Différences entre les versions de « L'éthique, un drôle de truc ! »

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Simplement que les termites-soldats luttent et meurent parce qu'elles ''doivent'' le faire, c'est plus fort qu'eux (comme l'araignée qui dévore la mouche). En revanche, Hector va affronter Achille parce qu'il le ''veut''. Les termites-soldats ne peuvent déserter, ni se révolter, ni tirer au flanc pour laisser leur place à d'autres : ils sont ''programmés'' par la nature pour accomplir obligatoirement leur mission héroïque. La situation d'Hector est différente. Il pourrait dire qu'il est malade, ou qu'il n'a pas envie d'affronter un combattant plus fort que lui, ces concitoyens le traiteraient sans doute de lâche et de dégonflé ou lui demanderait s'il a envisagé un autre plan pour arrêter Achille, mais, dans tous les cas, il n'y a pas de doute, il peut refuser d'être un héros. Quel que soit les pressions exercées sur lui, il pourra toujours se défiler : il n'est pas ''programmé'' pour être un héros, aucun homme ne l'est. D'où le mérite de son geste, et l'émotion épique avec laquelle Homère raconte son histoire. A la différence des termites, nous disons qu'Hector est ''libre'', et, pour cette raison même, nous admirons son courage.
Simplement que les termites-soldats luttent et meurent parce qu'elles ''doivent'' le faire, c'est plus fort qu'eux (comme l'araignée qui dévore la mouche). En revanche, Hector va affronter Achille parce qu'il le ''veut''. Les termites-soldats ne peuvent déserter, ni se révolter, ni tirer au flanc pour laisser leur place à d'autres : ils sont ''programmés'' par la nature pour accomplir obligatoirement leur mission héroïque. La situation d'Hector est différente. Il pourrait dire qu'il est malade, ou qu'il n'a pas envie d'affronter un combattant plus fort que lui, ces concitoyens le traiteraient sans doute de lâche et de dégonflé ou lui demanderait s'il a envisagé un autre plan pour arrêter Achille, mais, dans tous les cas, il n'y a pas de doute, il peut refuser d'être un héros. Quel que soit les pressions exercées sur lui, il pourra toujours se défiler : il n'est pas ''programmé'' pour être un héros, aucun homme ne l'est. D'où le mérite de son geste, et l'émotion épique avec laquelle Homère raconte son histoire. A la différence des termites, nous disons qu'Hector est ''libre'', et, pour cette raison même, nous admirons son courage.


Et nous arrivons au mot-clé de tout cette imbroglio : ''liberté''. Les animaux (sans parler des minéraux ni des plantes) sont obligés d'être tels qu'ils sont et de faire ce pourquoi ils ont été programmés naturellement. On ne peut leur reprocher leurs actes ni les admirer, ''car ils ne savent pas se comporter autrement''. Un tel comportement obligatoire leur épargne sans doute bien des cas de conscience. Bien entendu, les hommes sont aussi programmés par la nature, dans une certaine mesure. Nous sommes faits pour boire de l'eau, pas de l'eau de javel, et, malgré toutes nos précautions, nous finirons par mourir tôt ou tard. D'une façon moins impérieuse quoique analogue, notre programme ''culturel'' est déterminant : notre pensée est conditionnée par le language qui lui donne sa forme (un language imposé de l'extérieur, que nous n'avons pas inventé pour notre usage personnel) et nous sommes élevés dans certaines traditions, moeurs, attitudes, légendes... ; en un mot, on nous inculque au berceau certaines ''fidélités''. Cet ensemble pèse lourd et nous rend passablement prévisibles. Prenons par exemple Hector, dont nous venons de parler. Sa programmation naturelle éveillait en lui une soif de protection et d'entraide, vertu qu'il avait à peu près trouvé dans sa ville de Troie. Non moins naturellement, il éprouvait de la tendresse pour sa femme Andromaque — qui lui offrait une compagnie agréable — et pour son rejeton avec qui il était lié biologiquement. Culturellement, il se sentait de Troie et partageait la langue, les coutumes et les traditions de ses concitoyens. En outre, il avait été éduqué depuis son enfance pour être un bon guerrier au service de sa ville, pour prendre en horreur la lâcheté, indigne d'un homme. Si Hector trahissait les siens, il savait qu'il serait méprisé et châtié d'une façon ou d'une autre. Il était donc relativement bien programmé pour agir comme il l'a fait, n'est-ce pas ? Et pourtant...
Et nous arrivons au mot-clé de tout cette imbroglio : ''liberté''. Les animaux (sans parler des minéraux ni des plantes) sont obligés d'être tels qu'ils sont et de faire ce pourquoi ils ont été programmés naturellement. On ne peut leur reprocher leurs actes ni les admirer, ''car ils ne savent pas se comporter autrement''. Un tel comportement obligatoire leur épargne sans doute bien des cas de conscience. Bien entendu, les hommes sont aussi programmés par la nature, dans une certaine mesure. Nous sommes faits pour boire de l'eau, pas de l'eau de Javel, et, malgré toutes nos précautions, nous finirons par mourir tôt ou tard. D'une façon moins impérieuse quoique analogue, notre programme ''culturel'' est déterminant : notre pensée est conditionnée par le language qui lui donne sa forme (un language imposé de l'extérieur, que nous n'avons pas inventé pour notre usage personnel) et nous sommes élevés dans certaines traditions, moeurs, attitudes, légendes... ; en un mot, on nous inculque au berceau certaines ''fidélités''. Cet ensemble pèse lourd et nous rend passablement prévisibles. Prenons par exemple Hector, dont nous venons de parler. Sa programmation naturelle éveillait en lui une soif de protection et d'entraide, vertu qu'il avait à peu près trouvé dans sa ville de Troie. Non moins naturellement, il éprouvait de la tendresse pour sa femme Andromaque — qui lui offrait une compagnie agréable — et pour son rejeton avec qui il était lié biologiquement. Culturellement, il se sentait de Troie et partageait la langue, les coutumes et les traditions de ses concitoyens. En outre, il avait été éduqué depuis son enfance pour être un bon guerrier au service de sa ville, pour prendre en horreur la lâcheté, indigne d'un homme. Si Hector trahissait les siens, il savait qu'il serait méprisé et châtié d'une façon ou d'une autre. Il était donc relativement bien programmé pour agir comme il l'a fait, n'est-ce pas ? Et pourtant...


Pourtant, Hector aurait pu dire : "Au diable toutes ces histoires !" Il aurait pu se déguiser en femme et s'évader de Troie à la faveur de la nuit, feindre d'être malade ou fou pour ne pas se battre, s'agenouiller devant Achille et lui offrir de la guider pour investir Troie par son flanc le plus faible ; il aurait aussi pu sombrer dans l'alcool ou inventer une nouvelle religion proclamant qu'on ne doit pas se battre contre ses ennemis, mais, au contraire, tendre l'autre joue quand on reçoit un soufflet. Tu me diras que tous ces comportements auraient eu l'air ''bizarres'', vu le caractère d'Hector et l'éducation qu'il avait reçu. Mais reconnaît que ces hypothèses ne sont pas ''impossibles'', alors qu'un Castor qui bricole un rayon de cire ou un termite qui déserte, c'est non seulement bizarre, mais surtout impossible. Avec les hommes, on ne peut jamais être entièrement sûr, contrairement aux animaux et autres êtres de la nature. Les hommes ont beau être programmé jusque dans les moindres détails, biologiquement et culturellement, ils peuvent toujours choisir une solution qui ne figure pas dans le programme (ou pas ''entièrement''). Nous pouvons dire "oui" ou "non", je veux ou je ne veux pas. Même forcé par les circonstances, nous n'avons jamais ''une seule'' voie à suivre, mais plusieurs.
Pourtant, Hector aurait pu dire : "Au diable toutes ces histoires !" Il aurait pu se déguiser en femme et s'évader de Troie à la faveur de la nuit, feindre d'être malade ou fou pour ne pas se battre, s'agenouiller devant Achille et lui offrir de la guider pour investir Troie par son flanc le plus faible ; il aurait aussi pu sombrer dans l'alcool ou inventer une nouvelle religion proclamant qu'on ne doit pas se battre contre ses ennemis, mais, au contraire, tendre l'autre joue quand on reçoit un soufflet. Tu me diras que tous ces comportements auraient eu l'air ''bizarres'', vu le caractère d'Hector et l'éducation qu'il avait reçu. Mais reconnaît que ces hypothèses ne sont pas ''impossibles'', alors qu'un Castor qui bricole un rayon de cire ou un termite qui déserte, c'est non seulement bizarre, mais surtout impossible. Avec les hommes, on ne peut jamais être entièrement sûr, contrairement aux animaux et autres êtres de la nature. Les hommes ont beau être programmé jusque dans les moindres détails, biologiquement et culturellement, ils peuvent toujours choisir une solution qui ne figure pas dans le programme (ou pas ''entièrement''). Nous pouvons dire "oui" ou "non", je veux ou je ne veux pas. Même forcé par les circonstances, nous n'avons jamais ''une seule'' voie à suivre, mais plusieurs.
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