Philippe Simonnot:L'euro va-t-il éclater ?

De Catallaxia
Aller à la navigation Aller à la recherche
Philippe Simonnot
né en 1939
Simonnot.png
Auteur anarcho-capitaliste
Citations
« Je pense que si Constitution il doit y avoir, elle doit être de type hayékien, c’est-à-dire le moins possible soumise aux aléas de la politique conjoncturelle et forgée sur des principes garantissant les libertés individuelles, la liberté des échanges et les droits de propriété. »
Galaxie liberaux.org
Wikibéral
Articles internes

Liste de tous les articles


Philippe Simonnot:L'euro va-t-il éclater ?
L'euro va-t-il éclater ?


Anonyme


Article paru en 2005

Comme on pouvait le craindre, la crise européenne a encouragé certains esprits, notamment en Allemagne, à remettre en cause l'euro lui-même. Bien sûr, une telle perspective est pour le moment accueillie avec des risées qui cachent mal l'effroi qu'elle inspire. Quoi ! la plus belle réussite de l'Union européenne ne résisterait pas au verdict des urnes dans deux pays ! On se frotte les yeux. Mais il faut bien voir la réalité en face. L'euro souffre d'un vice fondamental qui ne peut pas ne pas réapparaître en surface quand la tempête se lève.


Il n'est pas difficile d'abord de montrer combien est fallacieux l'argument des défenseurs de l'euro : à un marché unique devrait correspondre une monnaie unique. Pour instaurer entre plusieurs pays un seul marché, il suffit d'instaurer la liberté complète des échanges. Un marché unique peut très bien fonctionner avec plusieurs monnaies. Il fonctionnerait même au mieux si chaque agent, ne se voyant imposer aucune devise, pouvait choisir la monnaie de son choix, y compris à l'intérieur de son propre pays... Le vice fondamental de l'euro, c'est de vouloir faire marcher au même pas de vieilles nations recrues d'histoire comme s'il s'agissait du Texas ou de l'Arizona, alors qu'il n'existe pas de véritable pouvoir central en Europe. En effet, il n'y a aucune raison pour que les douze pays participant à l'euro soient en phase du point de vue de la conjoncture. Actuellement, par exemple, l'Espagne est plutôt en surchauffe alors que la France et l'Allemagne sont en panne et l'Italie en récession, etc. Ces divergences peuvent encore s'accentuer.

Dans un espace monétaire unique comme celui constitué par les Etats-Unis, les divergences conjoncturelles d'Etat à Etat sont compensées à la fois par des mouvements de main-d'oeuvre, les salaires étant en outre beaucoup plus flexibles qu'en Europe, des transferts de capitaux et des versements budgétaires. Sur le Vieux Continent, on ne peut s'attendre à rien de tel. Hommes et capitaux circulent beaucoup moins librement, entravés qu'ils sont par toutes sortes de rigidités réglementaires, traditionnelles ou institutionnelles. Autrement dit, une politique monétaire unique impliquée par la monnaie unique engendre des poches de chômage importantes dans les pays défavorisés par telle phase de la conjoncture. La seule possibilité de résoudre ce problème serait des transferts budgétaires importants vers les pays ou les régions en crise. Rappelons qu'au niveau européen c'est par de tels transferts qu'ont pu être accueillis dans l'Union européenne des pays à fort surplus de main-d'oeuvre comme l'Espagne et le Portugal. En Allemagne, l'unification monétaire consécutive à l'unification politique et monétaire de 1990 s'est elle aussi traduite par de gigantesques transferts de l'Allemagne de l'Ouest à l'ex-RDA, qui perdurent et plombent les finances publiques allemandes. Il est évident que ce problème sera encore plus aigu quand il s'agira d'intégrer les pays de l'Est qui se pressent aux portes de la zone euro. Des dizaines de milliards d'euros seraient nécessaires pour compenser l'immobilité de la main-d'oeuvre, voire pour empêcher qu'elle se mette en marche en direction de l'Ouest. Or l'Europe n'est absolument pas prête à organiser de tels transferts, l'heure étant plutôt au contraire à leur diminution.

C'est surtout la main-d'oeuvre qui fait problème, celle-là même qui a voté en France et aux Pays-Bas contre le traité constitutionnel. Elle constitue aujourd'hui le facteur de production le moins mobile pour des raisons humaines évidentes (environnement familial, attachements divers, habitudes, problèmes de logement, de scolarité, climat, etc.). Dès lors, si, pour une raison ou pour une autre, une région souffre d'un fort chômage, et si les travailleurs ne peuvent ou ne veulent pas se déplacer dans une autre région, si leurs salaires sont maintenus au moins au niveau nominal, alors la région a intérêt à avoir sa propre monnaie et à la déprécier pour essayer de retrouver de la compétitivité pour sa main-d'oeuvre. Si cette région appartient à un Etat, elle est soumise à la règle monétaire de cet Etat, et elle ne pourra donc pas résoudre son problème d'emploi, à moins que ses travailleurs acceptent de se déplacer, comme ils le font, par exemple, aux Etats-Unis. Dans le cas contraire, des « poches de chômage » vont se développer. Or, même à l'intérieur des Etats tels que la Grande-Bretagne, l'Italie, la France ou l'Allemagne, la main-d'oeuvre ne circule pas aussi facilement que le modèle de monnaie unique l'exigerait. C'est dire qu'au niveau de l'Euroland, on en est encore plus éloigné. Si, par malheur, la poche de chômage s'élargit jusqu'à atteindre un pays de la taille de la France, la tentation serait grande de recourir de nouveau à l'arme budgétaire. Alors même que l'Etat est surendetté.

Or ce choix n'est pas congruent avec l'Union monétaire européenne à cause du théorème du « triangle des incompatibilités », que l'on doit à l'économiste Robert Mundell, prix Nobel d'économie et grand inspirateur méconnu - de l'euro. Ce théorème s'énonce ainsi : la politique économique doit choisir deux objectifs entre les trois qui s'offrent à elle : un taux de change fixe, une politique monétaire efficace et la libre circulation des capitaux. Si les changes sont fixes et que l'on veut que la politique monétaire soit efficace, alors il faut contrôler les mouvements de capitaux - si on le peut ! Si l'on veut avoir à la fois des changes fixes et des capitaux circulant librement, alors il vaut mieux renoncer à toute politique monétaire, et donc recourir à la politique budgétaire. Enfin, si l'on veut une politique monétaire efficace avec des capitaux circulant librement, alors il faut abandonner les changes fixes et opter pour des changes flottants.

Une telle politique monétaire sera crédible si elle est conduite par une banque centrale autonome du pouvoir politique. Et c'est bien pourquoi Mundell s'est fait le précurseur de l'idée d'indépendance des banques centrales, qui a été appliquée en Europe.

L'Euroland se trouve exactement dans cette configuration. L'euro flotte vis-à-vis des autres devises, et par le biais du Pacte de stabilité, signé en décembre 1995, l'utilisation de l'arme budgétaire est fortement limitée - un peu moins depuis sa mise en cause. Ne reste plus que l'arme monétaire, qui se trouve entre les mains de la Banque centrale européenne indépendante. Or que réclame-t-on à cor et à cri : que le pouvoir politique dicte ses choix à la Banque centrale européenne et qu'il recoure au déficit budgétaire pour financer de « grands travaux ». C'est tourner le dos à la « constitution » même de l'euro. Et c'est à terme risquer de provoquer son éclatement. D'autant qu'il ne manquera pas de juristes en Allemagne pour rappeler les engagements constitutionnels qui ont été pris pour convaincre les Allemands de renoncer à leur cher deutsche Mark.

wl:Philippe Simonnot

Accédez d'un seul coup d’œil aux articles consacrés à Philippe Simonnot sur Catallaxia.