Jean-François Revel:Le terrorisme intellectuel : Un moyen de faire taire une vérité qui gêne

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Jean-François Revel
1924-2006
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Auteur libéral classique
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"Ce qui est grave ce n'est pas de se tromper, c'est lorsqu'on a vraiment tous les moyens de mettre fin à une erreur, de refuser de le faire, parce qu'on ne veut pas être classée dans telle ou telle catégorie."
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Jean-François Revel:Le terrorisme intellectuel : Un moyen de faire taire une vérité qui gêne
Le terrorisme intellectuel : Un moyen de faire taire une vérité qui gêne


Anonyme


Le Figaro, 24 février 2000


Le Figaro : La France a-t-elle le monopole du terrorisme intellectuel ?

Jean-François Revel : Personnellement, je ne suis pas partisan de l'expression " terrorisme intellectuel ". C'est un cliché. En fait, c'est moins le problème du terrorisme intellectuel qui compte, mais plutôt de comprendre pourquoi ceux qui le pratiquent ont ces convictions. A-t-on, oui ou non, tiré les leçons de l'expérience ? Or, nous assistons à un refus de prendre acte de ce que l'Histoire a démontré. Le terrorisme intellectuel, ce sont les moyens que mettent en oeuvre ceux qui savent très bien qu'ils ont tort pour empêcher que les objections les atteignent. Ils n'ont pas d'autres méthodes.

La France n'a pas le monopole du terrorisme intellectuel. Par exemple, aux Etats-Unis en 1975-1976, il était pratiquement impossible de dire du mal de la Chine de Mao, tant elle était à la mode. Et maintenant, il y a le politiquement correct. Le terrorisme intellectuel exprime un symptome chez ceux qui le pratiquent. Ils ne sont pas du tout sûr de leur cause.

Qui furent dans l'Histoire les premiers à pratiquer le terrorisme intellectuel ? Peut-on incriminer Jean-Jacques Rousseau ?

Le terrorisme intellectuel a plus ou moins pris naissance au XXVIII ème siècle. Qu'appelle-t-on terrorisme intellectuel ? Le fait de vouloir déconsidérer une personne qui exprime des opinions au lieu de les réfuter par des arguments. On peut dire dans un certain sens que Rousseau en a été la victime. Il a été mis au ban par les encyclopédistes qui lui reprochaient de garder une certaine religiosité. La Profession de foi du vicaire savoyard a déchaîné l'indignation de Voltaire et d'Helvétius. D'un autre côté, dans sa manière d'affirmer les choses, Rousseau est d'une virulance qui frise le terrorisme intellectuel. Il était plus paranoïaque que terroriste.

Peut-on aussi qualifier les révolutionnaires de terroristes intellectuels ?

Pendant la terreur, il ne s'agissait pas de savoir si quelqu'un avait raison ou tort mais s'il était en désaccord avec le Comité de salut public. S'il l'était, on le guillotinait. Cest absolument les procès de Moscou ! C'est le même principe. La révolution est arrivée à ce stade extrême : la seule réponse à un désaccord, même avec quelqu'un qui est en adéquation avec les objectifs généraux des révolutionnaires, ce qui va au-delà du terrorisme intellectuel, c'est de le liquider physiquement.

Y a-t-il eu, pour vous, du terrorisme intellectuel pendant l'affaire Dreyfus ?

Non. Dans ce cas, il y avait une recherche : avait-on ou non prouvé la culpabilité de Dreyfus ? Les dreyfusards, parmi lesquels je me serais rangé, ont simplement exigé que l'on fasse la lumière sur les faits. Il y a eu du terrorisme intellectuel dans l'autre sens. Les soi-disants patriotes qui s'opposaient à la quête de la vérité. Il y a eu une erreur judiciaire sur laquelle s'est greffée une volonté de dissimulation avec une forte connotation antisémite.

L'extrême droite française, et Charles Maurras en particulier, n'ont ils pas pratiqué le terrorisme intellectuel ?

Absolument ! Comme, plus tard, Doriot et plusieurs leaders d'extrême droite. Quand vous n'avez pas la possibilité parce que vous êtes en démocratie, de tuer l'adversaire, vous tentez de l'amoindrir par les moyens d'information. Ce qu'a fait Maurras avec l'Action française. Tous les auteurs qui lui déplaisait comme Julien Benda, étaient dicrédités.

Quand commence, selon vous le terrorisme intellectuel de la gauche ?

Avec la révolution bolchéviste. C'est là que le système a été l'objet d'une organisation méthodique scientifique. Ces méthodes ont été mis au point par le communisme dès le début et par Lénine, lequel était lui-même un très grand terroriste intellectuel. Le point essentiel est que tous les Partis communistes ont obéi aux injonctions de Moscou.

Quel regard portez-vous sur la situation à la libération et après ?

Prenons le procès Kravchenko, une affaire qui a été montée par les communistes. Il a fait un procès aux Lettres françaises pour diffamation et l'a gagné. C'était un haut fonctionnaire soviétique qui savait comment fonctionnait le système, puis il est passé à l'Ouest. Les PC occidentaux et le PCF, le plus asservi, au lieu de répondre sur les faits ont prétendu qu'il était un faussaire, un ivrogne...

Sartre était-il un maître es terrorisme intellectuel ?

Bien sûr ! Sartre excommuniait ceux qui n'était pas d'accord avec lui. Ainsi Camus, Merleau-Ponty, quand ils osait formuler un désaccord. Sa pratique était de les déconsidérer. Sartre était un terroriste intellectuel typique.

Dans votre livre, vous stigmatisez l'action et les paroles de Pierre Bourdieu.

Bourdieu explique tous les jours que le grand échec du XXème siècle, c'est le libéralisme et le capitalisme. Il a une conception de l'économie qu'il voudrait voir totalement dirigée. C'est exactement une thèse marxiste sur le modèle stalinien. D'autre part, il affirme que tous les intellectuels, tous les journalistes, tous les gens de la radio et de la télévision sont entièrement aux ordres du pouvoir politique du moment lequel est aux ordres du grand capital.

L'absolution donnée aujourd'hui au communisme que vous dénoncez, est-il un acte visant à faire taire les esprits libres ?

C'est surtout un acte visant à épargner ceux qui ont soutenu le communisme, une repentance. Il y a tellement de gens qui se sont compromis qu'une confession générale prendrait l'allure s'un rassemblement de millions de personnes ! Il y a des gens qui le disent pourtant, à titre individuel. Le PCI a admis s'être trompé, avoir été complices de crimes. Dans les partis, je ne vois que les Italiens à l'avoir dit. Souvent, ceux qui n'ont pas été inscrit mais furent des compagnons de route du Parti sont plus retors que ceux de PC. Ils ne veulent pas reconnaître que cela a été une erreur.

Comment expliquez-vous qu'autant de bien-pensants veuillent excuser le communisme et discrédité ses critiques, pour condamner le libéralisme ?

Il faut voir qu'il y a toujours, même dans les démocraties, une fraction importante de gens qui n'aiment pas la liberté et préfèrent la tyrannie. C'est la tentation totalitaire. Certains pour l'exercer, d'autres pour subir cette tyrannie, ce qui est plus mystérieux. Si on discrédite Stéphane Courtois et Le Livre noir du communisme, c'est que cela souligne que des milliers d'auteurs de manuels scolaires, d'intellectuels et d'artistes ont soutenu un régime criminel. Il n'est pas agréable de l'entendre. Il y a eu une réaction différente relative à l'ouvrage de François Furet, Le Passé d'une illusion. Le Livre Noir, lui, a été traîné dans la boue. Furet n'a pas beaucoup plu à une partie de la gauche. Mais évoquer le thème d'une illusion, surtout si elle passe pour généreuse, est plus supportable que d'être accusé de crime.

D'où sort cette vague déferlante d'anti-américanisme et pourquoi José Bové est-il devenu un héros ?

C'est inquiétant qu'il soit devenu un héros parce que tout ce qu'il dit est faux ! La France est l'un des pays où l'agriculture intensive et chimique est la plus développée. L'agriculture et l'élevage sont entièrement subventionnés, ce qui pousse à la surproduction, avec des primes à l'exportation. Et un fort protectionnisme. C'est ce système que Bové veut préserver. Et on suppose que les Etats-Unis veulent libéraliser les échanges internationaux pour vendre leurs produits en europe et l'on crie : les Etats-Unis nous attaquent !

Considérez-vous qu'aujourd'hui, par rapport à notre histoire, que la liberté de penser soit condamnée ?

Pas du tout. J'ai voulu décrire dans mon livre un phénomène intellectuel et culturel. Dans la réalité, il n'y a pas un pays qui ne s'achemine vers le libéralisme. C'est récent et remonte au début de la dernière décennie. Chez certains intellectuels qui ne comprennent pas l'évolution en cours, on défend une doctrine antilibérale, tandis que les gouvernement se libéralisent de plus en plus. Il y a un véritable décalage entre ce climat intellectuel et la réalité. Les libéraux ne sont pas des théoriciens mais des praticiens.


Notes



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