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La distinction entre phonologie « classique » et phonologie « structurale » et plus généralement, entre linguistique « classique » et linguistique « structurale » retrouve dans le domaine de l'étude des langues des distinctions familières et anciennes, explicitement ou implicitement reconnues par plusieurs sciences sociales. Ainsi on peut analyser les institutions sociales de manière descriptive. Mais on peut aussi s'interroger sur la structure du système constitué par l'ensemble des institutions d'une société. Cette perspective, qu'on peut appeler ''structurelle'', est par exemple celle qu'adopte [[Charles de Montesquieu|Montesquieu]] dans ''L'esprit des lois'' : régimes politiques, institutions juridiques, organisation sociale et familiale tendent, selon Montesquieu, à former des touts cohérents, des « structures » comme on dirait aujourd'hui, excluant nombre de combinaisons possibles d'un point de vue strictement combinatoire, mais difficilement concevables d'un point de vue sociologique. Il faut toutefois souligner que Montesquieu <ref>cf. article '''[[Raymond Boudon:Montesquieu|Montesquieu]]''' du ''Dictionnaire ...''</ref> se garde d'affirmer que les divers éléments d'un système social s'impliquent les uns les autres de façon nécessaire : que certaines combinaisons soient exclues n'entraîne pas que les combinaisons réalisées et observables soient d'une rigoureuse cohérence. On retrouve la même perspective chez [[Alexis de Tocqueville|Tocqueville]] : ''L'Ancien Régime et la Révolution'' montre comment le caractère centralisé de l'administration française a rendu le « système » social et politique français très différent dans sa structure du système anglais. Si on se tourne vers des auteurs modernes, on observe par exemple la même perspective chez Murdock. Dans ''Social Structure'' cet auteur a montré, à partir de données concernant un ensemble de sociétés archaïques que les règles de résidence (matrilocale, patrilocale, etc.) de transmission du patrimoine, de filiation (patrilinéaire, matrilinéaire, etc.), les règles relatives de la prohibition de l'inceste, le vocabulaire utilisé pour désigner les divers types de relation de parenté, etc., constituent des « structures » au sens où elles sont des combinaisons non aléatoires, un type de règle de résidence ayant par exemple plus de chance d'être associé à un certain type de règle de filiation et à certaines institutions matrimoniales qu'à d'autres. Mais, chez Murdock comme chez Montesquieu, on a affaire à une conception ''minimaliste'' plutôt que ''maximaliste'' de la cohérence des systèmes institutionnels sont donc assimilables, non à des implications ''strictes'' de type logique (si A, alors B), mais à des implications ''faibles'' de type stochastique (si A, alors plus souvent B). Autre exemple : l'opposition sociologique classique — et qui ne va pas sans poser des problèmes — entre sociétés « traditionnelles » et sociétés « modernes » peut être considérée comme un exemple d'analyse « structurelle » : les deux types de sociétés sont caractérisés ou supposés être caractérisés par des ensembles de traits qui s'opposent terme à terme.
La distinction entre phonologie « classique » et phonologie « structurale » et plus généralement, entre linguistique « classique » et linguistique « structurale » retrouve dans le domaine de l'étude des langues des distinctions familières et anciennes, explicitement ou implicitement reconnues par plusieurs sciences sociales. Ainsi on peut analyser les institutions sociales de manière descriptive. Mais on peut aussi s'interroger sur la structure du système constitué par l'ensemble des institutions d'une société. Cette perspective, qu'on peut appeler ''structurelle'', est par exemple celle qu'adopte [[Charles de Montesquieu|Montesquieu]] dans ''L'esprit des lois'' : régimes politiques, institutions juridiques, organisation sociale et familiale tendent, selon Montesquieu, à former des touts cohérents, des « structures » comme on dirait aujourd'hui, excluant nombre de combinaisons possibles d'un point de vue strictement combinatoire, mais difficilement concevables d'un point de vue sociologique. Il faut toutefois souligner que Montesquieu <ref>cf. article '''[[Raymond Boudon:Montesquieu|Montesquieu]]''' du ''Dictionnaire ...''</ref> se garde d'affirmer que les divers éléments d'un système social s'impliquent les uns les autres de façon nécessaire : que certaines combinaisons soient exclues n'entraîne pas que les combinaisons réalisées et observables soient d'une rigoureuse cohérence. On retrouve la même perspective chez [[Alexis de Tocqueville|Tocqueville]] : ''L'Ancien Régime et la Révolution'' montre comment le caractère centralisé de l'administration française a rendu le « système » social et politique français très différent dans sa structure du système anglais. Si on se tourne vers des auteurs modernes, on observe par exemple la même perspective chez Murdock. Dans ''Social Structure'' cet auteur a montré, à partir de données concernant un ensemble de sociétés archaïques que les règles de résidence (matrilocale, patrilocale, etc.) de transmission du patrimoine, de filiation (patrilinéaire, matrilinéaire, etc.), les règles relatives de la prohibition de l'inceste, le vocabulaire utilisé pour désigner les divers types de relation de parenté, etc., constituent des « structures » au sens où elles sont des combinaisons non aléatoires, un type de règle de résidence ayant par exemple plus de chance d'être associé à un certain type de règle de filiation et à certaines institutions matrimoniales qu'à d'autres. Mais, chez Murdock comme chez Montesquieu, on a affaire à une conception ''minimaliste'' plutôt que ''maximaliste'' de la cohérence des systèmes institutionnels sont donc assimilables, non à des implications ''strictes'' de type logique (si A, alors B), mais à des implications ''faibles'' de type stochastique (si A, alors plus souvent B). Autre exemple : l'opposition sociologique classique — et qui ne va pas sans poser des problèmes — entre sociétés « traditionnelles » et sociétés « modernes » peut être considérée comme un exemple d'analyse « structurelle » : les deux types de sociétés sont caractérisés ou supposés être caractérisés par des ensembles de traits qui s'opposent terme à terme.


Tous ces travaux relèvent de ce qu'on peut appeler l'analyse ''structurelle''. Dans tous les cas, il s'agit de montrer qu'un ensemble d'institutions caractéristiques d'une société constitue une « structure » au sens où cet ensemble doit être analysé comme une combinaison non aléatoire d'éléments. Dans le domaine de la phonologie, l'analyse structurelle consiste bien, de même, à montrer que les phonèmes d'une langue constitue une combinaison non aléatoire de traits distinctifs. La linguistique dite « structurale », c'est-à-dire celle qui adopte une perspective « structurelle », ne représente donc en aucune façon une innovation méthodologique radicale. La « révolution » qu'elle a accomplie, si révolution il y a, consiste plutôt dans l'application à un domaine particulier, celui des langues, d'une perspective que des disciplines comme la sociologie et l'économie avaient traditionnellement utilisée. Comme M. Jourdain faisait de la prose, Montesquieu et Tocqueville avaient, sans le savoir, appliqué l'analyse « structurelle » à la sociologie ou, comme on peut dire encore, pratiqué une sociologie « structurale ». Le fait que, par différence avec les expressions « linguistique structurale » ou « anthropologie structurale », des expressions comme « économie structurale » ou « sociologie structurale » ne se soient pas imposées, suffit peut-être à indiquer que la perspective de l'analyse structurelle est traditionnelle dans ces deux disciplines.
Tous ces travaux relèvent de ce qu'on peut appeler l'analyse ''structurelle''. Dans tous les cas, il s'agit de montrer qu'un ensemble d'institutions caractéristiques d'une société constitue une « structure » au sens où cet ensemble doit être analysé comme une combinaison non aléatoire d'éléments. Dans le domaine de la phonologie, l'analyse structurelle consiste bien, de même, à montrer que les phonèmes d'une langue constitue une combinaison non aléatoire de traits distinctifs. La linguistique dite « structurale », c'est-à-dire celle qui adopte une perspective « structurelle », ne représente donc en aucune façon une innovation méthodologique radicale. La « révolution » qu'elle a accomplie, si révolution il y a, consiste plutôt dans l'application à un domaine particulier, celui des langues, d'une perspective que des disciplines comme la sociologie et l'économie avaient traditionnellement utilisée. Comme M. Jourdain faisait de la prose, Montesquieu et Tocqueville avaient, sans le savoir, appliqué l'analyse « structurelle » à [https://www.wikiberal.org/wiki/Sociologie la sociologie] ou, comme on peut dire encore, pratiqué une sociologie « structurale ». Le fait que, par différence avec les expressions « linguistique structurale » ou « anthropologie structurale », des expressions comme « économie structurale » ou « sociologie structurale » ne se soient pas imposées, suffit peut-être à indiquer que la perspective de l'analyse structurelle est traditionnelle dans ces deux disciplines.


Il n'en va pas de même en anthropologie. Dans les ''structures élémentaires de la parenté'', Lévi-Strauss applique la perpective structurelle telle qu'elle vient d'être définie à un domaine de l'ethnologie où avait traditionnellement prévalu une perspective de type descriptif. Jusqu'à Lévi-Strauss, les ethnologues s'étaient heurtés à un problème difficile : rendre compte de la diversité des règles de prohibition de l'inceste. Pourquoi par exemple le mariage entre cousins parallèles est-il généralement interdit, tandis que tout mariage entre cousins croisés est toléré dans certaines sociétés et que, dans d'autres sociétés encore, certains types de mariage entre cousins croisés sont autorisés (mariage de ''Ego'' avec la fille du frère de sa mère) et d'autres interdits (mariage de ''Ego'' avec la fille de la soeur de son père) ? Lévi-Strauss a proposé de résoudre ces énigmes classiques en adoptant une méthodologie analogue à celle de la phonologie structuralle. Le phonologue s'efforce de montrer que tout système phonétique peut être considéré comme une solution particulière à un problème général : constituer un support sonore économique aux processus de communication. De même, Lévi-Strauss s'efforça de montrer que les systèmes de règles d'interdiction et d'autorisation du mariage qu'on observe dans les sociétés archaïques sont les solutions particulières d'un « problème » général : assurer une circulation des femmes entre les segments constitutifs des sociétés. Cette perspective générale étant posée, on démontre par exemple qu'une « solution » cohérente (d'un certain point de vue) contient, outre d'autres règles, l'interdiction du mariage entre cousins parallèles et l'autorisation du mariage entre cousins croisés, et qu'un autre système cohérent de règles interdit le mariage entre cousins parallèles et autorise le mariage entre certains cousins croisés (mariage de ''Ego'' avec la fille du frère de sa mère).
Il n'en va pas de même en anthropologie. Dans les ''structures élémentaires de la parenté'', Lévi-Strauss applique la perpective structurelle telle qu'elle vient d'être définie à un domaine de l'ethnologie où avait traditionnellement prévalu une perspective de type descriptif. Jusqu'à Lévi-Strauss, les ethnologues s'étaient heurtés à un problème difficile : rendre compte de la diversité des règles de prohibition de l'inceste. Pourquoi par exemple le mariage entre cousins parallèles est-il généralement interdit, tandis que tout mariage entre cousins croisés est toléré dans certaines sociétés et que, dans d'autres sociétés encore, certains types de mariage entre cousins croisés sont autorisés (mariage de ''Ego'' avec la fille du frère de sa mère) et d'autres interdits (mariage de ''Ego'' avec la fille de la soeur de son père) ? Lévi-Strauss a proposé de résoudre ces énigmes classiques en adoptant une méthodologie analogue à celle de la phonologie structuralle. Le phonologue s'efforce de montrer que tout système phonétique peut être considéré comme une solution particulière à un problème général : constituer un support sonore économique aux processus de communication. De même, Lévi-Strauss s'efforça de montrer que les systèmes de règles d'interdiction et d'autorisation du mariage qu'on observe dans les sociétés archaïques sont les solutions particulières d'un « problème » général : assurer une circulation des femmes entre les segments constitutifs des sociétés. Cette perspective générale étant posée, on démontre par exemple qu'une « solution » cohérente (d'un certain point de vue) contient, outre d'autres règles, l'interdiction du mariage entre cousins parallèles et l'autorisation du mariage entre cousins croisés, et qu'un autre système cohérent de règles interdit le mariage entre cousins parallèles et autorise le mariage entre certains cousins croisés (mariage de ''Ego'' avec la fille du frère de sa mère).
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