Anonyme:La justice soviétique


Anonyme:La justice soviétique
Critique de La Justice soviétique, ouvrage quasi introuvable


Anonyme
Texte paru initialement sur Enquête et Débat


La Justice soviétique est un livre écrit en langue française par deux Polonais, Sylvestre Mora et Pierre Zwierniak, de leurs vrais noms Kazimierz Zamorski et Stanislas Starzewski, et publié en 1945 chez un petit éditeur italien situé à Rome, Magi-Spinetti. Les éditions Les Sept Couleurs de Maurice Bardèche le rééditeront en 1975 sous le titre La « liberté » des communistes ; Police, prisons et camps soviétiques avec comme auteurs Sylvestre M. et Pierre Z..

La particularité de ce document est que, bien avant L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne, est exposé et analysé dans le détail l’univers concentrationnaire soviétique. Tout y est dit et la qualité du travail est telle que ce livre servira de source pour l’ouvrage de référence La Grande Terreur de Robert Conquest publié en France en 1970 ou, plus récemment, pour Le Siècle des Camps de Joël Kotek et Pierre Rigoulot (Lattès – 2000).

De même, antérieurement à Hannah Arendt (Les origines du totalitarisme paru en 1949), les auteurs qualifient l’Union soviétique d’État totalitaire et dressent plusieurs parallèles avec l’Allemagne nazie. Certes, cette comparaison n’est pas nouvelle, André Gide l’avait déjà faite dans son Retour de l’URSS en 1936. Le terme “totalitaire” avait lui aussi été utilisé plusieurs années auparavant. Pour cela, je renvoie au dernier ouvrage de Philippe Bruneteau, Le totalitarisme ; origine d’un concept, genèse d’un débat (1930-1942) publié aux éditions du Cerf en 2010. Mais, pour la première fois, une étude est faite par deux personnes ayant vécu le système de l’intérieur et s’appuyant sur 12 000 témoignages de rescapés.

L’ouvrage se divise en deux parties. La première est une analyse du droit pénal soviétique. En se référant aux textes du Code pénal, les auteurs mettent notamment en avant le concept de la responsabilité collective (pour tout citoyen ayant commis une infraction, ses proches peuvent être également arrêtés), démontrent l’obligation de la délation ou rappellent que les mineurs peuvent être condamnés pénalement dès l’âge de 13 ans et se retrouver dans les camps à partir de 14 ans.

Sont également détaillées les rations alimentaires des prisonniers en fonction de leurs catégories, les différentes utilisations de la torture ainsi que les différents types de camps ou de prisons.

Le terme de “Goulag” est lui-même employé et défini. Ils expliquent comment les déportés, véritable main d’œuvre gratuite soumise au travail forcé, sont un élément central de la vie économique du pays. D’ailleurs, dans un tableau fort instructif, est dressé le pourcentage de prisonniers par rapport à la population totale dans plusieurs pays européens avant la guerre. Pour l’URSS, le taux s’élève à 7.73 % alors que pour la France, qualifiée par les communistes de “pays bourgeois”, il est seulement de 0.05 %.

La seconde partie est un recueil de témoignages de survivants polonais, juifs, lituaniens, biélorusses et ukrainiens arrêtes et/ou déportés à la suite de l’invasion de la Pologne par l’Union soviétique en 1939. Ils font partis des 115 000 hommes, femmes et enfants évacués en 1942 vers le nord de l’Iran grâce au Général polonais Anders. C’est leur voix qui s’élève ici, mais elle sera malheureusement peu écoutée car, au même moment, l’Europe va découvrir toute l’horreur des camps nazis. Et contrairement à l’Allemagne, l’URSS fait partie des vainqueurs et son prestige international est désormais immense.

Ainsi, comme le prévoient les auteurs, « le procès de l’intimidation des personnes contraires au communisme dure et se renforce. Tout essai de défense de la démocratie et de la liberté humaine est condamné, ainsi que toute critique défavorable au totalitarisme russe. Celui qui ose la faire est nommé fasciste et est excommunié ».

Peu connu en dehors des spécialistes, ignorée du grand public, entachée par sa publication à la maison d’édition du négationniste Maurice Bardèche alors que cela ne modifie en rien la qualité du document, cette œuvre mérite à mon avis une réédition pour que ceux qui soutenaient (ou soutiennent encore) ce type de régime ne puissent plus dire : « on ne savait pas ». Au contraire, ils le savaient parfaitement, mais ils ne voulaient pas savoir. Nuance.

Sources : En plus des ouvrages cités dans le texte, se reporter à l’excellente étude de Pierre Rigoulot, Les paupières lourdes ; Les Français face au goulag : aveuglements et indignations, publiée aux Éditions Universitaires en 1991 (ouvrage malheureusement épuisé qui mériterait bien lui aussi une réédition).

wl:URSS