Raymond Aron:Introduction à la philosophie politique

Raymond Aron
1905-1983
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Auteur libéral de gauche et libéral classique
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« Personne n'a jamais nié la lutte des classes. »
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Raymond Aron:Introduction à la philosophie politique
Raymond Aron, Introduction à la philosophie politique


Anonyme
Extrait de Introduction à la philosophie politique : Démocratie et révolution


Paru initialement sur Catallaxia.net

Il y a un marxisme critique ou encore un marxisme humaniste, concret, qui ne comporte aucun dogmatisme mais qui, tout au contraire, me paraît inspiré par l'idée que j'ai indiquée au point de départ, à savoir qu'il faut juger les régimes sociaux non pas par leurs déclarations idéologiques, mais d'après leurs réalisations. Le marxisme critique consiste à opposer perpétuellement à l'imperfection des réalisations sociales les idées impératives de l'humanisme. Le but de cette critique serait d'améliorer constamment les institutions sociales pour les rendre conformes à notre idéal, c'est-à-dire pour aboutir à deux thèmes qui sont :

   1. Ce que Marx appelle l'homme total  ; 
   2. L'organisation rationnelle de la vie collective. 

La notion d'homme total, qui se trouve un peu partout dans les textes de jeunesse de Marx, est difficile à définir en rigueur parce qu'il faudrait remonter à Hegel, mais si nous prenons simplement l'interprétation vulgaire, cela revient à l'idée suivante : à l'heure présente, les hommes enfermés dans un métier parcellaire, sont appauvris par la division du travail ; aucun ne réalise complètement sa nature, aucun ne réalise complètement ses virtualités. L'idée de Marx est de dépasser cette espèce d'appauvrissement, qui résulte de la division du travail, en donnant à l'homme la possibilité d'être aussi complet que possible, c'est-à-dire d'être aussi polytechnicien, aussi complètement homme que possible. L'organisation rationnelle de la vie collective vient d'une révolte contre l'idée de Providence et de Fatalité. L'homme, étant créateur de lui-même, se donnant à lui-même un certain objectif ou un certain idéal, doit organiser souverainement la vie collective de manière qu'elle soit conforme à cet idéal. Cet humanisme critique, ou encore cette critique des sociétés actuelles en fonction des idéaux démocratiques, avec la confiance dans la capacité d'organisation de l'homme, c'est quelque chose qui n'est absolument pas dogmatique ni, en tant que tel, révolutionnaire, car on peut, à partir de cette idée d'humanisme critique, arriver à l'idée de réforme et non pas seulement à l'idée de révolution. Ce qui conduit, dans le marxisme, à l'idée de révolution et à l'obsession révolutionnaire, c'est le jugement porté sur l'origine des maux de nos sociétés : l'affirmation que l'origine de toute aliénation humaine, c'est l'aliénation économique ; que l'origine de l'aliénation économique, c'est la propriété privée ; que le régime capitaliste est défini essentiellement par la propriété privée des moyens de production ; que la propriété privée des moyens de production entraîne l'injustice de la plus-value ; que cette injustice est essentiellement liée au régime capitaliste ; et que, par conséquent, on ne peut pas améliorer le régime capitaliste et qu'il faut donc le détruire. A quoi s'ajoute l'idée que le capitalisme se détruit de lui-même, au fur et à mesure qu'il se développe, et que le prolétariat sera capable de détruire le capitalisme parce que le capitalisme, de lui-même, le mettra dans des conditions où il sera spontanément révolutionnaire. Autrement dit, une fois qu'on a déterminé que l'origine fondamentale des maux est la propriété privée et, en second lieu, une fois qu'on a démontré que le capitalisme va à sa destruction, mais que c'est très bien ainsi puisque, après la révolution, il y aura la société sans classes, alors on glisse volontiers à ce que j'appelle le millénarisme, c'est-à-dire l'acceptation presque satisfaite des luttes et des catastrophes qu'amène avec lui le capitalisme, parce que ces catastrophes seront fécondes. C'est ce que j'appellerai l'optimisme catastrophique : plus il y a de catastrophes capitalistes, mieux cela vaut, parce que c'est par les catastrophes que se réalisera la société sans classes.


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