Étienne Wasmer:Logement et règlementation

Étienne Wasmer
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Étienne Wasmer:Logement et règlementation
Logement et règlementation


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Article paru initialement dans Libération, le 5 septembre 2005

Alors que les problèmes de logement atteignent une acuité insupportable, on entend de multiples propositions pour tenter d'alléger le fardeau des non-logés, des mals-logés et de ceux qui n'osent plus déménager. Pourtant, rares sont les analyses qui prennent en compte le caractère économique des relations sur le marché du logement : c'est un peu comme si on discourait sur le prix du pétrole sans prendre en compte la rareté de l'offre et l'augmentation de la demande ! Pour autant, le marché du logement est un marché particulier, dont le libre fonctionnement ne saurait, à lui seul, garantir l'efficacité. Pour apporter un éclairage précis, l'analyse de l'impact du droit sur l'économie d'une part, et la théorie des contrats d'autre part, sont des plus utiles.

Un locataire et un propriétaire signant un bail s'engagent par un contrat lequel définit droits et obligations. Or, le non-respect des droits par l'une ou l'autre des parties est une difficulté transactionnelle majeure. Et en la matière, ce serait faire preuve d'angélisme que de faire porter le poids des dysfonctionnements du marché locatif sur les propriétaires.

Tout le monde s'accorde à reconnaître les deux problèmes majeurs du marché. D'abord, l'offre est insuffisante, et donc les prix flambent. Vouloir interdire les hausses de prix est un vieux réflexe dirigiste de certains au PS, qui dans le court-terme favorisera ceux qui ont déjà un appartement et qui ne veulent plus bouger, et dans le long-terme, limitera un peu plus l'offre de logements ainsi que la mobilité : si on a vécu 10 ans dans un logement à loyer bloqué, pourquoi partir si c'est pour se retrouver au prix du marché ? Cela alimente par ailleurs le déficit de fluidité du marché puisque les offres de logements libérés sont rares, dans un cercle vicieux typique qui pénalise les personnes pas encore installées (jeunes, actifs précaires). Pour oser une comparaison, c'est comme si on préférait prendre une place de parking à 4 kilomètres de son supermarché et qu'on ne la lachait plus, de peur de ne pas trouver plus près. Comme tout le monde fait la même chose, cela renforce l'immobilisme général.

Le deuxième problème structurel est celui de la sélection des locataires par des propriétaires inquiets, en clair une discrimination souvent peu avouable, qui tourne au parcours du combattant pour un postulant : fiches de paie, cautions, quatre mois à débourser immédiatement. Pourquoi une telle méfiance ? Parce qu'il est difficile d'obtenir le paiement des loyers ou l'expulsion dès lors qu'un locataire de mauvaise foi connaît un tout petit peu les arcanes du droit du logement français. Une étude internationale récente réalisée à Harvard indique que la France est un des pays de l'OCDE où le recouvrement d'un logement et l'expulsion d'un locataire est le plus long: en moyenne, 226 jours, dont 75 jours pour obtenir un procès et 135 jours pour l'application de l'acte de justice. Et encore, ces chiffres sous-estiment les durées lorsque le propriétaire tente d'abord un règlement à l'amiable, ou si, n'étant pas un expert du droit, qu'il oublie le détail de la mise en demeure qui conduit à l'annulation de la procédure.

Alors, tentons une proposition totalement surréaliste. Faisons de la loi sur le logement un simple sous-chapitre du droit des contrats : on signe, on paie, si on ne paie pas, on s'en va. Divisons la longueur des textes de lois par deux. Simplifions leur exposition, plus besoin de lire trente décrets d'application pour comprendre comment faire appliquer ses droits. Supprimons la trève hivernale qui interdit l'expulsion de novembre à mi-mars, les impayés commençant souvent en octobre. Supprimons les procedures complexes, les délais de deux mois des commandements à payer: si le 5, le loyer n'est pas payé, le propriétaire s'adresse à une commission ; à la fin du mois, un conciliateur ou un juge examine le dossier, et établit les responsabilités ; le cas échéant, il ordonne aux parties de s'exécuter ou donne un délai ; à l'issue de ce délai, les obligations non remplies entraînent automatiquement la rupture du bail ; à défaut de départ, l'expulsion intervient dans les deux semaines. En contrepartie, puisque les locataires ne peuvent plus durablement rester dans un logement sans payer, les propriétaires ne peuvent plus refuser de logement ; ils ne peuvent pas exiger de mois d'avance ni de caution ; ils ne peuvent pas exiger de garanties complexes ou de caution familiale ; ils s'exposent, s'ils louent des logements insalubres, à des sanctions financières; en revanche, ils exercent le droit systématique de s'adresser aux derniers propriétaires pour s'assurer du sérieux du postulant. En clair, il y a toujours un équilibre subtil entre protection des uns et assurance des autres: simplement, cet équilibre est plus efficace. Bénéfice additionnel, sachant que l'Etat dépense des sommes gigantesques pour indemniser des propriétaires parce qu'il n'est pas capable d'exécuter ses propres décisions de justice, et d'autres fortunes pour payer des hôtels indignes à des familles peu solvables, on peut réallouer cet argent pour rénover des appartements et apporter des aides à la construction de nouveaux logements.

Science-fiction que tout cela ! Impossible, outrageant, même. Pourtant, c'est exactement de cette manière que fonctionne le marché du logement dans un pays francophone, le Québec, dont on a beaucoup à apprendre. Tout n'y est pas rose, bien sûr, il y a des sans-logis, mais sans commune mesure avec les grandes villes françaises. Et tout le monde peut constater que les loyers y sont très modérés, que la mobilité y est très grande, qu'il n'y a ni méfiance ni difficulté lors des premiers contact, qu'on peut louer même si on n'est pas résident permanent, même si on n'a pas encore d'emploi. A Montréal, le taux de vacance des appartements, selon le Consulat de France, est de 1.4% (10% à Paris) ; la presse montréalaise s'est ému récemment du sort de 397 familles temporairement non logées à la période de renouvellement des baux. Quelle différence d'échelle avec la capitale française où il y aurait 100 000 demandes insatisfaites ! Et il y faut en moyenne une quarantaine de jours pour récupérer un logement en cas d'impayés. Ah, oui, dernière chose sur la trêve hivernale qui n'existe pas ici: la température, pendant les mois d'hiver, peut descendre jusqu'à moins trente!

Évidemment, la situation est si grave qu'on ne peut, à ce stade, se contenter de plaider pour la simplification et la meilleure exécution de la loi. Pour déplacer le point d'équilibre, il faut temporairement faire baisser l'extrême tension de ce marché, ce qui ne peut pas se faire sans relancer une politique ambitieuse de logements à loyer modérés. Mais sans oublier que le coût de ces politiques n'est pas que financier : mal conçues, elles pèsent aussi négativement sur la mobilité géographique.

Tout ceci n'est ni de gauche, ni de droite, juste le simple bon sens qui fait comprendre que le goût immodéré de notre pays pour les textes de lois abscons, léonins et semés d'embûches (l'expression " à peine de nullité " est celle qu'on y rencontre le plus souvent) rend la vie pénible à tous les gens de bonne foi, locataires comme propriétaires, et favorise paradoxalement procéduriers et grands propriétaires fonciers, dans une situation en passe de devenir explosive.

Étienne Wasmer, Chaire de Recherche du Canada en économie du travail, Université du Québec à Montréal

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