Dean Ahmad:Que savez-vous de l'islam ?

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Dean Ahmad:Que savez-vous de l'islam ?
Présentation des idées de Dean Ahmad


Anonyme
Texte d'Henri Lepage


Que savez-vous donc de l'Islam, si ce n'est que c'est la patrie du terrorisme international ? Que savez-vous de la Charia, hormis que c'est ce qui opprime les femmes dans les pays arabes ? C'est ainsi que les média présentent le monde musulman. Mais faut-il en conclure que cette image simpliste de l'Islam correspond à la réalité ?

Imad Ahmad, président du Minaret of Freedom Institute, fondé en 1993, s'insurge contre cette vision répandue de l'Islam. Basé à Bethesda dans la banlieue de Washington D C, le MFI se veut un lieu de rencontre et de réflexion réunissant des musulmans partisans du libéralisme et de l'économie de marché.

Imad Ahmad, astronome de formation, travaille par ailleurs comme consultant en informatique et études spatiales pour la NASA. Intellectuellement, c'est un disciple d'Ayn Rand, la philosophe libertarienne américaine dont il a dévoré les ouvrages lorsqu'il était étudiant. Il est l'auteur de plusieurs textes de fond sur les rapports entre l'Islam et le libéralisme moderne, rapprochant en particulier le droit coranique et l'Etat de droit occidental. Il s'y applique à dénoncer l'amalgame systématique entre l'Islam et le terrorisme commis en son nom, et fait remarquer que le militantisme islamiste est aussi éloigné des préceptes du Coran que l'étaient au Moyen-Age l'Inquisition et le véritable message chrétien.

"La perspective islamique de l'économie politique, explique-t-il, est finalement semblable à la vision libérale classique occidentale, car elles trouvent toutes deux leurs racines dans ce qu'on appelle habituellement l'héritage arabe".

Les Croisés occidentaux ont imposé à la société européenne, à la suite des croisades du 11ème, 12ème et 13ème siècles, l'influence de certaines idées de la civilisation musulmane. Ces idées se sont peu à peu incorporées dans notre civilisation, notamment par le biais de la Magna Carta, que le roi Jean dut signer en 1215, sous la contrainte des seigneurs anglais. La défaite des Maures en Espagne en 1492 marqua ensuite le début de la Renaissance en Europe, alors que le monde musulman, après avoir connu une ère d'exploits scientifiques et philosophiques, commençait son déclin. Ainsi, une bonne partie des idées libérales classiques que l'on retrouve chez les scolastiques espagnols du 15ème siècle remonteraient en réalité à l'influence des courants de pensée islamiques.

Beaucoup croient que la science moderne est apparue soudainement en Europe à l'époque de la Renaissance . En réalité, elle a connu une longue gestation au cours de l'ère islamique classique, avant d'être reprise par la civilisation européenne. L'économiste Murray Rothbard a mené des recherches pour retrouver les origines du libéralisme classique. Il a remonté la filière jusqu'à l'Espagne du 16ème siècle, où il a arrêté ses recherches. Or nous savons que l'Espagne du 16ème siècle a hérité des connaissances de l'Espagne islamique du 15ème siècle...

Ahmad considère que bon nombre des principes fondateurs de la civilisation occidentale, telle que la liberté de l'individu par rapport à l'Etat et la propriété privée, doivent en partie leur renaissance à cet héritage arabe ramené en Europe, et largement diffusé au 16ème siècle, notamment par l'Ecole de Salamanque. Le pouvoir politique doit se borner à veiller au respect des lois divines, telles qu'elles sont décrites par le Coran et par Mahomet, explique-t-il : "Les hommes ne doivent obéissance qu'à Dieu ; ainsi, il ne peut y avoir de limites à la liberté".

Comprendre la pensée islamique suppose de reconnaître que le système juridique musulman - la Charia - est une nomocratie. Ce n'est ni une théocratie (législation cléricale), ni une démocratie (au sens d'un processus de décision à la majorité). Le principe fondamental de l'islam est que tout être humain est directement responsable devant le Tout-Puissant. Puisqu'on considère que la loi divine est objective (comme le droit naturel occidental), l'homme doit obéissance au droit divin - la Charia - et non aux autres hommes, ni aux assemblées politiques. Politiquement, l'Islam correspond donc à des principes que l'on retrouve dans la notion occidentale d'Etat de droit.

Ahmad s'interroge également sur le sens de la démocratie : ce terme recouvre en Occident une ambiguïté qui devient particulièrement déroutante lorsque des arabes et des musulmans l'adoptent. D'un côté, nous faisons référence à la démocratie pour désigner certains mécanismes du processus électoral ; de l'autre, la démocratie est indissociablement liées à des valeurs telles que l'égalité politique, les droits de l'homme, l'Etat de droit, etc. Or on peut démontrer que ces notions se retrouvent dans la tradition islamique.

Sur la notion d'Etat de droit : "Je ne dis pas qu'elle n'existait pas auparavant, par exemple dans le Judaïsme mais, comme l'a noté à juste titre Rose Wilder Lane, l'Islam fut la première religion à fonder une civilisation sur la notion d'Etat de droit dérivé d'une loi fixe et universelle". Alors, puisque, comme l'expliquait F A Hayek, la liberté ne prospère que là où existe l'Etat de droit, l'Islam devrait être le berceau d'une société de liberté...

La loi islamique ne stipule pas l'existence d'élections, mais nous savons que Abou Bakr, le premier calife de l'Islam, fut élu. Il n'est donc pas juste d'affirmer que le processus électoral démocratique n'a pas droit de cité dans l'Islam. Il en fait partie depuis toujours.

Certes, la plupart des régimes arabes sont extrêmement anti-démocratiques, mais cela ne vient pas de l'influence islamique, et ne reflète aucune oppression qui serait inhérente à la culture arabe. "Rappelons que le Liban moderne était à une certaine époque considéré comme une démocratie. Le système n'était pas sans failles, mais celles-ci avaient été introduites dans la constitution par les pouvoirs coloniaux. L'instabilité de son système politique était une conséquence de ce qu'on avait infligé au pays, mais pas d'une faiblesse intrinsèque du peuple ou de sa culture d'origine."

D'autre part, Ahmad conteste la doctrine des "fondamentalistes" musulmans. Les "fondamentalistes" chrétiens sont ceux qui considèrent que la Bible est à la fois infaillible et qu'elle doit être suivie au pied de la lettre. Mais en ce qui concerne les musulmans, cela n'est pas possible : tout musulman considère que le Coran est infaillible. Cependant, le Coran se veut en partie allégorique, ce qui signifie que seul compte le sens de ces allégories. Appliquer ce texte d'une façon absolument littérale reviendrait donc à ne s'attacher qu'à l'image donnée, et pas à son sens. On s'écarterait alors des principes fondamentaux de l'Islam.

Appliquer le terme "fondamentalisme" aux musulmans revient ainsi à mettre dans le même sac extrémistes, militants traditionalistes sectaires, et les véritables fondamentalistes au sens originel du mot, c'est-à-dire ceux qui prônent un retour aux valeurs fondatrices de l'Islam. Or le principe fondamental de l'Islam est qu'il n'y a qu'un Dieu, et que personne ne doit être adoré à part Dieu. Les hommes ne doivent soumettre leur volonté à personne sauf à Dieu, c'est-à-dire à aucune autorité arbitraire. On ne doit obéissance qu'à celui qui a raison. Comme l'a exprimé Abou Bakr lors de son accession au califat : "Si je fais bien mon devoir, aidez-moi. Si je m'égare, corrigez-moi. L'honnêteté, c'est la fidélité ; le mensonge, c'est la trahison." Celui qui est fondamentaliste selon cette acception, explique Ahmad, devrait pouvoir résister facilement à la tentation d'abandonner la nomocratie de la Charia au profit de programmes étatistes.

L'Islam n'est donc pas opposé en soi à l'esprit démocratique. Mais à la lueur des faits, on se demande si le libéralisme convient vraiment au monde arabe...

"Depuis toujours, je considère que la majorité des arabes et des musulmans sont au plus profond d'eux-mêmes des libéraux classiques", répète Ahmad. "Malheureusement, les exigences pressantes de la lutte anticolonialiste ne nous ont pas permis de nous intéresser à ces problèmes, ni d'examiner comment un ordre libéral pourrait profiter à tous au Moyen-Orient. Par exemple, il existe actuellement une opportunité formidable de créer une zone de libre-échange en Palestine. Un développement privé de l'infrastructure fournirait deux avantages majeurs aux Palestiniens. D'abord, cela assurerait leur indépendance par rapport à Israël ; ensuite, elle pourrait se développer en l'absence d'intervention d'une administration publique pleinement achevée et intégrée. L'absence d'interférence d'une structure administrative pourrait même être un atout non négligeable."

Cela demanderait certes l'existence d'une loi, mais ce n'est pas un problème insurmontable: la loi islamique existe ; la jurisprudence islamique représente plus de mille ans de développement. Il faut relever le défi d'interpréter ou de réinterpréter la charia dans le contexte moderne, mais la mise en place de la loi islamique, d'après Ahmad, serait plutôt une solution plus simple que d'autres alternatives.

C'est dans cette optique qu'Ahmad espère voir le Minaret of Freedom Institute jouer le rôle de catalyseur de réflexions et discussions à la mesure du défi envisagé :

"Pour remplir les obligations que le Coran et le Sunna imposent aux musulmans, la mission du Minaret of Freedom Institute consiste à découvrir et à faire connaître les implications de la loi islamique (Charia) et leurs conséquences sur le bien-être économique de la communauté, à favoriser le libre-échange et la justice (objectif essentiel commun à l'Islam et à l'Occident), à sensibiliser les leaders religieux islamiques aux sciences économiques et au fait que la liberté est une condition nécessaire, mais non suffisante, de la création d'une bonne société, et à mener une lutte sainte (jihad) contre toute forme de tyrannie sur l'esprit humain."

En Arabe, jihad signifie lutte sainte - et non guerre sainte, comme le traduisent souvent, à tort, les média - contre toute forme de tyrannie sur l'esprit humain, dit Ahmad. Le concept voisin d'ijtihad - la recherche indépendante du savoir - vise à soutenir la jihad. Pour le Minaret of Freedom Institute la poursuite de l'un passe par la recherche de l'autre. On est bien loin de l'image simpliste et agressive de l'Islam aujourd'hui à la mode dans les média...