est pas évident que cette même majorité ait en outre le droit de fixer elle-même l'étendue de sa compétence. Il n'y a pas de raison pour qu'il n'y ait aucune chose que personne naît le droit de faire. Lorsqu'il manque un accord suffisant sur l’opportunité d'user de pouvoirs coercitifs, on devrait en conclure que personne ne peut user de pouvoirs coercitifs. Si on reconnaît des droits à des minorités, cela implique que le pouvoir de la majorité est légitimé et limité par des principes que la minorité elle aussi accepte.<br />
<br />
Le principe selon lequel tout ce que fait le gouvernement doit avoir l’agrément de la majorité, ne suppose donc pas forcément que la majorité puisse faire tout ce qui lui plaît. Il n'y aurait certainement aucune justification morale à ce qu'une majorité confère à ses membres des privilèges en promulguant des lois discriminatoires en leur faveur. Démocratie n'est pas nécessairement gouvernement illimité. Pas plus qu'un autre, un gouvernement démocratique ne peut se passer de mécanismes internes de protection de la liberté individuelle.<br />
<br />
En fait ce n'est qu'à un stade relativement tardif de l'histoire de la démocratie moderne, que de grands démagogues ont commencé à soutenir que, puisque le pouvoir était désormais aux mains du peuple, il n'était plus besoin de limiter l'étendue de ce pouvoir(7). C'est lorsqu'on prétend que " dans une démocratie, est juste ce que la majorité rend légal " (8) que la démocratie dégénère en démagogie.<br />
<br />
'''Justification de la démocratie'''<br />
<br />
Si la démocratie est un moyen plutôt qu’une fin, ses limites doivent être cherchées à la lumière de l’objectif que nous souhaitons quelle serve. Il y a trois arguments principaux par lesquels la démocratie peut être justifiée, et chacun des trois peut être considéré comme décisif. Le premier est que lorsqu'il est nécessaire de trancher entre plusieurs opinions divergentes (fût-ce au prix d'un recours à la force), il est plus avantageux de s'arrêter à celle qui recueille le plus grand nombre de partisans, et de faire ainsi l'économie d'un conflit violent. La démocratie est la seule méthode de changement pacifique que l'homme ait jusqu'ici découverte (9).<br />
<br />
Le deuxième argument, qui historiquement a été le plus important et qui garde beaucoup de poids - bien qu'on ne puisse être sûr qu'il soit encore valable - est que la [[:wl:Démocratie|démocratie]] est un rempart pour la liberté individuelle. Un écrivain du XVII siècle a fait l’observation suivante: " Ce qu'il y a de bon dans la démocratie c’est la liberté, avec le courage et l'ingéniosité que la liberté enfante " (10). Il constatait ainsi que la démocratie n'est pas encore la liberté et indiquait simplement qu'elle est plus à même de générer la liberté que d'autres systèmes de gouvernement. C'est un point de vue sans doute bien fondé pour autant que le souci est de prévenir la coercition, car il n'est pas bénéfique pour la majorité que certains individus aient le pouvoir de contraindre les autres par la force ; mais la protection de l'individu entre l'action collective de la majorité est une autre affaire. Dans ce cas, on peut encore soutenir que, puisque la coercition n'est jamais exercée que par quelques-uns, il y a moins de risques de les voir en abuser si le pouvoir qui leur a été conféré peut toujours être révoque par ceux qui lui sont soumis.<br />
<br />
Mais si les chances de liberté individuelle sont meilleures dans une démocratie, cela ne veut pas dire qu'elles soient assurées. Les chances de liberté dépendent de l'intention qu'a la majorité d'en faire ou non son objectif délibéré. La liberté serait bien compromise si on ne comptait que sur la simple existence d’une démocratie pour la préserver.<br />
<br />
Le troisième argument se réfère à l’effet positif qu'ont les institutions démocratiques sur le niveau général de compréhension des affaires publiques. Cela me semble l'argument le plus fort. Il est certes probable, comme on l’a affirmé souvent (11), que le gouvernement aux mains d’une élite cultivée serait, dans une situation donnée, plus efficace, et peut être même plus juste, qu'un gouvernement issu d’un vote majoritaire. Le point crucial, cependant, est qu’en comparant la forme démocratique de gouvernement avec d'autres formes, on ne peut pas prendre le degré de compréhension des problèmes par le peuple à un moment précis comme une donnée. C'est le message capital du grand livre de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, que la démocratie est la seule méthode efficace pour éduquer la majorité (12). Ce message est aussi vrai aujourd'hui qu'il l'était en son temps. La démocratie est avant tout un processus de formation de l'opinion. Son avantage principal ne réside pas dans sa méthode de sélection de ceux qui gouvernent, mais dans le fait que lorsqu'une grande partie de la population prend une part active dans la formation de l'opinion, il y a aussi une plus grande variété de personnes parmi lesquelles choisir de possibles gouvernants. Même si on admettait que la démocratie ne mette pas le pouvoir dans les mains des plus sages ni des mieux informés, et qu'en toutes circonstances un gouvernement d'hommes d'élite pourrait être plus avantageux pour la collectivité, cela ne devrait pas nous empêcher de donner quand même la préférence à la démocratie. C'est dans ses aspects dynamiques, plutôt que statiques, que la valeur de la démocratie s'affirme. Comme ceux de la liberté, les bienfaits de la démocratie ne se manifestent que dans le long terme, alors que ses performances momentanées peuvent être inférieures à celles d'autres formes de gouvernement. <br />
<br />
</div><br />
{{Friedrich A. Hayek}}<br />
[[wl:Friedrich Hayek]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Alain_Laurent:Lib%C3%A9ral_de_gaucheAlain Laurent:Libéral de gauche2023-10-31T08:53:24Z<p>Lexington : Page créée avec « {{Infobox Auteur|nom=Alain Laurent |image=100px |dates = |tendance = Libéral conservateur |citations = |liens = Wikibéral }} {{titre|Le libéralisme de gauche|Alain Laurent|Extrait de ''La Philosophie libérale''}} <div class="text"> Un nouveau spectre hante l’actualité intellectuelle et politique européenne depuis la fin du XXe siècle : le « [https://www.wikiberal.org/wiki/Lib%C3%A9raux_de_gauche lib... »</p>
<hr />
<div>{{Infobox Auteur|nom=Alain Laurent<br />
|image=[[Fichier:Alain Laurent.jpg|100px]]<br />
|dates = <br />
|tendance = Libéral conservateur<br />
|citations = <br />
|liens = [[:wl:Alain Laurent|Wikibéral]]<br />
}}<br />
{{titre|Le libéralisme de gauche|[[Alain Laurent]]|Extrait de ''La Philosophie libérale''}}<br />
<div class="text"><br />
Un nouveau spectre hante l’actualité intellectuelle et politique européenne depuis la fin du XXe siècle : le « [https://www.wikiberal.org/wiki/Lib%C3%A9raux_de_gauche libéralisme de gauche] ». Bien qu’elle se réfère à l’action gouvernementale de Tony Blair et Gerhardt Schröder ainsi qu’aux évolutions doctrinales du « New Labour » et de la social-démocratie allemande, cette expression ne renvoie-t-elle pas plus à la quadrature du cercle qu’à un objet théorique précisément identifiable, consistant et cohérent ? Et, pour les libéraux classiques, peut-elle représenter autre chose qu’une illusoire et dommageable chimère ? Peu explorée, l’allégation d’un libéralisme de gauche indispose tous ceux qui se cramponnent dogmatiquement à des frontières idéologiques intangibles, et estiment que sous cette apparence d’oxymoron et se théorisation en « troisième voie » se cachent d’inacceptables compromissions et d’improbables mariages entre l’eau et le feu. Du côté libéral, et surtout des libéraux conservateurs ou marchéistes pour lesquels tout ce qui est « de gauche » sent d’emblée le soufre, cet apparentement est décrété impossible et en tous cas condamnable : s’il y avait un libéralisme de gauche, cela ne prouverait-il pas qu’il y a corrélativement un libéralisme « bourgeois », le leur ? Pour la vieille gauche socialiste, c’est tout simplement pactiser avec le diable et l’enfer capitalistes : « le libéralisme de gauche, fourrier de la société de marché », comme le dit Alain Minc en traduisant avec ironie leur réaction (www.capitalisme.fr). On y crie d’autant plus à la trahison que l’initiative du rapprochement est venue de certains secteurs de la gauche et non des libéraux…<br />
<br />
Pour achever de compliquer les choses, l’expression « libéralisme de gauche » se trouve fréquemment associée à celles de « social-libéralisme » à gauche, ou de « libéralisme social » chez les libéraux – aussi confuses l’une que l’autre. « Social-libéralisme » parce que, calquée sur celle de social-démocratie, elle centre bien plus son contenu sur un « social » devenu un mot-valise vide de toute signification précise quand il ne demeure pas imprégné d’un relent d’égalitarisme étatique que sur un libéralisme relégué au second plan et auquel seraient consenties d’inévitables concessions. Tandis que « libéralisme social » présuppose arbitrairement que par essence, le libéralisme ne comporterait aucune préoccupation d’équité économique, et qu’il faudrait le compléter par de bonnes œuvres charitables.<br />
<br />
Si elles étaient établies, la réalité et la viabilité d’un libéralisme de gauche aussi authentiquement libéral que de gauche contribuerait assurément à dédroitiser et recentrer une tradition libérale au champ élargi et à la dynamique revivifiée. En tête de leurs conditions théoriques de possibilité figure l’existence d’une gauche dont l’engagement anti-totalitaire serait également anti-collectiviste. Qui ne se fourvoie pas dans l’illusion syncrétique d’une « troisième voie » entre capitalisme et socialisme, ne s’en tienne pas à la dimension politique du libéralisme pour oser en finir avec les excès de l’interventionnisme assistanciel, redistributif et ultra-réglementariste de [https://www.wikiberal.org/wiki/%C3%89tat-providence l’État-providence] – et adhère sans restriction aux principes individualistes de responsabilité individuelle, de liberté contractuelle et de respect du droit de propriété. Sur la base du paradigme libéral, le libéralisme de gauche illustrerait alors la possibilité intellectuelle d’en déduire des conséquences et applications pratiques autres que celles du libéralisme de pur laissez-faire. Son pari : dans la ligne des idées d’un Karl Popper suggérant dès 1958 de « réduire ce qui semble tant faire question dans l’Etat welfare : la bureaucratisation et la mise en tutelle de l’individu » (En quoi croit l’Occident ?), parvenir à concilier l’éradication des principes et effets pervers de l’Etat providence avec l’exigence d’accompagner le libre marché de dispositifs qui en suppriment la brutalité et la clôture pour les moins bien lotis. Il s’agirait de « rendre tout un chacun capable de prendre ses responsabilités et de faire preuve d’initiative pour affirmer sa compétence sur le marché au lieu de se comporter comme un « raté » et de recourir à l’assistance de l’Etat », pour reprendre les termes d’Habermas dans Après l’Etat-nation. Cet étrange narrateur théorique existe-t-il ? Certes, et qui plus est, il ne date pas d’aujourd’hui. A la question « le libéralisme de gauche, combien de divisions ? », il faut même de plus répondre qu’elle ne sont pas intellectuellement insignifiantes puisqu’au sein de la tradition libérale classique, il ne fut pas rare de voir des penseurs à précocement témoigner d’une incontestable sensibilité « de gauche ». A la fin de ses Droits de l’homme, Thomas Paine fut parmi les tous premiers à se soucier de protéger les droits des plus déshérités. Tocqueville, lui, dénonça les aspects aliénants de la division du travail et préconisa d’aider les prolétaires à se constituer une épargne. Et Stuart Mill, dès les dernières pages de De la liberté et plus encore en divers écrits parus peu avant qu’il ne disparaisse s’employa à rendre certaines des critiques et propositions socialistes compatibles avec la logique d’un libéralisme pour tous. A ces premiers libéraux de gauche en ont succédé d’autres au Xxe siècle, en rangs relativement fournis. En France, il faut compter avec le leader radical Yves Guyot (rédacteur en chef du très laissez-fairiste Journal des Economistes…), ou Alain, partisan éclairé d’un libre marché à l’accès démocratisé, et d’une certains façon Raymond Aron, qui a toujours défendu le bien-fondé d’une correction des inégalités sociales par l’action de l’Etat. Dans l’aire anglo-saxonne, Isaïah Berlin et Karl Popper n’ont cessé d’allier leur anti-collectivisme à de vives critiques à l’encontre des injustices entraînées par un laissez-faire intégral. En Allemagne, les thèses « ordo-libérales » de W. Röpke (… membre de la Mont-Pèlerin Society) exposées en particulier dans Une économie humaine : le cadre social du marché libre furent toutes entières orientées vers l’édification d’une économie sociale de marché. A ce recensement qui ne saurait être exhaustif, il faudrait entre autres ajouter les noms d’Ortega Y Gasset, et, en Italie, ceux de Luigi Einaudi et de Norberto Bobbio : preuve, s’il en fallait, qu’à l’instar du libéralisme en général, le libéralisme de gauche est non seulement une réalité « vivante », mais aussi l’œuvre d’un concert européen des nations.<br />
<br />
En marge de ce consistant courant de gauche que seuls les esprits sectaires pourraient songer à exclure de la famille libérale, il convient de noter que le discours de plusieurs des libéraux les plus pleinement acquis au laissez-faire manifesta d’évidentes préoccupations de vrai progrès social. Turgot défendit le droit des pauvres de pouvoir librement travailler (et les libéra effectivement de la « corvée »), Adam Smith et Jean-Baptiste Say plaidèrent pour l’instauration d’une instruction publique gratuite à l’intention des travailleurs les plus humbles, et Bastiat, non content de siéger à gauche au Parlement, fut l’initiateur des bourses du travail et appuya de toutes ses forces l’idée des sociétés de secours mutuel…<br />
<br />
Loin de se cantonner à un pieux et idéaliste discours, la philosophie sociale du libéralisme de gauche vient d’être pensée, traduite et vulgarisée en termes politiquement concrets par les intellectuels proches des travaillistes anglais – en premier lieu par Anthony Giddens (The Third Way, titre malgré tout problématique…). L’inflexion doctrinale « blairiste » en direction du libre marché et des principes de l’éthique libérale classique est suffisamment flagrante pour avoir révulsé les socialistes français, encore tout imprégnés de culture marxiste et trotskiste. Surtout, cette rhétorique novatrice n’est pas demeurée lettre morte. Si pendant la période thatchérienne, c’étaient Smith et Spencer passant à l’acte, la pratique gouvernementale du « New Labour » de Tony Blair s’inspire directement des préceptes de Stuart Mill et de Karl Popper. Le « New Deal » prôné par le blairisme a ainsi l’ambition de soutenir activement chômeurs et travailleurs modestes sans retomber dans les ornières collectivistes de l’aide sociale inconditionnelle à tout va : au welfare succède le workfare. Tout en créant un salaire minimum en Grande-Bretagne, il propose un nouveau contrat alliant risque et sécurité en vue de développer les atouts concurrentiels (l’employabilité) des individus sur le marché et leurs chances de mobilité sociale. L’idée est en même temps de passer d’une société d’actionnaires (Stakeholding) à une société de partenaires (Shareholding) participant pleinement et équitablement à la dynamique capitaliste. Car ce dispositif ne doit en rien écorner l’économie de libre concurrence : il s’agit de s’en servir au lieu de simplement la servir. C’est pourquoi Tony Blair n’est revenu sur aucun des acquis de la libéralisation thatcherienne (déréglementations, privatisations, réduction de la pression fiscale, mise hors-jeu de la bureaucratie syndicale, …), ce qui lui a valu les foudres du Grand Inquisiteur Bourdieu vitupérant « le social-libéralisme à l’anglaise, ce thatcherisme à peine ravalé » (Contre-feux 2).<br />
<br />
Bien que le néo-travaillisme soit aussi sous une certaine influence communautarienne (celle des philosophes Amitaï Etzioni et John Gray), trop d’éléments font au total pencher la balance dans le sens libéral pour que l’on puisse hésiter à convenir qu’il y a bien là un réel libéralisme de gauche. Aussi bien la dure critique de la « culture de dépendance » sécrétée par le welfare State que l’institution d’aides sociales liées à l’obligation de reprendre un travail et de retrouver l’autonomie sont de facture classiquement libérales. Les propos des membres du gouvernement travailliste sont sans ambages : « Le temps des droits automatiques à l’allocation sociale sont révolus. Nous seront durs » (T. Blair), « A partir d’aujourd’hui, on n’aura plus le droit de rester chez soi sans rien faire tout en touchant des allocations » (G. Brown), « Il faut tirer les gens de la pauvreté et de la dépendance pour les conduire vers la dignité et l’indépendance » (Fr. Field), « (L’aide sociale) fonctionne souvent à l’encontre de la nature humaine … La culture des allocations doit être changée » (T. Blair). Difficile de se montrer plus résolu à en finir avec le monument historique illibéral de l’Etat providence !<br />
<br />
C’est en bonne logique qu’on le constate : le critère libéral décisif de la responsabilité individuelle est devenu le maître-concept orientant l’action du travaillisme post-moderne. « Nous croyons dans la responsabilité des individus de se prendre en charge quand ils le peuvent » affirma T. Blair en décembre 1997. La détermination néo-travailliste à réindividualiser la responsabilité et la rétablir au cœur de la régulation sociale est telle qu’elle a conduit à adopter et appliquer le principe de la « tolérance zéro » face à la délinquance. Selon J. Straw (ministre de l’Intérieur), « Une culture de l’excuse s’est développée dans le système judiciaire pour mineurs. Une excuse de sa propre inefficacité, sous prétexte que (les délinquants) sont victimes de leur environnement social. On les met trop rarement face … à leurs responsabilités ». Si l’on ajoute enfin qu’en valorisant l’éthique du travail et la récompense de l’effort personnel, ce travaillisme revu et corrigé s’inscrit effectivement dans la perspective d’un « new individualism », force est de conclure qu’il fraye bien plus la voie 1 bis du libéralisme qu’une vague et ambiguë troisième voie entre individualisme libéral et étatisme collectiviste.<br />
<br />
Ce libéralisme de gauche serait-il une exception… anglaise ? Pas le moins du monde. Aux Etats-Unis, l’administration Clinton et les « new democrats » l’ont pratiqué à leur manière en se référant aux mêmes thèmes du passage du welfare au workfare, de la restauration de la responsabilité individuelle et de la tolérance zéro. En Allemagne, les sociaux-démocrates reconvertis en « nouveau centre » affiche désormais des orientations théoriques similaires. Proche de G. Schröder (pour qui « le droit à la paresse » ne doit pas exister en Allemagne…), Bobo Hombach les expose en termes crus : « Celui qui vit de l’aide sociale calcule s’il est rentable pour lui de travailler … L’Etat doit encourager l’initiative personnelle. On ne doit pas vivre mieux en étant passif qu’en travaillant. L’aide sociale ne doit pas devenir un mode de vie … L’enjeu du XXIe siècle sera de synthétiser intelligemment des solutions de gauche – c’est-à-dire collectives – et libérales, comme la liberté individuelle » (entretien au Monde, 2 décembre 1998). Le chancelier Schröder lui-même enfonce le clou : « le bon choix est celui qui encourage la créativité et les potentialités des individus plutôt que de compter sur une redistribution a posteriori des revenus » (préface à la traduction de The Third Way). Et dans le très remarqué manifeste commun Blair – Schröder de juin 1999, l’accent est vigoureusement mis sur les bienfaits de la « flexibilité », du « sens de l’effort personnel » et de « la responsabilité individuelle ». Du libéralisme pur jus…<br />
<br />
A la différence de la tradition libérale classique, le libéralisme de gauche constituerait-il une exclusivité propre à l’Europe (ou l’Amérique) du Nord ? La résistance farouche que lui opposent les socialistes français et l’inexistence d’un courant de pensée de ce type en France peut le laisser supposer : les intellectuels qui ne le rejettent pas d’emblée sont rarissimes [1]. Nouvelle manifestation de l’exception culturelle française percluse dans son étatisme congénitale et des schèmes marxisants qui perdurent, cette situation fait qu’à gauche on accepte au maximum un « socialisme de marché » rendu incohérent par l’attachement à une hyper-redistribution assistancielle et l’aversion pour la responsabilité individuelle ou la liberté contractuelle. Dommage pour la gauche qui y perd l’occasion de s’ouvrir au nouveau monde et de renouer avec certaines de ses valeurs originelles. Et pour le libéralisme, qui y perd celle de se revitaliser dans la pluralité.<br />
<br />
Notes<br />
<br />
[1] * Par exemple Thierry Leterre dans La Peur libérale de la gauche (Presses de Sciences Po, 2000) et Alain Minc dans www.capitalisme.fr (Grasset, 2000).<br />
<br />
<br />
''Alain Laurent, Philosophe et essayiste, auteur des Grands courants du Libéralisme (A. Colin 1998) et de La Philosophie libérale (Les Belles Lettres, 2002).''<br />
<br />
</div><br />
<br />
[[wl:Alain Laurent]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Nicolas_Bouzou_:_Le_mythe_de_la_myopie_du_march%C3%A9Nicolas Bouzou : Le mythe de la myopie du marché2023-10-27T17:23:38Z<p>Lexington : </p>
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<div>{{titre|Le mythe de la myopie du marché|Nicolas Bouzou|Paru initialement sur le site d'Euro92}}<br />
<div class="text"><br />
<br />
Les marchés financiers ont mauvaise presse. Accusés de myopie, ils obligeraient les dirigeants d'entreprise à privilégier des stratégies de court-terme et à couper dans les effectifs afin de dégager des profits immédiats. Paradoxalement, la quasi-totalité des études scientifiques menées à ce sujet semble démontrer le contraire, ceci étant d'autant plus remarquable que le consensus est rare chez les économistes. Il est aujourd'hui plus urgent que jamais de vulgariser ces recherches et de les rendre disponibles auprès d'un large public.<br />
<br />
La théorie financière moderne de l'entreprise est fondée sur l'idée que la valeur de marché de la firme (le nombre de ses actions multiplié par leur cours) reflète convenablement ses performances, c'est à dire la somme actualisée de ses profits futurs. Cette valeur fondamentale résulte de deux séries de variables : les anticipations de flux de résultats d'une part, le taux d'actualisation de ces flux d'autre part. Ce taux doit tenir compte, à la fois des possibilités de rémunération alternatives grâce à des placements sans risque et à long terme (coût d'opportunité), mais également d'une appréciation du risque associé à l'entreprise. La théorie financière conduit donc à juger une entreprise sur sa capacité bénéficiaire durable, les perspectives de progression de ses activités et de ses résultats, et du risque financier qu'on peut lui associer [Cohen, 1997]. Si l'on suppose que les dirigeants de la firme travaillent en fonction de l'intérêt des actionnaires (c'est à dire que l'on fait abstraction du célèbre problème de l'agence formalisé dans un article célèbre de Jensen et Meckling en 1976 et selon lequel les divergences d'intérêt entre propriétaires et managers entraînent un certain nombre de coûts), la stratégie d'entreprise consiste à maximiser cette valeur.<br />
<br />
Donc, la formule de la valeur nous montre bien que ce que veulent les actionnaires, c'est la maximisation du profit intertemporel de la firme, et pas seulement sa maximisation à court terme. L'action est un droit - négociable - sur les profits des entreprises, présents et futurs et pour toute la durée de vie de la firme. C'est sur ce point que s'est instauré un brûlant débat entre ceux qui considèrent que les marchés financiers obligent les managers à mener des stratégies de court terme, au détriment des investissements en recherche et développement ou de l'emploi par exemple, et ceux qui considèrent que l'horizon décisionnel des marchés est beaucoup plus lointain qu'on ne le prétend généralement.<br />
<br />
Ajoutons qu'il est beaucoup plus significatif d'observer la valeur de marché (boursière) d'une entreprise plutôt que sa valeur comptable, et ce pour au moins trois raisons. En premier lieu, la valeur comptable ne prend pas en compte les profits futurs (à moins d'évaluer la firme en additionnant l'actif net réévalué et le goodwill, mais on en revient à intégrer la valeur de marché). En second lieu, la valeur comptable est biaisée par les procédures du type amortissements et provisions et plus généralement par tous les processus de window dressing. Troisièmement, comme nous l'avons vu, la valeur boursière prend en compte le risque, ce que ne fait pas la valeur comptable.<br />
<br />
Cet article, en se fondant sur un certain nombre de travaux théoriques et empiriques, se donne pour but de montrer que les marchés financiers (et notamment les investisseurs institutionnels), contrairement aux autres agents, ont une vision à long terme de la stratégie d'entreprise.<br />
<br />
==La théorie==<br />
<br />
==La théorie de la myopie des marchés financiers =<br />
<br />
Dans les années 1980, un certain nombre d'auteurs, d'ailleurs plus souvent professionnels du management que de l'économie [Drucker, 1986], ont mis l'accent sur le fait que la montée des investisseurs institutionnels dans le capital des entreprises poussait les managers à mener des stratégies génératrices de cash flow à court terme, au détriment des stratégies de long terme, sacrifiant ainsi la recherche, l'innovation, et par suite la productivité et la compétitivité. L'idée était que les managers de ces fonds répondaient à leurs propres désirs d'avancement et de sécurité de l'emploi. Ainsi, leurs décisions reflétaient une préférence pour le court terme et une forte aversion au risque. Les décisions d'achats d'actions se prenaient donc en fonction des profits immédiats des firmes et de la distribution instantanée de cash flow. Dès les premiers signes de faiblesse, ces fonds vendaient ces actions pour en acheter d'autres, entraînant une forte volatilité des prix des actifs financiers. Or il est vrai qu'une décision d'investissement entraîne par nature une diminution du profit à court terme, puisque le dépense engendrée est immédiate alors que le gain est anticipé à plus ou moins lointaine échéance. Les entreprises connaissant ce mécanisme devaient finalement mettre aux oubliettes leur stratégie de maximisation du profit intertemporel pour se consacrer à la maximisation du profit à très court terme, avec les conséquences macro-économiques que l'on imagine. Quant aux firmes qui persisteraient dans des investissements de long terme, elles verraient leur valeur boursière chuter, et devenir sujettes aux OPA. Pour Porter [1992], il existe également une asymétrie d'information qui empêche les investisseurs d'évaluer correctement la valeur des investissements à long terme. La théorie de la myopie des marchés suggère donc une corrélation négative entre la part de capital d'une entreprise détenue par des investisseurs institutionnels et les dépenses en R&D; ou la dynamique de l'innovation.<br />
<br />
== La théorie des marchés efficients ==<br />
<br />
La théorie de référence des marchés financiers, dite des marchés efficients, s'oppose à cette conception de la myopie. Elle postule que les prix des actifs financiers (eux-mêmes déterminés par les décisions d'achats et de ventes) comportent toute l'information pertinente sur les cash flow présents et futurs de la firme [Fama, 1976]. Les actionnaires rationnels devraient donc approuver les décisions stratégiques qui accroissent les profits même à moyen ou long terme. Si une firme entreprend un investissement en R&D; qui accroît le profit (actualisé) dans 5 ans, le marché encourage un tel comportement. La théorie des marchés efficients ne distingue pas à ce sujet les investisseurs particuliers des énormes fonds d'investissement [Hansen et Hill, 1991]. Tous sont supposés être rationnels et réagir en fonction des profits futurs. Ainsi, si la théorie des marchés efficients est correcte, on ne doit pas observer de corrélation entre les dépenses R&D; et la part des investisseurs institutionnels dans le capital des entreprises. Ajoutons qu'il est aujourd'hui globalement admis dans la profession des économistes que les marchés d'actions sont efficients.<br />
<br />
Donc, sur un marché efficient, la réponse des marchés à une décision stratégique représente l'évaluation par le marché de cette stratégie.<br />
<br />
== Investissements et profits ==<br />
<br />
D'un point de vue strictement théorique, un éclaircissement supplémentaire est nécessaire. En effet, selon la théorie traditionnelle (néoclassique) de la concurrence, dans un marché parfaitement compétitif tant du point de vue des produits que des facteurs, des projets d'investissements avec une valeur actuelle nette positive sont inexistants à l'équilibre. Si de tels investissements existaient, ils attireraient de nouveaux entrants dans l'industrie en question. Cela augmenterait les prix des facteurs, diminuerait les prix des produits, obligeant certaines firmes à quitter le marché. Ainsi, l'avantage compétitif procuré par des investissements n'est pas durable. La capacité de telles stratégies à générer des investissements durablement rentables et source d'un avantage compétitif sur les autres firmes repose donc sur l'hypothèse d'imperfection des marchés.<br />
<br />
== Évidences empiriques ==<br />
<br />
Graves [1988] réalise une étude dans laquelle il trouve une corrélation négative entre présence des investisseurs institutionnels dans le capital des firmes et dépenses en R&D.; Toutefois, son échantillon est très partiel : 22 entreprises dans un unique secteur, celui de l'informatique entre 1976 et 1985. Il est donc impossible de tirer une conclusion scientifiquement satisfaisante de ce test. De plus, une étude antérieure [Jarell, Lehn et Marr, 1985] menée sur un échantillon de 62 annonces de dépenses en R&D; entre 1973 et 1983 réfutait la thèse du short-terming.<br />
<br />
Nous nous focaliserons sur cinq études qui nous semblent particulièrement représentatives.<br />
<br />
* McKinsey&Company;<br />
<br />
Dans son manuel de référence (cf. bibliographie), l'institut McKinsey recense une série d'études sur le sujet. Dans la plupart, le marché financier réagit positivement à un accroissement des dépenses d'investissement et négativement à une diminution sauf dans certains secteurs et circonstances particulières. Selon les auteurs, le gain boursier d'une stratégie de long terme peut même être substantiel. La règle veut donc que nous nous retrouvions dans une situation où quand le profit comptable diminue, la valeur boursière augmente, et vice versa. Les consultants de McKinsey sont catégoriques (p. 94) :<br />
<br />
"Managers who focus on long term cash flow, ultimately will be rewarded by higher share prices. The evidence from the market is conclusive. Naive attention to accounting earnings will lead to value-destroying decisions. They could, in turn, result in a takeover attack by suitors who believe they can run the company better".<br />
<br />
Graphique 1 : la réaction des marchés aux annonces d'investissements en R&D;, 62 compagnies. Source : Securities and Exchange Commission (1985), extrait de Copeland, Koller et Murrin. Ordonnées : rendement des actions par rapport au portefeuille de marché (%). Abscisses : nombre de jours par rapport à la date de l'annonce.<br />
<br />
* Woolridge et Snow<br />
<br />
Woolridge et Snow [1990] réalisent un test économétrique sur un échantillon composé de 767 décisions stratégiques d'investissement, annoncées par 248 firmes, et ce dans 102 industries différentes. Les résultats obtenus tendent à corroborer l'hypothèse de maximisation de la valeur de la firme. Le marché réagit positivement aux annonces d'investissement faites par les entreprises. En particulier, sont positivement valorisées les décisions de formation de joint venture, d'investissements en R&D; et de diversification vers de nouveaux produits. Plus intéressant encore : si la taille se l'investissement n'apparaît pas significative, son terme l'est : le marché réagit de manière très significative et positive aux investissements de long terme, réfutant ainsi l'hypothèse de short-terming des marchés.<br />
<br />
* Hansen et Hill<br />
<br />
Cette étude entreprend un examen empirique de la relation entre dépenses en R&D; et part du capital détenue par les investisseurs institutionnels. Les variables explicatives sont donc les dépenses en R&D; à la période précédente, le cash flow disponible pour les dépenses d'investissement, la part de marché, le niveau d'endettement (comme substitut ou complément au cash flow disponible), la taille, le degré de diversification (censé aller de pair avec une politique financière très stricte, une forte aversion au risque et une préférence pour les profits présents), la structure plus ou moins oligopolistique du marché, la part du capital détenue par les insiders, la part détenue par les investisseurs institutionnels et l'intensité des dépenses en R&D; dans l'industrie en question.<br />
<br />
La régression économétrique donne des résultats surprenants : non seulement les investisseurs institutionnels n'empêchent pas les investissements en R&D;, mais on note une corrélation positive significative entre part des investisseurs institutionnels dans le capital et dépenses en R&D.;<br />
<br />
Ce résultat n'est cohérent, ni avec la théorie de la myopie, ni avec celle des marchés efficients. Mais alors comment expliquer le caractère positif de cette relation ? Tout d'abord, les auteurs expliquent que les investisseurs institutionnels, de part leurs expériences, les échanges d'information à l'intérieur de leur fonds et les économies d'échelle, ont accumulé une grande compétence et sont donc en mesure de connaître les stratégies qui maximisent la valeur de la firme. Ainsi, les buy and sell en réponse à la variation des profits comptables seraient l'apanage, non pas des investisseurs institutionnels mais plutôt des particuliers n'étant pas particulièrement versés dans les domaines de la finance et de l'économie d'entreprise. Selon cette analyse, la volatilité du prix des actions d'une entreprise serait corrélée avec la part du capital détenue par des investisseurs particuliers. La présence d'investisseurs institutionnels serait au contraire source de stabilité. Une seconde explication est dérivée d'Aoki [1984]. A la différence des investisseurs particuliers, les investisseurs institutionnels sont susceptibles de prendre des participations très substantielles dans le capital d'une entreprise. S'ils elles se retirent violemment d'une entreprise, elles risquent de déprimer le marché financier dans sa totalité, et finalement d'engranger de fortes pertes en capital. Ainsi pour Aoki, les investisseurs institutionnels sont condamnés à une relation durable avec les firmes dans le capital desquelles elles sont significativement engagées. Ils ont alors intérêt à ce que les firmes engagent des stratégies de long terme, dont des investissements en R&D; pour accroître la productivité, et par suite la richesse des actionnaires.<br />
<br />
Graphique 2 : part du capital des firmes de l'échantillon de Hansen et Hill détenue par les investisseurs institutionnels.<br />
<br />
Graphique 3 : ratio R&D; / chiffre d'affaires.<br />
<br />
* Kochhar et David<br />
<br />
Kochhar et David [1996] testent la corrélation entre part des investisseurs institutionnels dans le capital des entreprises et le degré d'innovation, mesuré par la croissance des nouveaux produits. L'échantillon est constitué de firmes appartenant au secteur manufacturier, cotées au New-York Stock Exchange et au NASDAQ, et ce pour l'année 1989. L'hypothèse de la myopie est clairement rejetée. Plus intéressant est le rejet de l'hypothèse selon laquelle les investisseurs institutionnels évalueraient mieux le rendement à terme des investissements actuels. Le point essentiel que fait ressortir l'étude et qui prolonge la précédente est bien que c'est la présence d'investisseurs institutionnels dans le capital qui pousse à l'innovation. Ce n'est pas l'innovation qui les attire : les investisseurs institutionnels obligent les firmes à innover, et ce pour une raison déjà évoquée au paragraphe précédent. La théorie d'Aoki fait alors référence. Ceux-ci s'engagent de facto dans une relation longue avec les entreprises de par l'importance du nombre de leurs actions, et possèdent les mécanismes d'incitation susceptibles d'influencer la stratégie des managers dans une optique de long terme. Les implications politiques de ce type d'études sont majeures. La compétitivité des entreprises à long terme exige que les réglementations qui limitent la présence des investisseurs institutionnels dans le capital de certaines firmes soient levées. Ce sont ces limitations arbitraires qui poussent les marchés au short-terming.<br />
<br />
== Marchés financiers et emploi ==<br />
<br />
Un argument couramment utilisé par les détracteurs des marchés financiers (et même des marchés en général) repose sur le raisonnement suivant : puisque les actionnaires sont rémunérés sur les profits, il est avantageux pour eux de supprimer des emplois, puisque ceux-ci sont nuisibles au profit. En fait, les études réalisées sur la question, et en particulier celle de Abowd, Milkovitch et Hannon [1989] mettent en perspective des raisonnements plus subtils. Ces trois économistes ont étudié l'impact des décisions concernant les ressources humaines sur la richesse des actionnaires. Seulement deux décisions semblent accroître la valeur de l'entreprise : les plans de réduction permanents de main d'œuvre d'une part, les fermetures ou les délocalisations d'une partie de l'entreprise d'autre part. Ces résultats, notamment le fait que les licenciements soient créateurs de valeur sont économiquement justifiables. En effet, la théorie micro-économique traditionnelle montre qu'il existe un rapport capital / travail qui est optimal, en ce sens qu'il maximise le profit. Si l'entreprise ne se trouve plus à cet optimum, par exemple parce qu'elle a répondu à de fortes pressions extérieures (ou syndicales) qui exigeaient qu'elle emploie plus qu'elle n'en avait réellement besoin, elle ne maximise plus son profit. Cela a donc un impact négatif sur la valeur de la firme. Il convient d'ajouter que c'est la société dans sa totalité qui y perd, et pas seulement l'entreprise en question. En effet, le profit correspond à une création nette de richesse : l'entreprise produit plus de ressources qu'elle n'en a détruit. Le profit équivaut à un progrès technique qui améliore le bien-être de chaque membre de la société. De plus, dans un marché du travail totalement flexible, les travailleurs retrouvent automatiquement un emploi dont le salaire correspond à leur productivité. Le cas évoqué dans l'article de Abowd, Milkovitch et Hannon correspond donc à une situation où le rapport capital sur travail était trop faible, et où un retour à l'équilibre en licenciant est créateur de valeur. Il arrive donc un point à partir duquel les licenciements ne sont plus une stratégie optimale, puisqu'ils élèvent le rapport capital / travail au-delà de sa valeur d'équilibre. Dans ce cas, les marchés financiers sanctionneront un plan social. Les mécanismes sont donc rationnels et plus complexes que ce que laissent entendre les non-économistes. De plus, une étude récente [Farber et Hallock, 1999] tend à montrer que si depuis 1970, les réactions des marchés aux réductions d'emploi tendent à être de moins en moins négatives, c'est bien parce que celles-ci correspondent de plus en plus à des gains d'efficacité et à un retour à l'équilibre de la firme.<br />
<br />
== Conclusion ==<br />
<br />
Les études les plus rigoureuses, portant sur des échantillons très larges, tant au niveau des entreprises que des industries tendent à montrer que, conformément à la théorie financière, les marchés financiers valorisent positivement les investissements de long terme, notamment en R&D.; De plus, ils ne réagissent positivement aux plans de licenciement que dans ces circonstances très particulières qui mettent en danger l'avenir de l'entreprise. Des arguments théoriques rigoureux forment le soubassement de ces thèses. Ces résultats ont plusieurs implications essentielles. Tout d'abord, les managers disposent d'une latitude suffisante pour développer des stratégies basées sur un horizon lointain. Les tentatives de tromperie des marchés financiers, par exemple par le moyen du window dressing semblent vouées à l'échec. Enfin, à un niveau plus politique, l'instauration d'une réglementation des marchés financiers risquerait d'avoir des effets contraires à ceux souhaités. En effet, si comme nous avons essayé de le montrer, les actionnaires ont un horizon long (une dizaine d'années) et les managers un horizon court (égal à la durée de vie de leur fonction, c'est à dire environ 5 ans), de telles réglementations tendraient à privilégier des stratégies désirées par les managers plus que par les propriétaires, c'est à dire des stratégies fondées sur une vision à court terme.<br />
<br />
== Bibliographie ==<br />
* ABOWD J. M., MILKOVICH G. T., HANNON J. M., The Effects of Human Resource Management Decisions on Shareholder Value, 1989, NBER Working paper N. 3148.<br />
* AOKI M., The Cooperative Game Theory of the Firm, 1984, Clarendon Press, Oxford.<br />
* COHEN E., Analyse financière, 1997, Economica.<br />
* COPELAND T., KOLLER T., MURRIN J., Valuation : Measuring and Managing the Value of Companies, 1990, McKinsey&Company;, Wiley.<br />
* DRUCKER P. F., A Crisis of Capitalism, 1986, Wall Street Journal, 30 September.<br />
* FAMA E. F., Foundations of Finance, 1976, Basic Books.<br />
* FAMA E. F., MILLER M. H., The Theory of Finance, 1972, Dryden Press.<br />
* FARBER H. S., HALLOCK K. F., Have Employment Reductions Become Good News for Shareholders ? The Effect of Job Loss Announcements on Stock Prices, 1970-97, 1999, NBER Working Paper No. 7295.<br />
* GRAVES S. B., Institutional Ownership and Corporate R&D; in the Computer Industry, 1988, Academy of Management Journal, No. 31.<br />
* HANSEN G. S., HILL C. W., Are institutional Investors Myopic ? A Time-Series Study of Four Technology-Driven Industries, 1991, Strategic Management Journal, Vol. 12.<br />
* HECTOR G., Yes, You Can Manage Long Term, 1988, Fortune, 21 November.<br />
* HEINER R. A., The Origin of Predictable Behavior, 1983, American Economic Review N. 73.<br />
* JARREL G., LEHN K., MARR W., Institutional Ownership, Tenders Offers and Long-term Investments, 1985, The Office of the Chief Economist, Securities and Exchange Commission.<br />
* JARREL G. A., BRICKLEY J. A., NETTER J. M., The Market for Corporate Control : the Empirical Evidence since 1980, 1988, Journal of Economic Perspectives, No. 2.<br />
* [https://www.wikiberal.org/wiki/Michael_C._Jensen JENSEN M. C.], MECKLING W. H., Theory of the Firm : Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership Structure, 1976, Journal of Financial Economics, No. 3.<br />
* JENSEN M. C., The Take-Over Controversy : Analysis and Evidence, 1988, in COFFEE, LOWESTEIN, Rose-ACKERMAN, Knights, Raiders and Targets : the Impact of Hostile Takeovers, Oxford University Press.<br />
* KOCHHAR R., DAVID P., Institutional Investors and Firm Innovation : a Test of Competing Hypotheses, 1996, Strategic Management Journal, Vol. 17.<br />
* [https://www.wikiberal.org/wiki/Michael_E._Porter PORTER M. E.], Capital Disadvantage : America's Failing Capital investment System, 1992, Harvard Business Review, Vol. 70 (5).<br />
* SHLEIFER A., VISHNY R., Equilibrium Short Horizon of Investors and Firms, 1990, American Economic Review, No. 80.<br />
* WENDT P. F., Current Growth Stock Valuation Methods, 1965, Financial Analyst Journal, Vol. 21 (2).<br />
* WOOLRIDGE R., J., SNOW C. S., Stock Market reaction to Strategic Investment Decisions, 1990, Strategic Management Journal, Vol. 11.<br />
<br />
</div><br />
[[wl:Nicolas Bouzou]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Pascal_Bruckner_:_Le_chantage_%C3%A0_l%27islamophobiePascal Bruckner : Le chantage à l'islamophobie2023-10-25T13:09:09Z<p>Lexington : </p>
<hr />
<div>{{titre|Le chantage à l'islamophobie|Pascal Bruckner|Paru initialement dans le Figaro le 5 novembre 2003}}<br />
<div class="text"><br />
L’islam est intouchable: le critiquer ou le soupçonner, c’est faire preuve de racisme. Telle est la nouvelle vulgate que tente d’accréditer le Mrap, un certain nombre de médias et de chercheurs et une partie des dirigeants politiques. De quoi s’agit-il en l’occurrence? De soustraire la religion coranique à l’épreuve que subissent, depuis longtemps, les deux autres monothéismes existants: l’épreuve de la remise en cause. Un petit brûlot rédigé par un «spécialiste» (1) tente d’accréditer cette thèse: l’islam ferait l’objet d’amalgames scandaleux.<br />
Attaqué par des écrivains, tel Michel Houellebecq, ou des journalistes, telle Oriana Fallaci, il constituerait le paria des confessions et la confession des parias.<br />
Or ceux qui l’incriminent ne le connaissent pas et leur virulence serait proportionnelle à leur ignorance: «fantasme» des fous d’Allah invoqué par des «intellectuels médiatiques», «fantasmes sécuritaires» dirigés contre les nouvelles classes dangereuses que sont les jeunes de banlieue; fantasme, enfin, de l’asservissement des femmes islamiques qui n’est rien d’autre qu’un «cliché». Conclusion: vilipendé, caricaturé, l’islam doit être protégé par tous les moyens, et ceux qui médisent de lui, traînés devant les tribunaux.<br />
<br />
Notons d’abord à quel point cette notion est calquée terme à terme sur celle de judéophobie comme s’il s’agissait en quelque sorte de rétablir le principe d’équivalence, de se lancer dans une compétition victimaire et de ne pas laisser aux seuls Juifs la couronne du martyre.<br />
<br />
Or, après le 11 septembre 2001, déclaration de guerre adressée aux infidèles du monde entier, on n’a pas en France, que je sache, brûlé des mosquées ou saccagé des lieux de culte musulmans, et c’est tant mieux : hormis quelques incidents, les Français, dans leur majorité, savent faire la différence entre les croyants ordinaires et les terroristes qui défigurent la foi.<br />
<br />
Ceux qui veulent, en se drapant dans l’uniforme du réprouvé, protéger l’islam du moindre jugement dépréciatif, semblent oublier l’extraordinaire virulence du combat anticlérical en France et en Europe qui confina parfois à la barbarie : églises, temples, couvents brûlés et rasés, objets de culte dégradés, prêtres, évêques, religieuses guillotinés, pendus, massacrés. La violence de cette réaction fut à l’image de celle exercée par les Églises pendant tant de siècles sur les populations. Ce fut un prix terrible à payer, une lutte d’un sectarisme outrancier, mais qui nous a libérés de la tutelle ecclésiastique et a contraint Rome et les divers protestantismes à des révisions déchirantes quant à leur prétention à diriger l’ordre social.<br />
<br />
<br />
Car le christianisme et l’islam ont en commun d’être deux religions impérialistes, persuadées de détenir la vérité et toujours prêtes à faire le salut des hommes par le sabre, le bûcher ou l’autodafé. Au nom de Dieu miséricordieux, elles ont tué et liquidé, directement ou indirectement, des millions d’individus. Mais le christianisme, miné par quatre siècles d’opposition en Europe, a dû céder du terrain et admettre le principe de laïcité, d’ailleurs inscrit dans les Évangiles ; il a dû, aussi, faire son aggiornamento couronné pour les catholiques par le concile de Vatican II et poursuivi par Jean-Paul II. Ce long travail de remise en question reste à accomplir pour l’islam habité par la certitude d’être la dernière religion révélée, donc la seule authentique.<br />
<br />
En France, on peut chaque jour, notamment aux «Guignols de l’info» «bouffer du curé», se moquer du Pape, de Mère Teresa, du dalaï lama, mais jamais de l’islam, sous peine d’être accusé de racisme. Pourquoi ce «deux poids, deux mesures» ? Ajoutons que les intégrismes juif et chrétien sont eux aussi grotesques et obscurantistes ; mais outre qu’ils ne débouchent pas sur des foules haineuses et hurlantes ou des tueries de masse, ils restent minoritaires et sont contenus par la prépondérance des laïcs, de libéraux, des conservateurs. Enfin, contester un système de pensée ou de croyances, rejeter des idées, des convictions que l’on juge, à tort ou à raison, fausses ou dangereuses, est à la base même de la vie intellectuelle et de la libre délibération.<br />
<br />
<br />
Faut-il parler alors de racisme anticapitaliste, antilibéral, antisocialiste, antimarxiste ? On a parfaitement le droit, jusqu’à preuve du contraire, de vomir les religions dans leur ensemble, de les juger mensongères, abrutissantes, abêtissantes. Ou alors faut-il rétablir le crime de blasphème comme il y a peu avec Salman Rushdie ? Il y a plus grave, toutefois, et que prouve le libelle de Vincent Geisser : il vise avant tout à pénaliser ces musulmans dits modérés ou agnostiques qui souhaitent s’émanciper de l’intégrisme.<br />
<br />
C’est là que [https://www.wikiberal.org/wiki/Islamophobie le concept d’islamophobie se révèle une machine de guerre pernicieuse au service d’intérêts particuliers] : elle consiste à stigmatiser ceux des intellectuels, religieux, journalistes, philosophes d’origine maghrébine qui osent critiquer les principes de leur foi, en appellent à une relecture du Coran ou plaident pour une séparation des pouvoirs temporel et spirituel. Cela permet de les désigner à la vindicte de leurs coreligionnaires extrémistes en dressant une véritable liste de proscription (où l’on retrouve pêle-mêle Dalil Boubakeur, Soheib Bencheikh, Malek Boutih, Rachid Kaci, Latifa Ben Mansour, Mahammed Sifaoui, Abdelwahab Meddeb et beaucoup d’autres).<br />
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<br />
Le livre de Vincent Geisser constitue ce qu’il faut appeler une opération de basse police intellectuelle digne de l’ère stalinienne : en traitant ces démocrates de vilains poujadistes, d’opportunistes, de carriéristes, de laïcards, de persécutés d’opérette, il fait d’eux des quasi-apostats, des traîtres à leur religion, voire des harkis, des collabos, des ennemis de l’islam (même si ces mots ne sont jamais utilisés).<br />
<br />
Coupables, donc, les beurettes qui veulent s’affranchir du voile, coupables tous ces enfants d’immigrés qui réclament le droit à l’indifférence religieuse, le droit de ne croire en rien et ne se sentent pas automatiquement musulmans parce qu’ils sont d’ascendance marocaine, algérienne ou tunisienne ?<br />
<br />
L’invention de l’islamophobie remplit plusieurs fonctions : nier, pour mieux la légitimer, la réalité d’une offensive islamiste en Europe, intimider, faire taire les mauvais musulmans, les impies soucieux de changement et au final bloquer tout espoir d’une mutation religieuse en terre d’islam.<br />
<br />
<br />
Il s’agit donc de réhabiliter le délit d’opinion afin de clouer le bec aux contradicteurs et déplacer la question du plan intellectuel au plan pénal, toute objection ou réticence étant immédiatement passible de poursuites. Nous assistons bien à la fabrication d’un nouveau délit analogue à ce qui se faisait jadis dans l’ex-Union soviétique contre les ennemis du peuple (2). Or l’assimilation de l’esprit d’examen avec le racisme est trompeuse : autant ce dernier s’adresse aux personnes en tant qu’elles existent et pour ce qu’elles sont, le Juif, le Noir, l’Arabe, autant la discussion critique porte sur de notions mobiles, variables, les idées, les dogmes, les principes, toujours susceptibles de transformations.<br />
<br />
Tout le fond de l’affaire est là. Car Vincent Geisser comme Le Pen, (...) et l’universitaire américain Samuel Huntigton, sont, malgré leurs différences, des essentialistes imprégnés de pessimisme culturel : ils voient les religions, les cultures, les races comme des blocs qu’on ne saurait modifier d’un iota sous peine de les détruire et encore moins mélanger. L’on sait pourtant, comme l’a dit l’Iranienne Cherine Ebadi, récent Prix Nobel de la paix, que la démocratisation des sociétés musulmanes passe par les femmes et le changement de statut de ces dernières par la réinterprétation des textes canoniques.<br />
<br />
Or l’islam, surtout depuis la révolution kémaliste en Turquie, est une maison divisée: les intégristes voudraient refermer cette blessure en l’imputant aux croisés, à l’Occident, aux mécréants, les laïcs l’ouvrir plus encore afin de provoquer une crise salutaire. Ceux qui salissent la religion du Prophète, ce sont d’abord les «martyrs» qui commettent des attentats monstrueux, les clercs ou les théologiens qui les justifient et les idiots utiles ou les idiots tout court qui défendent ces derniers.<br />
<br />
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L’islam fait partie du paysage français ; il a droit à ce titre à la reconnaissance publique et au respect ; à condition qu’il respecte lui-même les règles républicaines et ne réclame pas des droits séparés, dérogations pour les femmes, faveurs et privilèges divers. Ce qu’on peut lui souhaiter de mieux, ce n’est pas la «phobie» ou la «philie» mais l’indifférence bienveillante dans un marché de la spiritualité ouvert à toutes les croyances. S’il ne veut plus souffrir de suspicion, il devra s’engager dans un type de réforme aussi radicale que celle opérée par les catholiques et les protestants au cours du siècle écoulé. Jusque-là, il restera, y compris pour les musulmans modérés, l’objet d’une prudence légitime. Il y a quelque chose d’ahurissant à voir une «organisation antiraciste» criminaliser les adversaires du fanatisme et de la superstition. Si Voltaire vivait aujourd’hui, gageons que certains «antiracistes» le feraient jeter en prison.<br />
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Notes<br />
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(1) La Nouvelle Islamophobie, Ed. La Découverte, 122 p.<br />
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(2) Si l’extrême gauche manifeste une telle indulgence pour les fondamentalistes du Coran ce n’est pas simple accident ; elle voit ce collectivisme théocratique avec bienveillance puisqu’elle n’a jamais fait son deuil du totalitarisme et que sa vraie passion n’est pas la liberté ou la justice, mais la servitude.<br />
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[[wl:Islamophobie]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/St%C3%A9phane_Courtois:Le_bilan_du_communismeStéphane Courtois:Le bilan du communisme2023-10-25T06:29:12Z<p>Lexington : Page créée avec « {{titre|Le bilan du communisme|Stéphane Courtois|}} <div class="text"> QU’EST·CE QUE LE COMMUNISME ? Le communisme, compris comme société égalitaire et harmonieuse, a d’abord existé en tant que philosophie sociale et politique très ancienne, remontant même à Platon, et a ouvert le champ à d’innombrables utopies qui considéraient souvent l’abolition de la propriété privée des moyens de production, mais aussi des biens personnels, comme la clé d... »</p>
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<div>{{titre|Le bilan du communisme|Stéphane Courtois|}}<br />
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QU’EST·CE QUE LE COMMUNISME ?<br />
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Le communisme, compris comme société égalitaire et harmonieuse, a d’abord existé en tant que philosophie sociale et politique très ancienne, remontant même à Platon, et a ouvert le champ à d’innombrables utopies qui considéraient souvent l’abolition de la propriété privée des moyens de production, mais aussi des biens personnels, comme la clé du bonheur et de la fraternité.<br />
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Le mot est apparu à la fin du XVIIIe siècle sous la plume de Restif de La Bretonne, mais c’est à partir des années 1840 qu’il devient d’usage courant. On le trouve sous la plume d’Étienne Cabet et de Pierre Leroux. Il se réfère notamment au « babouvisme », c’est à dire à la conjuration des Égaux fomentée par Gracchus Babeuf, en 1795. Véritable acte de naissance du communisme moderne qui articule le projet d’une société idéale, égalitaire, assurant le « bonheur pour tous » et un mouvement révolutionnaire enraciné dans le social et le politique.<br />
<br />
Mais le mot prendra tout son sens avec Marx et Engels, auteurs du Manifeste du parti communiste, datant de 1848. « Communisme » et « communiste » deviennent alors synonymes de « marxisme » et « marxiste ».<br />
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Le mot « socialisme « , lui, est un peu antérieur dans l’usage ; il se répand au début des années 1830. Cependant, tout au long du XIXe siècle, la confusion est constante entre « socialisme » et « communisme « , le premier étant souvent considéré comme une étape permettant d’accéder au second. En effet, les partis socialistes d’Europe, appelés aussi sociaux·démocrates, et organisés à partir de 1889 dans la Il’ Internationale, se réclamaient pour la plupart du marxisme.<br />
<br />
Ainsi, en France, l’unification du mouvement socialiste, réalisée en 1905, s’est faite sur la base théorique du marxisme, Jules Guesde, soutenu par les Allemands, ayant pu l’imposer à Jaurès. Officiellement donc, le mouvement socialiste d’avant 1914 est marxiste, révolutionnaire, et aspire à la société sans classes, c’est·à·dire au communisme. Jaurès, du reste, emploie le mot « communisme » , « collectivisme », « socialisme » indifféremment.<br />
<br />
Mais, dans les faits, les grands partis marxistes de l’Internationale étaient devenus réformistes, rejetant aux calendes grecques l’idée de la révolution prolétarienne. Les actions de l’Internationale pour empêcher la guerre de 1914 se révèlent vaines, et les partis socialistes allemand et français participeront à l’effort de guerre national : la crise de l’internationalisme était ouverte. Cependant deux partis socialistes avaient refusé toute compromission avec le patriotisme bourgeois : le Parti socialiste italien et le Parti social·démocrate bolchevique de Lénine. C’est lui, Lénine, après la révolution d’Octobre, qui va véritablement établir la ligne de partage entre le communisme et le socialisme démocratique.<br />
<br />
Pourtant, dès les années 1890, Émile Durkheim, un des fondateurs de la sociologie et ami de Jaurès, avait clairement identifié dans le communisme et le socialisme deux philosophies politiques radicalement distinctes, l’une reposant sur l’attribution égalitaire des richesses, l’autre sur une amélioration constante des processus de production amenant un accroissement continu des richesses et une élévation générale du niveau de vie (Émile Durkheim, Le Socialisme, Paris, PUF, 1992).<br />
<br />
Mais c’est Lénine qui, avec le cynisme d’un politicien professionnel et le messianisme d’un prophète, va créer le communisme comme mouvement politique spécifique. Rompant définitivement avec le socialisme démocratique, il appela à une guerre civile générale et au déclenchement d’une révolution prolétarienne mondiale. Cette rupture politique fut marquée, en mars 1918, au VIIIe congrès du parti bolchevique, par une rupture sémantique : après d’âpres discussions, Lénine imposa le changement de nom de son parti qui de « social·démocrate » devint « communiste ». Immédiatement fut associée à ce nom une doctrine radicale, bien résumée dans un petit catéchisme révolutionnaire rédigé par Boukharine et Preobrajenski, l’ ABC du communisme.<br />
<br />
Sur la base de cette doctrine et de la politique des bolcheviks au pouvoir en Russie fut créée en 1919 une organisation mondiale, l’Internationale « communiste »ou Komintern. Regroupant tous les révolutionnaires qui souhaitaient rompre avec le socialisme traditionnel et démocratique, elle leur imposa une discipline très stricte,quasi militaire, et opéra une sévère sélection de ses cadres. Tous les partis affiliés devinrent des sections nationales de cette Internationale « communiste » . Dès ce moment, le communisme, jusque·là philosophie sociale, repose sur une doctrine, une organisation internationale et une stratégie mondiale très fortement unifiées à Moscou.<br />
<br />
Il devient ce qu’Annie Kriegel a nommé un « système communiste mondial » qui, au gré des conjonctures favorables, se structura en trois cercles concentriques (Annie Kriegel, Le Système communiste mondial, Paris, PUF, 1984) :<br />
<br />
1) celui des partis·États formé des pays où les communistes avaient pris le pouvoir (URSS en 1917, démocraties populaires en 1945·1948, Chine en 1949, etc.) ;<br />
<br />
2) celui des partis, composé de l’ensemble des partis communistes organisés dans le Komintern puis, après 1943, dans un système de relations bilatérales avec l’URSS et de conférences internationales (plus de 80 partis dans le monde) ;<br />
<br />
3) enfin le sous·système des alliances du mouvement communiste avec d’autres forces anticapitalistes et anti·impérialistes (le mouvement syndical à travers l’Internationale syndicale rouge dans les années 1920·1930 puis la Fédération syndicale mondiale après 1945 ; le Mouvement de la paix, encore très actif en Europe dans les années 1980 pour empêcher l’installation des fusées Pershing américaines alors que les Soviétiques avaient installé depuis des années leurs SS20 ; le mouvement de décolonisation et de libération nationale dans les pays du tiers·monde).<br />
<br />
C’est la formidable unité de ce mouvement qui justifie l’usage du terme générique de « communisme » pour désigner et définir des réalités au premier abord aussi différentes que l’expérience bolchevique menée en Russie sous Lénine (1917·1923) puis sous Staline (1928·1953), la révolution maoïste en Chine, la prise du pouvoir par les communistes dans les prétendues démocraties populaires, le communisme asiatique · de la Corée du Nord de Kim-Il·sung au Vietnam de Ho Chi Minh en passant par l’enfer de Pol Pot -, ou encore les coups d’État transformés en régime communisé de Castro à Cuba, de Mengistu en Éthiopie ou de Dos Santos en Angola.<br />
QUEL EST LE BILAN DE CES RÉGIMES COMMUNISTES ?<br />
<br />
Certes, chaque pays a fait l’expérience du communisme dans une conjoncture spécifique, l’a supporté à sa manière, y a résisté selon sa culture propre. Néanmoins moins, tous ces partis, tous ces régimes, tous leurs chefs et leurs cadres ont ce point commun d’avoir adhéré à la doctrine marxiste·léniniste, d’avoir considéré l’expérience léniniste comme fondatrice d’une « lutte finale » entre le communisme et le capitalisme impérialiste, d’avoir appliqué les mêmes modèles d’organisation et de fonctionnement du pouvoir, et d’avoir pour beaucoup d’entre eux (Mao, Ho Chi Minh, tous les dirigeants des démocraties populaires, tous les chefs des grands partis communistes occidentaux des années 1920·1970) été, peu ou prou, sélectionnés, formés, nommés et contrôlés dans le cadre de l’Internationale communiste dirigée par Staline, comme nous le démontrent un peu plus chaque jour les archives désormais accessibles à Moscou et en Europe de l’Est.<br />
<br />
La tragédie communiste peut s’apprécier à plusieurs niveaux. Sur le plan économique, le désastre a été général ; l’ex-URSS, l’un des pays les plus riches en matières premières, a connu le fiasco que l’on sait et dont les conséquences continuent et continueront encore longtemps de peser sur les populations. Les pays de l’Est ont pris, après 1945, un retard très net sur l’Europe occidentale, avec parfois des conséquences dramatiques, comme pour l’Albanie qui a sombré dans l’anarchie et le règne généralisé des mafias, ou la Roumanie où les communistes ont été de fait au pouvoir jusqu’en 1996 et ont ruiné l’économie. Plusieurs d’entre eux font un effort important pour accéder à l’Union européenne mais sont malheureusement encore loin du compte : le temps perdu ne se rattrapera pas en quelques années.<br />
<br />
Le communisme a laissé le Cambodge, la Corée du Nord et l’Éthiopie exsangues. Le Vietnam et Cuba sont en situation de faillite permanente. Quant à la Chine, elle doit faire face à la reconversion d’une production entièrement administrée en une économie de marché, à un gigantesque chômage et aux explosions sociales qui s’ensuivent.<br />
<br />
Le désastre a été également culturel avec la fermeture au monde pendant des décennies, l’abrutissement inévitable, conséquence du matraquage idéologique, la répression systématique d’une intelligentsia, d’une presse, d’éditions libres. A cela s’ajoute la destruction de civilisations, à travers le saccage systématique des églises en ex-URSS, des objets d’art en Chine au temps de la Révolution nommée par antiphrase « culturelle », d’ensembles architecturaux d’une valeur historique et esthétique inestimable dans la Roumanie de Ceausescu et, aujourd’hui encore, l’annihilation de la civilisation tibétaine par les Chinois.<br />
<br />
Sans oublier les catastrophes écologiques telles celle de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986 et celle de l’assèchement de la mer d’Aral lié aux travaux d’irrigation massive en ex-URSS.<br />
<br />
Cependant, ces désastres ne sont que la toile de fond sur laquelle se déploie la tragédie humaine. D’abord celle de l’exil, largement oubliée parce que cachée et silencieuse. Dès 1920, Berlin comptait plusieurs centaines de milliers de Russes dits « blancs », en fait contraints de fuir la révolution pour échapper au châtiment réservé aux aristocrates, aux bourgeois et autres « contre·révolutionnaires ». Depuis des décennies, on a vu les boat people tenter de s’enfuir du Vietnam, puis les balseros de Cuba ; plus de 150 Allemands ont été tués en essayant de franchir le mur de Berlin. Des dizaines de milliers de ces fuyards ont été repris ou ont perdu la vie dans leur tentative. De même, les Européens de l’Est, les Baltes et les Ukrainiens constituent en Europe occidentale et aux Amériques une considérable diaspora. Ensuite, celle de la mort. Le communisme au pouvoir a en effet prémédité et organisé le massacre de centaines de milliers d’individus, selon trois modalités principales.<br />
1) L’exécution pure et simple.<br />
<br />
Au moment de la prise du pouvoir et dans la période d’installation du régime - soit parfois pendant plusieurs dizaines d’années, comme en URSS ·, les communistes ont instauré la terreur à la fois comme moyen immédiat de conserver leur mainmise sur le pays et comme solution à plus long terme pour promouvoir la révolution communiste, en exterminant tous ceux qui pouvaient constituer un pôle de résistance, si minime soit·il.<br />
<br />
Furent ainsi liquidés les militaires, les policiers, les juges, les grands propriétaires, les industriels, les prêtres, les intellectuels.<br />
<br />
Parmi les massacres les plus significatifs, notons celui de la famille impériale des Romanov sur ordre de Lénine le 16 juillet 1918, celui des 50 000 soldats blancs faits prisonniers en Crimée en 1920, celui des dizaines de milliers de paysans révoltés traités aux gaz de combat par l’Armée rouge dans la région de Tambov en 1920, celui des 690 000 personnes exécutées durant la « Grande Terreur » soviétique en 1937·1938 sur la base de listes visées personnellement par Staline et d’autres dirigeants soviétiques, des 25 700 responsables polonais assassinés sur ordre du Bureau politique du PC soviétique en date du 5 mars 1940 · parmi lesquels les 4 500 officiers de Katyn ·, en Chine l’assassinat systématique des propriétaires fonciers au cours d’abominables séances collectives dans les villages ; ou encore la liquidation systématique dans le Cambodge de Pol Pot de tous ceux qui portaient lunettes et stylo, soupçonnés d’être des intellectuels, donc irrécupérables. Et aussi en Slovénie, la liquidation par les partisans de Tito de 15 000 hommes, femmes, enfants et vieillards, réfugiés dans la zone d’occupation des Britanniques en Autriche et « rendus » à leur allié, et dont on a découvert les fosses communes à l’été 1999. La liste de ces crimes est infinie et commence seulement à être dressée de manière rigoureuse.<br />
2) La déportation et l’enfermement en camp de travail forcé.<br />
<br />
La déportation de masse · arracher des populations entières à leur lieu d’origine, leur mode de vie, leurs coutumes · a été inaugurée par les communistes soviétiques lors de la collectivisation forcée de 1929·1932, et appliquée à certains peuples du Caucase, dont les Tchétchènes, en 1943-1944. Elle a été utilisée à nouveau de manière spectaculaire par Pol Pot qui, en quelques jours, a vidé les villes cambodgiennes de leur population pour les « rééduquer » par le travail manuel à la campagne · il ne faisait que copier la méthode maoïste de rééducation des intellectuels et des jeunes urbains, appliquée lors de la Révolution culturelle.<br />
<br />
Dans les premiers camps de concentration soviétiques, créés à l’été 1918, une forte majorité des détenus, souvent des otages, étaient condamnés à une mort rapide, tout comme dans le bagne des îles Solovki (monastères de la mer Blanche qui furent les premiers bagnes de déportation créés par les bolcheviks) ou, en 1920, dans les camps d’internement des cosaques du Don, qualifiés par le gouvernement lui·même de « camps de la mort ».<br />
<br />
A partir de 1928·1929, le régime soviétique invente le Goulag, qui sera généralisé à l’ensemble des régimes communistes, les experts du KGB poussant même la sollicitude jusqu’à former leurs collègues chinois à l’encadrement de ce système concentrationnaire après 1949.<br />
<br />
Officiellement, le Goulag est un système de rééducation par le travail. En réalité, c’est un système de destruction psychologique et physique des individus. Le caractère sauvage de cet univers est aggravé par le fait que, s’ils se trouvent bien sous l’autorité de la police politique, les camps sont en fait gérés au quotidien par des condamnés de droit commun qui y font régner une seconde terreur. Dans les camps chinois et vietnamiens, le travail de rééducation était pris au sérieux et aboutissait à un véritable « lavage de cerveau » bien décrit par le témoignage de Jean Pasqualini (Jean Pasqualini, Prisonnier de Mao : sept ans dans un camp de travail en Chine, Paris, Gallimard, 1975).<br />
<br />
En Roumanie, le pouvoir avait entre 1949 et 1952 inventé une méthode encore plus inhumaine, si possible : dans la prison de Pitesti, un grand nombre d’étudiants, en général nationalistes et chrétiens, ont été impliqués dans un processus de rééducation de groupe où chacun était contraint, lors de séances collectives, de torturer les autres, afin de les obliger à « se démasquer », en dénonçant leurs proches et en « avouant » leurs propres « fautes » évidemment imaginaires (viol de leur soeur, relations incestueuses avec leur mère, etc.) (Virgil Ierunca, Pitesti, laboratoire concentrationnaire (1949·1952), Paris, Michalon, 1996, et Irma Talaban Terreur communiste et résistance culturelle. Les arracheurs de masque, Paris, PUF, 1999).<br />
<br />
Une méthode assez proche fut pratiquée dans la prison centrale de Phnom Penh, Tuol Sleng, où 20 000 prisonniers furent contraints sous la torture de rédiger des autobiographies où ils « avouaient > nombre de crimes imaginaires au nom desquels ils étaient condamnés : pas un n’en est sorti vivant.<br />
3) La famine.<br />
<br />
Le monopole de la production et de la distribution de la nourriture a été, dès l’origine, un moyen puissant mis en oeuvre par le pouvoir communiste pour contrôler et réprimer les populations. Dès septembre 1917, avant même la prise du pouvoir, Lénine avait vanté les mérites du rationnement du ravitaillement, à appliquer selon le slogan « Qui ne travaille pas ne mange pas » ·passablement inquiétant dans un régime où c’est le pouvoir qui attribue les emplois...<br />
<br />
Ce contrôle absolu des approvisionnements a été commun à tous les régimes communistes car étroitement lié au dogme de la collectivisation des moyens de production, dont la terre était le principal dans des pays encore largement agraires comme la Russie de 1917 ou la Chine de 1949. Il a à plusieurs reprises abouti à la famine, avec cette caractéristique extraordinaire que, sauf exception (au Cambodge), ce sont les populations paysannes, productrices de la nourriture, qui en ont été les victimes.<br />
<br />
Il est arrivé que ces famines soient aussi le résultat d’une politique aberrante du pouvoir communiste, comme en URSS en 1922 ou en Chine en 1959·1961. L’homicide n’est pas, alors, volontaire, mais il laisse indifférent un pouvoir qui, souvent, ne tient pas à demander à l’étranger une aide susceptible de révéler la tragédie et de contredire l’image radieuse que diffuse la propagande. C’est ce qui s’est passé lors de la terrible famine chinoise provoquée par le Grand Bond en avant, et aussi ces dernières années en Corée du Nord où des dizaines de milliers de personnes, en particulier des enfants, sont morts de sous-alimentation.<br />
<br />
II est arrivé enfin que la faim soit utilisée comme une arme contre des populations rebelles ou soupçonnées de l’être. Cette famine programmée peut être assimilée à un génocide, tuant en priorité les enfants, les malades et les vieillards, comme en Ukraine en 1932·1933 (6 à 7 millions de morts de faim en dix mois), ou au Cambodge (environ 800 000 morts de faim en trois ans, entre 1975 et 1978). Volontaires ou fruits de politiques absurdes, ces famines fournissent la grande majorité des victimes du communisme : 10 à 12 millions de morts en URSS, 30 à 40 millions au moins en Chine, 800 000 au Cambodge...<br />
<br />
Si l’on additionne les victimes provoquées directement, sous tous ces régimes (l’URSS, la Chine, le Cambodge, la Corée du Nord, l’Afrique, l’Europe de l’Est, l’Afghanistan et le Vietnam), par les exécutions, la déportation, le travail forcé et les famines · et sans compter les morts de la guerre ·, le total avoisine les 100 millions, même si les chiffres font encore l’objet de débats et de recherches.<br />
<br />
Une tragédie d’une telle ampleur appelle un véritable travail d’histoire pour prendre la mesure de ces massacres, grâce aux archives ouvertes depuis l’effondrement de la plupart de ces régimes. Il débouche sur un triple travail de mémoire : 1)il aide à réveiller les souvenirs chez les survivants ; 2) il permet de rendre hommage aux millions de victimes le plus souvent anonymes ; 3) il facilite chez les nations traumatisées le travail de deuil qui seul leur permettra de retrouver identité, sérénité et équilibre.<br />
QUI ÉTAIENT LES BOURREAUX<br />
<br />
Ces pratiques criminelles n’ont pu se développer que dans certaines conditions. La première est la croyance idéologique : au nom du « sens de l’histoire » et de la « nécessité historique », les chefs communistes se sont crus autorisés à tuer des personnes désignées comme l’« ennemi ». C’est ce fanatisme idéologique qui, chez des individus ayant bénéficié d’une éducation familiale, d’une formation intellectuelle bien au-dessus de la moyenne, comme Lénine ou Trotski, a provoqué la levée des interdits moraux élémentaires au nom d’une « autre morale », celle de la nécessité révolutionnaire.<br />
<br />
Trotski, l’un des leaders bolcheviques les plus frottés au socialisme européen des grandes capitales comme Berlin, Vienne ou Paris, ne s’est pas détaché de cet ancrage fondamental : il titra l’un de ses derniers ouvrages, publié en 1939, Leur morale et la nôtre, opposant la morale « bourgeoise » à la morale « prolétarienne », revendiquant le principe que la fin justifie les moyens et confirmant, à vingt ans de distance, ses appels à la guerre civile.<br />
<br />
La seconde motivation des pratiques criminelles, beaucoup plus triviale, a été la crainte, chez ces révolutionnaires, de perdre le pouvoir qui, bien souvent, leur était échu comme une « divine surprise ». Ce qui aurait été à la fois perdre le moyen d’expérimenter la théorie · appliquer la « dictature du prolétariat », mettre en oeuvre le collectivisme dans l’industrie et l’agriculture ·, mais aussi abandonner les avantages et privilèges bien réels d’un pouvoir absolu.<br />
<br />
Le messianique et le trivial se sont donc conjugués pour nourrir le fanatisme, interdire tout retour en arrière et alimenter la radicalisation des régimes. En 1918, Lénine préféra brûler ses vaisseaux plutôt qu’admettre qu’il s’était trompé. Il dispersa l’Assemblée constituante · la première assemblée élue au suffrage universel dans l’histoire russe ·, fit massacrer les manifestants qui la soutenaient, abandonna la Russie occidentale aux Empires centraux, provoqua la ruine de toute l’industrie, suscita la révolte d’une grande partie de la paysannerie, plutôt que d’admettre qu’il avait fourvoyé le pays.<br />
<br />
En 1929, Staline préféra déclencher une véritable guerre contre les paysans · la collectivisation forcée avec son cortège de tragédies · plutôt que d’admettre que le système n’était pas viable.<br />
<br />
En 1958, Mao lança le Grand Bond en avant qui, vaticinait·il, allait permettre à la Chine de rejoindre les pays occidentaux en dix ans, provoquant un désastre économique qu’il refusa de reconnaître et qui entraîna la grande famine. Ce qui n’empêcha pas Pol Pot, quinze ans plus tard, de considérer que le Cambodge pouvait en une nuit passer au communisme : on sait la catastrophe que cela produisit.<br />
<br />
Cette mégalomanie paranoïaque des dirigeants relève moins, à notre sens, d’un dérèglement psychologique que de l’adoption d’une philosophie strictement matérialiste et historiciste, selon laquelle les masses ne sont qu’une pâte que l’on peut travailler à volonté. Mais qui étaient les bourreaux ordinaires du communisme ?<br />
<br />
On commence seulement, grâce à l’ouverture des archives, à mieux les connaître : des hommes jeunes, issus du peuple, sélectionnés et recrutés pour leur fidélité à un système où l’organisation du crime de masse était un élément de la carrière dans un corps, la police politique, considéré comme particulièrement prestigieux.<br />
<br />
Dans un tel contexte, où la chasse aux « ennemis du peuple » était une tâche d’« honneur », il était inévitable que la machine répressive s’emballe, soit que l’on assiste à toutes sortes de règlements de comptes personnels, soit que des « stakhanovistes » de la terreur exigent que le pouvoir leur accorde des quotas supplémentaires de fusillades afin de montrer leur zèle, comme ce fut le cas en URSS dans les années 1930.<br />
<br />
Mais, souvent, c’est l’impéritie et le mépris de la vie qui, du sommet à la base, étaient responsables de catastrophes humaines ; ainsi, en URSS, lors des grandes vagues de déportation, il n’était pas rare que des milliers de personnes soient abandonnées en pleine nature, taïga de Sibérie ou désert du Kazakhstan, où elles mourraient à petit feu. Parfois, comme dans le cas des convois des 29 et 30 avril 1933, des déportés, débarqués sur l’île de Nazino, ont été contraints de pratiquer le cannibalisme pour survivre ; sur 6 700, 2200 seulement étaient encore en vie trois mois plus tard.<br />
<br />
Le système de délation généralisé était lui-même un facteur d’emballement : ne pas dénoncer un ennemi du peuple vous désignait comme ennemi du peuple, et tenter d’échapper à la purge impliquait que l’on devienne un délateur. Cependant, la pratique des « aveux », l’irruption des grands procès, le phénomène récurrent de la purge, ne concernaient principalement que les cadres du parti et du régime. Or, la très grande majorité des victimes n’appartenait pas à cette sphère du pouvoir, mais au petit peuple, ouvrier et paysan.<br />
<br />
Enfin, les emballements ponctuels de la machine ne doivent pas nous faire oublier que celle·ci était étroitement contrôlée et dirigée par les chefs du parti communiste. Tous les dirigeants des services de sécurité leur obéissaient : Dzerjinski à Lénine, Iagoda, Ejov et Beria à Staline, Kang Sheng à Mao et Duch à Pol Pot. Les chefs du parti donnaient l’impulsion des grandes vagues de répression ou des purges et souvent les dirigeaient dans le détail, approuvant les listes de victimes, précisant les modalités d’exécution, vérifiant les résultats.<br />
<br />
Or, partant d’une philosophie tout aussi matérialiste que les nazis (non pas biologique et raciale, mais socio-historique), les communistes ont agi au nom des mêmes valeurs antidémocratiques, antimorales et antihumaines.<br />
<br />
C’est cette convergence qui a permis à de très nombreux auteurs, dès les années 1930 · citons en France Elie Halévy, Boris Souvarine ou Jacques Maritain ·, d’engager une comparaison entre les deux phénomènes et de les désigner sous le terme de totalitarisme.<br />
<br />
Il nous paraît aberrant que Hitler ait pu conclure de la défaite de novembre 1918 et des mouvements révolutionnaires de 1919 que l’Allemagne était victime d’un complot du « judéo-bolchevisme ». Mais la pensée de Staline n’est-elle pas tout aussi aberrante, quand, confronté à l’échec de l’étatisation économique, il y voit d’abord le complot des « koulaks » dont il décrète qu’ils doivent être « exterminés en tant que classe », puis le complot des « bandits hitléro-trotskistes » qui justifie la Grande Terreur ?<br />
<br />
Ces deux systèmes de pensée et de pouvoir, nazi et communiste, plaçaient bien au centre de leur vision du monde l’image de « l’ennemi ». Un ennemi qui n’avait rien à<br />
<br />
voir avec l’adversaire politique traditionnel : un ennemi absolu, irréductible, qu’il faut exterminer pour survivre. C’est, chez Hitler, le « judéo-bolchevik » qui, après la liquidation des communistes en 1933·1934, deviendra le seul Juif ; chez Lénine et ses successeurs, le « capitaliste » ou le « koulak », bref le « bourgeois » dont la haine a été, comme l’a très bien montré François Furet, l’un des moteurs essentiels des mouvements totalitaires.<br />
<br />
Cinquante·cinq ans après la défaite et la disparition de Hitler, les crimes du nazisme continuent de hanter l’Europe et le monde. Neuf ans après la chute du communisme à Moscou, et alors que plus d’un milliard d’hommes continuent de vivre sous ce type de régime, les crimes du communisme semblent être tombés dans quelque poubelle de l’histoire.<br />
<br />
Le mouvement communiste qui s’est emparé du pouvoir en novembre 1917 est mort en 1991, mais les communistes sont toujours là, reconvertis en socio-démocrates, en socio-libéraux ou en ultra·nationalistes. Aucun processus juridique sérieux n’a été engagé pour condamner les bourreaux. Viachteslav Molotov, bras droit de Staline et personnellement responsable de centaines de milliers d’assassinats, est mort tranquillement dans son lit en 1986, à l’âge de quatre·vingt·seize ans. Nikita Khrouchtchev, présenté comme le dénonciateur de Staline, fut sous les ordres de ce même Staline le bourreau de l’Ukraine -il y fut chargé de la Grande Terreur en 1937 (plus de 100 000 arrestations et exécutions en 1938 et 3 survivants sur les 200 membres de Comité central du parti communiste d’Ukraine) ; il s’attaqua ensuite aux nationalistes ukrainiens dont les dernières guérillas furent exterminées au début des années 1950.<br />
<br />
Comme l’a montré [https://www.wikiberal.org/wiki/Alain_Besan%C3%A7on Alain Besançon] dans son beau livre, ''Le Malheur du siècle'', à l’hypermnésie des crimes nazis correspond une amnésie des crimes communistes. Sans doute faut-il y voir l’effet de la pression persistante des communistes en ex-URSS, en Europe de l’Est, en Chine et jusque dans notre gouvernement. Mais il est indéniable que pèse aussi, en France, le prestige de l’idée de révolution qui demeure constitutive de notre histoire nationale et de la fondation de la République.<br />
<br />
Notre tranquillité démocratique d’Européens de l’Ouest, notre prospérité économique, notre bien-être social ont été directement payés de l’abandon à Staline de toute une part de l’Europe. La réunification, qui est en route, de la grande aire culturelle et de civilisation que fut l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, avant 1917, ne pourra se faire que si nous reconnaissons l’immense tragédie vécue à l’Est.<br />
<br />
II faut pour cela avoir le courage intellectuel, moral et politique de regarder en face les crimes du communisme.<br />
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[[wl:Communisme]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Patrick_Simon:Les_cadeaux_empoisonn%C3%A9s_de_l%27Etat-providencePatrick Simon:Les cadeaux empoisonnés de l'Etat-providence2023-10-23T14:56:38Z<p>Lexington : Page créée avec « {{titre|Les cadeaux empoisonnés de l'Etat-providence|Patrick Simon|Texte paru initialement sur le site de l'Institut Turgot}} <div class="text"> On lit et l’on entend régulièrement dans les médias une information qui, de prime abord, étonne : un certain nombre de personnes qui pourraient bénéficier du RSA ou d’autres aides sociales ne les réclament pas dans une proportion supérieure à 30 %. Et les commentateurs de s’étonner (comment est-il possible... »</p>
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<div>{{titre|Les cadeaux empoisonnés de l'Etat-providence|Patrick Simon|Texte paru initialement sur le site de l'Institut Turgot}}<br />
<div class="text"><br />
On lit et l’on entend régulièrement dans les médias une information qui, de prime abord, étonne : un certain nombre de personnes qui pourraient bénéficier du RSA ou d’autres aides sociales ne les réclament pas dans une proportion supérieure à 30 %.<br />
<br />
Et les commentateurs de s’étonner (comment est-il possible qu’on ne réclame pas ce à quoi l’on a droit ?) voire de s’indigner (comment l’Etat peut-il laisser faire cela ? Il est anormal qu’il profite de cette situation).<br />
<br />
C’est le langage qu’on nous servait sur France Inter le samedi 8 avec l’entretien d’un certain Bertrand Fragonard, responsable d’une association qui a pour objet d’aider les gens sans ressource.<br />
<br />
Dans le même esprit, le journal gratuit "Métro" du 10 décembre essayait d’imaginer des remèdes contre la pauvreté. Parmi les préconisations on pouvait lire une hausse du RSA, un revenu permanent pour les moins de 25 ans, une vraie couverture maladie universelle, un fichier complet du surendettement, la pénalisation des contrats dits CDD abusifs, des crèches pour tous et l’école dès l’âge de 2 ans. Chacun y allait de sa proposition. La Fondation Abbé Pierre suggérait par exemple des logements moins chers. Elle précisait un moratoire sur les expulsions locatives (ce sont les gens qui ont arrêté de payer leur loyer), le doublement de l’aide au logement, ou la captation de certains logements privés pour en faire du logement social.<br />
<br />
Il y a un point commun outre toutes ces solutions. Elles supposent toutes une augmentation des moyens financiers, donc plus d’argent public. Aucune ne passe par l’initiative personnelle, la stimulation de l’activité personnelle des gens démunis, par l’aide apportée par des organisations caritatives privées ou par l’augmentation des déductions fiscales pour donations. On pourrait donner à tous ces gens bienveillants avec l’argent des autres la réponse de l’économiste américain [https://www.wikiberal.org/wiki/George_Gilder George Gilder] :<br />
<br />
"il s’agissait de faire disparaître la pauvreté à coup de milliards de dollars. Le résultat ? En 22 ans le nombre de ménages américains assistés d’une façon ou autre par l’état a doublé … On est tenté de conclure que plus l’Etat intervient pour remédier à la pauvreté, plus cette pauvreté augmente".<br />
<br />
C’est pourquoi il faut revenir à la situation dénoncée précédemment par ces bonnes âmes. Pourquoi 35 % des ayants-droit au RSA ne le réclament-ils pas ?<br />
<br />
Beaucoup d’explications sont avancées : par ignorance, disent les uns, par découragement devant les démarches à accomplir disent d’autres, par esprit de rébellion et de rupture avec la société, dit-on encore, par honte osent dire certains - et ils commencent à s’approcher d’une certaine vérité.<br />
<br />
Est-il vraiment impossible de dire qu’il y a encore des gens en France qui ont un sens moral ? Des gens qui, même pauvres, même en détresse, veulent être indépendants, ne veulent pas vivre aux dépens des autres, à qui cela ferait trop mal de s’enfermer dans le piège de l’assistance sociale comme mode de vie. Des gens qui veulent s’en sortir par eux-mêmes, des gens qui ne veulent pas se plaindre, qui trouveraient irrespectueux vis-à-vis d’eux–mêmes de réclamer. Quand le vent souffle ils baissent la tête et continuent de marcher contre vents et marées. Ils ne se découragent pas et ne renoncent pas. Ils ne veulent pas être aidés du berceau au tombeau. Ils pensent qu’ils surmonteront les difficultés et ils ne veulent pas de ce cadeau empoisonné de l’Etat. Et ils ont raison.<br />
<br />
Et puis il y a aussi les autres, ceux qui viennent au contraire profiter sans travailler, ceux qui ne veulent rien faire de leur existence, qui ont érigé leur paresse en expédients et qui perçoivent la seule initiative qui les intéresse comme une plainte permanente, comme s’ils avaient un titre de créance sur la société, renouvelable constamment et inépuisable, comme si on leur devait tout et eux ne devraient rien à personne.<br />
<br />
L’Etat-providence les pousse à rester comme ils sont. Un homme célèbre a écrit ceci. Essayez de deviner qui :<br />
<br />
"En intervenant directement et en privant la société de ses responsabilités, l’Etat d'assistance provoque la déperdition des forces humaines, l’hypertrophie des appareils publics, animés par une logique bureaucratique plus que par la préoccupation d’être au service des usagers, avec une croissance énorme des dépenses … Souvent certains types de besoins appellent une réponse qui ne soit pas seulement d’ordre matériel mais qui sache percevoir la requête humaine plus profonde … un soutien sincèrement fraternel."<br />
<br />
Cette citation est du Pape Jean-Paul II ,dans son encyclique "Centesimus Annus."<br />
<br />
Pour lutter contre la pauvreté il y a en effet des armes autrement plus efficaces que l’augmentation du budget de [https://www.wikiberal.org/wiki/%C3%89tat-providence l’État-providence]. Ces solutions consistent à supprimer toutes les règlementations qui empêchent les gens les moins instruits, les moins qualifiés, les moins compétents de trouver du travail -par exemple la rigidité du marché du travail causée par le Code du travail, grosse machine qui empêche l’embauche, ou le revenu minimum, c’est à dire le SMIC, grosse machine à exclure du marché les moins bons. Car les moins bons ont une arme dont les prive le SMIC, celle d’être moins chers que les autres.<br />
<br />
Tous les pays qui ont pratiqué ces méthodes à leur manière, c'est-à-dire en ayant un marché du travail moins rigide grâce à moins de réglementation, et un revenu minimum non revalorisé, ont retrouvé le plein emploi. Quand nous étions en France à 8 ou 10% de chômage, voire plus, ils étaient à 5% avant la crise de 2009. C’était le cas des Etats Unis, du Royaume Uni, du Japon, de la Nouvelle Zélande et de bien d’autres.<br />
<br />
C’est de cette façon que l’on règle (ou au moins que l’on réduit) le problème de la pauvreté, pas avec de l’argent public, pas avec de la générosité à bon compte mais avec du travail.<br />
</div><br />
[[wl:Patrick Simon]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Anonyme:La_justice_sovi%C3%A9tiqueAnonyme:La justice soviétique2023-10-20T10:33:53Z<p>Lexington : Page créée avec « {{titre|Critique de ''La Justice soviétique'', ouvrage quasi introuvable|Texte paru initialement sur Enquête et Débat|}} <div class="text"> La Justice soviétique est un livre écrit en langue française par deux Polonais, Sylvestre Mora et Pierre Zwierniak, de leurs vrais noms Kazimierz Zamorski et Stanislas Starzewski, et publié en 1945 chez un petit éditeur italien situé à Rome, Magi-Spinetti. Les éditions Les Sept Couleurs de Maurice Bardèche le réédit... »</p>
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<div>{{titre|Critique de ''La Justice soviétique'', ouvrage quasi introuvable|Texte paru initialement sur Enquête et Débat|}}<br />
<div class="text"><br />
La Justice soviétique est un livre écrit en langue française par deux Polonais, Sylvestre Mora et Pierre Zwierniak, de leurs vrais noms Kazimierz Zamorski et Stanislas Starzewski, et publié en 1945 chez un petit éditeur italien situé à Rome, Magi-Spinetti. Les éditions Les Sept Couleurs de Maurice Bardèche le rééditeront en 1975 sous le titre La « liberté » des communistes ; Police, prisons et camps soviétiques avec comme auteurs Sylvestre M. et Pierre Z..<br />
<br />
La particularité de ce document est que, bien avant L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne, est exposé et analysé dans le détail l’univers concentrationnaire soviétique. Tout y est dit et la qualité du travail est telle que ce livre servira de source pour l’ouvrage de référence La Grande Terreur de Robert Conquest publié en France en 1970 ou, plus récemment, pour Le Siècle des Camps de Joël Kotek et Pierre Rigoulot (Lattès – 2000).<br />
<br />
De même, antérieurement à Hannah Arendt (Les origines du totalitarisme paru en 1949), les auteurs qualifient l’Union soviétique d’État totalitaire et dressent plusieurs parallèles avec l’Allemagne nazie. Certes, cette comparaison n’est pas nouvelle, André Gide l’avait déjà faite dans son Retour de l’URSS en 1936. Le terme “totalitaire” avait lui aussi été utilisé plusieurs années auparavant. Pour cela, je renvoie au dernier ouvrage de Philippe Bruneteau, Le totalitarisme ; origine d’un concept, genèse d’un débat (1930-1942) publié aux éditions du Cerf en 2010. Mais, pour la première fois, une étude est faite par deux personnes ayant vécu le système de l’intérieur et s’appuyant sur 12 000 témoignages de rescapés.<br />
<br />
L’ouvrage se divise en deux parties. La première est une analyse du droit pénal soviétique. En se référant aux textes du Code pénal, les auteurs mettent notamment en avant le concept de la responsabilité collective (pour tout citoyen ayant commis une infraction, ses proches peuvent être également arrêtés), démontrent l’obligation de la délation ou rappellent que les mineurs peuvent être condamnés pénalement dès l’âge de 13 ans et se retrouver dans les camps à partir de 14 ans.<br />
<br />
Sont également détaillées les rations alimentaires des prisonniers en fonction de leurs catégories, les différentes utilisations de la torture ainsi que les différents types de camps ou de prisons.<br />
<br />
Le terme de “Goulag” est lui-même employé et défini. Ils expliquent comment les déportés, véritable main d’œuvre gratuite soumise au travail forcé, sont un élément central de la vie économique du pays. D’ailleurs, dans un tableau fort instructif, est dressé le pourcentage de prisonniers par rapport à la population totale dans plusieurs pays européens avant la guerre. Pour l’URSS, le taux s’élève à 7.73 % alors que pour la France, qualifiée par les communistes de “pays bourgeois”, il est seulement de 0.05 %.<br />
<br />
La seconde partie est un recueil de témoignages de survivants polonais, juifs, lituaniens, biélorusses et ukrainiens arrêtes et/ou déportés à la suite de l’invasion de la Pologne par l’Union soviétique en 1939. Ils font partis des 115 000 hommes, femmes et enfants évacués en 1942 vers le nord de l’Iran grâce au Général polonais Anders. C’est leur voix qui s’élève ici, mais elle sera malheureusement peu écoutée car, au même moment, l’Europe va découvrir toute l’horreur des camps nazis. Et contrairement à l’Allemagne, l’URSS fait partie des vainqueurs et son prestige international est désormais immense.<br />
<br />
Ainsi, comme le prévoient les auteurs, « le procès de l’intimidation des personnes contraires au communisme dure et se renforce. Tout essai de défense de la démocratie et de la liberté humaine est condamné, ainsi que toute critique défavorable au totalitarisme russe. Celui qui ose la faire est nommé fasciste et est excommunié ».<br />
<br />
Peu connu en dehors des spécialistes, ignorée du grand public, entachée par sa publication à la maison d’édition du négationniste Maurice Bardèche alors que cela ne modifie en rien la qualité du document, cette œuvre mérite à mon avis une réédition pour que ceux qui soutenaient (ou soutiennent encore) ce type de régime ne puissent plus dire : « on ne savait pas ». Au contraire, ils le savaient parfaitement, mais ils ne voulaient pas savoir. Nuance.<br />
<br />
Sources :<br />
En plus des ouvrages cités dans le texte, se reporter à l’excellente étude de Pierre Rigoulot, Les paupières lourdes ; Les Français face au goulag : aveuglements et indignations, publiée aux Éditions Universitaires en 1991 (ouvrage malheureusement épuisé qui mériterait bien lui aussi une réédition).<br />
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[[wl:URSS]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Alain_Madelin:La_d%C3%A9mocratie_redevient_lib%C3%A9raleAlain Madelin:La démocratie redevient libérale2023-10-18T06:53:53Z<p>Lexington : </p>
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<div>{{titre|La démocratie redevient libérale|Alain Madelin|}}<br />
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Texte d'Alain Madelin pour la sortie du livre de Christian Stoffaës: Psychanalyse de l’antilibéralisme (août 2006)<br />
<br />
Je rêve que les progrès de la médecine me permettent de vivre assez vieux pour ne plus voir en France des alternances entre une vieille gauche archaïque et une vieille droite conservatrice, quelque peu étatique, technocratique et autoritaire, mais de vraies alternances, entre une nouvelle gauche libérale et une nouvelle droite libérale, comme elles existent dans beaucoup d’autres pays autour de nous.<br />
<br />
Vous me demandez d’intervenir juste après que vous ayez parlé de l’apothéose du libéralisme français, de la chute de la maison libérale et du libéralisme perdu afin de faire, en quelque sorte, la transition avec le libéralisme retrouvé.<br />
<br />
Cette manifestation me rajeunit d’ailleurs, car il y a quelques années avec Christian Stoffaës dans un amphithéâtre voisin, nous avions déjà organisé une série de conférences – publiées sous le titre Aux sources du libéralisme français, pour rompre avec cette amnésie culturelle qui frappe le libéralisme français et contribuer à remettre les idées à l’endroit.<br />
<br />
Le libéralisme n’est pas un produit importé comme on essaie de le faire croire, ce n’est pas un produit anglo-saxon, une sorte de pensée Mac Donald’s qu’il faudrait démonter. Le libéralisme est une idée française qui a merveilleusement réussi à l’exportation. C’est une idée portée par des libéraux qui n’étaient ni de droite ni de gauche à l’époque, au XVIIIème et au XIXème siècles : Adam Smith a été précédé par Turgot, Destutt de Tracy a précédé Jefferson et beaucoup des analystes les plus brillants de la pensée économique contemporaine aux Etats-Unis ont été précédés par les économistes du XIXème siècle, de Dunoyer à Bastiat, sans parler du libéralisme politique, de Constant, Tocqueville, Royer-Collard, Laboulaye et de bien d’autres, ainsi que des maîtres plus contemporains dont je me réclame, comme Raymond Aron, Bertrand de Jouvenel et Jacques Rueff.<br />
<br />
L’histoire nous apprend que la pensée libérale, contrairement à sa caricature, est apparue avec l’idée de protéger les faibles contre les puissants, avec l’affirmation que la personne possède, en tant que telle, des droits opposables à tout pouvoir. Ainsi, la pensée libérale entend protéger la plus petite des minorités, la personne humaine, contre les arbitraires possibles du pouvoir, fût-il un pouvoir démocratique.<br />
L’histoire nous apprend aussi (ou du moins devrait nous apprendre) que les libéraux ont défendu dès l’origine, dans un même mouvement, les libertés économiques et les libertés syndicales et sociales. Pourquoi ? Parce qu’ils pensaient, avec Bastiat et bien d’autres, qu’au côté de l’exigence de liberté, il y a, certes, tout aussi légitime, un besoin de sécurité lié à la dignité humaine, et qu’il appartient aux institutions d’un Etat de droit de satisfaire ce besoin de sécurité. C’est là sans doute la raison pour laquelle la plupart des grandes institutions de protection sociale, de l’assurance sociale aux bourses du travail, le droit de coalition, l’idée même de syndicat, les retraites ouvrières et paysannes et bien d’autres, ont été pensés, initiés et souvent créés et mis en oeuvre par des libéraux. Ce qui n’est pas libéral c’est, dans la deuxième partie du XXème siècle, l’étatisation de ces institutions. Mais le besoin de sécurité et d’assurance sociale sont heureusement parfaitement intégrées dans la pensée libérale.<br />
<br />
Le libéralisme est d’abord philosophique, politique et moral. Toute personne est libre de faire le bien comme le mal. Cela lui donne une responsabilité devant sa conscience diront les uns, devant Dieu les autres. Il y a une vision philosophique et morale à la source du libéralisme et une permanente recherche du juste. En découle un libéralisme juridique – Jean-Claude Casanova l’a rappelé. Le concept clé du libéralisme est celui de l’Etat de droit, en anglais rule of law. Nous sommes d’ailleurs tellement déformés par le mot Etat que pour beaucoup, l’état de droit est l’Etat qui fait le droit. Non, l’Etat de droit est l’Etat qui est soumis à un droit qui lui est antérieur et supérieur. C’est un ordre juridique des sociétés d’hommes libres dans lequel le droit positif est soumis à un droit supérieur. Voilà pourquoi je pense que le libéralisme ainsi brièvement précisé et ressourcé dans toutes ses dimensions, philosophique, morale, juridique, économique et sociale, est plus que jamais une pensée pour aujourd’hui et une pensée pour demain.<br />
<br />
Le XXème siècle constitue, il est vrai, une parenthèse de l’idée libérale. Le XXème siècle a été celui de la révolution industrielle triomphante, de la démocratie de masse, de la production de masse, des idées de masse… jusqu’aux idées totalitaires ; le siècle des usines tayloriennes où l’on a considéré les hommes comme des robots ou comme des numéros dans les bureaux. Il est clair que cette phase de l’histoire qui a vu le triomphe des Etats jusqu’aux folies des deux guerres mondiales et des idéologies totalitaires, est une parenthèse de l’histoire qui se referme avec la chute du mur de Berlin et l’arrivée, selon l’expression d’Alvin Tœffler, de la « troisième vague » de l’histoire de l’humanité. Les hommes ont inventé la production agricole qui a engendré un type de société, puis la production industrielle qui a généré un autre type de société. Nous voilà dans la société du savoir numérique, mondialisée, qui va nécessairement engendrer de nouvelles formes d’organisations sociales. Dans cette nouvelle société, la richesse n’est plus le résultat de l’exploitation des hommes, de la guerre ou de l’accaparement des sources d’énergie. Ce qui prime, ce sont les cerveaux, l’innovation, la créativité, et donc la liberté et l’autonomie des personnes. C’est pourquoi si les débats du XXème siècle étaient tout naturellement centrés sur l’Etat et les différentes formes de dirigisme (jusqu’aux aux idées totalitaires), il n’est pas surprenant que les débats du XXIème siècle se fassent autour du libéralisme. C’est la raison pour laquelle je suis, pour ma part, extrêmement confiant sur le grand retour des idées libérales dans le monde, même si je reste encore méfiant pour la France.<br />
<br />
Pourquoi ce retour des idées libérales ? Avec la mondialisation et, notamment la mondialisation financière, l’étatisme est partout remis en question.<br />
<br />
La mondialisation financière interdit ce que [[:wl:Jacques Rueff|Jacques Rueff]] appelait “ la recette du gouvernement gratuit ”, c’est à dire, la distribution de faux droits et le recours aux facilités de la planche à billets. Quand le recours à la planche à billets et la fuite en avant dans l’endettement ne sont plus possibles compte tenu des disciplines imposées par les marchés financiers, quand on ne peut plus guère augmenter les impôts, l’étatisme trouve ses limites. D’autant qu’avec la mondialisation, les entreprises ne sont pas seules à connaître la concurrence, il y a aussi désormais les Etats : leurs systèmes juridiques, fiscaux, leurs services publics et leur système éducatif.<br />
La mondialisation, c’est aussi la confiance retrouvée dans le libre échange qui constitue une des bases essentielles du libéralisme. Le laissez-faire, laissez-passer qu’il ne faut pas, bien entendu, prendre dans la conception de la vulgate marxiste qui dit laisser-faire, c’est laisser-aller, le laissez-faire libéral est une revendication de responsabilité.<br />
« Laissez-nous faire » disait le marchand François Legendre – à l’origine de la formule – en s’adressant au monarque, c’est à dire laissez-nous prendre notre responsabilité, laissez-nous produire, agir et laissez-passer le fruit de notre travail. Aujourd’hui, le libre-échange est devenu la philosophie dominante du monde entier, au grand dam des anti-mondialistes qui sont bien obligés de constater que les pays les plus pauvres ont à peu près tous compris que le développement passait par le libre-échange et les institutions mondiales du libre-échange.<br />
A cela s’ajoute la mutation profonde de notre type de société : le développement de l’interdépendance croissante des hommes avec la révolution du savoir numérique. Celle-ci est largement équivalente à la révolution de l’imprimerie de Gutenberg qui, avec la circulation des livres avait permis de libérer les esprits. Nous sortons d’un XXème siècle centralisateur, pour entrer dans un nouveau siècle qui fait moins confiance aux Etats et davantage confiance aux hommes, à leur liberté, leur responsabilité et leur l’autonomie. Nous arrivons dans cette grande société, cette société ouverte, annoncée par les philosophes. Le vieux monde était centralisé, pyramidal, le nouveau monde, est davantage horizontal et organisé en réseaux. Dans le vieux monde le je veux, j’ordonne, j’exige, réglementait la vie de la société avec un esprit administratif dominant ; dans le nouveau, l’imagination et l’esprit d’entreprise prévalent.<br />
Voilà pourquoi je suis globalement confiant envers l’avenir du libéralisme. D’autant plus que nous avons l’impérieux besoin de réformer l’Etat et de repenser l’Etat providence, ne serait-ce que pour deux raisons très simples : ce dernier n’a plus les moyens financiers de ses ambitions et il enferme aujourd’hui des pans entiers de la population dans la dépendance et l’assistance.<br />
<br />
Hélas, tout indique qu’en France, la pensée libérale rencontre davantage de difficultés pour se développer qu’ailleurs. Il y a sans doute un obstacle d’ordre culturel : depuis toujours, la France s’identifie à son Etat et la remise en cause de cet Etat – en dehors de ses fonctions régaliennes que personne ne discute chez les libéraux, bien au contraire – est vécue comme une sorte de mutilation de l’identité française. Si vous évoquez l’Allemagne, vous pensez à un peuple, les États-Unis à la liberté, l’Angleterre à une démocratie…, la France à un État. Toute réforme de l’Etat est vécue comme une atteinte à notre identité nationale et, bien sûr, la secte des adorateurs de l’Etat ne manque pas de s’appuyer sur ce sentiment populaire.<br />
<br />
Ce retour nécessaire aux idées libérales se heurte à beaucoup d’obstacles. Les solutions libérales apparaissent trop souvent comme imposées de l’extérieur par la contrainte de l’Europe et du monde, et non comme réellement voulues et nécessaires. De plus, du fait même de l’excroissance de l’Etat français, du fait que pendant de nombreuses années, celui-ci a distribué des faveurs, créé des clientèles, des docilités, des obligés de l’Etat, multiplié les traitements de l’Etat, les allocations de l’Etat, les faveurs de l’Etat, les protections de l’Etat, nombreux sont les Français qui appréhendent toute remise en cause de l’Etat. Autre obstacle : une grande part de la classe dirigeante, toutes tendances confondues, est issue de l’appareil public. S’ajoute à cela, le regain d’un anti-libéralisme primaire porté principalement par les orphelins du marxisme perdu. C’est aujourd’hui un courant puissant qui bloque les évolutions libérales. Au surplus, les libéraux doivent faire face à une nouvelle forme d’étatisme : l’état « sécuritaire ».<br />
<br />
Les hommes de l’Etat ont longtemps justifié leur pouvoir par les [https://wikiberal.org/wiki/Fonctions_r%C3%A9galiennes fonctions régaliennes de l’Etat], à commencer par la protection des Français contre les menaces étrangères. Fort bien. Puis on a justifié la croissance de l’Etat par les nécessités de l’Etat providence. Il existe aujourd’hui une étrange connivence entre « les fabricants de peur » et « les marchands de sécurité ». Ce point mérite quelques développements. Aujourd’hui, après les échecs de l’État Providence et l’impossibilité de poursuivre le “ toujours plus de dépenses publiques ”, avec les dépossessions de pouvoir lié à l’Europe ou à la mondialisation et les altérations de l’image du pouvoir liées aux “ affaires ”, les hommes politiques sont à la recherche des justifications de l’excroissance du pouvoir. Ils l’ont trouvé dans ce qu’Alain-Gérard Slama appelle la précaution, la prévention ou la prohibition du risque. Comme l’homme politique ne peut plus dépenser – la recette je dépense donc je suis n’est plus la preuve de son existence – la nouvelle recette est j’interdis, je réglemente, je prohibe, donc j’existe. Toute liberté pouvant entraîner des abus, il devient légitime de prévenir ces abus non par des règles de responsabilité mais par la prohibition préalable. Il s’agit là d’un immense risque pour la démocratie et le libéralisme. L’Europe qui nous a longtemps apporté un vent libéral peut, hélas, demain contribuer à aggraver cette tendance. La Commission et le Parlement européen ont un pouvoir de dépenser limité. En revanche, le pouvoir de normer, de réglementer, d’interdire n’est pas limité. Il va même se renforcer.<br />
<br />
Quoi qu’il en soit, il est certain que, la France devra prendre et prendra, elle aussi le virage libéral. Le prendra-t-elle par une gentille évolution de la classe politique, la gauche et la droite devenant libérale au fil des ans ? Je le souhaite. Le fera-t-elle par un sursaut car, à un moment donné, on constatera tellement d’impasses qu’il faudra bien essayer quelque chose de neuf ? C’est une autre hypothèse.<br />
Une chose est certaine, comme l’évoquait Émile Faguet au début du siècle dernier dans son très bon livre Le libéralisme : “ les Français ne sont pas libéraux, mais beaucoup de Français disent aux hommes politiques, soyez libéraux, et les hommes politiques répondent aux Français, ah non! soyez les plus nombreux, vous les libéraux, et je vous garantis bien que je serai libéral, d’ailleurs je ne pourrai pas faire autrement.” J’en déduis une conclusion pratique très simple : il faut continuer à semer, semer et semer pour que les idées libérales soient les plus fortes et les plus nombreuses.<br />
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[[wl:Alain Madelin]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Bilger:L%27%C3%A9cole_de_Fribourg,_l%27ordolib%C3%A9ralisme_et_l%27%C3%A9conomie_sociale_de_march%C3%A9François Bilger:L'école de Fribourg, l'ordolibéralisme et l'économie sociale de marché2023-10-18T06:39:45Z<p>Lexington : Page créée avec « {{titre|François Bilger: L’école de Fribourg, l’ordolibéralisme et l’économie sociale de marché|François Bilger|Paru initialement sur le blog de François Bilger, le 8 avril 2005}} <div class="text"> Après l’effondrement quasi général des économies planifiées, l’ancienne concurrence entre les systèmes a cédé la place à une sorte de compétition entre les divers sous-systèmes ou variantes possibles de l’économie de marché, de l’écono... »</p>
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<div>{{titre|François Bilger: L’école de Fribourg, l’ordolibéralisme et l’économie sociale de marché|François Bilger|Paru initialement sur le blog de François Bilger, le 8 avril 2005}}<br />
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Après l’effondrement quasi général des économies planifiées, l’ancienne concurrence entre les systèmes a cédé la place à une sorte de compétition entre les divers sous-systèmes ou variantes possibles de l’économie de marché, de l’économie individualiste de marché américaine jusqu’à l’économie collectiviste de marché chinoise en passant par des formes mixtes telles que l’économie sociale de marché allemande. Cette conception intermédiaire, appelée parfois aussi capitalisme rhénan par opposition au capitalisme anglo-saxon, a influencé fortement depuis 1958 la construction économique européenne. Les partisans du projet de traité constitutionnel actuellement en débat mettent généralement l’accent sur cette filiation, tandis que les adversaires estiment plutôt que ce projet entraîne l’Europe vers l’ultra-libéralisme et donc le modèle américain.<br />
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En tout cas, il n’est peut-être pas inutile, dans ce contexte, de rappeler, même succinctement, la genèse de l’économie sociale de marché . A son origine, il y a tout d’abord un groupe d’économistes: l’école de Fribourg, terme générique désignant l’ensemble des adeptes allemands du libéralisme économique, comme on a coutume de désigner les libéraux américains sous le terme générique d’école de Chicago. Ces économistes ont élaboré une doctrine que l’on appelle l’ordolibéralisme et qui est la référence intellectuelle, le modèle pur en quelque sorte, dont l’économie sociale de marché représente en partie l’application pratique, le système économique et social effectivement réalisé en Allemagne.<br />
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L’école de Fribourg<br />
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L’adhésion à l’économie de marché n’est apparue en Allemagne qu’au 20è siècle. Alors que la France ou la Grande-Bretagne ont élaboré ce qu’on a appelé le libéralisme économique dès la seconde moitié du 18è siècle et l’ont développé et adopté comme doctrine dominante tout au long du 19è et le début du 20è siècle, les plus grands économistes de ce temps étant tous adeptes de cette conception (Quesnay, Turgot, Smith, Ricardo, Walras, Mill, Marshall…), l’Allemagne s’est ralliée durant toute cette période, comme l’ont fait par la suite, sous des formes variées, pratiquement tous les pays en voie de développement, à une théorie économique historique et à un socialisme national associant dirigisme, protectionnisme et même déjà une certaine dose de collectivisme. C’est paradoxalement au cours de la dépression des années trente qu’est né le libéralisme économique allemand, et ce au moment même où il était abandonné au moins temporairement par la plupart des économistes en Grande-Bretagne, en France et même aux Etats-Unis au profit de l’interventionnisme conjoncturel ou même du dirigisme structurel et quand seule une minorité d’économistes continuaient à penser que la crise ne pouvait être due qu’à un dérèglement de l’économie de marché résultant de l’intervention désordonnée et incohérente depuis la fin de la Première Guerre mondiale d’une administration alors économiquement très incompétente.<br />
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En Allemagne, l’idée que, pour combattre la crise, il fallait d’abord rétablir la capacité optimale de fonctionnement du système, était à l’époque partagée par quelques jeunes économistes qui venaient de découvrir avec un vif intérêt la théorie économique classique, fort peu enseignée avant la guerre, et avec elle, la logique du fonctionnement de l’économie de marché. Mais à peine venaient-ils de s’engager dans le débat public en faveur de leurs idées, que l’avènement en 1933 du national-socialisme , prolongement extrême et dictatorial de l’ancien socialisme national, les condamna soit à la discrétion publique soit même à l‘exil. Mais ces contraintes s’avérèrent finalement bénéfiques en leur donnant tout le loisir de préciser leur pensée dans des études approfondies et aussi parce qu’elle les amena à mettre l’accent dans leurs publications sur la valeur instrumentale des libertés économiques et du marché et sur leur capacité à contribuer à l’établissement d’un ordre social valable.<br />
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L’appellation d’école de Fribourg provient du fait que les premiers et principaux économistes de cette orientation étaient principalement regroupés dans les années trente à l’Université de Fribourg en Brisgau, dans le sud-ouest de l’Allemagne, qui était d’ailleurs à l’époque l’un des haut lieux de la pensée allemande, avec notamment Husserl et Heidegger en philosophie et Carl Schmitt en droit, sans compter des Prix Nobel scientifiques.<br />
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Le principal maître du libéralisme économique allemand et qui n’aimait d’ailleurs pas trop cette qualification historiquement très marquée et souvent connotée négativement, fut Walter Eucken (1891-1950), curieusement très célèbre dans son pays mais fort peu connu ailleurs, sans doute en raison de son décès précoce. C’est lui qui rassembla à l’Université de Fribourg autour de ses recherches l’équipe nombreuse et active d’économistes et aussi de juristes et de sociologues qui constituèrent le noyau de l’école. C’est lui surtout qui écrivit les deux ouvrages qui sont la synthèse de toutes ces premières recherches et qui sont aujourd’hui considérés comme des classiques en Allemagne mais n’ont malheureusement pas été traduits en français: Die Grundlagen der Nationalökonomie (Les fondements de l’économie politique) (1940) et Die Grundsätze der Wirtschaftspolitik (Les principes de la politique économique) (posthume 1952).<br />
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Un autre maître important fut Wilhelm Röpke (1899-1966) qui, ayant dû quitter l’Allemagne en 1933, enseigna à l’Université de Genève, ce qui valut sans doute à certains de ses ouvrages d’être traduits en français: La crise de notre temps (1945), Civitas Humana (1946), Explication économique du monde moderne (1946), Au-delà de l’offre et de la demande (1961). Comme les titres de ses ouvrages l’indiquent déjà, cet auteur a une approche plus large, plus sociologique, des problèmes économiques. Alors que l’on peut résumer la pensée de Walter Eucken en disant que tous les désordres sociaux de notre temps ne sont que les symptômes superficiels d’une crise totale de notre économie, Röpke a au contraire affirmé que tous les désordres économiques de notre temps ne sont que les symptômes superficiels d’une crise totale de notre société. Il faudrait encore citer d’autres noms très connus en Allemagne, comme Alexander Rüstow, Franz Böhm, Leonhard Miksch, Alfred Müller-Armack…<br />
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L’école comprenait initialement une vingtaine de jeunes professeurs, assistants et chercheurs, rejoints après la guerre par ceux qui s’étaient exilés, principalement en provenance des universités de Genève et d’Istanbul, ainsi que par des économistes d’autres universités allemandes. Cette première génération a aujourd’hui entièrement disparu. Leurs disciples sont actuellement une centaine, généralement spécialisés dans l’enseignement de la politique économique et disséminés dans toutes les universités allemandes ou parfois autrichiennes et suisses, mais dont les recherches théoriques ou pratiques sont toujours principalement publiées dans la revue annuelle du groupe, éditée à Fribourg depuis 1948, intitulée Ordo et dont le nom a dès lors été adopté pour caractériser la version germanique du libéralisme économique. Outre ces universitaires, un grand nombre de hauts fonctionnaires, de journalistes et plus généralement d’anciens étudiants de ces professeurs adhèrent aux idées et participent aux réunions de ce groupe.<br />
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L’ordolibéralisme<br />
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L’ordolibéralisme est d’abord, comme son nom l’indique, un libéralisme, prônant la liberté économique, faisant confiance aux initiatives individuelles et aux mécanismes du marché et s’opposant donc à toutes les formes de socialisme et de dirigisme. C’est aussi un libéralisme du 20è siècle, se démarquant volontairement et systématiquement du paléo-libéralisme du 18è et du 19è siècles, c’est à dire du laisser faire et des conséquences économiques, sociales et politiques négatives d’une liberté sans règles ni limites.<br />
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En se référant plus précisément et explicitement à la notion d’ordo, empruntée à St. Augustin, c’est à dire à un ordre social idéal fondé sur les valeurs fondamentales de l’homme, les ordolibéraux entendent marquer nettement leur rupture avec la philosophie matérialiste et marxiste comme avec la philosophie utilitariste des anciens libéraux et leur adhésion à la tradition chrétienne ainsi qu’à la philosophie idéaliste allemande, dont le père de Walter Eucken, Prix Nobel, fut l’un des promoteurs au début du 20è siècle Dans cet esprit, ils considèrent qu’il ne s’agit pas seulement de libérer l’économie et d’accroître la richesse et le bien-être individuel et collectif, mais avant tout de créer un ordre économique et social valable. L’économie de marché, écrivait Röpke, est une condition nécessaire mais non suffisante d’une société libre, juste et ordonnée , qui était à ses yeux le véritable objectif. Et Rüstow était encore plus explicite quant à la primauté des valeurs sur les intérêts. Il y a infiniment de choses, affirmait-il, qui sont plus importantes que l’économie: la famille, la commune, l’Etat, le spirituel, l’éthique, l’esthétique, le culturel, bref l’humain. L’économie n’en est que le fondement matériel. Son objectif est de servir ces valeurs supérieures».<br />
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Organisation économique et sociale<br />
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Dans cette perspective, l’école ordolibérale insiste avant tout sur la nécessité de l’organisation économique et sociale, substituée à la direction par nature plus ou moins arbitraire de l’Etat dirigiste et interventionniste. L’idée centrale est l’établissement d’une Constitution économique et sociale déterminant les libertés mais aussi les règles auxquelles doivent se soumettre les opérateurs privés et publics. Entre la dictature du socialisme et l’anarchie du libéralisme ancien, il s’agit de créer un état de droit économique et social, cohérent avec un régime politique constitutionnel. Un peuple libre est celui qui est gouverné par la loi et non par l’arbitraire public ou privé. Pour les ordolibéraux, comme jadis pour Montesquieu et plus tard Kant, la liberté ne consiste pas à faire tout ce que l’on veut, mais à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir .<br />
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Par cette insistance sur les notions de Constitution et de loi, l’ordolibéralisme représente, dans le libéralisme contemporain, une variante volontariste et même constructiviste, à l’opposé des variantes ultra-libérales principalement angle-saxonnes. Il faut noter cependant qu’à partir de 1962, date à laquelle Hayek a repris à Fribourg la chaire occupée autrefois par Walter Eucken, la nouvelle génération des ordolibéraux a en partie évolué sous son influence dans un sens moins constructiviste et plus évolutionniste. Mais il reste un esprit globalement plus systématique et plus dogmatique que dans d’autres tendances libérales contemporaines et une certaine confiance dans l’Etat en tant qu’organisateur de l’activité économique, que les expériences de transformation volontaire des systèmes économiques dans les pays de l’Est européen, auxquelles certains ordolibéraux ont participé, ont encore ravivée.<br />
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Principes constituants<br />
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Pour construire un régime économique, il convient évidemment de s’appuyer sur la connaissance scientifique de la réalité. Dans son ouvrage théorique majeur fondé sur l‘analyse de tous les systèmes et politiques économiques déjà expérimentés au cours de l‘histoire, Walter Eucken a démontré qu’il n’y a que deux principes fondamentaux d’organisation économique: la subordination des plans individuels à un plan central et la coordination des plans individuels par un mécanisme de prix. L’analyse et l’expérience montrent aussi que ni les systèmes purs s’appuyant sur un seul de ces principes ni les multiples combinaisons de subordination et de coordination déjà réalisées dans le passé, comme tout récemment en Allemagne l’interventionnisme conjoncturel keynésien pratiqué par Schacht dès 1933 ou la planification sectorielle également pratiquée par le national-socialisme, n’ont pu donner pleine satisfaction. Il faut donc inventer une combinaison nouvelle véritablement satisfaisante sur le plan à la fois de l’efficacité économique et de la valeur humaine et cette solution ne peut être, selon Eucken, que le système concurrentiel dans lequel le processus économique est coordonné par le mécanisme concurrentiel des prix tandis que le cadre de ce processus est organisé par l’Etat. Ce système implique d’une part des principes constituants, à inscrire dans la Constitution du pays, et d’autre part des politiques ordonnatrices et régulatrices .<br />
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Les principes constituants fixent les règles du jeu de la vie économique et sociale: le principe de la liberté économique et donc l’établissement des libertés d’entreprise, de consommation, de production et d’échange; le principe de la solidarité sociale envers les exclus du système de production ou les catégories les plus démunies de la population; le principe de l’appropriation privée des moyens de production en tant que fondement de l’intérêt personnel pour le développement de la production; le maintien du libre accès au marché et de la libre concurrence, confié à une autorité autonome des monopoles et cartels, et la règle de la liberté réelle et non seulement formelle des contrats; le maintien de la stabilité monétaire, confié à une Banque centrale indépendante, condition d‘un calcul économique rationnel de la part des agents économiques et d‘une répartition non perturbée des revenus; le maintien de l’équilibre budgétaire, contribution de la plus grande entreprise nationale à l’équilibre économique global, et le financement par la dette des seuls investissements; la constance des politiques économiques, condition de la sûreté et stabilité des prévisions des agents économiques; et surtout le principe selon lequel toute mesure de politique économique et sociale doit satisfaire aux critères de conformité à la logique du système économique pour éviter toutes les incohérences de l’intervention publique qui sont généralement à l’origine des dysfonctionnements du système: conformité statique, c’est à dire le fait de pas entraîner de quelque manière la paralysie du mécanisme des prix, boussole indispensable du processus, et conformité dynamique, c’est à dire le fait de ne pas créer ou supprimer des structures ou des comportements nuisibles ou au contraire utiles à la concurrence et au développement de l’économie de marché.<br />
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Politiques ordonnatrices et régulatrices<br />
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En application ou en complément de ces principes constituants, des politiques d'organisation et de régulation du système doivent accompagner et faciliter l’évolution économique et sociale. Elles sont de trois types. D’abord une politique structurelle dont le rôle est de créer les conditions optimales d’une croissance potentielle élevée: création des infrastructures, politique de la recherche fondamentale, politique d’apprentissage et de formation professionnelle, politique de soutien des petites et moyennes entreprises pour assurer le renouvellement et l’intensité de la concurrence, politique d’aide à l’adaptation en cas de difficultés sectorielles transitoires mais exclusivement dans le sens indiqué par l’évolution du marché, politique de privatisation, politique de libéralisation internationale progressive mais aussi rapide que possible et enfin, avant tout, politique intense de préservation et promotion de la concurrence pour stimuler en permanence l’initiative et l’innovation au sein de l’économie.<br />
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La politique conjoncturelle doit se garder de toute nervosité devant le rythme cyclique, respiration normale de l’économie de marché. Elle doit donc être une politique de stabilité plutôt qu’une politique de stabilisation des fluctuations de l’activité: stabilité monétaire assurée par variation du taux d’intérêt et flottement du taux de change et politique d’équilibre budgétaire avec libre variation des stabilisateurs incorporés. Ce n’est qu’exceptionnellement, en cas de mouvements cumulatifs de dépression ou de surchauffe, qu’une action budgétaire ou réglementaire à court terme peut être envisagée.<br />
Enfin une politique sociale ou plutôt sociétale doit utiliser les progrès économiques pour façonner une société plus conforme aux aspirations humaines. C’est d’abord une politique de solidarité sociale, qui doit soutenir et assurer les catégories démunies de la population mais qui, sous peine de compromettre le dynamisme économique et de perdre son caractère redistributif, ne doit pas être générale mais marginale, c’est à dire limitée aux personnes vraiment nécessiteuses, subsidiaire, en fonction des possibilités de la solidarité familiale, et enfin décroissante avec l’élévation générale des revenus. La grande majorité des agents économiques doivent compter, quant à eux, sur leur travail, leur initiative et leur épargne pour améliorer sans cesse leur sort. C’est ensuite une politique de développement de l’épargne et de capitalisme populaire, une politique très active d’éducation et de culture, une politique de décentralisation aussi poussée que possible au profit des régions et des communes afin que les problèmes soient réglés au plus près des personnes concernées, enfin une politique de protection de l’environnement et du cadre de vie que les ordolibéraux ont sans doute été parmi les tout premiers à préconiser dès les années quarante.<br />
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Contrôles<br />
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Pour toutes ces interventions économiques et sociales s’applique le principe constituant de conformité au système visant à assurer la cohérence interne et l’efficacité durable, en évitant des effets secondaires pervers ou le déclenchement de spirales d’interventions compensatoires. En particulier, il est important de toujours soigneusement vérifier, en raison de l’interdépendance étroite entre l’ordre économique et l’ordre social, que des mesures économiques n’affectent pas négativement les objectifs sociaux et qu’à l’inverse, des mesures sociales ne faussent pas les mécanismes du marché et n’affaiblissent pas ainsi le dynamisme économique. Si l’ordre social a la primauté sur le système économique au plan des finalités, celui-ci est à son tour prioritaire par rapport à la politique sociale au plan des moyens. La croissance économique assure automatiquement le progrès social en accroissant la richesse moyenne et en améliorant de ce fait la capacité des personnes à assurer leur propre bien-être, leur sécurité et la solidarité avec leurs proches. Elle constitue donc par elle-même la toute première et la meilleure politique sociale.<br />
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Il est naturellement tout à fait essentiel que, sauf dans les cas de solidarité sociale, l‘Etat n‘intervienne en aucun cas au bénéfice d‘intérêts particuliers coalisés et ne cède pas aux pressions d’organisations professionnelles ou syndicales généralement fort peu soucieuses de l‘intérêt général. Le meilleur moyen pour y parvenir est de se donner pour règle de privilégier systématiquement l’intervention par la voie de législations de caractère général plutôt que par la voie de mesures administratives ponctuelles. Un autre moyen non négligeable, dans une démocratie parlementaire, est d’opposer à tous les lobbies la force des idées. Ceci amène l’école à préconiser la création d’une sorte de quatrième pouvoir à côté des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire traditionnels, le pouvoir intellectuel sous forme de Conseils scientifiques institutionnalisés auprès de toutes les instances de décision. Ce pouvoir paraît naturellement plus apte que par exemple un Conseil économique et social représentant les organisations économiques et sociales à fournir à l’Etat des analyses et des conseils désintéressés. La tâche de ce pouvoir, à côté de sa fonction d’étude et de conseil, serait justement de révéler et ainsi de neutraliser les pressions d’intérêts particuliers et de contribuer à la formation d’un accord collectif autour des exigences d’intérêt général. Le pouvoir scientifique devrait donc avoir pour rôle d’assurer à la fois la cohérence de l’Etat et le consensus de la société.<br />
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L’économie sociale de marché<br />
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Bien qu’ils aient été convaincus de la valeur intellectuelle et opérationnelle de leur doctrine, les partisans de l’ordolibéralisme ne s’attendaient pas, au lendemain de la guerre, à avoir une influence rapide sur la politique économique et sociale de leur pays, parce que l’opinion publique y était encore à l‘époque, comme d’ailleurs dans les puissances occupantes, largement favorable aux idées anti-libérales et même anti-capitalistes. Les premiers programmes élaborés par les nouveaux partis politiques démocratiques traduisaient cet état de choses: christianisme social et même socialisme chrétien dans le premier programme du parti chrétien-démocrate CDU et socialisme marxiste ou démocratique dans celui du parti social-démocrate SPD. Mais, par suite d’une série de hasards, c’est un directeur d’institut économique proche de leurs idées et politiquement indépendant, Ludwig Erhard, qui fut désigné en 1948 comme ministre de l’économie par les autorités d’occupation. Celui-ci les fit entrer en force dans le Conseil scientifique qu’il constitua immédiatement auprès de lui. Certains d’entre eux devinrent députés, d’autres hauts fonctionnaires. Ce fut notamment le cas du Professeur Alfred Müller-Armack, qui fut d’abord nommé directeur de la politique économique au Ministère de l’économie avant de devenir en 1958 secrétaire d’Etat chargé des questions européennes.<br />
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A toutes ces fonctions les ordolibéraux purent œuvrer activement à l’élaboration et au développement du nouveau système économique et de la nouvelle politique économique allemande. Ils n’eurent par contre presque aucune influence sur la conception du nouveau système social et de la nouvelle politique sociale de l’Allemagne. Ceci indique clairement la différence fondamentale entre ordolibéralisme et économie sociale de marché. Bien que cette appellation, proposée par Alfred Müller-Armack, pour marquer la synthèse entre liberté économique et solidarité sociale, et ensuite adoptée et popularisée par les responsables politiques, exprimait assez bien la conception ordolibérale, le système économique et social allemand n’a jamais été et n’est toujours pas l’application parfaite de cette doctrine. Il a en effet été conçu dès le départ par les autorités politiques comme un système hybride, comportant d’une part une composante économique relevant, quant à elle, essentiellement de la doctrine ordolibérale et d’autre part une composante sociale relevant principalement d’autres inspirations. C’est en outre un système évolutif en perpétuelle transformation, une transformation qui l’a tantôt éloigné tantôt rapproché de l’ordolibéralisme, en fonction à la fois de l’évolution des problèmes économiques et sociaux, des grandes mutations idéologiques et surtout des alternances politiques intervenues depuis 1948. Il est donc indiqué d’en faire une présentation historique plutôt qu’une synthèse prématurée, en distinguant les quatre périodes politiques majeures qui ont marqué l’évolution du système.<br />
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La fondation<br />
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La première période, que l’on peut qualifier de fondatrice, se situe entre 1948 et 1966, avec une majorité chrétienne-démocrate. Elle est marquée par la forte personnalité de Ludwig Erhard, d’abord comme ministre de l’économie sous le chancelier Adenauer, puis comme chancelier lui-même.<br />
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Après la réforme monétaire voulue par les Alliés, Erhard impose immédiatement, contre l’avis des Alliés mais sur proposition de son Conseil scientifique, une large libéralisation des prix et le rétablissement quasi général du mécanisme des prix pour la direction de l’activité économique. Après quelques mois de difficultés intenses et de contestations politiques virulentes, l’économie se redresse spectaculairement et produit ensuite pendant plus d’une décennie des résultats économiques et sociaux spectaculaires, qui valent à Erhard d’être appelé le père du miracle économique allemand . En 1949, la nouvelle Loi fondamentale allemande ratifie cette orientation en constitutionalisant les principales libertés économiques et un certain nombre de principes sociaux. Saisie par la suite par l’opposition, la Cour constitutionnelle a considéré, dans une décision célèbre en Allemagne, que la Loi fondamentale n’imposait pas une interprétation strictement ordolibérale, mais excluait toute forme d’économie qui ne soit pas une économie de marché et une société de solidarité. Comment ne pas songer aux débats actuels autour du projet de traité constitutionnel européen?<br />
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En quelques années, les principales institutions ou politiques souhaitées par les ordolibéraux sont mises en place: Banque centrale indépendante, Office des cartels avec cependant une loi édulcorée sous la pression du patronat sur les pratiques anti-concurrentielles, libération rapide et parfois unilatérale des échanges extérieurs, privatisation progressive des grandes entreprises publiques, institution du Conseil d’experts universitaires. A l’exception des secteurs de l’agriculture, des mines et de la construction toujours dirigés, les principales politiques structurelles et sociétales (formation professionnelle, soutien des Pme, promotion de l’épargne salariale et du capitalisme populaire, allocation sociale de base relevant des communes, décentralisation, etc.) sont conformes aux souhaits ordolibéraux. C’est surtout la politique conjoncturelle qui leur donne pleine satisfaction, avec une stabilité monétaire quasi parfaite et un budget généralement excédentaire.<br />
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En revanche, le système et la politique sociale relèvent plutôt de traditions anciennes ou d’une inspiration chrétienne-sociale. En consacrant dans la Constitution la liberté de coalition, principe profondément anti-libéral, l’Allemagne a établi comme ailleurs le pouvoir des organisations patronales et syndicales et la dénaturation du marché du travail par les négociations collectives. Durant la période de reconstruction et d’afflux de millions de réfugiés, les partenaires sociaux ont utilisé leur pouvoir monopolistique de manière modérée, mais dès la fin de cette période, des revendications sociales croissantes, au-delà des progrès de productivité, ont engendré des tensions inflationnistes de plus en plus difficiles à maîtriser sans freinage délibéré de l’activité. D’autre part, le rétablissement de la sécurité sociale traditionnelle, obligatoire et paritaire ainsi que l’institution de la cogestion paritaire dans les industries du charbon et de l’acier et de la cogestion non paritaire dans les autres secteurs, la limitation du droit de licenciement, l’institution d’une retraite dynamique, etc. ont également écarté fortement le système social allemand de la doctrine ordolibérale. Si celle-ci a indiscutablement un fondement philosophique chrétien, sa conception de l’organisation sociale diffère très sensiblement de celle du christianisme social.<br />
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L’économie sociale de marché est un compromis entre deux logiques distinctes et, comme tout compromis de cette sorte, il arrive fatalement un moment où le manque de cohérence se révèle dans un dysfonctionnement majeur. La première récession de l’Allemagne d’après-guerre met le système à l’épreuve en 1966. Celle-ci, fort bénigne en réalité selon les critères actuels, est très mal perçue par un pays habitué aux performances exceptionnelles du miracle économique allemand . En dépit de sa grande popularité, le refus tout à fait cohérent d’Erhard de traiter cette défaillance d’un système hybride par une politique de relance de la demande globale sera l’une des causes de sa chute et, peu après, de la première alternance politique.<br />
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La dérive<br />
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La seconde phase de l’économie sociale de marché, qui s’étend de 1966 à 1982, correspond donc à la prise de pouvoir par le parti social-démocrate et sera marquée, dans le domaine économique et social, par l’influence de deux hommes: Karl Schiller, ministre de l’économie sous le chancelier Willy Brandt, et Helmut Schmidt, ministre des finances puis chancelier. C’est une période qui va accentuer la dérive du système par rapport à la doctrine ordolibérale. Si le SPD a bien répudié son vieux programme marxiste de 1925 et adhéré officiellement à l’économie sociale de marché lors de son fameux congrès de Bad Godesberg en 1959, il entend en modifier assez sensiblement certains aspects.<br />
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Sur le plan du système économique, les sociaux-démocrates vont d’abord faire voter quelques lois visant à renforcer la politique de concurrence, que les ordolibéraux avaient souhaitées et que les chrétiens-démocrates n’avaient pu ou voulu imposer: contrôle des fusions, sanction accrue des positions dominantes, interdiction des ententes, etc. Ils décident aussi, en 1971, la flexibilité du taux de change, comme le souhaitaient les ordolibéraux, mais l’abandonnent à nouveau, en 1979, avec la création du Système monétaire européen, il est vrai, sous domination du deutschmark. Mais le changement le plus important concerne la politique de stabilité conjoncturelle dans un sens tout à fait anti-libéral, avec le vote en 1967 d’une grande loi de promotion de la stabilité et de la croissance , qui introduit en Allemagne la conception keynésienne de l’orientation globale par la programmation à moyen terme et la modulation discrétionnaire à court terme des budgets publics ainsi que la conception post-keynésienne de la concertation globale entre pouvoirs publics et partenaires sociaux. La politique d’intervention structurelle est également très accentuée, surtout après la survenance de la crise économique mondiale en 1975.<br />
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Enfin, sur le plan social, la croissance des indemnités de chômage et le renforcement des freins aux licenciements rigidifient le marché du travail, tandis que l’extension de la cogestion paritaire à toutes les entreprises et coopératives de plus de 2000 salariés, la généralisation de la sécurité sociale et surtout l’expansion massive et continue des dépenses publiques et des transferts sociaux, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, traduisent l’irruption de la conception welfariste social-démocrate dans la structure du système. Cet Etat-providence, une politique sociale tendant à socialiser dans une large mesure la satisfaction des besoins sociaux et l’extension des transferts sociaux à des personnes parfaitement capables d’assurer tous ces besoins par leurs propres moyens est évidemment profondément contraire aux principes de l’ordolibéralisme<br />
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Les sociaux-démocrates allemands étaient alors profondément convaincus que ces réformes permettraient d’établir une économie sociale de marché moderne et pleine d’avenir. J’estime, écrivait le Professeur Schiller, que cette synthèse de la conception ordolibérale de l’économie de marché pour régler les relations microéconomiques d’une part, et de la politique keynésienne pour l’orientation des grandeurs macroéconomiques d’autre part, liée à une "welfare policy" moderne est la seule et unique réponse convaincante aux changements économiques et sociaux de notre temps .<br />
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En fait, cette synthèse s’avéra bientôt inefficiente et même perverse. La politique macroéconomique et la concertation sociale ne permirent nullement d’éviter la surchauffe et l’inflation croissante du début des années 70 ni la dépression et le chômage croissant consécutifs aux chocs pétroliers de 1975 et 1979. L’action concertée tomba en désuétude dès le milieu des années 70 et la politique macroéconomique ainsi que le relâchement de la discipline budgétaire aboutirent, au début des années 80, à un déficit budgétaire et à une dette publique élevés. Enfin, l’énorme extension de l’Etat-providence, faisant passer la part des prélèvements publics d’un tiers en 1966 à près de la moitié du PIB en 1982, démontra ses effets pervers: freinage de l’initiative et de l’efficacité économiques par le poids des charges et limitation de la solidarité sociale par la généralisation même de la redistibution des revenus. Un changement d’orientation paraît dès lors indispensable. Il entraîne une nouvelle alternance politique.<br />
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La restauration<br />
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Une troisième phase de l’économie sociale de marché débute donc en 1982 et s’étend jusqu’en 1998. Elle est placée par la CDU et le chancelier Helmut Kohl sous le signe du virage et donc du retour aux principes de la période fondatrice et de Ludwig Erhard en vue de renouer avec les succès économiques et sociaux de ce qui avait été appelé le miracle allemand . Les événements politiques et sans doute aussi les résistances sociales empêcheront la pleine réalisation de ce projet. <br />
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Le changement par rapport à la période social-démocrate sera très net sur le plan macroéconomique, avec l’abandon immédiat et total de la conception keynésienne de la politique conjoncturelle discrétionnaire à court terme et le retour à la politique classique de stabilité monétaire et à l’effort de rétablissement de l’équilibre budgétaire ainsi qu’à une politique fiscale visant à réduire la part des prélèvements publics dans le PIB. Les résultats économiques sont excellents jusqu’au début des années 90. Mais la nouvelle orientation budgétaire se trouvera fortement handicapée à partir de 1989-90 par les lourdes charges de la réunification. Il y aura aussi quelques tentatives de retour à la concertation macroéconomique, contraire aux principes ordolibéraux, sous forme d’alliance pour l’emploi entre l’Etat et les partenaires sociaux, mais sans résultats tangibles. Les difficultés plus importantes que prévu du redressement économique de l’ex-RDA maintiendront aussi un interventionnisme structurel et une multitude de subventions contraires à tous les principes ordolibéraux. <br />
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Sur le plan social, le changement est encore moins net. Quelques réformes ont tenté d’inverser l’évolution des charges sociales, telles que la réduction de certaines indemnités de chômage, l’élévation de l’âge de la retraite ou le contrôle médicalisé des dépenses de santé, mais d’autres nouvellement introduites, comme l’allocation-dépendance, les ont par contre augmentées. On peut noter aussi une incitation accrue à l’épargne salariale et une relance du capitalisme populaire ainsi que quelques mesures de flexibilisation du marché du travail. Mais aucune réforme sociale radicale dans le sens libéral n‘a eu lieu, la nécessité du consensus social ou fédéral s’avérant souvent un facteur de freinage de l’innovation. Le mécontentement suscité par le poids très lourd des transferts économiques et sociaux effectués au bénéfice des Länder de l’Est (environ 4% du PIB annuellement) et la hausse inexorable du chômage finissent par entraîner une nouvelle alternance politique. <br />
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La réforme<br />
<br />
Cette dernière phase de l’économie sociale de marché a vu le retour au pouvoir du parti social-démocrate allié aux Verts sous l’autorité du chancelier Gerhard Schröder de 1998 à nos jours.<br />
<br />
La nouveauté importante de cette période est l’établissement à partir du 1 janvier 1999 de l’union économique et monétaire européenne et donc de l’européanisation de la politique économique allemande comme de celle des autres pays membres de la zone euro. Dorénavant, c’est la Banque centrale européenne qui détermine la politique monétaire et c’est le Pacte de stabilité et de croissance qui encadre la politique budgétaire du pays. L’Allemagne n’a donc plus la possibilité de modifier, comme ce fut le cas dans le passé, son orientation macroéconomique, à moins bien entendu d’obtenir l’accord de ses partenaires européens. C’est précisément ce qui s’est produit lors du Sommet européen de mars 2005 où la France et l’Allemagne ont obtenu un certain assouplissement du Pacte de stabilité qui avait pourtant été établi, et c’est un des paradoxes de l’évolution européenne récente, précisément à la demande de l’Allemagne sous la précédente majorité. Sous réserve de cette entorse, essentiellement due à la charge budgétaire persistante de la réunification, le gouvernement allemand actuel n’a jamais manifesté, en dépit de la faiblesse constante de la croissance et du chômage massif, le désir de modifier sensiblement la composante économique de l’économie sociale de marché, à laquelle les sociaux-démocrates allemands semblent à présent durablement ralliés. <br />
<br />
Un autre paradoxe de l’évolution récente est que ce gouvernement social-démocrate s’est engagé dans un processus actif de réforme du système social, qu’il va jusqu’à remettre en question l’Etat-providence et qu’il affirme à présent de nouveaux principes qui se rapprochent beaucoup des règles ordolibérales en matière sociale: priorité de la production par rapport à la redistribution et surtout responsabilité et initiative individuelles au lieu de protection collective et assistance publique. Dans cette perspective, des réformes du marché du travail introduisent davantage de flexibilité en réduisant la protection légale contre les licenciements, en imposant aux chômeurs de longue durée la justification d’un refus d’emploi et en diminuant les prestations en cas de refus non justifié, en créant des mini-jobs et autres formules détaxées, en transformant les agences pour l’emploi en agences de placement, etc. Une réforme du système de santé augmente la ponction sur les assurés et diminue le nombre de prestations remboursées. Une réforme des retraites élimine la plupart des cas de pré-retraite avant l’âge légal de 65 ans, atténue sensiblement la retraite dynamique en établissant une relation entre le nombre des retraités et celui des cotisants en baisse régulière du fait de l’évolution démographique et développe l‘incitation à accroître la retraite par capitalisation. Le résultat d’ensemble recherché est évidemment d’un côté d’abaisser le coût du travail en vue de réduire le chômage et d’un autre côté d’inciter l’ensemble des salariés à exercer davantage leur initiative pour garder ou retrouver un travail et pour s’assurer par l’épargne une protection de vie convenable. Il y a incontestablement une rupture avec les anciennes idées et les pratiques sociales antérieures. <br />
<br />
Une autre évolution importante des idées concerne la conception de la justice sociale. C’est ainsi que le chancelier Schröder a déclaré que l’égalité ne pouvait plus être un objectif de l’Etat, qu’une politique juste devait accepter l’inégalité et qu’il ne fallait par conséquent plus parler de justice sociale mais simplement de justice. L’objectif de l’Etat n’impliquerait donc plus l’égalisation des conditions sociales indépendamment des performances individuelles, mais l’égalité des chances et la reconnaissance des performances individuelles. Pour obtenir cette égalité des chances, il conviendrait essentiellement aujourd’hui d’offrir à tous l’égalité d’accès à l’éducation et à la culture, ce qui est d’ailleurs aussi, dans l’économie contemporaine de la connaissance et de l’information, la principale clé du développement économique et le moyen préventif d’éviter toute exclusion sociale. D’où une politique beaucoup plus active de l’éducation. Relevant ce défi, divers Länder dirigés par les chrétiens-démocrates se sont engagés récemment dans une politique de financement accru mais de plus en plus privé de leurs universités, que le gouvernement a cependant voulu empêcher mais que la Cour Constitutionnelle vient de déclarer conforme aux principes constitutionnels. <br />
<br />
Enfin, il convient de relever, indépendamment de l’action du gouvernement actuel, l’évolution sensible des relations sociales sous l’influence de la compétition mondiale, de la désindustrialisation ou de la crainte de délocalisations. Si le gouvernement a décidé une certaine extension légale de la cogestion et a souhaité développer la concertation des partenaires sociaux, en pratique on assiste à une sensible régression de ces formes traditionnelles de relations sociales en Allemagne. Faute de demande de la part des salariés concernés, la cogestion tombe en désuétude dans beaucoup d’entreprises et nombre d’entre elles substituent des accords d’entreprise ou même des contrats individuels de travail aux conventions collectives. Le taux de syndicalisation est d’ailleurs en forte baisse, alors qu’on aurait pu s’attendre à une évolution inverse en période de crise économique et sociale, et il en est de même en ce qui concerne l’adhésion aux organisations patronales, ce qui est déjà plus compréhensible. Ces partenaires sociaux sont même souvent considérés par l’opinion publique comme coresponsables de la crise et comme des obstacles à la flexibilité des salaires et de la durée du travail nécessaire à la sauvegarde des emplois, souci principal des salariés. Cette évolution n’est-elle liée qu’à la peur du chômage ou risque-t-elle d’être durable parce qu‘elle résulterait d‘une croissante individualisation de la société allemande? L’avenir le dira. <br />
<br />
Au terme actuel de son évolution depuis plus d’un demi-siècle, on peut constater pour finir que l’économie sociale de marché allemande demeure toujours un système hybride, combinant un certain libéralisme économique et un certain modèle social dont on peut se demander s’ils sont complémentaires ou au contraire à la longue incompatibles. Mais il y a indiscutablement en ce moment, sous l’influence d’une crise économique et sociale persistante et de l’évolution concomitante des idées, une remise en question profonde de la composante sociale du système dans un sens qui tend à rapprocher celle-ci, comme auparavant la composante économique, de sa conception théorique dans l’ordolibéralisme. Il sera intéressant et instructif d’observer l’effet de ces réformes sur l’évolution économique et sociale allemande.<br />
<br />
<br />
Pour plus de détails sur la conception doctrinale et la période initiale de l’économie sociale de marché en Allemagne, on peut consulter l'ouvrage de François Bilger: La pensée économique libérale dans l’Allemagne contemporaine , publié en 1964 et malheureusement épuisé depuis longtemps, mais consultable dans les principales bibliothèques. <br />
</div></div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Dean_Ahmad:Que_savez-vous_de_l%27islam_%3FDean Ahmad:Que savez-vous de l'islam ?2023-10-16T07:49:42Z<p>Lexington : </p>
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<div>{{titre2|Présentation des idées de Dean Ahmad|Texte d'Henri Lepage|}}<br />
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Que savez-vous donc de l'Islam, si ce n'est que c'est la patrie du terrorisme international ? Que savez-vous de la Charia, hormis que c'est ce qui opprime les femmes dans les pays arabes ? C'est ainsi que les média présentent le monde musulman. Mais faut-il en conclure que cette image simpliste de l'Islam correspond à la réalité ?<br />
<br />
Imad Ahmad, président du Minaret of Freedom Institute, fondé en 1993, s'insurge contre cette vision répandue de l'Islam. Basé à Bethesda dans la banlieue de Washington D C, le MFI se veut un lieu de rencontre et de réflexion réunissant des musulmans partisans du libéralisme et de l'économie de marché.<br />
<br />
Imad Ahmad, astronome de formation, travaille par ailleurs comme consultant en informatique et études spatiales pour la NASA. Intellectuellement, c'est un disciple d'Ayn Rand, la philosophe libertarienne américaine dont il a dévoré les ouvrages lorsqu'il était étudiant. Il est l'auteur de plusieurs textes de fond sur les rapports entre l'Islam et le libéralisme moderne, rapprochant en particulier le droit coranique et l'Etat de droit occidental. Il s'y applique à dénoncer l'amalgame systématique entre l'Islam et le terrorisme commis en son nom, et fait remarquer que le militantisme islamiste est aussi éloigné des préceptes du Coran que l'étaient au Moyen-Age l'Inquisition et le véritable message chrétien.<br />
<br />
"La perspective islamique de l'économie politique, explique-t-il, est finalement semblable à la vision libérale classique occidentale, car elles trouvent toutes deux leurs racines dans ce qu'on appelle habituellement l'héritage arabe".<br />
<br />
Les Croisés occidentaux ont imposé à la société européenne, à la suite des croisades du 11ème, 12ème et 13ème siècles, l'influence de certaines idées de la civilisation musulmane. Ces idées se sont peu à peu incorporées dans notre civilisation, notamment par le biais de la Magna Carta, que le roi Jean dut signer en 1215, sous la contrainte des seigneurs anglais. La défaite des Maures en Espagne en 1492 marqua ensuite le début de la Renaissance en Europe, alors que le monde musulman, après avoir connu une ère d'exploits scientifiques et philosophiques, commençait son déclin. Ainsi, une bonne partie des idées libérales classiques que l'on retrouve chez les scolastiques espagnols du 15ème siècle remonteraient en réalité à l'influence des courants de pensée islamiques.<br />
<br />
Beaucoup croient que la science moderne est apparue soudainement en Europe à l'époque de la Renaissance . En réalité, elle a connu une longue gestation au cours de l'ère islamique classique, avant d'être reprise par la civilisation européenne. L'économiste Murray Rothbard a mené des recherches pour retrouver les origines du libéralisme classique. Il a remonté la filière jusqu'à l'Espagne du 16ème siècle, où il a arrêté ses recherches. Or nous savons que l'Espagne du 16ème siècle a hérité des connaissances de l'Espagne islamique du 15ème siècle...<br />
<br />
Ahmad considère que bon nombre des principes fondateurs de la civilisation occidentale, telle que la liberté de l'individu par rapport à l'Etat et la propriété privée, doivent en partie leur renaissance à cet héritage arabe ramené en Europe, et largement diffusé au 16ème siècle, notamment par l'Ecole de Salamanque. Le pouvoir politique doit se borner à veiller au respect des lois divines, telles qu'elles sont décrites par le Coran et par Mahomet, explique-t-il : "Les hommes ne doivent obéissance qu'à Dieu ; ainsi, il ne peut y avoir de limites à la liberté".<br />
<br />
Comprendre la pensée islamique suppose de reconnaître que le système juridique musulman - la Charia - est une nomocratie. Ce n'est ni une théocratie (législation cléricale), ni une démocratie (au sens d'un processus de décision à la majorité). Le principe fondamental de l'islam est que tout être humain est directement responsable devant le Tout-Puissant. Puisqu'on considère que la loi divine est objective (comme le droit naturel occidental), l'homme doit obéissance au droit divin - la Charia - et non aux autres hommes, ni aux assemblées politiques. Politiquement, l'Islam correspond donc à des principes que l'on retrouve dans la notion occidentale d'Etat de droit.<br />
<br />
Ahmad s'interroge également sur le sens de la démocratie : ce terme recouvre en Occident une ambiguïté qui devient particulièrement déroutante lorsque des arabes et des musulmans l'adoptent. D'un côté, nous faisons référence à la démocratie pour désigner certains mécanismes du processus électoral ; de l'autre, la démocratie est indissociablement liées à des valeurs telles que l'égalité politique, les droits de l'homme, l'Etat de droit, etc. Or on peut démontrer que ces notions se retrouvent dans la tradition islamique.<br />
<br />
Sur la notion d'Etat de droit : "Je ne dis pas qu'elle n'existait pas auparavant, par exemple dans le Judaïsme mais, comme l'a noté à juste titre [https://www.wikiberal.org/wiki/Rose_Wilder_Lane Rose Wilder Lane], l'Islam fut la première religion à fonder une civilisation sur la notion d'Etat de droit dérivé d'une loi fixe et universelle". Alors, puisque, comme l'expliquait F A Hayek, la liberté ne prospère que là où existe l'Etat de droit, l'Islam devrait être le berceau d'une société de liberté...<br />
<br />
La loi islamique ne stipule pas l'existence d'élections, mais nous savons que Abou Bakr, le premier calife de l'Islam, fut élu. Il n'est donc pas juste d'affirmer que le processus électoral démocratique n'a pas droit de cité dans l'Islam. Il en fait partie depuis toujours.<br />
<br />
Certes, la plupart des régimes arabes sont extrêmement anti-démocratiques, mais cela ne vient pas de l'influence islamique, et ne reflète aucune oppression qui serait inhérente à la culture arabe. "Rappelons que le Liban moderne était à une certaine époque considéré comme une démocratie. Le système n'était pas sans failles, mais celles-ci avaient été introduites dans la constitution par les pouvoirs coloniaux. L'instabilité de son système politique était une conséquence de ce qu'on avait infligé au pays, mais pas d'une faiblesse intrinsèque du peuple ou de sa culture d'origine."<br />
<br />
D'autre part, Ahmad conteste la doctrine des "fondamentalistes" musulmans. Les "fondamentalistes" chrétiens sont ceux qui considèrent que la Bible est à la fois infaillible et qu'elle doit être suivie au pied de la lettre. Mais en ce qui concerne les musulmans, cela n'est pas possible : tout musulman considère que le Coran est infaillible. Cependant, le Coran se veut en partie allégorique, ce qui signifie que seul compte le sens de ces allégories. Appliquer ce texte d'une façon absolument littérale reviendrait donc à ne s'attacher qu'à l'image donnée, et pas à son sens. On s'écarterait alors des principes fondamentaux de l'Islam.<br />
<br />
Appliquer le terme "fondamentalisme" aux musulmans revient ainsi à mettre dans le même sac extrémistes, militants traditionalistes sectaires, et les véritables fondamentalistes au sens originel du mot, c'est-à-dire ceux qui prônent un retour aux valeurs fondatrices de l'Islam. Or le principe fondamental de l'Islam est qu'il n'y a qu'un Dieu, et que personne ne doit être adoré à part Dieu. Les hommes ne doivent soumettre leur volonté à personne sauf à Dieu, c'est-à-dire à aucune autorité arbitraire. On ne doit obéissance qu'à celui qui a raison. Comme l'a exprimé Abou Bakr lors de son accession au califat : "Si je fais bien mon devoir, aidez-moi. Si je m'égare, corrigez-moi. L'honnêteté, c'est la fidélité ; le mensonge, c'est la trahison." Celui qui est fondamentaliste selon cette acception, explique Ahmad, devrait pouvoir résister facilement à la tentation d'abandonner la nomocratie de la Charia au profit de programmes étatistes.<br />
<br />
L'Islam n'est donc pas opposé en soi à l'esprit démocratique. Mais à la lueur des faits, on se demande si le libéralisme convient vraiment au monde arabe...<br />
<br />
"Depuis toujours, je considère que la majorité des arabes et des musulmans sont au plus profond d'eux-mêmes des libéraux classiques", répète Ahmad. "Malheureusement, les exigences pressantes de la lutte anticolonialiste ne nous ont pas permis de nous intéresser à ces problèmes, ni d'examiner comment un ordre libéral pourrait profiter à tous au Moyen-Orient. Par exemple, il existe actuellement une opportunité formidable de créer une zone de libre-échange en Palestine. Un développement privé de l'infrastructure fournirait deux avantages majeurs aux Palestiniens. D'abord, cela assurerait leur indépendance par rapport à Israël ; ensuite, elle pourrait se développer en l'absence d'intervention d'une administration publique pleinement achevée et intégrée. L'absence d'interférence d'une structure administrative pourrait même être un atout non négligeable."<br />
<br />
Cela demanderait certes l'existence d'une loi, mais ce n'est pas un problème insurmontable: la loi islamique existe ; la jurisprudence islamique représente plus de mille ans de développement. Il faut relever le défi d'interpréter ou de réinterpréter la charia dans le contexte moderne, mais la mise en place de la loi islamique, d'après Ahmad, serait plutôt une solution plus simple que d'autres alternatives.<br />
<br />
C'est dans cette optique qu'Ahmad espère voir le Minaret of Freedom Institute jouer le rôle de catalyseur de réflexions et discussions à la mesure du défi envisagé :<br />
<br />
"Pour remplir les obligations que le Coran et le Sunna imposent aux musulmans, la mission du Minaret of Freedom Institute consiste à découvrir et à faire connaître les implications de la loi islamique (Charia) et leurs conséquences sur le bien-être économique de la communauté, à favoriser le libre-échange et la justice (objectif essentiel commun à l'Islam et à l'Occident), à sensibiliser les leaders religieux islamiques aux sciences économiques et au fait que la liberté est une condition nécessaire, mais non suffisante, de la création d'une bonne société, et à mener une lutte sainte (jihad) contre toute forme de tyrannie sur l'esprit humain."<br />
<br />
En Arabe, jihad signifie lutte sainte - et non guerre sainte, comme le traduisent souvent, à tort, les média - contre toute forme de tyrannie sur l'esprit humain, dit Ahmad. Le concept voisin d'ijtihad - la recherche indépendante du savoir - vise à soutenir la jihad. Pour le Minaret of Freedom Institute la poursuite de l'un passe par la recherche de l'autre. On est bien loin de l'image simpliste et agressive de l'Islam aujourd'hui à la mode dans les média...<br />
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</div></div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Lysander_Spooner:La_constitution_n%27a_nulle_autorit%C3%A9Lysander Spooner:La constitution n'a nulle autorité2023-10-10T06:48:48Z<p>Lexington : </p>
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<div>{{Infobox Lysander Spooner}}<br />
{{titre2|Lysander Spooner:La constitution n'a nulle autorité|La constitution n'a nulle autorité|}}<br />
<div class="text"><br />
<br />
La Constitution n’a nulle autorité ou obligation qui lui soit inhérente. Elle n’a nulle autorité ou obligation quelle qu’elle soit, si ce n’est comme contrat entre un homme et un autre. Or, elle ne prétend même pas être un contrat entre personnes actuellement vivantes. Au plus, elle prétend être un contrat conclu entre des personnes qui vivaient il y a quatre-vingts ans. Encore ne peut-on lui supposer alors la qualité de contrat qu’entre des personnes qui avaient déjà atteint l’âge du discernement, de manière à être aptes à faire des contrats raisonnables et qui les obligent. En outre, l’histoire nous l’apprend, seule une faible portion des personnes qui vivaient alors ont été consultées sur le sujet, ou interrogées, ou autorisées à exprimer leur accord ou leur désaccord de façon quelque peu formelle. Les hommes, s’il y en eut, qui donnèrent bien leur accord formel sont tous morts aujourd’hui. Pour la plupart, ils sont morts depuis quarante, cinquante, soixante ou soixante-dix ans. Et la Constitution, parce qu’elle était leur contrat, est morte avec eux. Ils n’avaient ni le pouvoir naturel ni le droit naturel de rendre cette Constitution obligatoire pour leurs enfants. Non seulement il est absolument impossible, selon la nature des choses, qu’ils lient leur postérité, mais ils ne tentèrent même pas de le faire. Autrement dit, ce document ne prétend pas être un accord entre qui que ce soit sinon entre « les hommes » alors vivants ; il ne revendique pas non plus pour ces hommes, ni expressément ni implicitement, aucun droit, pouvoir ou désir de lier qui que ce soit d’autre qu’eux-mêmes. Voici son langage :<br />
<br />
« Nous, gens des États-Unis [autrement dit, les gens vivant alors aux États-Unis], en vue de former une union plus parfaite, de renforcer la tranquillité à l’intérieur, de pourvoir à notre commune défense, de promouvoir le bien-être général et d’assurer à nous-mêmes et à notre postérité les bienfaits de la liberté, ordonnons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d’Amérique. »<br />
<br />
En premier lieu, il est clair que par ces termes l’accord en tant qu’accord ne prétend pas être autre chose que ce que réellement il est, à savoir un contrat entre des gens alors vivants ; et qui nécessairement ne lie, en tant que contrat, que les gens qui vivent alors. En second lieu, la formulation n’exprime ni n’implique que ceux-ci aient eu la moindre intention ou désir d’obliger leur « postérité » à vivre sous cette loi, ni qu’ils se soient imaginés revêtus du moindre droit ou pouvoir d’en user ainsi. La formule ne dit pas que leur « postérité » vivra, voudra ou devra vivre sous cette loi. Elle dit seulement, en fait, qu’en adoptant cette Constitution leurs espoirs et leurs motifs étaient qu’elle s’avérerait sans doute utile non seulement à eux-mêmes mais aussi à leur postérité, parce qu’elle promouvrait son union, sa sécurité, sa tranquillité, sa liberté, etc.[…] <br />
<br />
Par conséquent, sur le plan juridique, il n’y a, dans la Constitution, rien qui affirme lier ou qui tente de lier la « postérité » de ceux qui l’ont établie. Dès lors que ceux qui ont établi la Constitution n’avaient pas le pouvoir de lier leur postérité et n’ont pas cherché à le faire, il faut se demander si leur postérité s’est liée elle-même. Si elle l’a fait, elle n’a pu le faire que de l’une des deux manières que voici, à savoir par le vote ou par l’impôt.<br />
<br />
[…] Puisque tous les hommes qui soutiennent la Constitution en votant (pour autant qu’il existe de tels hommes) le font secrètement (par scrutin secret), et de manière à éviter toute responsabilité personnelle pour l’action de leurs agents ou représentants, on ne saurait dire en droit ou en raison qu’il existe un seul homme qui soutienne la Constitution en votant.<br />
<br />
Puisque tout vote est secret (par scrutin secret), et puisque tout gouvernement secret est par nécessité une association secrète de voleurs, tyrans et assassins, le fait général que notre gouvernement, dans la pratique, opère par le moyen d’un tel vote prouve seulement qu’il y a parmi nous une association secrète de voleurs, tyrans et assassins, dont le but est de voler, asservir et — s’il le faut pour accomplir leurs desseins — assassiner le reste de la population. Le simple fait qu’une telle association existe ne prouve en rien que « le peuple des États-Unis », ni aucun individu parmi ce peuple, soutienne volontairement la Constitution.<br />
<br />
Les partisans visibles de la Constitution, comme les partisans visibles de la plupart des autres gouvernements, se rangent dans trois catégories, à savoir :<br />
* Les scélérats, classe nombreuse et active ; le gouvernement est pour eux un instrument qu’ils utiliseront pour s’agrandir ou s’enrichir ;<br />
* Les dupes — vaste catégorie, sans nul doute, dont chaque membre, parce qu’on lui attribue une voix sur des millions pour décider ce qu’il peut faire de sa personne et de ses biens, et parce qu’on l’autorise à avoir, pour voler, asservir et assassiner autrui, cette même voix que d’autres ont pour le voler, l’asservir et l’assassiner, est assez sot pour imaginer qu’il est « un homme libre », un « souverain »; assez sot pour imaginer que ce gouvernement est « un gouvernement libre », « un gouvernement de l’égalité des droits », « le meilleur gouvernement qu’il y ait sur terre », et autres absurdités de ce genre ;<br />
* Une catégorie qui a quelque intelligence des vices du gouvernement, mais qui ou bien ne sait comment s’en débarrasser, ou bien ne choisit pas de sacrifier ses intérêts privés au point de se dévouer sérieusement et gravement à la tâche de promouvoir un changement.<br />
<br />
Or, nous avons un document — la Constitution — qui veut et prétend être un contrat, ou dont on prétend qu’il est un contrat ; un document rédigé il y a quatre-vingts ans, par des hommes qui sont tous morts aujourd’hui ; et n’ont jamais eu aucun pouvoir de nous lier nous ; un document qui (prétend-on) a néanmoins lié trois générations, (soit des millions d’hommes, et qui (prétend-on) va lier tous les millions d’hommes à venir ; mais que personne n’a jamais signé, scellé, ni remis, authentifié par un témoignage ou autrement ; un document que des gens qui ne sont qu’une poignée, comparés au nombre total de personnes qu’on veut qu’il lie ont jamais lu, ou même vu, ou verront ou liront jamais. Et parmi ceux qui l’ont jamais lu, ou le liront jamais, à peine deux personnes, et peut-être même pas deux personnes, ont jamais été d’accord ou seront jamais d’accord sur ce qu’il signifie.<br />
<br />
En outre, ce supposé contrat — qui ne serait jamais accepté par aucune cour de justice siégeant par l’autorité de ce même contrat, si on l’avançait pour attester une somme de cinq dollars due par un homme à un autre —, ce contrat, dis-je, tel qu’il est généralement interprété par ceux qui prétendent l’appliquer, est celui par quoi tous les hommes, femmes et enfants à travers tout ce pays et dans tous les temps abandonnent non seulement tous leurs biens, mais aussi leur liberté, et même leur vie, entre les mains d’hommes qui par ce supposé contrat sont expressément exemptés de toute responsabilité pour l’usage qu’ils font des personnes et des biens à eux livrés. Et nous sommes assez fous, ou assez mauvais, pour détruire des biens et des vies sans limites, lorsque nous combattons pour obliger des hommes à remplir un supposé contrat qui, puisqu’il n’a jamais été signé par quiconque, n’est, selon les principes généraux du Droit et de la raison — ces principes qui nous gouvernent tous lorsqu’il s’agit d’autres contrats — qu’un morceau de papier sans valeur, incapable de lier personne, bon seulement à jeter au feu ; ou, si on voulait le garder, à conserver seulement pour témoigner et avertir de la folie et de la méchanceté du genre humain.<br />
<br />
'''A propos des élus'''<br />
<br />
Le plus que puissent dire les membres du Congrès quant à leur nomination est ceci, que chacun d’eux peut dire de lui-même :<br />
<br />
« J’ai des preuves, à mes yeux satisfaisantes, qu’il existe, dispersée dans le pays, une bande d’hommes qui ont entre eux un accord tacite, et qui se font appeler “le peuple des États-Unis”; ces gens ont pour objectif général de se gouverner et de se piller les uns les autres, ainsi que tous les autres habitants de ce pays — et, autant qu’ils le pourront, ceux des pays voisins ; et de tuer tout homme qui tentera de défendre sa personne et ses biens contre leurs machinations visant à voler et dominer.<br />
<br />
Ce que sont individuellement ces hommes, je n’ai pas le moyen de le savoir avec certitude, car ils ne signent aucun papier, et ne donnent aucune preuve ouverte et authentique de leur appartenance individuelle. Ils ne se connaissent même pas individuellement entre eux. Apparemment, ils craignent tout autant de se connaître individuellement entre eux que d’être connus des autres gens. C’est pourquoi ordinairement leur seule manière d’exercer ou de faire connaître leur appartenance individuelle consiste à voter secrètement pour certains agents chargés d’accomplir leur volonté.<br />
<br />
Mais bien que ces hommes soient individuellement inconnus tant d’eux-mêmes que des autres gens, il est généralement admis dans le pays que seuls les mâles âgés de vingt et un ans et plus ont le droit d’appartenir à ce groupe. De même il est généralement admis que tous les mâles nés dans ce pays, ayant une certaine couleur de peau, et (en certains lieux) une quantité de biens déterminée, et (en certains cas) même ceux qui sont nés à l’étranger, sont autorisés à faire partie de ce groupe. Cependant, il apparaît qu’ordinairement seuls une moitié, ou deux tiers, ou en certains cas trois quarts de tous ceux qui sont ainsi autorisés à faire partie de la bande utilisent jamais leur qualité de membre, et par conséquent font la preuve de cette qualité, de la seule manière qu’ils puissent ordinairement l’utiliser et la prouver, à savoir en votant en secret pour les officiers ou agents de la bande.<br />
<br />
Le nombre de ces votes secrets, pour autant que nous le connaissions, varie grandement d’une année à l’autre, et tend donc à prouver que la bande n’est pas une organisation permanente, mais plutôt un arrangement provisoire concernant ceux qui choisissent provisoirement d’en faire partie. Le nombre total de ces votes secrets, ou ce qu’on prétend être leur nombre total, dans les diverses localités, est parfois rendu public. Nous n’avons aucun moyen de vérifier si ces données sont exactes ou non. On suppose généralement que de nombreuses fraudes sont commises lors des scrutins. Il est entendu que les votes sont reçus et comptés par certaines personnes qui sont nommées à cet effet par le même processus secret qui est en usage pour choisir tous les autres officiers et agents de la bande. Selon les rapports faits par ceux qui ont reçu les votes (gens dont je ne peux toutefois garantir la précision et honnêteté), et selon ce que je sais du nombre total des mâles “dans mon district” qui (suppose- t‑on) furent autorisés à voter, il semble que la moitié, les deux tiers ou les trois quarts ont effectivement voté.<br />
<br />
Ce que sont individuellement ces gens qui ont voté, je n’en ai pas connaissance, car tout s’est passé en secret. Mais, parmi les suffrages secrets ainsi exprimés pour ce qu’ils appellent un “membre du Congrès”, ceux qui les ont reçus disent que j’ai eu la majorité, ou du moins un plus grand nombre de voix que toute autre personne. Et c’est uniquement en vertu d’une telle désignation que je me trouve maintenant ici, pour agir de concert avec d’autres personnes choisies de la même façon dans d’autres parties du pays. Il est entendu entre ceux qui m’ont envoyé ici que toutes les personnes ainsi choisies, lorsqu’elles se réuniront dans la ville de Washington, s’engageront par serment en présence de toutes les autres à “soutenir la Constitution des États-Unis”.<br />
<br />
Par là on veut parler d’un certain document qui fut rédigé il y a quatre-vingts ans. Ce document n’a jamais été signé par personne, et apparemment il n’a pas et n’a jamais eu le moindre pouvoir de lier à la façon d’un contrat. En fait, peu de gens l’ont jamais lu et sans aucun doute la plus grande partie, et de loin, des gens qui ont voté pour moi et pour les autres ne l’ont jamais vu, ou ne prétendent pas savoir ce qu’il signifie. Néanmoins, il arrive souvent dans ce pays qu’on le nomme “la Constitution des États-Unis”; et pour une raison quelconque, les gens qui m’ont envoyé ici semblent s’attendre à ce que moi-même, et les autres gens avec lesquels j’agis, nous nous engagions par serment à mettre en application cette Constitution. Je suis donc disposé à prêter ce serment, et à coopérer avec toutes les autres personnes choisies de la même manière qui sont disposées à prêter le même serment. »<br />
<br />
Voilà tout ce que peut dire un membre du Congrès pour prouver qu’il a bien des électeurs ; qu’il représente bien quelqu’un ; que son serment de « soutenir la Constitution » est bien prêté à quelqu’un, ou engage sa fidélité envers quelqu’un. Il n’a aucune preuve ouverte, écrite, ou autrement authentique, telle qu’on en exige dans tous les autres cas, qu’il a jamais été nommé agent ou représentant de qui que ce soit. Il n’a procuration écrite d’aucun individu en particulier. Il n’a pas le genre de garantie juridique, exigée dans tous les autres cas, qui lui permettrait d’identifier un seul de ceux qui prétendent l’avoir nommé pour les représenter.<br />
<br />
Il est clair que, selon les principes généraux du Droit et de la raison, il n’existe rien qui ressemble à un gouvernement créé par ou reposant sur un quelconque consentement, ou une convention ou un accord passé par « le peuple des États-Unis » avec lui-même ; que le seul gouvernement visible, tangible et responsable qui existe est celui d’un petit nombre d’individus, qui agissent de concert, et se font appeler de noms divers tels que sénateurs, représentants, présidents, juges, huissiers, trésoriers, percepteurs, généraux, colonels, capitaines, etc., etc.<br />
<br />
Selon les principes généraux du Droit et de la raison, il n’importe aucunement que ces quelques individus prétendent être les agents et représentants du « peuple des États-Unis », puisqu’ils sont incapables de montrer les documents par lesquels ce peuple les accréditerait comme tels ; jamais ils n’ont été nommés en qualité d’agents ou représentants en aucune façon ouverte, authentique ; eux-mêmes ne savent pas et n’ont aucun moyen de savoir et de prouver qui sont individuellement leurs mandants (comme ils les appellent); et par conséquent on ne saurait dire, en droit et en raison, qu’ils en aient aucun.<br />
<br />
Il y a une autre raison encore qui fait qu’ils ne sont pas nos serviteurs, agents, mandataires ou représentants. Cette raison est que nous ne nous attribuons pas non plus la responsabilité de leurs actes. Si un homme est mon serviteur, agent ou mandataire, nécessairement je prends la responsabilité de tous les actes qu’il accomplit dans la limite du pouvoir dont je l’ai revêtu. Si, en tant que mon agent, je l’ai revêtu d’un pouvoir absolu, ou d’un pouvoir quel qu’il soit sur les personnes ou les biens d’autres que moi-même, par nécessité j’ai par là même pris la responsabilité devant ces autres personnes de tout le mal qu’il pourrait leur faire, pourvu qu’il agisse dans les limites du pouvoir dont je l’ai revêtu. Or aucun individu qui se trouverait lésé dans sa personne ou ses biens par des actes du Congrès ne peut se tourner vers l’électeur individuel, et le tenir pour responsable de ces actes accomplis pas les soi-disant agents ou représentants de cet électeur. Ce qui prouve que ces prétendus agents du peuple, ou de tout le monde, ne sont en fait les agents de personne.<br />
<br />
'''Du scrutin secret'''<br />
<br />
Pourquoi le scrutin est-il secret ? Pour une raison et une seule : comme tous les gens associés dans le crime, ceux qui utilisent le scrutin ne sont pas des amis, mais des ennemis ; et ils ont peur d’être connus, et que les actes qu’ils accomplissent individuellement soient connus, même de leurs associés. Ils parviennent à établir entre eux assez de complicité pour agir de concert au détriment d’autres personnes ; mais au-delà de cela il n’y a entre eux aucune confiance, aucune amitié. En fait, ils sont tout aussi empressés à se dépouiller les uns les autres par leurs machinations qu’à dépouiller ceux qui n’appartiennent pas à leur bande. Et il est parfaitement entendu qu’en de certaines circonstances le parti le plus fort parmi eux fera tuer les membres des autres partis par dizaines de milliers — ce qu’ils firent il y a peu* — pour accomplir les plans ourdis contre eux. C’est pourquoi ils ont peur d’être connus, ou que leurs actions individuelles soient connues, même entre eux. Et c’est, de leur propre aveu, la seule raison qui justifie le scrutin secret ; qui justifie un gouvernement secret ; qui justifie le gouvernement d’une association secrète de voleurs et d’assassins. Et nous sommes assez fous pour appeler cela liberté ! Faire partie de cette association secrète de voleurs et d’assassins est considéré comme un privilège et un honneur ! S’il est privé de ce privilège l’homme passe pour un esclave ; s’il en jouit, c’est un homme libre ! Un homme libre, parce que le pouvoir qu’a autrui de le voler, asservir et assassiner secrètement (par scrutin secret), ce pouvoir il l’a lui aussi sur autrui ! Voilà ce qu’on nomme l’égalité des droits !<br />
<br />
Si un nombre d’hommes, grand ou petit, revendique le droit de gouverner le peuple de ce pays, qu’ils concluent et signent ouvertement entre eux une convention à cet effet. Qu’ils se fassent individuellement connaître par ceux qu’ils veulent gouverner. Et qu’ils prennent ainsi ouvertement la responsabilité légitime de leurs actes. Combien le feront, parmi ceux qui aujourd’hui soutiennent la Constitution ? Combien auront l’audace de proclamer ouvertement leur droit de gouverner ? Ou de prendre la responsabilité légitime de leurs actes ? Aucun !<br />
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* Lysander Spooner évoque ici la Guerre civile dite « guerre de Sécession » (N.d.T).<br />
</div><br />
[[wl:Lysander Spooner]]<br />
{{Lysander Spooner}}</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Henry_David_Thoreau:Du_devoir_de_d%C3%A9sob%C3%A9issance_civileHenry David Thoreau:Du devoir de désobéissance civile2023-10-09T07:38:59Z<p>Lexington : </p>
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<div>{{titre2|Du devoir de désobéissance civile|Traduction de Micheline Flak|Éditions JJ Pauvert, Libertés nouvelles 2, 1977.}}<br />
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De grand cœur, j’accepte la devise : «Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins» et j’aimerais la voir suivie de manière plus rapide et plus systématique. Poussée à fond, elle se ramène à ceci auquel je crois également: «que le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout» et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera le genre de gouvernement qu’ils auront. Tout gouvernement n’est au mieux qu’une «utilité» mais la plupart des gouvernements, d’habitude, et tous les gouvernements, parfois, ne se montrent guère utiles. Les nombreuses objections — et elles sont de taille — qu’on avance contre une armée permanente méritent de prévaloir; on peut aussi finalement les alléguer contre un gouvernement permanent. L’armée permanente n’est que l’arme d’un gouvernement permanent. Le gouvernement lui-même — simple intermédiaire choisi par les gens pour exécuter leur volonté —, est également susceptible d’être abusé et perverti avant que les gens puissent agir par lui. Témoin en ce moment la guerre du Mexique , œuvre d’un groupe relativement restreint d’individus qui se servent du gouvernement permanent comme d’un outil ; car au départ, jamais les gens n’auraient consenti à cette entreprise.<br />
<br />
Le gouvernement américain — qu’est-ce donc sinon une tradition, toute récente, qui tente de se transmettre intacte à la postérité, mais perd à chaque instant de son intégrité ? Il n’a ni vitalité ni l’énergie d’un seul homme en vie, car un seul homme peut le plier à sa volonté. C’est une sorte de canon en bois que se donnent les gens. Mais il n’en est pas moins nécessaire, car il faut au peuple des machineries bien compliquées — n’importe lesquelles pourvu qu’elles pétaradent — afin de répondre à l’idée qu’il se fait du gouvernement. Les gouvernements nous montrent avec quel succès on peut imposer aux hommes, et mieux, comme ceux-ci peuvent s’en imposer à eux-mêmes, pour leur propre avantage. Cela est parfait, nous devons tous en convenir. Pourtant, ce gouvernement n’a jamais de lui-même encouragé aucune entreprise, si ce n’est par sa promptitude à s’esquiver. Ce n’est pas lui qui garde au pays sa liberté, ni lui qui met l’Ouest en valeur , ni lui qui instruit. C’est le caractère inhérent au peuple américain qui accomplit tout cela et il en et il en aurait fait un peu plus si le gouvernement ne lui avait souvent mis des bâtons dans les roues. Car le gouvernement est une «utilité» grâce à laquelle les hommes voudraient bien arriver à vivre chacun à sa guise, et, comme on l’a dit, plus il est utile, plus il laisse chacun des gouvernés vivre à sa guise. Le commerce et les affaires s’ils n’avaient pas de ressort propre, n’arriveraient jamais à rebondir par-dessus les embûches que les législateurs leur suscitent perpétuellement et, s’il fallait juger ces derniers en bloc sur les conséquences de leurs actes, et non sur leurs intentions, ils mériteraient d’être classés et punis au rang des malfaiteurs qui sèment des obstacles sur les voies ferrées.<br />
<br />
Mais pour parler en homme pratique et en citoyen, au contraire de ceux qui se disent anarchistes, je ne demande pas d’emblée «point de gouvernement», mais d’emblée un meilleur gouvernement. Que chacun fasse connaître le genre de gouvernement qui commande son respect et ce sera le premier pas pour l’obtenir.<br />
<br />
Après tout, la raison pratique pour laquelle, le pouvoir une fois aux mains du peuple, on permet à une majorité de régner continûment sur une longue période ne tient pas tant aux chances qu’elle a d’être dans le vrai, ni à l’apparence de justice offerte à la minorité, qu’à la prééminence de sa force physique. Or un gouvernement, où la majorité règne dans tous les cas, ne peut être fondé sur la justice, même telle que les hommes l’entendent. Ne peut-il exister de gouvernement où ce ne seraient pas les majorités qui trancheraient du bien ou du mal, mais la conscience ? où les majorités ne trancheraient que des questions justiciables de la règle d’opportunité ? Le citoyen doit-il jamais un instant abdiquer sa conscience au législateur? A quoi bon la conscience individuelle alors ?<br />
<br />
Je crois que nous devrions être hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m’incombe est de faire bien. On a dit assez justement qu’un groupement d’hommes n’a pas de conscience, mais un groupement d’hommes consciencieux devient un groupement doué de conscience. La loi n’a jamais rendu les hommes un brin plus justes, et par l’effet du respect qu’ils lui témoignent les gens les mieux intentionnés se font chaque jour les commis de l’injustice. Le résultat courant et naturel d’un respect indu pour la loi, c’est qu’on peut voir une file de militaires, colonel, capitaine, caporal et simples soldats, enfants de troupe et toute la clique, marchant au combat par monts et par vaux dans un ordre admirable contre leur gré, que dis-je ? contre leur bon sens et contre leur conscience, ce qui rend cette marche fort âpre en vérité et éprouvante pour le cœur. Ils n’en doutent pas le moins du monde : c’est une vilaine affaire que celle où ils sont engagés. Ils ont tous des dispositions pacifiques. Or, que sont-ils ? Des hommes vraiment ?, ou bien des petits fortins, des magasins ambulants au service d’un personnage sans scrupules qui détient le pouvoir? Visitez l’Arsenal de la Flotte et arrêtez-vous devant un fusilier marin, un de ces hommes comme peut en fabriquer le gouvernement américain ou ce qu’il peut faire d’un homme avec sa magie noire; ombre réminiscence de l’humanité, un homme debout vivant dans son suaire et déjà, si l’on peut dire, enseveli sous les armes, avec les accessoires funéraires, bien que peut être…<br />
<br />
''Ni tambour, ni musique alors n’accompagnèrent''<br />
''Sa dépouille, au rempart emmenée au galop ;''<br />
''nulles salves d’adieu, de même, n’honorèrent''<br />
''La tombe où nous avions couché notre héros''<br />
<br />
La masse des hommes sert ainsi l’État, non point en humains, mais en machines avec leur corps. C’est eux l’armée permanente, et la milice, les geôliers, les gendarmes, la force publique, etc… La plupart du temps sans exercer du tout leur libre jugement ou leur sens moral ; au contraire, il se ravalent au niveau du bois, de la terre et des pierres et on doit pouvoir fabriquer de ces automates qui rendront le même service. Ceux-là ne commandent pas plus le respect qu’un bonhomme de paille ou une motte de terre. Ils ont la même valeur marchande que des chevaux et des chiens. Et pourtant on les tient généralement pour de bons citoyens. D’autres, comme la plupart des législateurs, des politiciens, des juristes, des ministres et des fonctionnaires, servent surtout l’État avec leur intellect et, comme ils font rarement de distinctions morales, il arrive que sans le vouloir, ils servent le Démon aussi bien que Dieu. Une élite, les héros, les patriotes, les martyrs, les réformateurs au sens noble du terme, et des hommes,mettent aussi leur conscience au service de l’État et en viennent forcément, pour la plupart à lui résister. Ils sont couramment traités par lui en ennemis. Un sage ne servira qu’en sa qualité d’homme et ne se laissera pas réduire à être «la glaise» qui «bouche le trou par où soufflait le vent» ; il laisse ce rôle à ses cendres pour le moins.<br />
<br />
''Je suis de trop haut lieu pour me laisser approprier''<br />
''Pour être un subalterne sous contrôle''<br />
''Le valet et l’instrument commode''<br />
''D’aucun État souverain de par le monde''<br />
<br />
Celui qui se voue corps et âme à ses semblables passe à leurs yeux pour un bon à rien, un égoïste, mais celui qui ne leur voue qu’une parcelle de lui-même est salué des titres de bienfaiteur et philanthrope.<br />
<br />
Quelle attitude doit adopter aujourd’hui un homme face au gouvernement américain ? Je répondrai qu’il ne peut sans déchoir s’y associer. Pas un instant, je ne saurais reconnaître pour mon gouvernement cette organisation politique qui est aussi le gouvernement de l’esclave.<br />
<br />
Tous les hommes reconnaissent le droit à la révolution, c’est-à-dire le droit de refuser fidélité et allégeance au gouvernement et le droit de lui résister quand sa tyrannie ou son incapacité sont notoires et intolérables. Il n’en est guère pour dire que c’est le cas maintenant. Mais ce l’était, pense-t-on, à la Révolution de 1775. Si l’on venait me dire que le gouvernement d’alors était mauvais, parce qu’il taxait certaines denrées étrangères entrant dans ses ports, il y aurait gros à parier que je m’en soucierais comme d’une guigne, car je peux me passer de ces produits-là. Toutes les machines ont leur friction et peut-être celle-là fait-elle assez de bien pour contrebalancer le mal. En tout cas., c’est une belle erreur de faire tant d’embarras pour si peu. Mais quand la friction en arrive à avoir sa machine et que l’oppression et le vol sont organisés, alors je dis «débarrassons-nous de cette machine». En d’autres termes, lorsqu’un sixième de la population d’une nation qui se prétend le havre de la liberté est composé d’esclaves, et que tout un pays est injustement envahi et conquis par une armée étrangère et soumis à la loi martiale, je pense qu’il n’est pas trop tôt pour les honnêtes gens de se soulever et de passer à la révolte. Ce devoir est d’autant plus impérieux que ce n’est pas notre pays qui est envahi, mais que c’est nous l’envahisseur.<br />
<br />
Paley qui fait généralement autorité en matière de morale, dans son chapitre intitulé «Sur le devoir de la soumission au Gouvernement civil», ramène toute obligation civique à une formule d’opportunisme et il poursuit «Aussi longtemps que l’intérêt de toute la société l’exige, c’est-à-dire tant qu’on ne peut résister au gouvernement établi ou le changer sans troubler l’ordre public, la volonté de Dieu est d’obéir au gouvernement établi et de ne plus… »<br />
<br />
Ce principe, une fois admis, la justice de chaque cas particulier de résistance se réduit à une évaluation de l’importance du danger et du grief d’une part, et de la probabilité et du prix de la réforme d’autre part. «Sur ce point, dit-il, chacun est juge.» Mais Paley semble n’avoir jamais envisagé de cas auxquels la règle d’opportunisme n’est pas applicable, où un peuple aussi bien qu’un individu doit faire justice, à tout prix. Si j’ai injustement arraché une planche à l’homme qui se noie, je dois la lui rendre au risque de me noyer. Ceci, selon Paley, serait inopportun. Mais celui qui, dans un tel cas, voudrait sauver sa vie, la perdrait. Ce peuple doit cesser de maintenir l’esclavage et de porter la guerre au Mexique, même au prix de son existence nationale.<br />
<br />
Dans la pratique, les nations sont d’accord avec Paley, mais y a-t-il quelqu’un pour penser que le Massachusetts agisse en toute justice dans la conjoncture actuelle ?<br />
<br />
''Dans ses brocards de pute, un État qui tapine''<br />
''La traîne portée haut, et l’âme à la sentine.''<br />
<br />
En langage clair, ce n’est pas la kyrielle de politiciens du Sud qui s’oppose à une réforme au Massachusetts, mais la kyrielle de marchands et de fermiers qui s’intéressent davantage au commerce et à l’agriculture qu’à l’humanité et qui ne sont nullement prêts à rendre justice à l’esclave et au Mexique, ''à tout prix''.<br />
<br />
Je ne cherche pas querelle à des ennemis lointains mais à ceux qui, tout près de moi, collaborent avec ces ennemis lointains et leur sont soumis : privés d’aide ces gens-là seraient inoffensifs. Nous sommes accoutumés de dire que la masse des hommes n’est pas prête; mais le progrès est lent, parce que l’élite n’est, matériellement, ni plus avisée ni meilleure que la masse. Le plus important n’est pas que vous soyez au nombre des bonnes gens mais qu’il existe quelque part une bonté absolue, car cela fera lever toute la pâte. Il y a des milliers de gens qui par principe s’opposent à l’esclavage et à la guerre mais qui en pratique ne font rien pour y mettre un terme; qui se proclamant héritiers de Washington ou de Franklin, restent plantés les mains dans les poches à dire qu’ils ne savent que faire et ne font rien; qui même subordonnent la question de la liberté à celle du libre échange et lisent, après dîner, les nouvelles de la guerre du Mexique avec la même placidité que les cours de la Bourse et peut-être, s’endorment sur les deux. Quel est le cours d’un honnête homme et d’un patriote aujourd’hui ? On tergiverse, on déplore et quelquefois on pétitionne, mais on n’entreprend rien de sérieux ni d’effectif. On attend, avec bienveillance, que d’autres remédient au mal, afin de n’avoir plus à le déplorer. Tout au plus, offre-t-on un vote bon marché, un maigre encouragement, un «Dieu vous assiste» à la justice quand elle passe. Il y a 999 défenseurs de la vertu pour un seul homme vertueux. Mais il est plus facile de traiter avec le légitime possesseur d’une chose qu’avec son gardien provisoire.<br />
<br />
Tout vote est une sorte de jeu, comme les échecs ou le trictrac, avec en plus une légère nuance morale où le bien et le mal sont l’enjeu ; les problèmes moraux et les paris, naturellement l’accompagnent. Le caractère des votants est hors jeu. je donne mon vote, c’est possible, à ce que j’estime juste ; mais il ne m’est pas d’une importance vitale que ce juste l’emporte. Je veux bien l’abandonner à la majorité. Son urgence s’impose toujours en raison de son opportunité. Même voter pour ce qui est juste,ce n’est rien fairepour la justice. Cela revient à exprimer mollement votre désir qu’elle l’emporte. Un sage n’abandonne pas la justice aux caprices du hasard; il ne souhaite pas non plus qu’elle l’emporte par le pouvoir d’une majorité. Il y a bien peu de vertu dans l’action des masses humaines. Lorsqu’à la longue la majorité votera pour l’abolition de l’esclavage, ce sera soit par indifférence à l’égard de l’esclavage, soit pour la raison qu’il ne restera plus d’esclavage à abolir par le vote. Ce seront eux,alors, les véritables esclaves. Seul peut hâter l’abolition de l’esclavage, celui qui, par son vote, affirme sa propre liberté.<br />
<br />
J’entends parler d’une «Convention» prévue à Baltimore ou ailleurs pour choisir un candidat à la Présidence; cette «Convention» serait principalement constituée de rédacteurs en chef de journaux et de politiciens de carrière; mais moi, je me dis: qu’importe à un homme indépendant, intelligent et respectable la décision où ils peuvent aboutir ? N’aurons-nous pas quand même le bénéfice de la sagesse et de l’honnêteté de cet homme-là ? Ne pouvons-nous tabler sur des votes indépendants ? Le pays ne compte-t-il pas nombre d’individus qui n’assistent pas aux conventions ? Mais non, je m’aperçois que des hommes honorables, ou soi-disant tels, ont immédiatement dévié de leur position et désespèrent de leur pays, alors que leur pays aurait bien plutôt sujet de désespérer d’eux. Ils adoptent sans tarder un des candidats ainsi choisis comme le seul disponible,prouvant ainsi leur propredisponibilitéaux desseins du démagogue. Leur voix n’a pas plus de valeur que celle d’un quelconque étranger sans principes ou d’un Américain qui s’est vendu. Oh! que ne puis-je trouver un homme,un vrai, comme dit l’autre pas une chiffe qu’on retourne comme un gant! Nos statistiques sont en défaut: le chiffre de la population a été surfait. Combien d’hommesy a-t-il dans ce pays pour 1 000 m2 ? A peine un. L’Amérique n’offre-t-elle pas aux hommes la moindre tentation de venir s’y fixer ? L’Américain s’est réduit à n’être qu’un «Membre Affilié» — type reconnaissable à l’hypertrophie de son sens grégaire et à un manque manifeste d’intellect et d’allègre confiance en soi — dont le premier et le principal souci en venant au monde est de veiller à l’entretien des Hospices et — avant même d’avoir endossé comme il se doit la Toge virile — de s’en aller ouvrir une souscription pour le soutien des veuves et des orphelins éventuels; qui, en un mot, ne s’aventure à vivre que soutenu par sa Compagnie d’Assurances Mutuelles, en échange de la promesse d’un bel enterrement.<br />
<br />
Ce n’est une obligation pour personne, bien sûr, de se vouer à l’extirpation de tel ou tel mal, aussi criant et injuste soit-il ; on peut très bien se consacrer à d’autres poursuites ; mais qu’au moins on ne s’en lave pas les mains : ne pas accorder à ce mal d’attention soutenue ne veut pas dire qu’il faille lui accorder un appui de fait. Si je me livre à d’autres activités, à d’autres projets, il me faudrait au moins veiller d’abord à ne pas les poursuivre juché sur les épaules d’autrui. Je dois d’abord en descendre pour permettre à mon prochain de poursuivre, lui aussi, ses projets.<br />
<br />
Voyez quelle grossière ambiguïté on tolère ! J’ai entendu dire à certains de mes compatriotes : «Il ferait beau voir qu’on me mette en demeure d’aider à mâter une révolte des esclaves ou de me mobiliser pour le Mexique. Vous verriez si j’irais !»; et pourtant, ces mêmes hommes ont chacun directement par leur obéissance, et de la sorte indirectement par leur argent, avancé un remplaçant. Il est applaudi le soldat qui refuse de servir dans une guerre injuste, par ceux-là mêmes qui ne refusent pas de servir le gouvernement injuste qui fait la guerre ; il est applaudi par ceux-là mêmes dont il dédaigne et réduit à néant l’autorité; comme si l’État devenu pénitent allait jusqu’à engager quelqu’un pour se faire fouetter au moment du péché, sans s’arrêter un instant de pécher pour autant. Ainsi, sous le nom d’Ordre et de Gouvernement Civique, nous sommes tous amenés à rendre hommage et allégeance à notre propre médiocrité. On rougit d’abord de son crime et puis on s’y habitue; et le voilà qui d’immoral devient amoral et non sans usage dans la vie que nous nous sommes fabriquée.<br />
<br />
L’erreur la plus vaste et la plus répandue exige pour la soutenir la vertu la plus désintéressée. Le léger reproche auquel se prête d’habitude la vertu de patriotisme, ce sont les âmes nobles qui sont les plus susceptibles de l’encourir. Les gens qui, tout en désapprouvant le caractère et les mesures d’un gouvernement, lui concèdent leur obéissance et leur appui sont sans conteste ses partisans les plus zélés et par là, fréquemment, l’obstacle le plus sérieux aux réformes. D’aucuns requièrent l’État de dissoudre l’Union, de passer outre aux injonctions du Président. Pourquoi ne pas la dissoudre eux-mêmes — l’union entre eux et l’État — en refusant de verser leur quote-part au Trésor ? N’ont-ils pas vis-à-vis de l’État la même relation que l’État vis-à-vis de l’Union ? Et les mêmes raisons qui les ont empêchés de résister à l’Union, ne les ont-elles pas empêchés de résister à l’État ?<br />
<br />
Comment peut-on se contenter d’avoir tout bonnement une opinion et se complaire à ça? Quel plaisir peut-on trouver à entretenir l’opinion qu’on est opprimé ? Si votre voisin vous refait, ne serait-ce que d’un dollar, vous ne vous bornez pas à constater, à proclamer qu’il vous a roulé, ni même à faire une pétition pour qu’il vous restitue votre dû ; vous prenez sur-le champ des mesures énergiques pour rentrer dans votre argent et vous assurer contre toute nouvelle fraude. L’action fondée sur un principe, la perception et l’accomplissement de ce qui est juste, voilà qui change la face des choses et des relations ; elle est révolutionnaire par essence, elle n’a aucun précédent véritable. Elle ne sème pas seulement la division dans les États et les Églises, mais aussi dans les familles ; bien plus, elle divise l’individu,séparant en lui le diabolique du divin.<br />
<br />
'''Il existe des lois injustes : consentirons-nous à leur obéir ? Tenterons-nous de les amender en leur obéissant jusqu’à ce que nous soyons arrivés à nos fins — ou les transgresserons-nous tout de suite ?''' En général, les hommes, sous un gouvernement comme le nôtre, croient de leur devoir d’attendre que la majorité se soit rendue à leurs raisons. Ils croient que s’ils résistaient, le remède serait pire que le mal ; mais si le remède se révèle pire que le mal, c’est bien la faute du gouvernement. C’est lui le responsable. Pourquoi n’est-il pas plus disposé à prévoir et à accomplir des réformes ? Pourquoi n’a-t-il pas d’égards pour sa minorité éclairée ? Pourquoi pousse-t-il les hauts cris et se défend-il avant qu’on le touche ? Pourquoi n’encourage-t-il pas les citoyens à rester en alerte pour lui signaler ses erreurs et améliorer ses propres décisions ? Pourquoi crucifie-t-il toujours le Christ — pourquoi excommunie-t-il COPERNIC et LUTHER et dénonce-t-il WASHINGTON et FRANKLIN comme rebelles ?<br />
<br />
On dirait que le refus délibéré et effectif de son autorité est le seul crime que le gouvernement n’ait jamais envisagé, sinon pourquoi n’a-t-il pas mis au point de châtiment défini, convenable et approprié ? Si un homme qui ne possède rien refuse, ne serait-ce qu’une fois, de gagner un dollar au profit de l’État, on le jette en prison pour une durée qu’aucune loi, à ma connaissance, ne définit et qui est laissée à la discrétion de ceux qui l’y ont envoyé; mais vole-t-il mille fois un dollar à l’État qu’on le relâche aussitôt.<br />
<br />
Si l’injustice est indissociable du frottement nécessaire à la machine gouvernementale, l’affaire est entendue. Il s’atténuera bien à l’usage — la machine finira par s’user, n’en doutons pas. Si l’injustice a un ressort, une poulie, une corde ou une manivelle qui lui est spécialement dévolue, il est peut-être grand temps de se demander si le remède n’est pas pire que le mal ; mais '''si, de par sa nature, cette machine veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi. Que votre vie soit un contre frottement pour stopper la machine. Il faut que je veille, en tout cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne'''.<br />
<br />
Quant à recourir aux moyens que l’État a prévus pour remédier au mal, ces moyens-là, je n’en veux rien savoir. Ils prennent trop de temps et la vie d’un homme n’y suffirait pas. J’ai autre chose à faire. Si je suis venu au inonde, ce n’est pour le transformer en un lieu où il fasse bon vivre, mais pour y vivre, qu’il soit bon ou mauvais. Un homme n’a pas tout à faire mais quelque chose, et qu’il n’ait pas la possibilité de toutfaire ne signifie pas qu’il doive faire quelque chosede mal. Ce n’est pas mon affaire de présenter des pétitions au gouverneur ou au Corps Législatif ; ça n’est pas la leur de m’en présenter non plus, car s’ils ne tiennent pas compte de ma pétition, que devrais-je faire ? Dans ce seul cas, l’État n’a prévu aucun recours: le mal réside dans la Constitution elle-même. Cela peut sembler dur, borné et intransigeant, mais c’est traiter avec la plus extrême bonté et considération le seul esprit qui soit à même de l’apprécier et de la mériter. Il en est ainsi de tous changements en bien, comme la mort et la vie, qui s’opèrent dans les convulsions.<br />
<br />
Je n’hésite pas à le dire : ceux qui se disent abolitionnistes devraient, sur-le-champ, retirer tout de bon leur appui, tant dans leur personne que dans leurs biens, au gouvernement du Massachusetts, et cela sans attendre de ‘constituer la majorité d’une voix, pour permettre à la justice de triompher grâce à eux. S’ils écoutent la voix de Dieu ils n’ont nul besoin, me semble-t-il, de compter sur une autre voix. En outre, tout homme qui a raison contre les autres, constitue déjà une majorité d’une voix.<br />
<br />
Le gouvernement américain ou son représentant, le gouvernement du Massachusetts, je le rencontre directement, et face à face, une fois l’an — pas plus — en la personne de son percepteur; c’est la seule forme sous laquelle un homme dans ma condition rencontre forcément l’État qui me dit alors clairement: «Reconnais-moi.» Alors, dans ce cas, la manière la plus simple, la plus efficace et, dans la conjoncture actuelle, la manière la plus urgente de traiter avec lui de la question, et d’exprimer la maigre satisfaction et tendresse qu’il nous inspire, c’est de le désavouer sur l’heure.<br />
<br />
Mon voisin fort civil, le percepteur, est bien l’homme à qui j’ai affaire — car c’est à tout prendre avec des hommes et non avec des parchemins que j’ai querelle — et il a délibérément choisi d’être fonctionnaire. Comment saura-t-il vraiment ce qu’il est et ce qu’il fait en sa qualité de fonctionnaire et en sa qualité d’homme ? Jamais tant qu’il ne sera pas mis en demeure de considérer s’il doit me traiter, moi son voisin respecté, en voisin et en homme bien intentionné, ou bien en fou furieux et en perturbateur de l’ordre public; tant qu’il ne sera pas forcé de trouver le moyen de surmonter l’obstacle à nos relations amicales sans céder aux pensées et aux paroles discourtoises et violentes qui vont de pair avec ses actes. je suis convaincu que si un millier, si une centaine, si une dizaine d’hommes que je pourrais nommer — si seulement dix honnêtes gens — que dis-je ? Si un seul HONNÊTE hommecessait,dans notre État du Massachusetts de garder des esclaves,venait vraiment à se retirer de cette confrérie, quitte à se faire jeter dans la prison du Comté, cela signifierait l’abolition de l’esclavage en Amérique. Car peu importe qu’un début soit modeste : ce qui est bien fait au départ est fait pour toujours. Mais nous aimons mieux en discuter — c’est cela que nous appelons notre mission. La réforme entretient à son service des quantités de journaux, mais pas un seul homme. Si mon digne voisin, l’Ambassadeur d’État qui consacre son existence au règlement du problème des droits de l’homme à la Chambre du Conseil, au lieu de se laisser menacer des prisons de la Caroline, devait se présenter en prisonnier du Massachusetts, cet État qui est si anxieux de rejeter sur sa sœur le crime de l’esclavage, encore qu’il ne puisse à ce jour découvrir d’autre grief à l’encontre de celle-ci qu’un acte d’inhospitalité — le corps législatif n’écarterait pas tout à fait le sujet l’hiver prochain.<br />
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'''Sous un gouvernement qui emprisonne quiconque injustement, la véritable place d’un homme juste est aussi en prison.''' La place qui convient aujourd’hui, la seule place que le Massachusetts ait prévue pour ses esprits les plus libres et les moins abattus, c’est la prison d’État. Ce dernier les met dehors et leur ferme la porte au nez. Ne se sont-ils pas mis dehors eux-mêmes, de par leurs principes ? C’est là que l’esclave fugitif et le prisonnier mexicain en liberté surveillée, et l’Indien venu pour invoquer les torts causés à sa race, les trouveront sur ce terrain isolé, mais libre et honorable où l’État relègue ceux qui ne sont pas avec lui, mais contre lui : c’est, au sein d’un État esclavagiste, le seul domicile où un homme libre puisse trouver un gîte honorable. S’il y en a pour penser que leur influence y perdrait et que leur voix ne blesserait plus l’oreille de l’État, qu’ils n’apparaîtraient plus comme l’ennemi menaçant ses murailles, ceux-là ignorent de combien la vérité est plus forte que l’erreur, de combien plus d’éloquence et d’efficacité est doué dans sa lutte contre l’injustice l’homme qui l’a éprouvée un peu dans sa personne même. Donnez tout votre vote, pas seulement un bout de papier, mais toute votre influence. Une minorité ne peut rien tant qu’elle se conforme à la majorité; ce n’est même pas alors une minorité. Mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids. S’il n’est d’autre alternative que celle-ci : garder tous les justes en prison ou bien abandonner la guerre et l’esclavage, l’État n’hésitera pas à choisir. Si un millier d’hommes devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les régler, et à permettre ainsi à l’État de commettre des violences et de verser le sang innocent. Cela définit, en fait, une révolution pacifique, dans la mesure où pareille chose est possible.<br />
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Si le percepteur ou quelque autre fonctionnaire me demande, comme ce fut le cas : «Mais que dois-je faire ?», je lui réponds : «Si vous voulez vraiment faire quelque chose, démissionnez !» '''Quand le sujet a refusé obéissance et que le fonctionnaire démissionne, alors la révolution est accomplie'''. Même à supposer que le sang coule. N’y a-t-il pas effusion de sang quand la conscience est blessée ? Par une telle blessure s’écoulent la dignité et l’immortalité véritable de la personne humaine qui meurt, vidée de son sang pour l’éternité. je vois ce sang-là couler aujourd’hui.<br />
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J’ai envisagé l’emprisonnement de l’offenseur plutôt que la saisie de ses biens — encore que tous deux servent la même fin — parce que ceux qui affirment le droit le plus imprescriptible, et qui par là apparaissent comme les plus dangereux adversaires d’un État corrompu, n’ont pas, d’habitude, passé beaucoup de temps à accumuler des richesses. A ces sortes de gens, l’État rend relativement peu de services et une légère imposition leur apparaît naturellement exorbitante, surtout s’ils sont obligés d’en couvrir les frais par un travail de leurs mains. Si quelqu’un vivait en se passant totalement d’argent, l’État lui-même hésiterait à lui en réclamer. Mais le riche — sans que l’envie me dicte aucune comparaison — est toujours vendu à l’institution qui l’enrichit. En poussant à fond, «plus on a d’argent, moins on a de vertu», car l’argent s’interpose entre un homme et ses objectifs pour les réaliser et il n’a sûrement pas fallu une grande vertu pour s’enrichir ainsi. L’argent met sous le boisseau nombre de questions auxquelles on serait autrement forcé de répondre, alors que la seule question neuve qu’il soulève, abrupte et superflue, c’est «comment le dépenser». Ainsi le point d’appui moral s’effondre à la base. Les occasions de vivre diminuent en raison de l’augmentation de ce que l’on appelle les «moyens». La meilleure chose qu’un homme puisse faire pour sa culture, lorsqu’il est devenu riche, c’est d’essayer de réaliser les idéaux qu’il entretenait lorsqu’il était pauvre. Le Christ répondait aux Hérodiens selon leur condition : «Montrez-moi l’argent du tribut», leur dit-il. Et comme l’un d’eux tirait un denier de sa poche: si vous vous servez d’une monnaie qui porte l’effigie de César et auquel César a donné cours et valeur, c’est-à-dire si vous êtes Gens de l’Étatet bien aises de jouir des avantages du gouvernement de César, alors payez-le dans sa monnaie quand il le réclame: «Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu», les laissant ainsi guère plus éclairés qu’avant pour saisir la différence, car ils ne désiraient pas la connaître .<br />
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En m’entretenant avec les plus affranchis de mes concitoyens, je m’aperçois qu’en dépit de tous leurs propos concernant l’importance et la gravité de la question, et leur souci de la tranquillité publique, le fort et le fin de l’affaire c’est qu’ils ne peuvent se passer de la protection du gouvernement en place et qu’ils redoutent les effets de leur désobéissance sur leurs biens ou leur famille. Pour mon compte personnel, il ne me plairait pas de penser que je doive m’en remettre à la protection de l’État ; mais si je refuse l’autorité de l’État lorsqu’il me présente ma feuille d’impôts, il prendra et dilapidera tout mon avoir, me harcelant moi ainsi que mes enfants, à n’en plus finir. Cela est dur, cela enlève à un homme toute possibilité de vivre normalement et à l’aise — j’entends, sur le plan matériel. A quoi bon accumuler des biens quand on est sûr de les voir filer ? Il faut louer quelques arpents, bien s’y installer et ne produire qu’une petite récolte pour la consommation immédiate. On doit vivre en soi, ne dépendre que de soi, et, toujours à pied d’œuvre et prêt à repartir, ne pas s’encombrer de multiples affaires. Un homme peut s’enrichir même en Turquie s’il se montre, à tous égards, le docile sujet du gouvernement turc. CONFUCIUS a dit: «Si un État est gouverné par les principes de la raison, pauvreté et misère sont des sujets de honte ; si un État n’est pas gouverné par les principes de la raison, richesses et honneurs sont des sujets de honte.» Non, avant que j’accepte de laisser la protection du Massachusetts s’étendre à ma personne en quelque lointain port du Sud où ma liberté est menacée, avant que je consacre tous mes efforts à édifier une fortune dans le pays par une initiative pacifique, je puis me permettre de refuser au Massachusetts obéissance et droit de regard sur ma propriété et mon existence. Il m’en coûte moins, à tous les sens du mot, d’encourir la sanction de désobéissance à l’État, qu’il ne m’en coûterait de lui obéir. J’aurais l’impression, dans ce dernier cas, de m’être dévalué.<br />
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Voici quelques années, l’État vint me requérir au nom de l’Église de payer une certaine somme pour l’entretien d’un pasteur dont, au contraire de mon père, je ne suivais jamais les sermons. «Payez, disait-il, ou vous êtes sous les verrous.» Je refusai de payer. Malheureusement, quelqu’un d’autre crut bon de le faire pour moi. Je ne voyais pas pourquoi on devait imposer au maître d’école l’entretien du prêtre et pas au prêtre, celui du maître d’école, car je n’étais pas payé par l’État. Je gagnais ma vie par cotisations volontaires. Je ne voyais pas pourquoi mon établissement ne présenterait pas aussi sa feuille d’impôts en faisant appuyer ses exigences par l’État à l’imitation de l’Église. Toutefois, à la prière du Conseil Municipal, je voulus bien condescendre à coucher par écrit la déclaration suivante: «Par le présent acte, je, soussigné Henry Thoreau, déclare ne pas vouloir être tenu pour membre d’une société constituée à laquelle je n’ai pas adhéré.» Je confiai cette lettre au greffier qui l’a toujours ; l’État ainsi informé que je ne souhaitais pas être tenu pour membre de cette Église, n’a jamais depuis lors réitéré semblables exigences, tout en insistant quand même sur la validité de sa présomption initiale. Si j’avais pu nommer toutes les Sociétés, j’aurais signé mon retrait de chacune d’elles, là où je n’avais jamais signé mon adhésion, mais je ne savais où me procurer une liste complète.<br />
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Je n’ai payé aucune capitation depuis six ans ; cela me valut de passer une nuit en prison ; tandis que j’étais là à considérer les murs de grosses pierres de deux à trois pieds d’épaisseur, la porte de bois et de fer d’une épaisseur d’un pied et le grillage en fer qui filtrait la lumière, je ne pus m’empêcher d’être saisi devant la bêtise d’une institution qui me traitait comme un paquet de chair, de sang et d’os, bon à être mis sous clef. Je restais étonné de la conclusion à laquelle cette institution avait finalement abouti, à savoir que c’était là le meilleur parti qu’elle pût tirer de moi ; il ne lui était jamais venu à l’idée de bénéficier de mes services d’une autre manière. Je compris que, si un rempart de pierre s’élevait entre moi et mes concitoyens, il s’en élevait un autre, bien plus difficile à escalader ou à percer, entre eux et la liberté dont moi, je jouissais. Pas un instant, je n’eus le sentiment d’être enfermé et les murs me semblaient un vaste gâchis de pierre et de mortier. J’avais l’impression d’être le seul de mes concitoyens à avoir payé l’impôt. De toute évidence, ils ne savaient pas comment me traiter et se comportaient en grossiers personnages. Chaque menace, chaque compliment cachait une bévue; car ils croyaient que mon plus cher désir était de me trouver de l’autre côté de ce mur de pierre. Je ne pouvais que sourire de leur empressement à pousser le verrou sur mes méditations qui les suivaient dehors en toute liberté, et c’était d’elles, assurément, que venait le danger. Ne pouvant m’atteindre, ils avaient résolu de punir mon corps, tout comme. des garnements qui, faute de pouvoir approcher une personne à qui ils en veulent, s’en prennent à son chien. Je vis que l’État était un nigaud, aussi apeuré qu’une femme seule avec ses couverts d’argent, qu’il ne distinguait pas ses amis d’avec ses ennemis, et perdant tout le respect qu’il m’inspirait encore, j’eus pitié de lui.<br />
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Ainsi l’État n’affronte jamais délibérément le sens intellectuel et moral d’un homme, mais uniquement son être physique, ses sens. Il ne dispose contre nous ni d’un esprit ni d’une dignité supérieurs, mais de la seule supériorité physique. Je ne suis pas né pour qu’on me force. Je veux respirer à ma guise. Voyons qui l’emportera. Quelle force dans la multitude ? Seuls peuvent me forcer ceux qui obéissent à une loi supérieure à la mienne. Ceux-là me forcent à leur ressembler. Je n’ai pas entendu dire que des hommes aient été forcés de vivre comme ceci ou comme cela par des masses humaines — que signifierait ce genre de vie ? Lorsque je rencontre un gouvernement qui me dit: «La bourse ou la vie», pourquoi me hâterais-je de lui donner ma bourse? Il est peut-être dans une passe difficile, aux abois; qu’y puis-je ? Il n’a qu’à s’aider lui-même, comme moi. Pas la peine de pleurnicher. Je ne suis pas responsable du bon fonctionnement de la machine sociale. Je ne suis pas le fils de l’ingénieur. Je m’aperçois que si un gland et une châtaigne tombent côte à côte, l’un ne reste pas inerte pour céder la place à l’autre ; tous deux obéissent à leurs propres lois, germent, croissent et prospèrent de leur mieux, jusqu’au jour où l’un, peut-être, étendra son ombre sur l’autre et l’étouffera. Si une plante ne peut vivre selon sa nature, elle dépérit ; un homme de même.<br />
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La nuit en prison fut une expérience nouvelle et non dénuée d’intérêt. Les prisonniers, en manches de chemise, bavardaient en prenant l’air sur le pas de la porte, le soir où j’y entrais. Le geôlier dit alors : Allons les gars, c’est l’heure de mettre le verrou.» Sur quoi, ils s’égaillèrent et j’entendis le bruit de leurs pas qui regagnaient leur caverneuse demeure. Le geôlier me présenta mon compagnon de cellule comme un «très brave garçon et un homme capable». Quand la porte fut verrouillée, celui-ci me montra où accrocher mon chapeau, et comment on se débrouillait là. Les cellules étaient blanchies à la chaux, une fois par mois, et pour ce qui est de la mienne, c’était sans doute la demeure de la ville la plus blanche, la plus simplement meublée et probablement la mieux tenue. Cet homme voulut, bien sûr, savoir d’où je venais et ce qui m’avait amené là; et lorsque je le lui eus dit, je lui demandai à mon tour à quelles circonstances il devait d’être là, présumant, naturellement, que je me trouvais en face d’un honnête homme; et le monde étant ce qu’il est, je crois que j’avais raison : «Oh moi ! dit-il, on m’accuse d’avoir incendié une grange, mais ce n’est pas vrai.» Autant que je pus en juger, il avait dû s’en aller dormir dans une grange, en état d’ivresse, et là s’était mis à fumer la pipe; c’est ainsi qu’une grange brûla. Il avait la réputation d’être un homme capable, attendait depuis trois mois de passer en jugement, et son attente devait se prolonger d’autant ; mais il se sentait chez lui et, satisfait d’être nourri et logé gratis, il s’estimait fort bien traité.<br />
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Il occupait une fenêtre, moi l’autre; et je vis que si l’on restait là un bout de temps, on s’occupait principalement à regarder par la fenêtre. J’eus bientôt parcouru toutes les brochures qui traînaient là et j’examinai les endroits par où mes prédécesseurs s’étaient échappés ; un barreau avait été scié et j’appris l’histoire des divers occupants de cette cellule, car je m’aperçus que, même en ces lieux, il y avait une histoire et des ragots qui ne franchissaient jamais les murs de la prison. C’est probablement la seule résidence de la ville où l’on compose des vers, imprimés ensuite sous forme de circulaire, mais sans publication. On me montra une longue série de poèmes composés par des jeunes gens qui avaient été surpris en pleine tentative d’évasion et qui s’étaient vengés par des chansons.<br />
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Je fis parler mon compagnon de cellule tant et plus de peur de ne jamais le revoir; mais il finit par me désigner mon lit et me laissa le soin de souffler la lampe.<br />
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Dormir là une seule nuit, c’était voyager dans un lointain pays que je n’aurais jamais cru devoir visiter. Il me semblait que je n’avais jamais entendu sonner l’horloge de la ville ni retentir, le soir, les bruits du village, car nous dormions fenêtres ouvertes, les grilles étant à l’extérieur. C’était voir mon village natal sous un jour moyenâgeux, et la Concorde, notre rivière, devenait un fleuve rhénan tandis que des visions de chevaliers et de châteaux forts défilaient sous mes yeux. C’était les voix d’anciens «burghers» que j’entendais dans les rues. J’étais le spectateur et l’auditeur impromptu de tout ce qui se passait et se disait à la cuisine de l’auberge mitoyenne — expérience absolument neuve et rare pour moi. J’observais ma ville natale de plus près. J’y étais de plain-pied. Jamais, auparavant, je n’avais vu ses institutions. La prison est une de ses institutions particulières, car c’est une capitale de Comté. Je commençais à comprendre à quoi s’occupaient les habitants.<br />
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Au matin, on nous passa le petit déjeuner à travers une ouverture pratiquée dans la porte; nous avions de petites gamelles en fer-blanc, d’une forme oblongue très étudiée, et qui contenaient un demi-litre de chocolat, du pain noir et une cuiller en fer. Lorsqu’on réclama les récipients, j’allais, en novice que j’étais, remettre mon reste de pain ; mais mon camarade s’en saisit, en disant que «je devais le garder pour déjeuner ou dîner». Peu après, on le fit sortir pour travailler aux foins dans un champ tout proche où il se rendait chaque jour; il n’en revenait pas avant midi ; aussi me souhaita-t-il le bonjour en disant qu’il ne savait guère s’il me reverrait.<br />
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Une fois sorti de prison — car quelqu’un s’en mêla et paya cet impôt — je ne vis pas que de grands changements se fussent produits en place publique, comme il advint à ce personnage qui, parti jeune homme, réapparut chancelant et tête chenue ; et cependant sous mes yeux s’était opérée dans ce décor — la ville l’État — le pays — une transformation plus grande que le simple écoulement du temps n’aurait pu l’effectuer. J’évaluai dans quelle mesure je pouvais me fier aux gens de mon milieu, mes bons voisins et amis ; leur amitié n’était que pour la belle saison ; ils ne mettaient pas leur point d’honneur à bien agir, ils appartenaient, de par leurs préjugés et leurs superstitions, à une race aussi différente de la mienne que les Chinois et les Malais ; en se donnant aux autres, ils ne couraient pas le risque de se perdre eux, ni même leurs possessions ; après tout, ils avaient si peu de noblesse, qu’ils traitaient le voleur comme celui-ci les avait traités ; et ils espéraient, grâce à une certaine observance de surface et à quelques prières, grâce à un effort intermittent pour suivre une voie rectiligne toute tracée, encore qu’inutile, sauver leur âme. C’est peut-être porter un jugement bien sévère sur mes voisins, car je crois que la plupart ignorent l’existence d’une institution comme la prison dans leur village.<br />
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C’était autrefois la coutume chez nous, lorsqu’un pauvre débiteur sortait de prison, que ses relations vinssent le saluer, en le regardant à travers leurs doigts croisés pour figurer la grille d’une fenêtre de prison. «Comment va ?» Mes voisins n’allèrent pas si loin, mais après m’avoir regardé, ils échangèrent des regards entendus, comme si j’étais de retour d’un long voyage. On m’avait conduit en prison alors que je me rendais chez le cordonnier pour y chercher une chaussure en réparation. Libéré le lendemain matin, j’allais finir ma course et ayant enfilé ma chaussure ressemelée, je rejoignis un groupe qui partait aux airelles, fort impatient de s’en remettre à ma direction; une demi-heure plus tard car le cheval fut bientôt harnaché — je me trouvais en plein champ d’airelles sur l’une de nos plus hautes collines, à plus de trois kilomètres, et de là on ne voyait l’État nulle part.<br />
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C’est là toute la chronique de «Mes prisons».<br />
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Je n’ai jamais refusé de payer la taxe de voirie, parce que je suis aussi désireux d’être bon voisin que je le suis d’être mauvais sujet ; et quant à l’entretien des écoles, je contribue présentement à l’éducation de mes concitoyens. Ce n’est pas sur un article spécial de la feuille d’impôts que je refuse de payer. je désire simplement refuser obéissance à l’État, me retirer et m’en désolidariser d’une manière effective. Je ne me soucie point de suivre mon dollar à la trace — si cela se pouvait — tant qu’il n’achète pas un homme ou un fusil pour tirer sur quelqu’un — le dollar est innocent — mais il m’importe de suivre les effets de mon obéissance. En fait, je déclare tranquillement la guerre à l’État, à ma manière à moi, mais bien décidé à tirer tout le parti possible de cet état de choses : à la guerre comme à la guerre.<br />
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S’il en est pour payer l’impôt qu’on me réclame, par solidarité envers l’État, ils ne font que continuer sur leur lancée, et même ils favorisent l’injustice dans une plus large mesure que l’État ne le requiert. S’ils paient l’impôt par suite d’un intérêt mal compris pour le contribuable, pour sauvegarder ses biens ou lui éviter la prison, c’est qu’ils n’ont pas eu la sagesse d’envisager le tort considérable que leurs sentiments personnels causent au bien public.<br />
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Telle est donc ma position pour le moment. Mais on ne saurait trop rester sur ses gardes en pareil cas, pour éviter que l’entêtement ou le respect indu pour l’opinion du monde ne déforme nos actes. Veillons à ne faire que ce qui nous convient personnellement a un moment donné.<br />
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Parfois, je pense: «Mais quoi! Ces gens croient bien faire, ils ne sont qu’ignorants ; ils agiraient mieux, s’ils savaient. Pourquoi donner a votre prochain la peine de vous traiter à l’encontre de ses inclinations ?» Mais en y réfléchissant, je ne vois pas pourquoi je ferais comme eux, pourquoi je laisserais mon prochain endurer une peine plus grande dans un autre genre. Et puis, je me dit aussi parfois :«lorsque des millions de gens sans emportement, sans hargne, sans intention aucune, ne réclament de vous qu’ une somme modique, sans pouvoir — ainsi le veut leur constitution — annuler ni modifier leur exigence actuelle et sans que vous ayez de votre côté le pouvoir d’en appeler à d’autres millions de gens, pourquoi s’exposer au déferlement d’une force aveugle ? On ne résiste pas à la soif et à la faim, aux vents et aux marées avec cet entêtement ; on se soumet tout bonnement a mille nécessités analogues. On ne se jette pas dans la gueule du loup.» Mais dans la mesure où cette force ne m’apparaît pas comme absolument aveugle, mais humaine en partie, et où je considère que mes liens avec ces millions, ce sont d’abord des liens avec des hommes et non avec de simples objets bruts et inanimés, je vois qu’un appel est possible d’abord et instantanément à leur Créateur et ensuite à eux-mêmes. Mais si, délibérément, je me jette dans la gueule du loup, à quoi bon en appeler au loup et au Créateur du loup ? Je n’ai à m’en prendre qu’à moi. Si je pouvais me convaincre que j’ai tout lieu d’être satisfait des hommes tels qu’ils sont, tout lieu de les traiter en conséquence, et non point à certains égards, selon ce que j’exige et ce que j’attends d’eux et de moi, alors en bon Musulman et en fataliste je m’efforcerais de me contenter de l’état de fait, me disant que telle est la volonté de Dieu. En outre, il y a une différence entre résister à la volonté divine et résister à une force purement aveugle et naturelle: c’est qu’à cette dernière je puis m’opposer ; mais je ne saurais espérer, nouvel Orphée, changer la nature des rocs, des arbres et des bêtes.<br />
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Je ne désire pas me quereller avec quiconque, homme ou nation, ni couper les cheveux en quatre, ni avancer de subtiles distinctions, ni me monter en épingle. Je cherche bien plutôt, croyez-moi, un simple prétexte pour me conformer aux lois nationales. je n’ai que trop tendance à m’y conformer. En vérité, j’ai bien sujet de me soupçonner sur ce chapitre; et chaque année, lorsque le percepteur se présente, je me trouve disposé à passer en revue les initiatives et la position du gouvernement fédéral, du gouvernement d’État et l’esprit du peuple, afin de trouver un prétexte à m’aligner.<br />
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''Tout comme nos parents, aimons notre pays''<br />
''Et s’il advient un jour que nous lui refusions''<br />
''L’hommage de l’amour ou celui du labeur,''<br />
''Veillons bien aux effets, et tâchons que notre âme''<br />
''Et non quelque appétit de règne ou de profit.''<br />
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Je crois que l’État sera bientôt en mesure de m’épargner toute obligation de ce genre, et alors je ne serai pas meilleur patriote que mes concitoyens. Envisagée d’un point de vue inférieur, la Constitution, malgré tous ses défauts, est fort bonne: la justice et les tribunaux sont forts respectables ; même cet État et ce gouvernement américain sont, à bien des égards, tout à fait remarquables, uniques et nous devons être pénétrés de reconnaissance, nous a-t-on-dit mille fois; mais vus d’un peu plus haut, ils sont ce que j’en ai dit, et d’encore plus haut, du plus haut, qui pourra dire ce qu’ils sont et s’ils méritent le moindre regard, la moindre pensée ?<br />
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Néanmoins, le gouvernement ne me soucie guère et je ne veux lui accorder que le minimum d’attention. Rares sont les moments où je vis sous un gouvernement, ici-bas. Si un homme a l’esprit libre, le cœur libre et l’imagination libre, ce qui n’est pas, n’ayant jamais longtemps l’apparence d’être à ses yeux, les gouvernants ou les réformateurs sans sagesse, ne peuvent sérieusement menacer son repos.<br />
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Je sais que la plupart des hommes ne pensent pas comme moi ; mais je mets dans le même lot ceux qui, par métier, consacrent leur vie à étudier de semblables sujets. Hommes d’État et législateurs, si bien enfermés dans leur institutions, ne l’aperçoivent jamais nettement et sans voiles. Ils parlent de changer la société, mais ils n’ont point de refuge hors d’elle. Peut-être sont-ils, dans une certaine mesure, hommes de jugement et d’expérience; ils ont sans doute inventé des systèmes ingénieux et non sans valeur, ce dont nous les remercions sincèrement; mais toute leur sagacité, toute leur utilité se cantonnent dans des limites bien étroites. Ils oublient aisément que le monde n’est pas gouverné par le système et l’opportunisme. Webster ne regarde jamais au-delà du gouvernement et n’en peut donc parler avec autorité. Ses paroles sont sagesse pour les législateurs qui n’envisagent aucune réforme essentielle dans le gouvernement en place; mais aux yeux des penseurs et de ceux qui légifèrent pour tous les temps, pas une fois il n’aborde le sujet.<br />
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J’en connais dont les spéculations sur ce thème plein de sagesse et de sérénité révéleraient vite combien sont bornées l’étendue et l’hospitalité de son esprit. Cependant, comparées aux déclarations falotes de la plupart des réformateurs et à la sagesse et à l’éloquence encore plus falotes de la plupart des politiciens en général, ses paroles sont presque les seules sensées et valables et nous en rendons grâces au Ciel. En regard des autres, il est toujours fort, original et surtout pratique. Pourtant, sa qualité n’est pas la sagesse, mais la prudence. La vérité du juriste n’est pas la Vérité : elle n’est que cohérence et opportunisme cohérent. La Vérité est toujours en harmonie avec elle-même et ne se préoccupe pas en premier lieu de révéler la justice qu’on va accorder avec le méfait. Il mérite bien d’être appelé, comme on l’a fait, le «Défenseur de la Constitution». Les seules attaques qu’il lance vraiment sont définitives. Ce n’est pas un chef, mais un suiveur. Ses chefs, ce sont les hommes de 87. «je n’ai jamais pris d’initiative», dit-il, «et je n’ai nul besoin d’en prendre; je n’ai jamais favorisé d’initiative et je n’entends nullement favoriser une initiative pour troubler l’arrangement conclu à l’origine, par lequel les divers États entrèrent dans l’Union .» Toujours avec l’idée de la sanction que la Constitution confère à l’esclavage, il dit: «Parce qu’il faisait partie du contrat originel, qu’il demeure.» En dépit de sa subtilité et de son talent particuliers, Webster est incapable de dégager un fait de ses rapports purement politiques, pour le contempler dans son essence intellectuelle, comme de dire par exemple ce qu’il convient à un homme de faire chez nous, en Amérique, aujourd’hui face à l’esclavage ; au contraire, il se risque, peut-être y est-il poussé, à formuler des réponses comme celle qui suit, tout en protestant qu’il parle dans l’absolu et en simple particulier (quel nouveau et singulier code des devoirs sociaux pourrait-on en déduire ?). «La manière dont les gouvernements des États où l’esclavage existe doivent régler ces problèmes est à leur discrétion, en vertu de leurs responsabilités vis-à-vis des électeurs, en regard des lois de la propriété, de l’humanité, de la justice et en regard de Dieu. Des associations formées ailleurs, issues d’un sentiment d’humanité ou de tout autre motif, n’ont absolument rien à y voir. Elles n’ont jamais reçu aucun encouragement de ma part et n’en recevront jamais.»<br />
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Ceux qui ne connaissent pas de sources de vérité plus pures, pour n’avoir pas remonté plus haut son cours, défendent — et ils ont raison — la Bible et la Constitution ; ils y boivent avec vénération et humilité; mais ceux qui voient la Vérité ruisseler dans ce lac, cet étang, se ceignent les reins de nouveau et poursuivent leur pèlerinage vers la source originelle.<br />
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Aucun homme doué d’un génie de législateur n’est apparu en Amérique. De tels êtres sont rares dans l’histoire du monde. Des orateurs, des politiciens et des rhétoriciens, il s’en trouve à foison. Mais il n’a pas encore ouvert la bouche pour parler, celui qui est capable de trancher les questions tant débattues d’aujourd’hui. Nous aimons l’éloquence pour l’éloquence et non pour la vérité qu’elle peut énoncer ou l’héroïsme qu’elle peut inspirer. Il reste à nos législateurs de saisir la valeur comparée du libre-échange et de la liberté, de l’Union et de la rectitude, au sein d’une nation. Ils n’ont pas de génie ou de talent, même sur des points relativement modestes d’impôts et de finance, de commerce, d’industrie et d’agriculture. Si pour nous guider, nous n’avions pour toute ressource que l’ingéniosité verbeuse des législateurs du Congrès, sans le correctif de l’expérience bien venue et des doléances efficaces du peuple, l’Amérique ne garderait pas longtemps son rang parmi les nations. Il y a 1800 ans — je n’ai peut-être pas le droit de le dire — que le Nouveau Testament a été écrit; pourtant, où est le législateur doué d’assez de sagesse et de réalisme pour profiter de la lumière que cet enseignement jette sur la Législation ?<br />
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L’autorité du gouvernement, même de celui auquel je veux bien me soumettre — car j’obéirai de bon cœur à ceux qui ont des connaissances et des capacités supérieures aux miennes et, sur bien des points, même à ceux qui n’ont ni ces connaissances ni ces capacités — cette autorité est toujours impure. En toute justice, elle doit recevoir la sanction et l’assentiment des gouvernés. Elle ne peut avoir sur ma personne et sur mes biens d’autre vrai droit que celui que je lui concède. L’évolution de la monarchie absolue à la monarchie parlementaire, et de la monarchie parlementaire à la démocratie, montre une évolution vers un respect véritable de l’individu.<br />
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Le philosophe chinois lui-même avait assez de sagesse pour considérer l’individu comme la base de l’Empire. La démocratie telle que nous la connaissons est-elle l’aboutissement ultime du gouvernement ? Ne peut-on franchir une nouvelle étape vers la reconnaissance et l’établissement des droits de l’homme ? jamais il n’y aura d’État vraiment libre et éclairé, tant que l’État n’en viendra pas à reconnaître à l’individu un pouvoir supérieur et indépendant d’où découlerait tout le pouvoir et l’autorité d’un gouvernement prêt à traiter l’individu en conséquence. je me plais à imaginer un État enfin, qui se permettrait d’être juste pour tous et de traiter l’individu avec respect, en voisin ; qui même ne trouverait pas incompatible avec son repos que quelques-uns choisissent de vivre en marge, sans se mêler des affaires du gouvernement ni se laisser étreindre par lui, du moment qu’ils rempliraient tous les devoirs envers les voisins et leurs semblables. Un État, qui porterait ce genre de fruit et accepterait qu’il tombât sitôt mûr, ouvrirait la voie à un État encore plus parfait, plus splendide, que j’ai imaginé certes, mais encore vu nulle part. <br />
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[[wl:Henry David Thoreau]]</div>Lexingtonhttps://www.catallaxia.org/wiki/Russell_Kirk:Russell_Kirk,_un_esprit_conservateurRussell Kirk:Russell Kirk, un esprit conservateur2023-09-28T08:59:15Z<p>Lexington : Page créée avec « {{titre2|''Russell Kirk, un esprit conservateur''|Damien Theillier pour le Bulletin d'Amérique, en 2011|}} <div class="text"> Théoricien du conservatisme américain, Russell Kirk (1918-1994) reste un des intellectuels les plus influents outre-Atlantique. Damien Theillier, Président de l’Institut Coppet, nous explique les traits essentiels de sa pensée. *** '''Le Bulletin d’Amérique: Russell Kirk est un des théoriciens du conservatisme américain contempo... »</p>
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<div>{{titre2|''Russell Kirk, un esprit conservateur''|Damien Theillier pour le Bulletin d'Amérique, en 2011|}}<br />
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Théoricien du conservatisme américain, Russell Kirk (1918-1994) reste un des intellectuels les plus influents outre-Atlantique. Damien Theillier, Président de l’Institut Coppet, nous explique les traits essentiels de sa pensée.<br />
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'''Le Bulletin d’Amérique: Russell Kirk est un des théoriciens du conservatisme américain contemporain. Qui était-il ?'''<br />
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Damien Theiller: Professeur de littérature à l’Université du Michigan, Kirk fut peut être l’un des plus importants penseurs conservateurs américains du XXe siècle. Il était un historien, biographe littéraire, biographe politique, romancier à succès, critique social et essayiste, défenseur de la liberté académique, conseiller des présidents et des candidats à la présidentielle, catholique, stoïcien, débatteur de renommée nationale. En bref, il était à la fois un « homme de lettres » et un aristocrate de l’esprit.<br />
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Au cours de ses 43 années de carrière d’écriture, il a abordé de nombreux sujets, et il a reçu l’amitié de personnalités célèbres : Flannery O’Connor, TS Eliot, Ronald Reagan, et Ray Bradbury. Il a été surnommé, entre autres, « le Cicéron américain », le « Sage de Mecosta », (Mecosta est la ville natale de Kirk dans le centre du Michigan) ou encore le « Sorcier de Mecosta ».<br />
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Disciple de Burke et de J. H. Newman, ami de l’économiste allemand « ordolibéral » Wilhelm Röpke, il fut le fondateur de la revue Modern Age et l’auteur en 1953 d’un livre-phare pour tous les conservateurs américains : The Conservative Mind, from Burke to Eliot. Ce livre est considéré comme le point de départ du Mouvement Conservateur Moderne appelé aussi « New Conservatism », deux ans avant la création de National Review par William Buckley. Kirk contribua pendant 25 ans à cette revue qui deviendra la tribune privilégiée des conservateurs, toute tendance confondue. Une polémique célèbre l’opposa d’ailleurs au rédacteur en chef Frank Meyer, puis aux libertariens, sur la question de l’individualisme. Kirk défendait un point de vue communautaire, rejetant ce qu’il nommait « atomisme social », tandis que Meyer plaidait pour une alliance de la liberté individuelle et de la vertu, l’une étant indissociable de l’autre. En 1964 il contribue toutefois au lancement de la campagne de Barry Goldwater. Proche de Heritage Foundation, il y a prononcé plus de cinquante conférences dans les dix dernières années de sa vie. Il a été très critique de la guerre du Vietnam dans les années 1960 et de la guerre du Golfe en 1991 et il jugeait très sévèrement les libertariens pour leur agnosticisme religieux ainsi que les néo-conservateurs pour leur impérialisme démocratique.<br />
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'''Quel est son conservatisme ? Sur quoi le fonde t-il ?'''<br />
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Le conservatisme de Russell Kirk (comme le traditionalisme en général) est marqué par un certain pessimisme anthropologique et culturel. Il s’oppose à l’utopie de la perfectibilité indéfinie de l’homme et au culte de la raison. Enfin, il est sensible au déclin de la civilisation et aux conséquences sociales du rejet de l’ordre naturel. Un thème commun à Léo Strauss ou à Eric Voegelin, ses contemporains.<br />
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C’est la primauté du spirituel qui caractérise l’esprit conservateur selon Kirk. Dans son livre The Conservative Mind, from Burke to Eliot, Kirk rappelle à ses lecteurs que les problèmes politiques sont fondamentalement des « problèmes religieux et moraux » et que pour se ressourcer, une société a besoin de puiser au-delà du politique et de l’économique. Pour autant, cette primauté du spirituel n’est pas du moralisme, elle peut s’incarner dans le politique et l’économique. Mais il n’y a pas de politique sans un principe spirituel qui la fonde.<br />
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Il faut insister aussi sur le fait que le mouvement intellectuel conservateur en Amérique n’est pas un mouvement monolithique. Et Kirk lui-même a évolué dans sa pensée au fur et à mesure de ses recherches. Il n’était pas un idéologue politique et il a toujours déploré les tentatives visant à remplacer la recherche ouverte de la vérité par des dogmes idéologiques. Pour cette raison, ses livres et essais ne contiennent pas de plates-formes politiques ou de plans sur la façon dont le pouvoir politique peut résoudre les problèmes sociaux. C’est pourquoi le conservatisme de Kirk n’est pas une idéologie mais un ensemble de principes prudentiels, c’est-à-dire acquis par l’expérience et la sagesse des générations. « Le conservateur, disait-il, est une personne qui essaye de conserver le meilleur de nos traditions et de nos institutions, et de concilier cela avec une réforme nécessaire de temps en temps. »<br />
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'''Kirk a tenté de définir les principes conservateurs. Quels sont-ils ?'''<br />
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Les principes conservateurs, selon Kirk, sont des principes de la civilisation, ancrés dans l’histoire. Dans son Program for Conservatives, il identifie deux piliers du conservatisme : l’État de droit et un ordre moral transcendantal. L’État doit être fort dans ses tâches régaliennes mais accomplissant pour le reste une « cure d’humilité ». Les conservateurs luttent contre toute forme de collectivisme. Ils défendent les corps intermédiaires et la subsidiarité. Par ailleurs, devant la « crise morale issue de l’orientation scientiste et matérialiste de la fin du Moyen Age », il s’agit de réhabiliter la loi naturelle, socle de la civilisation chrétienne.<br />
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Dans The American Cause (1957), il explique comment les Pères Fondateurs ont essayé de créer un gouvernement fondé sur trois corps de principes : éthiques, politiques et économiques. La croyance en Dieu et le respect de la loi naturelle sont les principes éthiques. La justice, l’ordre et la liberté sont les principes politiques. Enfin le libre marché et la libre entreprise sont les principes économiques. Le libre marché est le système économique le mieux adapté à la nature humaine c’est-à-dire aux exigences de la justice, de l’ordre et de la liberté. Un système de libre marché concurrentiel favorise la justice – « à chacun le sien » — en permettant aux individus de promouvoir leurs talents et leur travail. Il favorise l’ordre parce qu’il permet à chacun de servir ses intérêts et ses ambitions. Enfin, le libre marché favorise la liberté parce qu’il est fondé sur des choix librement consentis. Là où la liberté économique est érodée, la liberté morale et politique commencent à disparaître. Finalement Kirk se sentait intellectuellement très proche de Wilhelm Röpke, qui fut président de la Société du Mont Pèlerin et dont il était l’ami.<br />
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'''Quels livres faudrait-il lire de Russell Kirk ?'''<br />
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Russell Kirk n’a jamais été traduit en français. Par contre on peut lire avec profit : Nicolas Kessler, Le conservatisme américain (Que Sais-Je ?, PUF, 1998). Nicolas Kessler est un fin connaisseur de Russell Kirk et son livre est, à mon sens, le meilleur livre écrit en français sur l’histoire de ce mouvement et le rôle joué par Kirk. Le Bulletin d’Amérique publiera d’ailleurs bientôt, avec son autorisation, un article de Nicolas Kessler sur Robert Nisbet, qui fut un compagnon de route du New Conservatism, et un grand sociologue américain.<br />
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Mais pour les anglophones, je conseillerais de lire deux petits livres de Kirk qui forment une bonne synthèse de sa pensée : A Program for Conservatives (1954), disponible en version électronique pour iphone et ipad et The American Cause (1957, réédité par ISI Books en 2002) (lire l’introduction ici). Il existe également des biographies récentes : Russell Kirk : A Critical Biography of a Conservative Mind par James E. Person, Jr., Russell Kirk and the Age of Ideology par W. Wesley McDonald ou encore The Postmodern Imagination of Russell Kirk par Gerald J. Russello*. Enfin, signalons l’existence d’une version abrégée de The conservative mind, disponible en libre accès sur le web.<br />
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*A Critical Biography of a Conservative Mind par James E. Person, Jr. (Lanham, MD: Madison Books, 1999). 249 pp;<br />
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Russell Kirk and the Age of Ideology par W. Wesley McDonald. (Columbia, MO: University of Missouri Press, 2004). 243 pp;<br />
<br />
The Postmodern Imagination of Russell Kirk par Gerald J. Russello. (Columbia, MO: University of Missouri Press, 2007). 248 pp.<br />
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<references /><br />
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[[wl:Russell Kirk]]</div>Lexington