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Par des cheminements historiques tout à fait différents, les libéraux anglais, américains et français sont parvenus à construire un État limité, caractérisé par l'autonomie relative de la sphère spirituelle et culturelle (la laïcité de l'État dans la variante française) et par une triple différenciation du politique, de l'administratif et de l'économique, qui est censé assurer aux particuliers la jouissance paible de leurs intérêts privés. Mais ce compromis s'est avéré précaire. Il s'est trouvé exposé à plusieurs difficultés. D'abord les tâches classiques de l'État, notamment la défense contre les ennemis, se sont accrues sous l'effet d'une concurrence de plus en plus féroce entre les impérialismes rivaux. En deuxième lieu, les conflits entre des intérêts de mieux en mieux organisés, appelaient l'intervention de plus en plus fréqunte et de plus en plus étendue d'un arbitre bien décidé pour être efficace à s'assurer le dernier mot. Enfin, la demande croissante pour des « biens publics » comme la santé, l'éducation, dont la responsabilité incombe à des administrations financées, et même très souvent gérées, par le gouvernement achève de rendre précaires les frontières entre le public et le privé. La doctrine libérale telle qu'elle s'est constituée au cours d'un processus qui associe les réponses circonstancielles et passagères, à des orientations générales, récurrentes, et même constantes, s'est trouvée confrontée à des exigences auxquelles elle a de plus en plus de peine à répondre. L'existence d'États ''nationaux'' constitue une difficulté qui depuis longtemps embarrasse la pensée libérale. En effet, la défense de cette entité constitue un des fondements du civisme, mais fournit un argument (''salus populi, suprema lex esto'') à ceux qui entendent restreindre les libertés individuelles. La délimitation des compétences de l'État, l'affection à celui-ci de secteurs de plus en plus étendus dans la fourniture des biens publics, embarrassent aussi les libéraux. Ils tendent à se diviser entre les tenants d'une conception minimaliste (l'État doit se charger exclusivement des tâches qu'il est le seul à pouvoir remplir) et les tenants d'un libéralisme favorable à une ''socialisation'' de larges secteurs de l'activité économique et aussi culturelle. Ce qui complique encore les choses, c'est que la qualification idéologique de la première espèce de libéraux est malaisée. Sous certains rapports ils peuvent être dits ''conservateurs'', puisqu'ils sont hostiles aux interférences administratives dans le fonctionnement des activités économiques, notamment de production. Mais, par d'autres côtés certains libéraux peuvent se sentir très près des ''anarchistes'', puisque pour contester la légitimité des transferts sur lesquels est fondé le ''welfare state'', ils invoquent volontiers l'incomparabilité des préférences individuelles et l'arbitraire radical de tout arbitrage entre ces préférences, s'il n'est pas le fait des intéressés eux-mêmes. On peut donc distinguer plusieurs courants libéraux et néo-libéraux : l'un que l'on peut qualifier de quasi-conservateur, l'autre de quasi-anarchiste, et un troisième de quasi-socialiste. Si aucune règle à la fois cohérente et efficace ne permet d'effectuer un arbitrage satisfaisant entre ce qui relève du privé et ce qui relève des autorités publiques, l'idéologie libérale est menacée de confusion. Pourtant, même si elle est exposée à des tiraillements manifestes, il ne s'ensuit pas qu'elle ait perdu toute vitalité. Elle tire sa force et sa pertinence d'une question qu'elle a contribué à formuler dans la diversité de ses énoncés et de ses implications : à quelles conditions charbonnier peut-il être maître chez lui ?
Par des cheminements historiques tout à fait différents, les libéraux anglais, américains et français sont parvenus à construire un État limité, caractérisé par l'autonomie relative de la sphère spirituelle et culturelle (la laïcité de l'État dans la variante française) et par une triple différenciation du politique, de l'administratif et de l'économique, qui est censé assurer aux particuliers la jouissance paible de leurs intérêts privés. Mais ce compromis s'est avéré précaire. Il s'est trouvé exposé à plusieurs difficultés. D'abord les tâches classiques de l'État, notamment la défense contre les ennemis, se sont accrues sous l'effet d'une concurrence de plus en plus féroce entre les impérialismes rivaux. En deuxième lieu, les conflits entre des intérêts de mieux en mieux organisés, appelaient l'intervention de plus en plus fréqunte et de plus en plus étendue d'un arbitre bien décidé pour être efficace à s'assurer le dernier mot. Enfin, la demande croissante pour des « biens publics » comme la santé, l'éducation, dont la responsabilité incombe à des administrations financées, et même très souvent gérées, par le gouvernement achève de rendre précaires les frontières entre le public et le privé. La doctrine libérale telle qu'elle s'est constituée au cours d'un processus qui associe les réponses circonstancielles et passagères, à des orientations générales, récurrentes, et même constantes, s'est trouvée confrontée à des exigences auxquelles elle a de plus en plus de peine à répondre. L'existence d'États ''nationaux'' constitue une difficulté qui depuis longtemps embarrasse la pensée libérale. En effet, la défense de cette entité constitue un des fondements du civisme, mais fournit un argument (''salus populi, suprema lex esto'') à ceux qui entendent restreindre les libertés individuelles. La délimitation des compétences de l'État, l'affection à celui-ci de secteurs de plus en plus étendus dans la fourniture des biens publics, embarrassent aussi les libéraux. Ils tendent à se diviser entre les tenants d'une conception minimaliste (l'État doit se charger exclusivement des tâches qu'il est le seul à pouvoir remplir) et les tenants d'un libéralisme favorable à une ''socialisation'' de larges secteurs de l'activité économique et aussi culturelle. Ce qui complique encore les choses, c'est que la qualification idéologique de la première espèce de libéraux est malaisée. Sous certains rapports ils peuvent être dits ''conservateurs'', puisqu'ils sont hostiles aux interférences administratives dans le fonctionnement des activités économiques, notamment de production. Mais, par d'autres côtés certains libéraux peuvent se sentir très près des ''anarchistes'', puisque pour contester la légitimité des transferts sur lesquels est fondé le ''welfare state'', ils invoquent volontiers l'incomparabilité des préférences individuelles et l'arbitraire radical de tout arbitrage entre ces préférences, s'il n'est pas le fait des intéressés eux-mêmes. On peut donc distinguer plusieurs courants libéraux et néo-libéraux : l'un que l'on peut qualifier de quasi-conservateur, l'autre de quasi-anarchiste, et un troisième de quasi-socialiste. Si aucune règle à la fois cohérente et efficace ne permet d'effectuer un arbitrage satisfaisant entre ce qui relève du privé et ce qui relève des autorités publiques, l'idéologie libérale est menacée de confusion. Pourtant, même si elle est exposée à des tiraillements manifestes, il ne s'ensuit pas qu'elle ait perdu toute vitalité. Elle tire sa force et sa pertinence d'une question qu'elle a contribué à formuler dans la diversité de ses énoncés et de ses implications : à quelles conditions charbonnier peut-il être maître chez lui ?
== Notes ==
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