Les Quatre Vérités - Numéro 116 - L'économie de l'offre aux USA

De Catallaxia
Révision datée du 6 janvier 2010 à 15:20 par Lexington (discussion | contributions) (Page créée avec « {{titre2|L'économie de l'offre aux USA:Croissance et emploi par l'offre créative des entreprises|Octave Gélinier|Article paru dans le numéro 116 (septembre 1984) des ''[[... »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à la navigation Aller à la recherche


Les Quatre Vérités - Numéro 116 - L'économie de l'offre aux USA
L'économie de l'offre aux USA:Croissance et emploi par l'offre créative des entreprises


Anonyme
Octave Gélinier


Article paru dans le numéro 116 (septembre 1984) des Quatre Vérités, revue publiée entre 1974 et 1994 par Michel Drancourt, Yvon Gattaz, Octave Gélinier et Jacques Plassard

En février 1984, au cours d'un échange de vues sur la reprise américaine, je disais à mon ami Jacques Plassard : Si l'on voit se poursuivre jusqu'à l'été une forte expansion sans inflation, la nouvelle théorie de la croissance par l'offre aura été validée par une expérience cruciale ».

En août 1984, les chiffres au 30 juin font apparaître ceci :

  • expansion au rythme moyen de 8 % par an depuis 5 trimestres
  • inflation des prix d'environ 4 % l'an, tombant à 3,2 % au 2e trimestre 84
  • création de 6,8 millions d'emplois depuis le point bas d'octobre 82
  • création d'entreprises au rythme record de 600.000 par an.

Bafouant l'incompréhension des économistes à l'ancienne mode, ces résultats montrent que l'expérience cruciale a réussi, et qu'il faut donc changer de théorie.

Ce tournant important de la pensée économique, qui remet en cause toutes les politiques économiques du passé, vaut bien un petit commentaire, avec bref retour sur le passé.

Théorie de la croissance par la demande

Pendant deux siècles et demi, de Quesnay à Keynes, les économistes ont vu dans la demande le facteur dynamique de l'économie. Et les politiques économiques qu'ils ont préconisées ont reposé principalement sur une manipulation de la demande. Inutile de s'occuper de l'offre : elle suit toujours.

Citons les plus connues de ces politiques économiques :

  • les créditistes (de Law aux populistes modernes) ont préconisé le gonflement des en-cours de monnaie ou de crédit, pour gonfler la demande et provoquer la croissance.
  • Les politiques contre-cycliques, visant l'atténuation des cycles économiques, ont naturellement préconisé les dispositifs les plus variés pour restreindre la demande dans la phase ascendante, puis pour l'accroître dans la phase descendante.
  • Pour J.M. Keynes, qui inspire depuis 50 ans (et ce n'est pas encore fini !) les politiques économiques de la plupart des gouvernements, la demande est la clé de l'activité économique, c'est par la demande que cette activité doit être s'il y a lieu stimulée, les leviers d'action étant les taux d'intérêt bas et le déficit budgétaire.

Une dépression durable avec chômage permanent provient, selon Keynes, d'une insuffisance de la demande. Il faut donc en outre :

  • encourager la dépense, décourager l'épargne
  • et pour accroître le déficit budgétaire réaliser des investissements publics même inutiles, afin de relancer l'économie et l'emploi.

Avec son humour anglais, Keynes ajoutait même[1] que la construction des pyramides avait été une excellente politique économique des pharaons pour maintenir le plein emploi dans l'ancienne Egypte.

  • Les politiques de relance par la demande connurent vite leur limite : l’inflation.
    • Une demande forte provoque l'expansion accroît l'emploi mais déclenche l'inflation, puis le déséquilibre extérieur.
    • Une demande faible calme l'inflation mais diminue la croissance et l'emploi.

La règle du jeu des Keynésiens fut donc de naviguer au plus juste entre les deux écueils de l'inflation et du chômage, suivant une problématique illustrée par la célèbre Courbe de Philipps, assez bien validée pour la période 1950-1970.

Notons que le choix entre les deux écueils restait politique : la politique préférant le chômage à l'inflation étant classée à droite, et la politique préférant l'inflation au chômage relevant d'une sensibilité de gauche.

  • Depuis 1972, le dérapage dans la stagflation fit voler en éclat cette élégante règle du jeu. Malgré Keynes et malgré Philipps, on vit coexister durablement forte inflation et fort chômage. Les théories classiques ne proposent aucun remède... parce qu'elles ne savent pas expliquer le phénomène.

Aujourd'hui seulement, nous commençons à comprendre qu'une cause majeure de la stagflation est précisément d'avoir, suivant les prescriptions de Keynes, financé à crédit, avec taux d'intérêt négligeable, des investissements inutiles : surcapacités, sidérurgies déficitaires et palais dans le tiers-monde, guerres locales, etc. Investissements inutiles parce que non producteurs d'une offre désirée ; donc crédits non remboursables, donc non-financement des secteurs ascendants, donc stagflation.

Théorie de la croissance par l'offre (supply side economics)

Une poignée d'économistes californiens, constamment dénigrés (aujourd'hui encore) par l'Establishment keynésien de la Côte Est, ont édifié la nouvelle théorie de la croissance par l'offre qui commence aujourd'hui à s'imposer (comme s'impose la théorie voisine de la « dérégulation »). L'essentiel de la théorie de l'offre se ramène aux quelques propositions suivantes.

  • Les théoriciens de la croissance par la demande raisonnent tous sur des équations macroéconomiques, à produits et techniques supposés constants. Cette hypothèse convient à la rigueur aux économies relativement statiques d'autrefois. Mais elle s'écarte complètement de la réalité actuelle, où précisément croissance et emplois ne sont accessibles que par des produits, procédés ou marchés nouveaux.
  • La demande est aujourd'hui un mauvais levier de relance parce qu'elle ne connaît que les produits du passé:
    • il n'y avait pas de demande de microprocesseur avant que s'exprime une offre de microprocesseur, de même pour le Club Méditerranée et les fast food.
    • la demande est toujours « rétro », elle ne fait pas de découvertes, son rôle est seulement de les ratifier ou de les rejeter.
  • Dans les secteurs évolutifs, c'est l'offre qui crée la demande. C'est l'offre qui, en concevant et proposant des produits ou services nouveaux, rompt le cercle du connu, crée des besoins et marchés nouveaux qui se concrétiseront en une demande solvable. Et la demande étant saturée sur les produits d'hier, la croissance et l'emploi ne peuvent venir que des produits-marchés de demain que crée l'offre.
  • Mais l'offre créative vient essentiellement d'entreprises qu'on a mis en état d'innover en leur assurant
    • la liberté de décision
    • la concurrence stimulante
    • une bonne éducation de base de la population
    • des possibilités fiscales de large autofinancement.

Les pouvoirs publics peuvent réaliser des offres créatives utiles et rentables ; on peut en citer des exemples dans certains produits intermédiaires massifiés.

Pour les domaines très segmentés ou proches de la consommation, qui forment la plus grande partie du produit national, les meilleures performances sont obtenues par le système entreprise-marché.

Même la grande entreprise privée parait parfois trop lourde pour saisir les occasions novatrices : d'où le succès des entreprises nouvelles fondées sur une innovation (exemple de la Silicon Valley), et plus généralement l'extraordinaire poussée de création d'entreprises petites et moyennes apportant un service distinctif qui contribue de façon décisive à la croissance de la valeur ajoutée et de l'emploi.

  • La variante de gauche de la classique politique de croissance par la demande, consiste à combiner la relance de la demande avec le contrôle des prix et le matraquage fiscal des bénéfices et des revenus élevés. Cette politique est particulièrement mal adaptée à une économie moderne développée, puisque simultanément :
    • elle inhibe les agents entrepreneuriaux de l'offre créative, ce qui prépare l'apparition précoce de goulets d'étranglement
    • stimule surtout la demande rétro déjà saturée (on avait observé que la relance Blum 1936 avait surtout profité aux fabricants de boissons alcoolisées), se lance dans des « grands travaux » peu rentables
    • et bientôt la surchauffe et le déséquilibre extérieur contraignent au ralentissement (stop and go) et débouche sur la stagflation.
  • Une politique moderne de croissance économique est donc centrée sur la stimulation de l'offre créative des entreprises. Comme nous l'avons déjà indiqué, elle comporte.
    • liberté de décision, notamment pour les prix
    • moindre pression fiscale sur les bénéfices des entreprises et sur les gros revenus personnels (qui sont moyens d'investissement sélectif à risque)
    • et soutien en amont par l'éducation, la recherche, l'infrastructure.

Une telle politique stimule directement les initiatives entrepreneuriales, et seulement indirectement l'emploi et l'investissement.

L'emploi suivra s'il y a croissance.

Quant à l'investissement, il n'est pas un but en soi, comme le pensent les attardés qui préconisent l'investissement même non rentable (donc les taux d'intérêt négatifs) qui sont en fait générateurs de stagflation. L'investissement est le moyen d'un progrès ; il est l'intendance qui doit suivre (au moindre coût) pour la mise en œuvre d'une idée créative et rentable. C'est ainsi qu'il repartira.

  • Le traitement des cycles économiques est renouvelé par la théorie de l'offre
    • En phase descendante, il s'agit moins de relancer que de réunir les conditions permettant un redéploiement rapide des structures liquidation d'entreprises inadaptées, assainissement d'entreprises en difficulté, transfert de main d’œuvre et de capitaux vers les secteurs ascendants, dérégulation, germination de multiples initiatives nouvelles, préparation d'offres créatives. le tout sans drame social grâce aux allocations de chômage.
    • La phase ascendante est tirée par l'offre novatrice dans tous les secteurs ascendants ; elle s'étend bientôt aux autres secteurs ; et le but est que cette croissance dure longtemps, sans se heurter aux goulets d'étranglement et surchauffes observés habituellement après 12 mois d'expansion. Et c'est ici que se situe le test de la politique de l'offre : si elle a été bien conduite, l'offre ne connaîtra guère de goulets, il n'y aura pas de surchauffe, pas d'inflation ; de sorte que la phase ascendante du cycle durera 4 ou 5 ans au lieu de 18 mois.

Voici le parti de taille que Reagan est peut-être en train de gagner.

L'expérience Reagan

Revenons à l'expérience Reagan, à cette croissance extraordinaire dont les experts classiques annoncent chaque trimestre qu'elle va 1) s'arrêter et 2) provoquer une flambée d'inflation ; et qui chaque trimestre 1) continue 2) sans goulets d'étranglement, et avec un taux d'inflation très faible (4 %) qui continue de baisser (3,2 % au 2e trimestre, 2,4 % en juin 84). « Le phénomène ne correspond à rien de connu » écrit François Renard dans « Le Monde » du 27.7.84. En économie, tout cas réel est imparfait. Chacun sait que le point faible de l'expérience Reagan réside dans l'ampleur du déficit budgétaire (170 milliards de dollars) et du déficit extérieur (100 milliards). Si toutefois la croissance dure (comme la politique de l'offre permet de l'espérer), l'importance de ces déficits s'atténuera.

Les choses étant ce qu'elles sont, nous pouvons déjà tirer quelques leçons de l'expérience Reagan.

  • Rien n'est plus pratique qu'une bonne théorie. Sans la théorie de la croissance par l'offre, jamais aucun homme politique n'aurait eu l'imagination, le courage, « le culot » de réduire massivement les impôts sur les bénéfices et sur les gros revenus. Contre les préjugés enracinés, on ne peut rien sans une théorie crédible. (Il en va de même de la « dérégulation » qui ne serait jamais entrée dans les faits sans l'important travail théorique des néo-libéraux).
  • L'effet de confiance a joué puissamment. Tous les opposants bramaient que l'allègement d'impôts accordé aux entreprises et aux gros revenus ne s'investirait pas. Effectivement, il ne se serait pas investi si l'avantage fiscal s'était accompagné de menaces à terme contre l'entreprise privée. Mais il s'est accompagné d'une doctrine proclamant que seule l'entreprise privée peut découvrir les voies cachées de la croissance et de l'emploi. Cette doctrine n'obtint pas la confiance de Wall Street et des financiers, attachés aux vieux tabous. Mais ce qui compte aujourd’hui, c'est la confiance des entrepreneurs elle fut complète et se traduisit par 600.000 entreprises nouvelles par an et 6,8 millions d'emplois créés en 20 mois, dans une Amérique qui a retrouvé confiance en elle-même.
  • Le déficit budgétaire est certes le point faible de l'expérience. Deux remarques toutefois à ce sujet.
    • L'idéal (et le plan initial) était de réduire davantage les dépenses publiques, ce qui s'est révélé politiquement impraticable. Dans ces conditions, réduire les impôts est quand même le seul moyen de sortir du piège d'un Etat toujours plus lourd. Le fait accompli d'une baisse d'impôt stimulante permettra d'éponger le déficit à moyen terme, moitié par la croissance, moitié pas des réductions de dépense.
    • Le déficit extérieur corrélatif pose des problèmes mais a joué deux rôles positifs : juguler inflation et surchauffe ; et contribuer puissamment à la reprise mondiale (notamment dans les pays en voie de développement).
  • Les taux d'intérêts élevés sont reprochés à l'expérience Reagan. Le fait qu'ils n'aient pas empêché l'expansion paraît encore incompréhensible aux experts traditionnels. Et pourtant ça marche.

Ce paradoxe cache deux idées nouvelles.

    • Les taux d'intérêt élevés ont au moins l'avantage d'éliminer le comportement économique le plus pervers, qui est l'investissement non rentable, dont nous avons vu qu'il entraînait insolvabilité et stagflation.
    • Les taux d'intérêt élevés ne nuisent guère à la croissance car, à l'inverse de la pensée macro des keynésiens, la vraie croissance n'est pas faite d'investissements qui seraient rentables à 7 % d'intérêt mais cesseraient de l'être à 9 %; le fer de lance de la vraie croissance est faite de projets novateurs apportant un réel progrès, et qui restent rentables même si le taux d'intérêt atteint 20 %. La Silicon Valley était en boom à ce taux, de même que les nouveaux services : ceci porte un message.

Le triomphe de la théorie de la croissance par l'offre est en somme le triomphe de la micro-économie, c'est-à-dire de l'entreprise, et plus largement de toutes les activités entreprenantes.

La macro-économie n'est certes pas sans importance. Rien ne peut se faire si ses grands équilibres ne sont pas assurés. Ainsi la macroéconomie a le pouvoir de nuire si elle se détraque, mais son parfait équilibre ne suffit pas à générer le progrès. la source du progrès, de la croissance, de l'emploi se trouve dans la micro-économie, dans l'offre créative de tous les entreprenants.

Il faut un aveuglement de dinosaure pour ignorer aujourd'hui le nouveau principe de toute politique de développement :

  • la demande ne peut être que « rétro »
  • c'est par l'offre entrepreneuriale que se découvre et se construit l'avenir ».

Notes et références

  1. in General theory of Employment, Interest and Money

wl:Les Quatre Vérités