Différences entre les versions de « Charles Dunoyer:Compte rendu de l'ouvrage d'Augustin Thierry :"Des Nations et de leurs rapports mutuels" »

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C'est une chose commode pour la géographie que les divisions de territoire formées par des limites remarquables ; mais c'est tomber dans un abus de mots que de donner, sans examen, le nom de nation au nombre de peuple contenu entre deux mers, deux rivières, deux chaînes de montagnes. Tel prince qui dit : "La nation à qui je commande....", bâtit souvent d'une seule parole un édifice que toute sa puissance ne saurait élever là où les bases n'en sont point posées, une société. On n'associe les hommes que lorsqu'ils consentent : il faudrait au préalable avoir vérifié le consentement.
C'est une chose commode pour la géographie que les divisions de territoire formées par des limites remarquables ; mais c'est tomber dans un abus de mots que de donner, sans examen, le nom de nation au nombre de peuple contenu entre deux mers, deux rivières, deux chaînes de montagnes. Tel prince qui dit : "La nation à qui je commande....", bâtit souvent d'une seule parole un édifice que toute sa puissance ne saurait élever là où les bases n'en sont point posées, une société. On n'associe les hommes que lorsqu'ils consentent : il faudrait au préalable avoir vérifié le consentement.


Voit-on dans les villes les mêmes partis, les mêmes coteries, toujours renfermés dans les mêmes quartiers, entre les mêmes rues ? Les intérêts qui ameutent les factions ne planent-ils pas au-dessus de la population toute entière ? ne la séparent-ils pas lorsqu'elle rapprochée ? ne l'unissent-ils pas lorsqu'elle est séparée ? Les nations sont des partis. Tel homme vivant où il est né, a ses concitoyens loin de lui, et les étrangers à sa porte.
Voit-on dans les villes les mêmes partis, les mêmes coteries, toujours renfermés dans les mêmes quartiers, entre les mêmes rues ? Les intérêts qui ameutent les factions ne planent-ils pas au-dessus de la population toute entière ? ne la séparent-ils pas lorsqu'elle est rapprochée ? ne l'unissent-ils pas lorsqu'elle est séparée ? Les nations sont des partis. Tel homme vivant où il est né, a ses concitoyens loin de lui, et les étrangers à sa porte.


Les nations se forment d'elles-mêmes, se détruisent d'elles-mêmes, se maintiennent d'elles-mêmes. La guerre et la diplomatie ont beau faire, ce qu'elles divisent reste uni, ce qu'elles unissent reste divisé : leur action ne change point les choses ; elle trouble seulement, et pour un temps. La diplomatie opère, et les nations subsistent ; la diplomatie passera, et les nations resteront."
Les nations se forment d'elles-mêmes, se détruisent d'elles-mêmes, se maintiennent d'elles-mêmes. La guerre et la diplomatie ont beau faire, ce qu'elles divisent reste uni, ce qu'elles unissent reste divisé : leur action ne change point les choses ; elle trouble seulement, et pour un temps. La diplomatie opère, et les nations subsistent ; la diplomatie passera, et les nations resteront."
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Il y a eu plusieurs nations en Europe. Les Romains, depuis la fondation jusqu'à la chute de leur république, ont été certainement une nation. Leur objet, durant cet intervalle, n'a pas été un instant douteux ; cet objet, c'était l'agrandissement indéfini de leur empire, c'était sa prospérité fondée sur la ruine de tous les peuples qu'ils subjuguaient. Ils avaient une organisation fortement adaptée à cet objet ; enfin, pendant sept siècles, ils ont tendu au but de leur institution avec une force, un ensemble, une constance imperturbables.
Il y a eu plusieurs nations en Europe. Les Romains, depuis la fondation jusqu'à la chute de leur république, ont été certainement une nation. Leur objet, durant cet intervalle, n'a pas été un instant douteux ; cet objet, c'était l'agrandissement indéfini de leur empire, c'était sa prospérité fondée sur la ruine de tous les peuples qu'ils subjuguaient. Ils avaient une organisation fortement adaptée à cet objet ; enfin, pendant sept siècles, ils ont tendu au but de leur institution avec une force, un ensemble, une constance imperturbables.


L'Europe chrétienne, depuis le 11e. siècle jusqu'au 16e., depuis Grégoire VII jusqu'à Léon X, depuis l'établissement de la domination absolue des papes jusqu'à la naissance du schisme de Luther, peut être considérée comme une nation. La masse des peuples chrétiens, dans ce long espace de temps, ont été unis dans une même pensée, celle de faire leur salut, d'éviter l'enfer et de conquérir le Ciel. Ils ont eu des institutions appropriées à cette fin : c'était la constitution de l'église romaine ; c'étaient tous les réglements relatifs aux pratiques du culte catholique ; enfin on les a vu marcher ensemble par les voies qu'elles leur traçaient, et avec un zèle ardent, aveugle, illimité, au but de ces institutions. Ils ne considéraient ce monde que comme une terre d'exil, une vallée de larmes et de misère, un lieu de passage à un monde meilleur. Leur première pensée était pour cet autre monde ; leurs plus grands efforts avaient pour objet de le conquérir ; ils usaient pour cela leur vie dans la prière, le jeune, la pénitence ; ils couvraient la terre de monuments religieux, ils donnaient leur bien à l'église, ils faisaient des pélerinages, ils se précipitaient par torrens à la poursuite des infidèles.
L'Europe chrétienne, depuis le 11e. siècle jusqu'au 16e., depuis Grégoire VII jusqu'à Léon X, depuis l'établissement de la domination absolue des papes jusqu'à la naissance du schisme de Luther, peut être considérée comme une nation. La masse des peuples chrétiens, dans ce long espace de temps, ont été unis dans une même pensée, celle de faire leur salut, d'éviter l'enfer et de conquérir le Ciel. Ils ont eu des institutions appropriées à cette fin : c'était la constitution de l'église romaine ; c'étaient tous les réglements relatifs aux pratiques du culte catholique ; enfin on les a vu marcher ensemble par les voies qu'elles leur traçaient, et avec un zèle ardent, aveugle, illimité, au but de ces institutions. Ils ne considéraient ce monde que comme une terre d'exil, une vallée de larmes et de misère, un lieu de passage à un monde meilleur. Leur première pensée était pour cet autre monde ; leurs plus grands efforts avaient pour objet de le conquérir ; ils usaient pour cela leur vie dans la prière, le jeune, la pénitence ; ils couvraient la terre de monuments religieux, ils donnaient leur bien à l'église, ils faisaient des pélerinages, ils se précipitaient par torrents à la poursuite des infidèles.


Dans le gouvernement féodal, le chef de chaque seigneurie, ses vassaux, ses compagnons, ses coureurs, toute sa clientèle formaient ensemble une nation. Ces hommes étaient unis et actifs dans un but commun, celui de faire payer tribut aux industrieux répandus dans leurs terres, de rançonner les voyageurs qui y passaient, de piller les pays voisins de ceux de leur obéissance, de soumettre les chefs de ces pays à des redevances, à des hommages.
Dans le gouvernement féodal, le chef de chaque seigneurie, ses vassaux, ses compagnons, ses coureurs, toute sa clientèle formaient ensemble une nation. Ces hommes étaient unis et actifs dans un but commun, celui de faire payer tribut aux industrieux répandus dans leurs terres, de rançonner les voyageurs qui y passaient, de piller les pays voisins de ceux de leur obéissance, de soumettre les chefs de ces pays à des redevances, à des hommages.
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Les peuples de la Grande-Bretagne ont formé une nation, depuis plus d'un siècle. Ces peuples se sont montré fortement ralliés autour d'un même objet ; cet objet, c'était le monopole indéfini de l'industrie et du commerce ; conséquens à leur but, ils ont créé chez eux des lois favorables à la production, une immense marine marchande pour transporter leurs produits, et une marine militaire formidable pour protéger leurs navigation et s'ouvrir des débouchés ; enfin ils ont mis dans la poursuite de leur objet un art, un accord, une tenacité que n'y avait peut être mis encore aucune autre nation.
Les peuples de la Grande-Bretagne ont formé une nation, depuis plus d'un siècle. Ces peuples se sont montré fortement ralliés autour d'un même objet ; cet objet, c'était le monopole indéfini de l'industrie et du commerce ; conséquens à leur but, ils ont créé chez eux des lois favorables à la production, une immense marine marchande pour transporter leurs produits, et une marine militaire formidable pour protéger leurs navigation et s'ouvrir des débouchés ; enfin ils ont mis dans la poursuite de leur objet un art, un accord, une tenacité que n'y avait peut être mis encore aucune autre nation.
==Le déclin des vieilles nations==


Voilà une partie des nations qu'il y a eu en Europe, à prendre ce mot dans le sens que lui donne M. Thierry. Toutes ces nations sont tombées, ou touchent au moment de leur ruine. La nation romaine a commencé à se désorganiser aussitôt qu'elle a cessé de conquérir, et elle était dissoute depuis long-temps, lorsque les Barbares se sont présentés pour lui ravir ses conquêtes. La nation chrétienne s'est divisée en une multitude de sectes, et le sentiment religieux n'unit plus que d'une manière assez faible les membres de chacune de ces sectes ; le sentiment religieux semble n'être plus assez fort pour constituer des nations. Les nations féodales ont été vaincues par leurs tributaires, et se sont vu forcées de se réfugier au sein des monarchies absolues. Les monarchies absolues, à leur tour, se trouvent faibles en présence de leurs sujets ; elles sentent la nécessité de transiger avec eux, et de toutes parts elles cherchent leur salut dans ces traités qu'on nomme constitutions. Une grande partie des habitans de l'Angleterre commencent à s'apercevoir que le monopole leur coûte plus qu'il ne leur rapporte ; ils cessent dès-lors de se rallier à cet objet, et le peuple anglais ne forme plus un corps de nation. Ainsi, les intérêts divers qui avaient réuni, jusqu'ici, les habitans de l'Europe, l'esprit de conquête et de rapine, celui de religion, celui de monopole, etc., ont cessé d'agir sur eux d'une manière assez forte, pour leur servir de point de ralliement. Chacun de ces objets, il est vrai, retient toujours sous son empire un nombre d'hommes plus ou moins considérable : le monopole unit encore une partie de la population anglaise ; beaucoup d'hommes continuent à vivre sous l'influence du sentiment religieux ; le pouvoir absolu ne laisse pas que de compter autour de lui un assez bon nombre de fidèles ; il y a des voltigeurs de la féodalité ; on en trouverait, en cherchant un peu, de la république romaine. Mais si ces objets rallient encore un assez grand nombre d'hommes, ils en laissent un bien plus grand nombre dans l'isolement, et l'on peut dire que la masse de la population européenne se trouve dans un état de désorganisation dont ses annales n'avaient pas encore offert d'exemple.
Voilà une partie des nations qu'il y a eu en Europe, à prendre ce mot dans le sens que lui donne M. Thierry. Toutes ces nations sont tombées, ou touchent au moment de leur ruine. La nation romaine a commencé à se désorganiser aussitôt qu'elle a cessé de conquérir, et elle était dissoute depuis long-temps, lorsque les Barbares se sont présentés pour lui ravir ses conquêtes. La nation chrétienne s'est divisée en une multitude de sectes, et le sentiment religieux n'unit plus que d'une manière assez faible les membres de chacune de ces sectes ; le sentiment religieux semble n'être plus assez fort pour constituer des nations. Les nations féodales ont été vaincues par leurs tributaires, et se sont vu forcées de se réfugier au sein des monarchies absolues. Les monarchies absolues, à leur tour, se trouvent faibles en présence de leurs sujets ; elles sentent la nécessité de transiger avec eux, et de toutes parts elles cherchent leur salut dans ces traités qu'on nomme constitutions. Une grande partie des habitans de l'Angleterre commencent à s'apercevoir que le monopole leur coûte plus qu'il ne leur rapporte ; ils cessent dès-lors de se rallier à cet objet, et le peuple anglais ne forme plus un corps de nation. Ainsi, les intérêts divers qui avaient réuni, jusqu'ici, les habitans de l'Europe, l'esprit de conquête et de rapine, celui de religion, celui de monopole, etc., ont cessé d'agir sur eux d'une manière assez forte, pour leur servir de point de ralliement. Chacun de ces objets, il est vrai, retient toujours sous son empire un nombre d'hommes plus ou moins considérable : le monopole unit encore une partie de la population anglaise ; beaucoup d'hommes continuent à vivre sous l'influence du sentiment religieux ; le pouvoir absolu ne laisse pas que de compter autour de lui un assez bon nombre de fidèles ; il y a des voltigeurs de la féodalité ; on en trouverait, en cherchant un peu, de la république romaine. Mais si ces objets rallient encore un assez grand nombre d'hommes, ils en laissent un bien plus grand nombre dans l'isolement, et l'on peut dire que la masse de la population européenne se trouve dans un état de désorganisation dont ses annales n'avaient pas encore offert d'exemple.
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