Différences entre les versions de « Eugen Böhm-Bawerk:Une nouvelle théorie sur le capital »

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Une théorie sur le capital ! Dès le premier mot, voici la difficulté que nous rencontrons : le mot « capital », dans la science, a non pas une, mais ''deux'' significations, et comme chacune d'elles ouvre un cycle nouveau de phénomènes et de problèmes que la théorie doit expliquer, il ne saurait y avoir ''une seule théorie'' sur ''deux choses différentes'' qui sont désignées tout à fait fortuitement sous ce nom équivoque de « capital ». Je m'explique : il y a un certain capital qui joue un rôle dans la théorie de la ''production'' et qu'on a coutume de désigner comme un des trois facteurs de la production; il y a un autre capital qui joue un rôle dans la théorie de la ''répartition'' des biens, le capital qui rapporte un profit ou intérêt. Mais le capital facteur de production n'est nullement identique avec le capital qui rapporte un intérêt. Une maison, par exemple, ou un cabinet de lecture, rapportent à leurs propriétaires des intérêts, quoique ces biens n'aient assurément rien à faire avec la production.
Une théorie sur le capital ! Dès le premier mot, voici la difficulté que nous rencontrons : le mot « capital », dans la science, a non pas une, mais ''deux'' significations, et comme chacune d'elles ouvre un cycle nouveau de phénomènes et de problèmes que la théorie doit expliquer, il ne saurait y avoir ''une seule théorie'' sur ''deux choses différentes'' qui sont désignées tout à fait fortuitement sous ce nom équivoque de « capital ». Je m'explique : il y a un certain capital qui joue un rôle dans la théorie de la ''production'' et qu'on a coutume de désigner comme un des trois facteurs de la production; il y a un autre capital qui joue un rôle dans la théorie de la ''répartition'' des biens, le capital qui rapporte un profit ou intérêt. Mais le capital facteur de production n'est nullement identique avec le capital qui rapporte un intérêt. Une maison, par exemple, ou un cabinet de lecture, rapportent à leurs propriétaires des intérêts, quoique ces biens n'aient assurément rien à faire avec la production.


La conséquence qui en résulte est si simple et se présente si naturellement à l'esprit qu'on pourrait croire qu'elle n'a pu échapper à personne, et cependant elle a passé inaperçue de tous nos prédécesseurs. Si ce qu'on appelle capital dans la théorie de la répartition se compose de biens tous différents de ce qu'on appelle capital dans la théorie de la production, il est bien évident que les fonctions qu'exerce celui-là et les effets qu'il produit, par exemple, la capacité de produire intérêt, ne doivent pas être expliquées par des qualités ou forces qui n'appartiennent qu'à celui-ci; de même que si deux personnes portent le même nom, celui d'Alexandre par exemple, il ne faudrait pas conclure de ce que Alexandre I trébuche, qu'Alexandre II est myope ou maladroit.
La conséquence qui en résulte est si simple et se présente si naturellement à l'esprit qu'on pourrait croire qu'elle n'a pu échapper à personne, et cependant elle a passé inaperçue de tous nos prédécesseurs. Si ce qu'on appelle capital dans la théorie de la répartition se compose de biens tous différents de ce qu'on appelle capital dans la théorie de la production, il est bien évident que les fonctions qu'exerce ''celui-là'' et les effets qu'il produit, par exemple, la capacité de produire intérêt, ne doivent pas être expliquées par des qualités ou forces qui n'appartiennent qu'à ''celui-ci''; de même que si deux personnes portent le même nom, celui d'Alexandre par exemple, il ne faudrait pas conclure de ce que Alexandre I trébuche, qu'Alexandre II est myope ou maladroit.


C'est pourquoi il ne faut pas confondre la solution du problème de distribution avec la solution du problème de production dans l'examen scientifique ; il faut, non pas une théorie mais deux théories sur le capital ; une théorie sur le capital facteur de la production et une théorie indépendante de celle-ci, théorie sur le capital, source de revenu.
C'est pourquoi il ne faut pas confondre la solution du problème de distribution avec la solution du problème de production dans l'examen scientifique ; il faut, non pas ''une'' théorie mais ''deux'' théories sur le capital ; une théorie sur le capital facteur de la production et une théorie indépendante de celle-ci, théorie sur ''capital'', source de revenu.


Quelles sont ces deux conceptions différentes ? Je les distinguerai par les termes de « capital productif » et « capital lucratif ». J'appelle capital productif tous les produits qui sont destinés à servir une production ultérieure, ou, plus brièvement, tous les produits intermédiaires (matières premières, outils, bâtiments de fabrique et autres); capital lucratif, tous les produits qui servent à acquérir des biens. Le capital lucratif comprend en premier lieu tout le capital productif, et de plus tous ces biens en nombre considérable destinés à satisfaire nos besoins, mais dont leurs propriétaires ne font pas personnellement usage et dont ils se servent seulement pour se procurer d'autres biens par voie d'échange (location ou prêt), tels que maisons d'habitation louées, meubles, chevaux de selle, pianos, etc.
Quelles sont ces deux conceptions différentes ? Je les distinguerai par les termes de « capital productif » et « capital lucratif ». J'appelle ''capital productif'' tous les produits qui sont destinés à servir une ''production'' ultérieure, ou, plus brièvement, tous les ''produits intermédiaires'' (matières premières, outils, bâtiments de fabrique et autres); ''capital lucratif'', tous les produits qui servent ''à acquérir'' des biens. Le capital lucratif comprend en premier lieu tout le capital productif, et de plus tous ces biens en nombre considérable destinés à satisfaire nos besoins, mais dont leurs propriétaires ne font pas personnellement usage et dont ils se servent seulement pour se procurer d'autres biens par voie d'échange (location ou prêt), tels que maisons d'habitation louées, meubles, chevaux de selle, pianos, etc.


Je ne compte ni comme capital productif ni comme capital lucratif la terre, qui est une force productive originaire et non un produit. Pourquoi ? A cette question et à toutes celles sur la conception du capital, qui ont été jusqu'à ce jour l'occasion de malentendus sans nombre, j'ai répondu avec détail dans mon ouvrage; — mais ici je passe sur ces questions de détail pour arriver aux problèmes qui s'attachent au mot de capital, et parmi ceux-ci j'examinerai en premier lieu ceux qui dépendent de la théorie de la production.
Je ne compte ni comme capital productif ni comme capital lucratif la terre, qui est une force productive originaire et non un produit. Pourquoi ? A cette question et à toutes celles sur la conception du capital, qui ont été jusqu'à ce jour l'occasion de malentendus sans nombre, j'ai répondu avec détail dans mon ouvrage; — mais ici je passe sur ces questions de détail pour arriver aux problèmes qui s'attachent au mot de ''capital'', et parmi ceux-ci j'examinerai en premier lieu ceux qui dépendent de la théorie de la production.


== Théorie du capital productif ==
== Théorie du capital productif ==
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=== Du rôle du capital dans la production ===
=== Du rôle du capital dans la production ===


Toute production a pour but l'acquisition de biens qui servent à la jouissance de la vie, appelons-les brièvement biens de jouissance. Ces biens sont des choses matérielles, et comme telles, soumises aux lois qui régissent la matière. Leur formation, la science économique ne devrait jamais l'oublier, constitue essentiellement un processus naturel, s'accomplissant rigoureusement d'après les lois de la physique et de la chimie. Pour qu'un bien de jouissance prenne naissance, il faut qu'une combinaison donnée de matières et de forces détermine cette naissance et fasse apparaître une forme matérielle telle, comme effet.
Toute production a pour but l'acquisition de biens qui servent à la jouissance de la vie, appelons-les brièvement ''biens de jouissance''. Ces biens sont des choses matérielles, et comme telles, soumises aux lois qui régissent la matière. Leur formation, la science économique ne devrait jamais l'oublier, constitue essentiellement un ''processus'' naturel, s'accomplissant rigoureusement d'après les lois de la physique et de la chimie. Pour qu'un ''bien de jouissance'' prenne naissance, il faut qu'une combinaison donnée de matières et de forces détermine cette naissance et fasse apparaître une forme matérielle telle, comme effet.


Ceci posé, en quoi peut consister le rôle de l'homme dans la production des biens ? Tout simplement dans la combinaison des facultés naturelles de l'homme, qui est lui-même un rouage du monde physique, avec les forces naturelles extérieures. Il y a donc deux forces productives élémentaires ou originaires et il n'y en a que deux : la nature et le travail. Ce que la nature fait d'elle-même et ce que l'homme y ajoute, voilà la double source d'où découlent tous nos biens et d'où ils doivent nécessairement découler. Il n'y a point de place à côté pour une troisième source élémentaire.
Ceci posé, en quoi peut consister le rôle de l'homme dans la production des biens ? Tout simplement dans la combinaison des facultés naturelles de l'homme, qui est lui-même un rouage du monde physique, avec les forces naturelles extérieures. Il y a donc deux forces productives élémentaires ou originaires et il n'y en a que deux : la ''nature'' et le ''travail''. Ce que la nature fait d'elle-même et ce que l'homme y ajoute, voilà la double source d'où découlent tous nos biens et d'où ils doivent nécessairement découler. Il n'y a point de place à côté pour une troisième source élémentaire.


Parmi les forces naturelles et élémentaires, il y en a qui existent en quantités illimitées : l'air, l'eau, le soleil. Leur concours étant libre en tout temps et gratuit, l'économie politique n'a pas à s'en préoccuper autrement. Elles constituent un élément technique, mais non économique de la production. Par contre, ceux d'entre les dons de la nature, qui ne nous sont répartis qu'avec parcimonie, acquièrent une importance économique. Comme presque tous les dons et qualités rares de la nature dépendent du sol, nous pouvons, sans commettre d'erreur grossière, indiqiuer comme représentant la dotation économique de la nature, les « services fonciers ». Nous pouvons donc dire à ceux qui nous demandent quels sont les éléments de la production : « La nature et le travail sont les éléments techniques, les services fonciers et le travail sont les éléments économiques de la production ».
Parmi les forces naturelles et élémentaires, il y en a qui existent en quantités illimitées : l'air, l'eau, le soleil. Leur concours étant libre en tout temps et gratuit, l'économie politique n'a pas à s'en préoccuper autrement. Elles constituent un élément ''technique'', mais non ''économique'' de la production. Par contre, ceux d'entre les dons de la nature, qui ne nous sont répartis qu'avec parcimonie, acquièrent une importance économique. Comme presque tous les dons et qualités rares de la nature dépendent du sol, nous pouvons, sans commettre d'erreur grossière, indiquer comme représentant la dotation économique de la nature, les « services fonciers ». Nous pouvons donc dire à ceux qui nous demandent quels sont les éléments de la production : « La nature et le travail sont les éléments techniques, les services fonciers et le travail sont les éléments économiques de la production ».


Comme on le voit, je n'ai pas encore nommé le capital parmi les forces productives, quoiqu'il soit le héros de ma théorie. Que faut-il donc penser de lui ? Nous le verrons bientôt.
Comme on le voit, je n'ai pas encore nommé le capital parmi les forces productives, quoiqu'il soit le héros de ma théorie. Que faut-il donc penser de lui ? Nous le verrons bientôt.
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Il est temps maintenant de donner un nom aux divers procédés que nous venons de décrire. La production qui prend d'habiles détours n'est autre chose que ce que les économistes appellent la production « capitalistique », de même que la production qui va droit au but, la main vide, s'appelle la production sans capital.
Il est temps maintenant de donner un nom aux divers procédés que nous venons de décrire. La production qui prend d'habiles détours n'est autre chose que ce que les économistes appellent la production « capitalistique », de même que la production qui va droit au but, la main vide, s'appelle la production sans capital.


Mais quant au capital lui-même, ce n'est autre chose que ces produits intermédiaires qui prennent naissance pendant les différentes étapes de la production.
''Mais quant au capital lui-même, ce n'est autre chose que ces produits intermédiaires qui prennent naissance pendant les différentes étapes de la production.''


Il nous faut pourtant compléter notre description du processus de la production du capital par deux observations : nous avons déjà dit que le fait de prendre des détours amenait à obtenir de plus grands résultats. Il faut ajouter que cet avantage n'est pas seulement la conséquence du premier détour, mais de toute prolongation de celui-ci; toutefois, l'accroissement de la production n'est pas en raison directe de la prolongation progressive du détour. Avec un détour qui dure 3 jours (par exemple, la confection d'un hameçon), on obtient plus que par la voie directe; avec un détour qui exige 30 jours (par exemple, la construction d'un bateau), on obtient davantage encore; avec une prolongation du détour portée à 300 ou 3000 jours (par exemple, la construction d'un vaisseau parfaitement équipé; ouverture d'une mine pour obtenir du fer pour construire des machines pour vaisseaux, etc.), on augmentera encore le rapport, mais non point dans les proportions de 3 : 30 : 300 : 3000, proportion qui dépasserait bientôt les limites du possible ! Le succès obtenu sera dans des proportions plus modestes. Il importe de noter cette loi, elle trouvera plus loin une application dans notre théorie.
Il nous faut pourtant compléter notre description du ''processus'' de la production du capital par deux observations : nous avons déjà dit que le fait de prendre des détours amenait à obtenir de plus grands résultats. Il faut ajouter que cet avantage n'est pas seulement la conséquence du premier détour, mais de toute prolongation de celui-ci; toutefois, l'accroissement de la production n'est pas en raison directe de la prolongation progressive du détour. Avec un détour qui dure 3 jours (par exemple, la confection d'un hameçon), on obtient plus que par la voie directe; avec un détour qui exige 30 jours (par exemple, la construction d'un bateau), on obtient davantage encore; avec une prolongation du détour portée à 300 ou 3000 jours (par exemple, la construction d'un vaisseau parfaitement équipé; ouverture d'une mine pour obtenir du fer pour construire des machines pour vaisseaux, etc.), on augmentera encore le rapport, mais non point dans les proportions de 3 : 30 : 300 : 3000, proportion qui dépasserait bientôt les limites du possible ! Le succès obtenu sera dans des proportions plus modestes. Il importe de noter cette loi, elle trouvera plus loin une application dans notre théorie.


De plus, l'avantage d'un plus grand rendement a, comme revers, ce désavantage : perte de temps.
De plus, l'avantage d'un plus grand rendement a, comme revers, ce désavantage : perte de temps.
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Résumons maintenant brièvement le contenu de cet article dans lequel nous n'avons pas encore développé de théories, nous contentant de décrire simplement les faits :
Résumons maintenant brièvement le contenu de cet article dans lequel nous n'avons pas encore développé de théories, nous contentant de décrire simplement les faits :


Tous les biens de jouissance que produit l'homme naissent du concours des forces humaines avec les forces naturelles, en partie forces économiques, en partie forces naturelles gratuites. L'homme peut se procurer ces biens de jouissance, convoités par lui, avec ces forces productives, soit directement, soit indirectement, par l'intervention de produits intermédiaires appelés biens capitaux. Cette dernière méthode demande un sacrifice de temps, mais permet de produire davantage, et cet avantage se fait sentir, quoique suivant une progression décroissante, pour chaque prolongation de détour dans la production.
Tous les biens de jouissance que produit l'homme naissent du concours des forces humaines avec les forces naturelles, en partie forces économiques, en partie forces naturelles gratuites. L'homme peut se procurer ces biens de jouissance, convoités par lui, avec ces forces productives, soit directement, soit indirectement, par l'intervention de produits intermédiaires appelés ''biens capitaux''. Cette dernière méthode demande un sacrifice de temps, mais permet de produire davantage, et cet avantage se fait sentir, quoique suivant une progression décroissante, pour chaque prolongation de détour dans la production.


Et maintenant cherchons à tirer de ces faits les conclusions en réponse aux questions que nous pose la théorie.
Et maintenant cherchons à tirer de ces faits les conclusions en réponse aux questions que nous pose la théorie.
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=== Le capital constitue t-il un facteur indépendant ou original de la production ? ===
=== Le capital constitue t-il un facteur indépendant ou original de la production ? ===


A cette question, il faut répondre d'une manière absolument négative. La nature et le travail seuls sont des facteurs élémentaires ou originaux de la production. Le capital est un produit intermédiaire du travail de la nature; rien de plus. Sa propre formation, son existence, son action ne sont que des épisodes dans l'action ininterrompue des véritables éléments, nature et travail. Ceux-là seuls font tout depuis le commencement jusqu'à la fin pour la formation des biens de jouissance. La seule différence est qu'ils font ce tout parfois d'un seul trait, parfois par étapes successives; dans ce dernier cas la fin de chaque étape est marquée extérieurement par la formation d'un produit préliminaire ou intermédiaire , et le capital apparaît. Mais, je le demande, si les auteurs d'une oeuvre quelconque, au lieu de l'accomplir d'un seul trait, s'y prennent à plusieurs reprises, est-ce une raison pour ne pas reconnaître qu'ils en sont les véritables auteurs ? Si aujourd'hui, par le concours de mon travail avec les forces naturelles, je forme des briques avec de l'argile; si demain, unissant de nouveau mon travail à d'autres forces naturelles, je fais de la chaux, et si après-demain avec ces briques et ce mortier j'élève un mur, serait-on fondé à prétendre d'une partie quelconque de ce mur qu'il n'est pas fait par moi et les forces naturelles ? Ou bien encore, avant qu'un ouvrage de longue haleine, la construction d'une maison par exemple, ne soit mené à bonne fin, je suppose qu'on n'en fait une première fois que le quart, puis la moitié, puis les trois quarts et enfin le tout. Que penserait-on si quelqu'un prétendait que ces étapes inévitables de l'avancement de l'ouvrage en constituent des conditions indépendantes et que pour construite une maison il faut, en plus ces matières premières et ce travail des maçons, « une maison achevée au quart, une maison achevée à moitié, enfin, une maison achevée aux trois quarts ? » L'erreur est moins frappante peut-être dans la forme, mais tout aussi forte dans le fond, quand on veut placer à côté de la nature et du travail, comme agents indépendants de la production, ces étapes intermédiaires du progrès de l'ouvrage qui se présentent extérieurement sous la forme de biens capitaux.
A cette question, il faut répondre d'une manière absolument négative. La nature et le travail seuls sont des facteurs élémentaires ou originaux de la production. Le capital est un produit intermédiaire du travail de la nature; rien de plus. Sa propre formation, son existence, son action ne sont que des épisodes dans l'action ininterrompue des véritables éléments, nature et travail. Ceux-là seuls font ''tout'' depuis le commencement jusqu'à la fin pour la formation des biens de jouissance. La seule différence est qu'ils font ce tout parfois d'un seul trait, parfois par étapes successives; dans ce dernier cas la fin de chaque étape est marquée extérieurement par la formation d'un produit préliminaire ou intermédiaire , et le capital apparaît. Mais, je le demande, si les auteurs d'une oeuvre quelconque, au lieu de l'accomplir d'un seul trait, s'y prennent à plusieurs reprises, est-ce une raison pour ne pas reconnaître qu'ils en sont les véritables auteurs ? Si aujourd'hui, par le concours de mon travail avec les forces naturelles, je forme des briques avec de l'argile; si demain, unissant de nouveau mon travail à d'autres forces naturelles, je fais de la chaux, et si après-demain avec ces briques et ce mortier j'élève un mur, serait-on fondé à prétendre d'une partie quelconque de ce mur qu'il n'est pas fait par moi et les forces naturelles ? Ou bien encore, avant qu'un ouvrage de longue haleine, la construction d'une maison par exemple, ne soit mené à bonne fin, je suppose qu'on n'en fait une première fois que le quart, puis la moitié, puis les trois quarts et enfin le tout. Que penserait-on si quelqu'un prétendait que ces étapes inévitables de l'avancement de l'ouvrage en constituent des conditions indépendantes et que pour construite une maison il faut, en plus ces matières premières et ce travail des maçons, « une maison achevée au quart, une maison achevée à moitié, enfin, une maison achevée aux trois quarts ? » L'erreur est moins frappante peut-être dans la forme, mais tout aussi forte dans le fond, quand on veut placer à côté de la nature et du travail, comme agents indépendants de la production, ces étapes intermédiaires du progrès de l'ouvrage qui se présentent extérieurement sous la forme de biens capitaux.


Mais d'où vient donc que tant d'auteurs, et parmi eux des auteurs si éminents, s'obstinent à compter malgré tout trois facteurs de la production, et parmi ces trois le capital ?
Mais d'où vient donc que tant d'auteurs, et parmi eux des auteurs si éminents, s'obstinent à compter malgré tout ''trois'' facteurs de la production, et parmi ces trois le capital ?


Cette classification, c'est ma profonde conviction, tient uniquement à ce que ces auteurs craignent d'être embarrassés pour expliquer et justifier l'intérêt du capital. Tout revenu primitif vient, disent-ils, d'une participation dans la production. La rente foncière forme les honoraires du facteur productif de la nature, le salaire rémunère le facteur travail, et l'intérêt rémunère le capital; mais dans cette théorie, l'intérêt du capital eût semblé planer dans le vide, si on n'avait pu le présenter au même titre que les autres, c'est-à-dire comme représentant les honoraires d'un troisième facteur productif indépendant. Et comme il fallait sauver à tout prix, dans l'intérêt de la société civile, la cause de l'intérêt du capital, on a mieux aimé fermer les yeux sur les faits et laisser passer le capital comme troisième facteur indépendant de la production, quoique forcé parfois, dès la page suivante, de convenir que ce prétendu facteur élémentaire doit être formé préalablement lui-même par le concours de la nature et du travail. Je suis convaincu qu'il suffirait d'indiquer aux économistes un moyen qui leur permît d'expliquer et de justifier l'intérêt du capital sans avoir besoin de reconnaître le capital comme facteur élémentaire de la production, pour qu'ils abandonnassent aussitôt cette théorie qui n'a aucune consistance en elle-même. J'essaierai d'indiquer ce moyen dans la deuxième partie de ce travail.
Cette classification, c'est ma profonde conviction, tient uniquement à ce que ces auteurs craignent d'être embarrassés pour expliquer et justifier l'intérêt du capital. Tout revenu primitif vient, disent-ils, d'une participation dans la production. La rente foncière forme les honoraires du facteur productif de la nature, le salaire rémunère le facteur travail, et l'intérêt rémunère le capital; mais dans cette théorie, l'intérêt du capital eût semblé planer dans le vide, si on n'avait pu le présenter au même titre que les autres, c'est-à-dire comme représentant les honoraires d'un troisième facteur productif indépendant. Et comme il fallait sauver à tout prix, dans l'intérêt de la société civile, la cause de l'intérêt du capital, on a mieux aimé fermer les yeux sur les faits et laisser passer le capital comme troisième facteur indépendant de la production, quoique forcé parfois, dès la page suivante, de convenir que ce prétendu facteur élémentaire doit être formé préalablement lui-même par le concours de la nature et du travail. Je suis convaincu qu'il suffirait d'indiquer aux économistes un moyen qui leur permît d'expliquer et de justifier l'intérêt du capital sans avoir besoin de reconnaître le capital comme facteur élémentaire de la production, pour qu'ils abandonnassent aussitôt cette théorie qui n'a aucune consistance en elle-même. J'essaierai d'indiquer ce moyen dans la deuxième partie de ce travail.
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Mais si le capital ne doit pas être considéré comme un facteur indépendant de la production, alors quel rôle jour-t-il donc dans la production ? Répondons brièvement.
Mais si le capital ne doit pas être considéré comme un facteur indépendant de la production, alors quel rôle jour-t-il donc dans la production ? Répondons brièvement.


1. Son existence nous apparaît toujours comme le symptôme d'un détour avantageux dans la production. Je dis « symptôme » et non « cause » car son existence est, en effet, plutôt la conséquence que la cause de ces détours. Ce n'est pas parce que le bateau et les filets existent déjà, que je prends des poissons par ce détour, mais c'est seulement après avoir choisi ce détour avantageux et parce que je l'ai choisi que le bateau et les filets existent; il faut déjà avoir trouvé le détour dans la production, pour que les biens capitaux prennent naissance.
1. Son existence nous apparaît toujours comme le ''symptôme d'un détour avantageux dans la production''. Je dis « symptôme » et non « cause » car son existence est, en effet, plutôt la conséquence que la cause de ces détours. Ce n'est pas parce que le bateau et les filets existent déjà, que je prends des poissons par ce détour, mais c'est seulement après avoir choisi ce détour avantageux et parce que je l'ai choisi que le bateau et les filets existent; il faut déjà avoir trouvé le détour dans la production, pour que les biens capitaux prennent naissance.


2. Le capital devient une cause intermédiaire efficace pour servir à l'achèvement du détour avantageux déjà choisi. Chaque portion du capital constitue en quelque sorte un réservoir de forces naturelles utilisables qui aideront à achever le détour de production au cours duquel cette portion du capital a pris naissance. Je répète « cause intermédiaire » et non « cause première ». Le capital ne saurait, en effet, donner aucune impulsion par lui-même, il ne peut que transmettre une impulsion une fois donnée par des forces naturelles, de même qu'une boule une fois lancée peut communiquer son mouvement à une autre boule.
2. Le capital devient une ''cause intermédiaire efficace pour servir à l'achèvement du détour avantageux déjà choisi''. Chaque portion du capital constitue en quelque sorte un réservoir de forces naturelles utilisables qui aideront à achever le détour de production au cours duquel cette portion du capital a pris naissance. Je répète « cause intermédiaire » et non « cause première ». Le capital ne saurait, en effet, donner aucune impulsion par lui-même, il ne peut que transmettre une impulsion une fois donnée par des forces naturelles, de même qu'une boule une fois lancée peut communiquer son mouvement à une autre boule.


3. Le capital devient quelquefois une cause indirecte en nous permettant de choisir d'autres détours de production avantageux, d'autres que ceux à l'occasion desquels il a été formé. Quand un peuple possède beaucoup de capitaux et précisément parce qu'il les possède, il peut non seulement achever avec succès les détours de production au cours desquels ces capiaux ont été formés, mais il peut choisir d'autres détours nouveaux. Car le stock existant de capitaux n'est autre chose que produit d'un travail passé qui va se transformer chaque année en biens de jouissance. Chaque année cette transformation s'opère pour une certaine partie du capital. Donc plus grand est le stock du capital, plus grande aussi est la part que prennent de cette manière les forces productives des périodes passées à la formation des biens de jouissance du présent, et d'autant moins il faut employer à cette dernière fin les forces productives nouvelles de la période courante. Une part bien plus grande reste donc disponible pour être mise au service de l'avenir et peut être employée dans des détours de production à plus grande portée.
3. Le capital devient quelquefois une ''cause indirecte en nous permettant de choisir d'autres détours de production avantageux'', d'autres que ceux à l'occasion desquels il a été formé. Quand un peuple possède beaucoup de capitaux et précisément parce qu'il les possède, il peut non seulement achever avec succès les détours de production au cours desquels ces capiaux ont été formés, mais il peut choisir d'autres détours nouveaux. Car le stock existant de capitaux n'est autre chose que produit d'un travail passé qui va se transformer chaque année en biens de jouissance. Chaque année cette transformation s'opère pour une certaine partie du capital. Donc plus grand est le stock du capital, plus grande aussi est la part que prennent de cette manière les forces productives des périodes passées à la formation des biens de jouissance du présent, et d'autant moins il faut employer à cette dernière fin les forces productives nouvelles de la période courante. Une part bien plus grande reste donc disponible pour être mise au service de l'avenir et peut être employée dans des détours de production à plus grande portée.


Tout bien considéré, aucun des nombreux certificats donnés au capital par l'économie politique ne désigne mieux son rôle dans la production que celui-ci : un instrument de production.
Tout bien considéré, aucun des nombreux certificats donnés au capital par l'économie politique ne désigne mieux son rôle dans la production que celui-ci : ''un instrument de production''.


=== Comment se forment les capitaux ? ===
=== Comment se forment les capitaux ? ===
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Il existe sur ce point trois opinions différentes dans la science.
Il existe sur ce point trois opinions différentes dans la science.


Les uns affirment que le capital se forme par la seule épargne. Adam Smith dit : « c'est l'économie et non l'activité qui est la cause immédiate de l'augmentation du capital. »
Les uns affirment que le capital se forme par la seule ''épargne''. Adam Smith dit : « c'est l'économie et non l'activité qui est la cause immédiate de l'augmentation du capital. »


D'autres affirment exactement le contraire, à savoir, que le capital est formé non par l'épargne, mais par le travail; ainsi le socialiste allemand Rodbertus dit : « le capital national augmente par le travail et non par l'économie. »
D'autres affirment exactement le contraire, à savoir, que le capital est formé non par l'épargne, mais par ''le travail''; ainsi le socialiste allemand Rodbertus dit : « le capital national augmente par le travail et non par l'économie. »


D'autres enfin affirment que ces deux choses sont nécessaires à la fois « l'épargne et le travail productif ». Je me range à l'opinion de ces derniers.
D'autres enfin affirment que ces deux choses sont nécessaires à la fois « l'épargne et le travail productif ». Je me range à l'opinion de ces derniers.
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Supposons maintenant que les fruits sauvages soient plus abondants, de telle sorte que Robinson puisse en neuf heures en cueillir assez pour être à l'abri des affres de la faim, tandis qu'il lui faudrait continuer sa cueillette pendant douze heures s'il voulait en récolter assez pour satisfaire amplement son appétit.
Supposons maintenant que les fruits sauvages soient plus abondants, de telle sorte que Robinson puisse en neuf heures en cueillir assez pour être à l'abri des affres de la faim, tandis qu'il lui faudrait continuer sa cueillette pendant douze heures s'il voulait en récolter assez pour satisfaire amplement son appétit.


Qu'en sera-t-il maintenant de la confection des armes de chasse ? La chose est parfaitement claire. Ou bien Robinson tient absolument à apaiser sa faim dans la mesure du possible et à consommer chaque jour le fruit d'une récolte de douze heures : il ne lui restera alors naturellement ni le temps ni la force pour produire les armes dont il a besoin. Ou bien il restreindra ses exigences quant à sa ration journalière, de façon à se contenter du résultat de la cueillette de dix heures, par exemple : alors il lui restera quelques heures libres chaque jour pour travailler, et il pourra se mettre à fabriquer les armes de chasse qu'il convoite. Ceci revient à dire : avant que de pouvoir réellement former un capital, il faut épargner d'abord les forces productives nécessaires pour sa formation en se privant de certaines jouissances immédiates.
Qu'en sera-t-il maintenant de la confection des armes de chasse ? La chose est parfaitement claire. Ou bien Robinson tient absolument à apaiser sa faim dans la mesure du possible et à consommer chaque jour le fruit d'une récolte de douze heures : il ne lui restera alors naturellement ni le temps ni la force pour produire les armes dont il a besoin. Ou bien il restreindra ses exigences quant à sa ration journalière, de façon à se contenter du résultat de la cueillette de dix heures, par exemple : alors il lui restera quelques heures libres chaque jour pour travailler, et il pourra se mettre à fabriquer les armes de chasse qu'il convoite. Ceci revient à dire : avant que de pouvoir réellement former un capital, il faut ''épargner'' d'abord les forces productives nécessaires pour sa formation en se privant de certaines jouissances immédiates.


Et ce qui se présente pour Robinson avec ses douze heures de travail par jour, avec ses fruits et ses armes, se présente en grand pour chaque nation dont la dotation quotidienne en forces productives se compose du travail de plusieurs millions d'hommes, qui tirent leurs moyens de subsistance de toutes les richesses et de toute les commodités du XIXe siècle et dont les besoins en capitaux sont représentés par des machines, des chemins de fer et des canaux. Les quantités et les noms seuls varient. Nombre de complications, il est vrai, rendent difficile de tout embrasser d'un seul coup d'oeil, mais le fond reste toujours le même : une nation pas plus qu'un individu ne saurait former autrement son capital, on augmenter ce capital une fois formé, qu'en s'astreignant à consommer pendant chaque année courante une quantité de produits moindre que celle que ses forces productives peuvent mettre à sa disposition dans la même période. Ce n'est qu'en rendant libre par l'épargne une part de sa dotation annuelle en forces productives et en la dérobant aux désirs de jouissance immédiate de la vie, qu'elle pourra l'affecter à la création des produits intermédiaires.
Et ce qui se présente pour Robinson avec ses douze heures de travail par jour, avec ses fruits et ses armes, se présente en grand pour chaque nation dont la dotation quotidienne en forces productives se compose du travail de plusieurs millions d'hommes, qui tirent leurs moyens de subsistance de toutes les richesses et de toute les commodités du XIXe siècle et dont les besoins en capitaux sont représentés par des machines, des chemins de fer et des canaux. Les quantités et les noms seuls varient. Nombre de complications, il est vrai, rendent difficile de tout embrasser d'un seul coup d'oeil, mais le fond reste toujours le même : une nation pas plus qu'un individu ne saurait former autrement son capital, on augmenter ce capital une fois formé, qu'en s'astreignant à consommer pendant chaque année courante une quantité de produits moindre que celle que ses forces productives peuvent mettre à sa disposition dans la même période. Ce n'est qu'en rendant libre par l'épargne une part de sa dotation annuelle en forces productives et en la dérobant aux désirs de jouissance immédiate de la vie, qu'elle pourra l'affecter à la création des produits intermédiaires.
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