L'histoire des vingt dernières années est, pour la droite française, l'histoire des occasions manquées : en 1986, en 1993 et en 1995, les électeurs ont voulu marquer leur refus du socialisme dans lequel la désastreuse épopée mitterrandienne les avait plongés. Mais à chaque fois, ils ont dû reconnaître leurs désillusions devant des politiques incapables d'apporter le grand changement espéré. En 2002, ils ont voté avec lassitude, après une campagne sans relief, au cours d'une élection présidentielle ambiguë et des élections législatives qui ont eu surtout pour objet de conduire à la victoire du «parti du président».
Un an après, que reste-t-il des espoirs de renouveau profond que certains, naïvement, auraient encore pu attendre de ces changements politiques ? Force est de constater qu'il ne s'est pas passé grand-chose. Certes, on a le sentiment que l'on pourra éviter au cours de la présente législature et du présent quinquennat les aventures destructrices – telles que la loi des 35 heures – dont la gauche française a le secret, et il faut s'en réjouir. Certes, on a pu constater quelques timides changements. Mais le gouvernement a laissé passer cette fameuse période d'état de grâce – quelque trois mois – pendant laquelle presque tout est possible. S'ils avaient été animés de convictions profondes, le président de la République et le gouvernement Raffarin auraient mis en place, au cours de l'été 2002, les réformes dont les Français ont tellement besoin : le retour à la liberté par la suppression d'innombrables lois et règlements paralysants, le recul de l'Etat et des dépenses publiques, une profonde et rapide réforme fiscale.
Tout ceci est urgent et l'est même, hélas, depuis longtemps ! La France est sur la voie du déclin, depuis la terrible rupture de 1981, mais rien n'a été fait pour le stopper. En témoigne ce flux continu de jeunes, bien formés, emplis d'espoirs et d'imagination, porteurs de projets et de courage, qui tournent le dos à la vieille France – qui est surtout une France vieillie – pour éviter d'être bridés dans leurs élans et spoliés des gains de leur réussite. Les Français veulent-ils vraiment que leurs enfants partent vers des cieux fiscalement et réglementairement plus cléments ? Ne faudrait-il pas tout faire pour éviter cette perte qui n'est pas seulement économique, mais également humaine et affective ? Ne pouvons-nous pas, par exemple, prendre exemple sur l'Angleterre qui se trouvait dans une situation similaire à celle de la France avant l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher ? Après ses réformes – en particulier une diminution profonde des taux les plus élevés de l'impôt sur le revenu – les Britanniques ont choisi de revenir dans leur pays au lieu de le quitter.
Malheureusement, ce qui caractérise l'actuel gouvernement (et les gouvernements de droite qui l'ont précédé) par rapport aux gouvernements de gauche récents, ce n'est pas une différence fondamentale dans les conceptions, mais des différences de degré : on ne cherche pas des solutions individuelles pour remplacer les solutions collectives, on ne souhaite pas changer fondamentalement la nature de l'Etat et son rôle, mais seulement en alléger quelque peu le poids ou, tout au moins, se garder de l'augmenter.
De ce point de vue, le traitement du problème posé par la loi des 35 heures a été symptomatique. Lors de la précédente législature, la majeure partie de la droite française s'était déclarée hostile à cette loi. Mais une fois venue au pouvoir, elle n'a pas osé la remettre en cause et elle a préféré adopter des mesures provisoires «d'assouplissement» consistant essentiellement à augmenter le nombre d'heures supplémentaires autorisées. Il existait pourtant une autre solution, à la fois simple et indispensable. Elle consistait à affirmer qu'il n'y a aucune raison que l'Etat décide de la durée du travail. Celle-ci devrait fondamentalement relever du droit des gens à décider pour eux-mêmes, c'est-à-dire de la liberté contractuelle. C'est au salarié et à l'employeur de fixer la durée du travail et de la rémunération correspondante. Et ceci est d'ailleurs vrai non seulement pour déterminer la durée hebdomadaire ou annuelle du travail, mais aussi la durée du travail au cours de la vie, c'est-à-dire l'âge de la retraite. Tout au plus pourrait-on imaginer que la détermination de la durée du travail par voie légale ou, éventuellement, au moyen de négociations collectives, ait un caractère supplétif, c'est-à-dire qu'on y ait recours lorsqu'un accord n'aura pas été possible au niveau de l'entreprise et des individus.
En France, l'Etat décide non seulement de la durée du travail, mais aussi du niveau de la rémunération, tout au moins en ce qui concerne le salaire minimum. Il y a évidemment toutes les chances pour que ces différentes décisions soient incompatibles et créent des déséquilibres, c'est-à-dire du chômage. Or, pour sortir de la complexité installée dans le système par la loi des 35 heures, le gouvernement a décidé de faire converger vers le haut les différentes catégories de salaire minimum, ce qui implique une augmentation de 11,5% du salaire minimum pour plus de la moitié de ses bénéficiaires entre 2003 et 2005. Une telle mesure – du fait du renchérissement du coût du travail – sera évidemment un facteur d'augmentation du chômage et elle est donc en contradiction avec les proclamations répétées du gouvernement selon lesquelles toute son action est motivée par le souci de faire reculer le chômage.
Nous devons malheureusement constater qu'il n'a pas cessé d'augmenter et que le gouvernement s'est même rallié à la vieille recette socialiste du «traitement social du chômage» qui constitue surtout un constat d'échec. Et c'est le même constat d'échec que l'on doit faire à propos de la croissance : alors que le budget 2003 avait été construit sur une hypothèse de croissance de 2,5% (après 1,2% en 2002), il semble maintenant que la croissance ne sera que légèrement supérieure à 1%.
Il faut, bien sûr, tenir compte du climat général des affaires dans le monde ou des incertitudes liées à la guerre en Irak (qui, par elle-même, ne peut avoir qu'une incidence économique réduite). Mais il faudrait d'autant plus compenser ces facteurs d'atonie par une libération des énergies. La crise économique française n'est pas la manifestation d'un simple retournement conjoncturel. Elle a un caractère structurel profond dont l'action de l'Etat et de ses satellites (la Sécurité sociale par exemple) constitue l'unique cause. La situation s'analyse de manière simple : tout effort de travail, d'épargne, d'imagination est pénalisé par des prélèvements obligatoires très élevés et injustes et des réglementations destructrices. Mais en un an, le Parlement et le gouvernement n'ont pas utilisé l'extraordinaire opportunité dont ils bénéficiaient, celle que leur donnait une stabilité politique de cinq années sans élections. Des réformes audacieuses au cours de la première année auraient certes soulevé des oppositions dans le court terme, mais elles auraient apporté ensuite une prospérité dont la droite française aurait profité politiquement lors des prochaines échéances électorales.
Malheureusement, on che rche en vain la suppression de quelques réglementations, qu'il s'agisse du marché du travail, déjà évoqué, ou – pour prendre un exemple au hasard – du marché des logements où les contraintes imposées aux propriétaires bailleurs les incitent à ne pas louer, ce qui explique dans une large mesure le fait que deux millions de logements soient inoccupés. Mais il est deux domaines essentiels où aucune réforme structurelle n'a été ébauchée au cours de l'année passée et où la volonté de ne rien changer est même affirmée, celui de la santé et celui de l'éducation. C'est pourtant parce que ces deux secteurs d'activité sont particulièrement importants pour tous les Français qu'il convient de les ouvrir à la concurrence.
Le monopole étatique est en effet toujours source de gaspillages, d'inefficacités et d'injustices et cela est particulièrement évident pour le système de soins et le système d'éducation. Supprimer le monopole de la Sécurité sociale, permettre une vraie concurrence entre les établissements hospitaliers publics et privés, rendre la liberté de leurs honoraires aux médecins, permettre la création d'universités privées et instaurer une vraie concurrence dans l'enseignement, tels seraient les éléments minimaux d'un programme de libéralisation.
Quant aux prélèvements obligatoires, il est certes vrai qu'on s'est engagé dans la voie de la décrue fiscale puisque les taux de l'impôt sur le revenu ont été réduits de 6% en deux ans (alors que Jacques Chirac avait promis 30% en cinq ans). Mais cette baisse est dérisoire par rapport à ce qui serait nécessaire. Par ailleurs, le souci si français de l'égalité a conduit à décider une baisse identique pour tout le monde, alors qu'il aurait été préférable, pour des raisons d'équité aussi bien que d'efficacité, de diminuer davantage les taux les plus élevés. Comme l'ont si bien montré les tenants de «l'économie de l'offre» et comme l'ont illustré de nombreuses réformes fiscales étrangères, ce sont ces taux qui sont les plus désincitatifs et les plus destructeurs de l'activité économique. En les diminuant de manière importante, on supprime une injustice fiscale, on stimule l'innovation et l'esprit d'entreprise, on réduit l'évasion et la fraude fiscales. Malheureusement, le gouvernement n'a pas osé s'attaquer aux tabous de la pensée unique d'inspiration socialiste pour laquelle l'impôt doit frapper la création de richesses et le capital. Et c'est pourquoi, au lieu de supprimer purement et simplement l'impôt, dit de solidarité, sur la fortune, on s'est contenté d'une petite réforme consistant à l'alléger dans quelques circonstances spécifiques.
Il est certes impossible d'être exhaustif dans ce rapide bilan d'une année de politique économique. Mais ce bilan serait d'évidence incomplet si on n'y ajoutait pas la réforme des retraites. Il faut certes reconnaître que, dans ce domaine, le gouvernement semble vouloir mettre en cause certaines des injustices les plus manifestes du système actuel, par exemple la durée de cotisation des fonctionnaires. Mais, comme nous l'avons déjà souligné, il serait encore mieux de donner à tout le monde la liberté de choisir l'âge de sa retraite. Par ailleurs l'objectif clairement affirmé de la réforme envisagée consiste à «sauver le système de retraite par répartition». Or, de même qu'il ne faut pas «sauver la Sécurité sociale», mais la mettre en concurrence avec d'autres systèmes d'assurance-maladie, il ne faut pas sauver la retraite par répartition, mais la mettre en concurrence avec la retraite par capitalisation, c'est-à-dire rendre leur liberté de choix aux Français comme nous l'avons expliqué dans notre article, «Plaidoyer pour la retraite par capitalisation», Le Figaro, 8-9 février 2003.
Beaucoup de choses peuvent être faites en un an lorsqu'on est animé par des convictions profondes et le courage d'affronter les oppositions. Peu de chose a été fait en France au cours de cette première année de gouvernement Raffarin, alors que les Français auraient particulièrement besoin de réformes audacieuses. En Angleterre, Tony Blair a eu la sagesse de ne pas mettre en cause tout l'acquis de la révolution conservatrice mise en place par Margaret Thatcher, parce qu'il a su en reconnaître les bienfaits. En France, Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin n'ont pas osé mettre en cause tout «l'acquis» de la construction socialiste des vingt dernières années, en dépit de ses méfaits. Tel est, malheureusement, le bilan qui s'impose après un an de politique économique de la nouvelle majorité.