Différences entre les versions de « Alain Laurent:Le paradoxe du libéralisme : du bon usage de la coercition »

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Ainsi que Humboldt l’a exposé dès 1791 dans son célèbre ''[[:wl:Essai sur les limites de l'action de l'État|Essai sur les limites de l'action de l'État]]'', pour quasiment tous les libéraux la responsabilité d’"enforcer" le respect des règles de juste conduite et la protection des droits et de la liberté des individus (et donc à cette fin de recourir à l’usage légitime de la coercition) doit, dans une société politiquement constituée (constitutionnelle), relever d’un monopole public. C’est d’ailleurs pour eux le seul qui justifie la présence d’un État limité – au minimum chargé d’administrer l’emploi de la force (et non pas de la violence – qui n’existe que s’il y a… viol du Droit) tant pour assurer la sécurité intérieure que la défense contre des agressions extérieures. Ceci avec le consentement et sous le contrôle des individus-citoyens eux-mêmes respectueux du Droit. Au XIX° siècle, même les libéraux les plus radicaux adhèrent à cette conception. Pour Bastiat, « l'État, ce n’est ou ce ne devrait être autre chose que la force commune instituée…pour garantir à chacun le sien, et faire régner la justice et la sécurité. » (''[[L'État|L'État]]''). Après avoir suggéré dans un article fameux du [[:wl:Journal des économistes|Journal des Économistes]] en 1849 que la « production de sécurité » soit uniquement assurée par des agences privées en concurrence, [[Gustave de Molinari|G. de Molinari]] revient au schéma classique de l’Etat garant et administrateur de la sûreté publique dans ses écrits ultérieurs – en particulier dans son testament intellectuel, Ultima verba. Quant au pourtant si anti-étatiste auteur du Droit d’ignorer l'État figurant en tête des Social statics, Spencer, il considère dans le chapitre XXI (« Les devoirs de l’Etat ») du même ouvrage que « la fonction essentielle de l’Etat (est de) protéger la loi d’égale liberté, de préserver les droits des hommes » et qu’il convient de « lui assigner le devoir de protéger (l’individu) contre les agressions extérieures »…
Ainsi que Humboldt l’a exposé dès 1791 dans son célèbre ''[[:wl:Essai sur les limites de l'action de l'État|Essai sur les limites de l'action de l'État]]'', pour quasiment tous les libéraux la responsabilité d’"enforcer" le respect des règles de juste conduite et la protection des droits et de la liberté des individus (et donc à cette fin de recourir à l’usage légitime de la coercition) doit, dans une société politiquement constituée (constitutionnelle), relever d’un monopole public. C’est d’ailleurs pour eux le seul qui justifie la présence d’un État limité – au minimum chargé d’administrer l’emploi de la force (et non pas de la violence – qui n’existe que s’il y a… viol du Droit) tant pour assurer la sécurité intérieure que la défense contre des agressions extérieures. Ceci avec le consentement et sous le contrôle des individus-citoyens eux-mêmes respectueux du Droit. Au XIX° siècle, même les libéraux les plus radicaux adhèrent à cette conception. Pour Bastiat, « l'État, ce n’est ou ce ne devrait être autre chose que la force commune instituée…pour garantir à chacun le sien, et faire régner la justice et la sécurité. » (''[[L'État|L'État]]''). Après avoir suggéré dans un article fameux du [[:wl:Journal des économistes|Journal des Économistes]] en 1849 que la « production de sécurité » soit uniquement assurée par des agences privées en concurrence, [[Gustave de Molinari|G. de Molinari]] revient au schéma classique de l’Etat garant et administrateur de la sûreté publique dans ses écrits ultérieurs – en particulier dans son testament intellectuel, Ultima verba. Quant au pourtant si anti-étatiste auteur du Droit d’ignorer l'État figurant en tête des Social statics, Spencer, il considère dans le chapitre XXI (« Les devoirs de l’Etat ») du même ouvrage que « la fonction essentielle de l’Etat (est de) protéger la loi d’égale liberté, de préserver les droits des hommes » et qu’il convient de « lui assigner le devoir de protéger (l’individu) contre les agressions extérieures »…
Les libéraux auraient-ils depuis évolué, pour se rallier à la thèse « anarcho-capitaliste » de la privatisation généralisée de la production de sécurité ? Il n’en est rien. Tout au long du vingtième siècle, pratiquement tous se prononcent expressément en faveur de l’attribution de cette mission d’abord à l’Etat – minimal ou limité. Dans la seconde moitié du siècle, outre [[:wl:Leonard Read|L. Read]] (l’inventeur du terme « libertarien ») dans Government : an ideal, [[:wl:Henry Hazlitt|H. Hazlitt]] (''Economics in one lesson''), [[:wl:Milton Friedman|Milton Friedman]] (''[[Capitalisme et liberté|Capitalism and freedom]]) et [[James McGill Buchanan|J. Buchanan]] (''The limits of liberty''), on voit Mises réaffirmer avec force dans l’Action humaine ce qu’il avait déjà énoncé dans Liberalism (« Voici ce que la doctrine libérale assigne à l’Etat : la protection de la propriété, de la liberté et de la paix. ») : « Une société selon l’anarchisme serait à la merci de tout individu. La société ne peut exister sans que la majorité accepte que, par l’application ou la menace d’action violente, les minorités soient empêchées de détruire l’ordre social. Ce pouvoir est conféré à l’Etat ou au gouvernement (…) L’Etat ou le gouvernement est l’appareil social de contrainte de répression. Il a le monopole de l’action violente…L’Etat est essentiellement une institution pour la préservation des relations pacifiques entre les hommes. Néanmoins, pour préserver la paix, il doit être en mesure d’écraser les assauts des briseurs de paix. » (pp. 157/8). Hayek n’est pas en reste : « La société libre s’est attaquée (au problème de la coercition) en conférant le monopole de l’emploi de la coercition à l’Etat et en essayant de limiter ce pouvoir de l’Etat aux cas où il s’agit d’empêcher les particuliers d’en user (…) Le pouvoir politique (est) admis à employer la coercition uniquement en vue de faire respecter des règles connues visant à fournir le meilleur cadre possible pour que les individus puissent conduire leurs activités selon un plan cohérent et rationnel…Il est probablement souhaitable de ne tenir pour justifié le recours à la coercition par l’Etat que pour la seule prévention de coercitions plus graves encore. » (La Constitution de la Liberté, pp. 21 et 144). Plus tard, dans Droit, Législation et Liberté, il ajoutera que limité « à la seule exception du maintien et de la sanction de la loi », le « monopole légal et coercitif de l’Etat implique à cette fin une force armée (cette mission englobe la défense contre l’ennemi extérieur » (III, p. 176)…
Les libéraux auraient-ils depuis évolué, pour se rallier à la thèse « anarcho-capitaliste » de la privatisation généralisée de la production de sécurité ? Il n’en est rien. Tout au long du vingtième siècle, pratiquement tous se prononcent expressément en faveur de l’attribution de cette mission d’abord à l’Etat – minimal ou limité. Dans la seconde moitié du siècle, outre [[:wl:Leonard Read|L. Read]] (l’inventeur du terme « libertarien ») dans Government : an ideal, [[:wl:Henry Hazlitt|H. Hazlitt]] (''Economics in one lesson''), [[:wl:Milton Friedman|Milton Friedman]] (''[[:wl:Capitalisme et liberté|Capitalism and freedom]]) et [[:wl:James McGill Buchanan|J. Buchanan]] (''The limits of liberty''), on voit Mises réaffirmer avec force dans l’Action humaine ce qu’il avait déjà énoncé dans Liberalism (« Voici ce que la doctrine libérale assigne à l’Etat : la protection de la propriété, de la liberté et de la paix. ») : « Une société selon l’anarchisme serait à la merci de tout individu. La société ne peut exister sans que la majorité accepte que, par l’application ou la menace d’action violente, les minorités soient empêchées de détruire l’ordre social. Ce pouvoir est conféré à l’Etat ou au gouvernement (…) L’Etat ou le gouvernement est l’appareil social de contrainte de répression. Il a le monopole de l’action violente…L’Etat est essentiellement une institution pour la préservation des relations pacifiques entre les hommes. Néanmoins, pour préserver la paix, il doit être en mesure d’écraser les assauts des briseurs de paix. » (pp. 157/8). Hayek n’est pas en reste : « La société libre s’est attaquée (au problème de la coercition) en conférant le monopole de l’emploi de la coercition à l’Etat et en essayant de limiter ce pouvoir de l’Etat aux cas où il s’agit d’empêcher les particuliers d’en user (…) Le pouvoir politique (est) admis à employer la coercition uniquement en vue de faire respecter des règles connues visant à fournir le meilleur cadre possible pour que les individus puissent conduire leurs activités selon un plan cohérent et rationnel…Il est probablement souhaitable de ne tenir pour justifié le recours à la coercition par l’Etat que pour la seule prévention de coercitions plus graves encore. » (La Constitution de la Liberté, pp. 21 et 144). Plus tard, dans Droit, Législation et Liberté, il ajoutera que limité « à la seule exception du maintien et de la sanction de la loi », le « monopole légal et coercitif de l’Etat implique à cette fin une force armée (cette mission englobe la défense contre l’ennemi extérieur » (III, p. 176)…


A l’exception des « anarcho-capitalistes » Murray Rothbard et David Friedman, les libertariens américains contemporains eux-mêmes aussi souscrivent à cette option de l’Etat minimal exclusivement (c’est sa seule fonction et il est seul à l’assurer…) chargé de protéger la liberté individuelle par la force s’il le faut. Leur cas est d’autant plus instructif qu’ils sont par ailleurs les plus radicalement anti-étatistes des libéraux et qu’ils sont plus attentifs que les autres libéraux à justifier intellectuellement avec soin la dévolution de la contrainte coercitive à un unique agent public. Selon Ayn Rand – la célèbre philosophe du capitalisme et du  laissez-faire intégral - , « si la force physique doit être exclue des relations sociales, les hommes ont besoin d’une institution ayant pour tâche de protéger leurs droits grâce à un code objectif de règles. Cette tâche est celle d’un Gouvernement – d’un vrai Gouvernement, sa tâche foncière, sa seule justification morale et la raison pour laquelle les hommes ont besoin d’un Gouvernement (…) Un Gouvernement détient le monopole de l’usage légal de la force physique. Il a le droit de détenir un tel monopole puisqu’il est l’agent chargé de restreindre et combattre le recours à la violence. Pour cette même raison, ses actions doivent être rigoureusement définies, délimitées et contenues. » (« La nature du gouvernement », dans ''[[:wl:La Vertu d'égoïsme|La Vertu d'égoïsme]]''). Au début du XXI° siècle, D. Kelley, le disciple le plus ouvert et influent d’Ayn Rand, soutient exactement cette même thèse.
A l’exception des « anarcho-capitalistes » Murray Rothbard et David Friedman, les libertariens américains contemporains eux-mêmes aussi souscrivent à cette option de l’Etat minimal exclusivement (c’est sa seule fonction et il est seul à l’assurer…) chargé de protéger la liberté individuelle par la force s’il le faut. Leur cas est d’autant plus instructif qu’ils sont par ailleurs les plus radicalement anti-étatistes des libéraux et qu’ils sont plus attentifs que les autres libéraux à justifier intellectuellement avec soin la dévolution de la contrainte coercitive à un unique agent public. Selon Ayn Rand – la célèbre philosophe du capitalisme et du  laissez-faire intégral - , « si la force physique doit être exclue des relations sociales, les hommes ont besoin d’une institution ayant pour tâche de protéger leurs droits grâce à un code objectif de règles. Cette tâche est celle d’un Gouvernement – d’un vrai Gouvernement, sa tâche foncière, sa seule justification morale et la raison pour laquelle les hommes ont besoin d’un Gouvernement (…) Un Gouvernement détient le monopole de l’usage légal de la force physique. Il a le droit de détenir un tel monopole puisqu’il est l’agent chargé de restreindre et combattre le recours à la violence. Pour cette même raison, ses actions doivent être rigoureusement définies, délimitées et contenues. » (« La nature du gouvernement », dans ''[[:wl:La Vertu d'égoïsme|La Vertu d'égoïsme]]''). Au début du XXI° siècle, D. Kelley, le disciple le plus ouvert et influent d’Ayn Rand, soutient exactement cette même thèse.
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