Tyler Cowen:L'État et le cinéma français : Chronique d'une liaison dangereuse

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Tyler Cowen
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Tyler Cowen:L'État et le cinéma français : Chronique d'une liaison dangereuse
L'État et le cinéma français : Chronique d'une liaison dangereuse


Anonyme


Texte paru initialement dans Reason en juillet 1998, traduit par Henri Lepage

Les films américains représentent 80 % des recettes du box-office en Europe, alors que les productions européennes ne font que 5 % du marché américain. Des 100 films qui, l’an dernier, ont fait les plus grosses recettes dans le monde, 88 étaient américains. Sur les douze restant, sept étaient des coproductions internationales avec participation américaine. Après les ventes d’avions, le cinéma est l’industrie américaine où l’excédent des échanges avec l’étranger est le plus élevé.

Considérant que leurs producteurs nationaux ont désormais affaire à une concurrence insurpassable, la plupart des pays européens subventionnent leur industrie cinématographique. Certains, comme la France et l’Espagne, imposent des quotas à l’importation de films étrangers. En Amérique latine, le Brésil et le Mexique mélangent subventions et quotas de manière à réduire la domination du marché par les produits américains.

Mais c’est la France, où les films américains font près de 60 % du marché, qui offre le plus bel exemple de protectionnisme culturel. La France ne s’est pas contenté de mettre en place tout un ensemble de barrières bureaucratiques pour freiner la pénétration de la culture américaine; c’est aussi le pays où l’on est allé le plus loin dans l’élaboration d’arguments intellectuels justifiant le protectionnisme. Les français dépensent des millions de dollars pour subventionner la production de films français; leurs producteurs bénéficient de prêts sans intérêt; et ils ont mis des quotas non seulement sur les importations de films, mais également sur le nombre d’heures de programmes pour la diffusion de films étrangers à la télévision.

L’Union Européenne impose aux chaînes de télévision un quota d’au moins 50 % de programmes européens. La France a porté ce pourcentage à 60 %, avec au moins 40 % de ce total réservé pour des productions françaises. Le gouvernement français a même imposé en plus un quota spécial pour les heures de plus fortes audiences de manière à éviter que les programmes français ne se trouvent relégués aux plages horaires les moins favorables.

Le protectionnisme culturel français est devenu une affaire internationale lors des négociations de l’été 1994 pour le renouvellement des accords multilatéraux du GATT. Les grandes nations commerciales se sont réunies pour négocier une large gamme d’accords réciproques de réduction des protections douanières sur les biens et services. Les représentants américains ont alors promis de supprimer un grand nombre de barrières tarifaires, en échange de l’engagement des européens - en particulier des français - d’appliquer un traitement impartial et non-discriminatoire (suppression des quotas, élimination des fiscalités spécifiques) à l’encontre des films américains.

Les français ont refusé. Au contraire, empêcher l’envahissement des cinémas français par les films américains est devenu une cause politique nationale. Le producteur Claude Berri (l’auteur du film Jean de Florette) a bien résumé l’opinion dominante du public français lorsqu’il s’est exclamé : « si l’accord du GATT est signé conformément aux intentions d’origine, c’est la fin de la culture européenne ! ». Le gouvernement français de l’époque s’est même engagé à opposer son veto aux accords du GATT s’ils ne permettaient pas de préserver le protectionnisme cinématographique français. Des hauts fonctionnaires français sont alors allés jusqu’à voir dans Jurassic Park, le film de Steven Spielberg, « une menace pour l’identité nationale ». Malgré les protestations d’Hollywood, les négociateurs américains ont finalement reculé et ils se sont rendus aux désirs du gouvernement français. Au lendemain de cette victoire, l’un des premiers réalisateurs français s’est félicité de « la menace de voir la culture européenne complétement éliminée avait enfin disparu ».

La « mauvaise » qualité de beaucoup de films américains, mais aussi de bien des aspects de la culture populaire américaine, conduit un grand nombre d’amateurs d’art à soutenir le protectionnisme culturel. Beaucoup de gens craignent de voir la diversité des cultures nationales disparaître d’un marché dominé par l’industrie américaine. Quand les français prennent position pour défendre leur culture, même les américains passionnés d’art et de culture sont tentés d’applaudir.

Il est pourtant faux de croire, comme le fait l’opinion publique, que le protectionnisme culturel renforce la cause de la diversité des cultures. Les produits protégés perdent non seulement leur attrait concurrentiel, mais plus encore leur dynamisme artistique. La protection réduit au contraire les capacités concurrentielles de l’industrie sur le marché mondial.

La véritable diversité culturelle découle de l’échange des idées, des produits et des influences, et non pas de la volonté d’assurer le développement en champ en clos d’un unique style national. Les années qui se sont écoulées depuis la signature des derniers accords sur le commerce mondial ont confirmé la règle : les films français sont encore moins concurrentiels aujourd’hui qu’ils ne l’étaient à l’époque, avant que le nouveau traité du GATT ne soit signé. Une part croissante des films français distribués aux Etats-unis est constituée de productions historiques avec décors et costumes d’époque tels que La Reine Margot ou Ridicule - c’est à dire des films qui s’adressent à une élite de spectateurs de plus en plus réduite dans la mesure où ils ne peuvent être compris et appréciés que par des gens ayant déjà acquis un minimum de connaissances spécifiques sur l’histoire de France et la culture française. Ces films sont un bon reflet de l’isolement nationaliste et culturel qui découle d’une politique de protection du marché.

Flashback

La France a toujours été une grande nation cinématographique. Il n’empêche que le nombre de spectateurs fréquentant les salles de spectacle y diminue continuellement. Au cours des dix ans qui ont précédé la signature des nouveaux accords du GATT, la fréquentation des salles de cinéma avait déjà baissé d’un chiffre annuel de 183 millions à 120 millions. Même si pour l’année 1986 les films français ont fait mieux que les films américains à l’intérieur de l’hexagone, les films américains ne cessent d’y accroître leur part de marché, et cela en dépit de tous les artifices protectionnistes qui leur sont opposés.

Eric Rohmer, le producteur de comédies populaires aussi réussies que Ma nuit chez Maud ou Le genou de Claire, considère que les français devraient répondre à la concurrence qui leur est faite en donnant la priorité à des produits de haute qualité. Rohmer craint la concurrence d’Hollywood, mais ce n’est pas un partisan du protectionnisme culturel. Interrogé par The New York Times, il a répondu : « Je dis au gens : je suis un fabricant de films commerciaux... je ne suis pas soutenu par l’Etat; je suis pour la concurrence ».

Mais Rohmer est une voix isolée. Les subventions au cinéma national sont financées par un prélèvement para-fiscal sur les billets et vidéocassettes vendus. Ce n’est certainement pas cela qui encouragera les français à aller plus nombreux au cinéma. Car le véritable objectif des protectionnistes est en fait tout autre. Le vrai débat est de savoir qui, du public ou de l’Etat, a le pouvoir de décider quels seront les films financés grâce à ces prélèvements. C’est l’Etat qui, jusqu’à présent, a toujours gagné, pour le plus grand malheur de la culture française.

L’argument des partisans du protectionnisme est que les producteurs de films français n’ont pas les moyens de résister à la concurrence d’Hollywood, même sur leur propre marché. Même s’il est vrai que le marché du cinéma de langue française est limité comparé aux débouchés des films anglo-saxons, il n’en reste pas moins que pendant fort longtemps cela n’a pas empêché le film français de réussir très largement face à la concurrence anglo-saxonne. C’est un fait historique. La France a sans doute contribué plus qu’aucune autre nation à l’histoire du cinéma mondial.

Les premiers à produire des films pour une audience de spectateurs payants furent deux français, Louis et Auguste Lumière. C’est à eux que l’on doit, dans les années 1890, les premiers pas de l’industrie cinématographique. Leur contemporain Georges Meliès fut en son temps le producteur de court métrage de fiction et d’imagination le plus célèbre du monde. Génial inventeur d’effets spéciaux, il fut le maître de toute une école mondiale de cinéma.

De 1906 à 1913, les français ont dominé la nouvelle industrie du cinéma comme nul autre pays ne l’a plus jamais fait depuis. En 1908, Pathé, la première compagnie française de production cinématographique, controllait le tiers de l’industrie mondiale du cinéma. Selon certaines sources, 90 % de l’industrie du cinéma du début du siècle était en fait français, et cela sans aucune subvention publique. A cette époque, ce sont les américains qui se plaignaient du risque d’impérialisme culturel européen, et qui faisaient appel au soutien du gouvernement.

Chez les vedettes du grand écran, c’était un français, Max Linder, qui dominait le monde de la comédie. Le comique cinématographique fut une invention proprement française. Sait-on que Charles Chaplin a bâti son succès grâce à une astucieuse exploitation de cet « impérialisme culturel français », en empruntant largement à Max Linder pour construire son style. Les français dominaient alors presque tous les domaines de l’expression cinématographique, et ce sont même eux qui ont inventé l’art du Western avant que les américains n’y investissent en force.

Cette période de domination française a pris fin avec la première guerre mondiale. Bien sûr il y avait la guerre qui a raréfié les ressources disponibles. Mais, en plus, les producteurs français ont commis à cette époque une grande erreur. C’est alors que Pathé a commencé à faire des films conçus pour répondre en priorité aux goûts d’un public essentiellement parisien, réduisant leur attrait pour un marché international en croissance rapide. Les producteurs d’Hollywood en ont profité pour prendre la place laissée vacante par les français. En 1919, les productions françaises ne représentaient plus que 15 % du marché mondial.

L’industrie française du cinéma n’avait pas pour autant perdu tout son dynamisme. Les années trente furent une autre grande période pour le cinéma français, son « époque dorée » pour beaucoup. A nouveau les producteurs français taillaient des croupières à ceux d’Hollywood. Un grand nombre des films produits à cette époque sont restés des grands classiques du cinéma : par exemple L’Atalante de Jean Vigo, A nous la liberté de René Clair, La Grande Illusion de Jean Renoir...

A la fin des années 1920, l’industrie française du film était la cinquième du monde. Dix années plus tard, la production française avait doublé, et elle se classait au second rang mondial derrière les Etats-unis. Pendant toute cette période non plus, l’industrie française du cinéma n’a jamais reçu un sou de l’Etat. Les entraves à l’importation de films étrangers étaient quasiment inexistantes, et rien ne s’opposait à l’arrivée des films américains sur les écrans français.

Les films de cette « âge d’or » du cinéma français étaient si bons que les spectateurs français les préféreraient largement aux produits américains. En 1936 par exemple, les six plus grands succès de l’année étaient tous des films français. Des 75 films figurant en tête du box office, 56 étaient français, et seulement 15 américains. En 1935, les productions françaises ont fait 70 % de l’ensemble des recettes réalisées dans les salles de cinéma.

Cet « âge d’or » du cinéma français est connu pour la très grande liberté artistique et commerciale dont jouissaient les metteurs en scène. Le cinéma français ne connaissait pas le système extrêmement rigide des studios de beaucoup d’autres grands pays. L’industrie était constituée de plusieurs centaines de petits réalisateurs et metteurs en scène indépendants. C’étaient les réalisateurs - qui régnaient en maître sur leur production - qui en définitive sélectionnaient le producteur qui leur semblait le plus en accord avec leur propre vision de leur projet. Qui plus est la censure était quasiment inexistante, notamment comparée avec les Etats-Unis.

L’époque n’était certes pas facile. Pathé et les autres géants du début du cinéma avaient perdu leur position de domination. Beaucoup d’entreprises du cinéma connaissaient de grandes difficultés financières. Chaque année des dizaines faisaient faillite, mais de nouveaux producteurs prenaient leur place. Néanmoins ce n’est pas cette permanente pression financière qui a nuit à la qualité artistique des produits de cette époque. Au contraire.

Un univers de laissez-faire

Cet environnement de laissez-faire fait que l’influence des films étrangers a enrichi la créativité du cinéma français. Jean Renoir aimait à dire qu’il adorait les films d’Hollywood et qu’il se moquait bien des productions françaises. Renoir était connu pour passer son temps à voir des films américains et rechercher son inspiration dans les oeuvres d’Hollywood. Les grands réalisateurs français de cette époque furent souvent ceux qui, les premiers, surent découvrir les meilleurs talents du cinéma américain. Quelqu’un comme Howard Hawks, par exemple, a vu ses qualités d’abord reconnues en France, avant de connaître le succès en Amérique.

De la même façon, les grands metteurs en scène de « la nouvelle vague », dans les années 1950 et 1960, doivent beaucoup à leur inspiration américaine. Jean Luc Godard a commencé sa carrière avec A bout de souffle, une œuvre pleine de références implicites à Humphrey Bogart. François Truffaut s’est beaucoup inspiré des films d’Hichcock. Tant l’oeuvre d’Orson Welles que celle de Stanley Kubrick ont joué un rôle clé dans l’inspiration de toute une génération de jeunes cinéastes français qui n’en ont pas moins fait des films indéniablement français, et qui ont largement plu à tout un public français ni plus ni moins « corrompu » qu’eux par cette influence américaine.

Le cinéma français n’a jamais eu le caractère d’un produit culturellement pur, 100 % français. Les auteurs étrangers ont non seulement influencé la production français, ils ont aussi eux-mêmes produits un grand nombre des plus grands succès du cinéma français. Depuis la grande époque du cinéma muet jusqu’à aujourd’hui, bon nombre de ceux qui ont participé à la renommée du cinéma français venaient en fait d’autres pays européens : du Danemark par exemple avec Carl Dreyer, de Russie (Yakov Protazanov), d’Espagne (Luis Bunuel), d’Allemagne (Max Ophuls), de Pologne (Krzystof Kieslowski). Leurs œuvres incluent quelques uns des films les plus célèbres du cinéma français comme La passion de Jeanne d’Arc, L’âge d’or, ou encore le Bleu, Blanc, Rouge de Kieslowski. Le monde du cinéma français était si cosmopolite que la propagande de Vichy en a souvent dénoncé le caractère « insuffisamment français ».

Du fascisme au protectionnisme

Les partisans du protectionnisme cinématographique décrivent généralement les subventions et les quotas comme des mesures culturellement « évoluées ». Ils oublient que c’est avec Vichy et l’appui des régimes fascistes de l’Europe de la seconde guerre mondiale que la France s’est ouverte à l’intervention de l’Etat dans ce domaine. L’actuelle politique française du cinéma n’est qu’une continuation - mieux, une extension - de cet héritage de la dernière guerre.

Le climat de laissez-faire dans lequel baignait le cinéma français des années trente n’était pas très populaire auprès des industriels de la production cinématographique qui demandaient à l’Etat de protéger leurs intérêts. La demande de protectionnisme était très forte. C’est un sujet dont on parlait beaucoup. Mais, en raison notamment des pressions des américaines, elle n’a jamais abouti. Il a fallu la défaite de 1940 et l’occupation par les nazis pour que ce genre de politique soit mise en place, dans le cadre du programme corporatiste de réorganisation des structures de l’économie française développé par le Vichy de la collaboration. Comme dans l’industrie, les activités culturelles françaises devaient désormais servir d’abord les intérêts et les choix de l’Etat, plutôt que ceux des consommateurs ou des artistes.

Dès 1940, le gouvernement de Vichy a mis en place une organisation qui est directement l’ancêtre de la manière dont est aujourd’hui encore administrée en France l’industrie du cinéma. Un Comité d’organisation de l’industrie cinématographique fut créé, avec pour fonction de « rationaliser » la production, et d’y arrêter le déclin de la rentabilité. Le COIC fixait chaque année le nombre de films qui pouvaient être tournés. Ne pouvaient être financés que les films qui bénéficiaient du visa des autorités de Vichy. De cette manière, en combinant un système de quotas annuels avec une garantie publique de financement, la rentabilité financière des productions françaises pouvait à nouveau être assurée. L’Etat était autorisé à financer, à des taux d’intérêt très faibles, jusqu’à 65 % du coût des projets qui lui étaient soumis et qui recevaient le visa du CIOC. Simultanément, Vichy interdisait les films américains. Du jour au lendemain, les films français retrouvèrent 85 % du marché national, une performance qui reste jusqu’à aujourd’hui une sorte de record.

Ce système était explicitement copié sur celui alors en vigueur en Allemagne. Le contrôle par l'État de l’industrie allemande du cinéma était l’une des pièces maitresse de l’organisation idéologique.

Le système de Vichy a certes permis à l’industrie française du cinéma de retrouver une rentabilité financière satisfaisante, mais aux dépens de la qualité. Au contrôle financier s’ajoutaient la censure et les restrictions. Les cinéastes perdirent leur autonomie d’action. Pour obtenir le droit d’accès aux studios et au financement, il leur fallait faire des films qui plaisent non au spectateur, mais aux autorités. Les films de la période Vichy sont des produits très marqués par l’idéologie conservatrice et moralisatrice de l’époque. Ce qui y est privilégié, ce sont des thèmes comme le respect de l’autorité, la caractère sacré de la famille, les effets corrupteurs de la vie citadine, les vertus du retour à la vie rurale. Rares sont les productions de ce type qui aient marqué les esprits. Le gouvernement de Vichy s’est également lancé dans une campagne de dénigrement systématique des chefs-d'œuvres de « l’âge d’or » des années trente. Ceux-ci sont désignés comme des exemples de culture « décadente », responsable de la défaite.

La réglementation de Vichy se justifiait par des préoccupations à la fois économiques et idéologiques. Les pratiques de laissez-faire de la période antérieure étaient rendues responsables de l’instabilité financière qui touchait les milieux du cinéma. Avec Vichy, enfin, les producteurs de films pouvaient désormais travailler en toute tranquillité, dans un environnement économique rationnellement organisé, débarrassé des aléas d’un marché incertain et capricieux.

Les écrans de l’Occupation

Le cinéma français de la guerre a pourtant produit de très grands chefs-d’oeuvre, mais pas sous l’administration directe de Vichy. Les meilleurs films, c’est dans la zone occupée par les allemands qu’ils ont été réalisés. Pour des raisons qui n’appartenaient qu’à eux, les allemands ont paradoxalement accordé une plus grande liberté artistique aux cinéastes français que ceux-ci n’en trouvaient auprès de leur propre gouvernement, dans la zone dite libre. La guerre a été une période de grande créativité cinématographique, mais pas du tout à cause de l’Etat et du régime particulier qu’il avait mis en place.

Au tout début de l’occupation, la politique des autorités nazies fut de submerger les salles de cinéma françaises avec des films allemands doublés en français. Même les films de Vichy étaient exclus du marché, et la plupart des films de la période d’avant-guerre furent soit confisqués, soit purement et simplement détruits. Mais les spectateurs français boudaient les productions de l’industrie nazie. Après un certain succès de curiosité au départ, rapidement le nombre des entrées chutât. Pour ne pas davantage s’aliéner une population déjà hostile, les autorités allemandes changèrent alors de cap. Leur politique fut d’encourager la production de films faits pour distraire.

Les nazis ont même spécialement créé une société de production, les films Continental. Le capital en fut apporté par le Ministère allemand de la propagande, dont le patron était Joseph Goebbels, mais les films Continental n’avaient pas de caractère spécifiquement politique. Pour autant que ses productions ne prenaient pas directement à partie l’idéologie nazie, la compagnie pouvait travailler librement. A la différence de ce qui se passait avec Vichy dans la zone non-occupée, Continental n’exigeait pas de ses producteurs qu’ils adoptent dans leurs films un ton particulièrement éducatif et moralisateur.

Les films de la Continental se sont révélés être des productions particulièrement soignées et sophistiquées qui ont bénéficié d’un grand succès populaire. Goebbels lui-même s’est dit impressionné par les produits de la compagnie, au point qu’ils craignait qu’elle ne vienne concurrencer les productions allemandes sur les marchés d’outre-mer. Les allemands n’en ont pas moins continué à tolérer son activité et à encourager le cinéma français. Cette tolérance nazie n’était bien évidemment pas gratuite; elle s’appuyait sur une conception protectionniste et impérialiste des industries culturelles.

Continuité

Les Allemands voyaient dans l’industrie américaine du film une menace culturelle dans leur quête de l’hégémonie mondiale. Les stratéges nazis ont donc décider de s’appuyer sur l’industrie cinématographique française pour faire pièce à la domination croissante des films américains sur les écrans mondiaux. Les films français étaient faits pour distraire, qualité dont les films allemands étaient totalement dépourvus. Les français avaient la production de films la plus prestigieuse mais aussi la plus populaire en Europe. Les nazis avaient trouvé dans leur conquête un actif qu’ils n’entendaient pas gaspiller.

Continental, en tant que société allemande, n’était pas soumise à la législation ni aux contrôles et quotas de Vichy. Les cinéastes français préféraient l’atmosphère culturelle et artistique qui subsistait dans le Paris occupé à celle de Vichy, si bien que dès 1942 tous avaient quitté la zone libre à l’exception de ceux directement payés par la propagande.

Les années de l’Occupation se révélèrent ainsi surprenamment fertiles. C’est durant cette période que Robert Bresson et Henri-Georges Clouzot ont commencé leur carrière; que des auteurs de théâtre à succès comme Jean Giraudoux et Jean Anouilh, ou encore le poéte Jean Cocteau se sont tourné vers le cinéma, le plus souvent avec succès. Le tandem Marcel Carné et Jacques Prévert est même allé jusqu’à tenter une sorte de subversion du régime nazie en produisant leurs célèbres allégories que sont Les Visiteurs du Soir et Les Enfants du Paradis, à juste titre considérés comme deux des plus grands films jamais réalisés. « Il n’y a guère d’autre période où le film français ait produit autant de chefs-d'œuvre en si peu de temps », a écrit Alan Williams, un expert de l’histoire du cinéma. Ce formidable résultat est à mettre au crédit des cinéastes français qui ont ainsi résisté à l’entreprise développée par l’Etat pour se les mettre à son service.

Après la libération, le gouvernement français choisit de conserver les nouvelles institutions mises en place par Vichy, avec son système réglementaire et sa politique de subventions. Seules les orientations changèrent. Le régime d’encadrement réglementaire des industries du cinéma fut maintenu en l’état. Le COIC se tranforma en CNC ( Conseil National de la cinématographie) et se vit assigné de nouveaux objectifs. Au lieu de limiter le nombre des productions française, le rôle du CNC était d’aider l’industrie française du cinéma à affronter la concurrence d’Hollywood en limitant l’entrée de films étrangers.

Les cinéastes qui avaient quitté la France et s’étaient notamment réfugiés aux Etats-Unis furent étonnés par le changement de climat et d’atmosphère qu’ils trouvèrent lors de leur retour. René Clair, l’un des metteurs en scène les plus connus de l’avant-guerre, a exprimé très brutalement ses désillusions. Il opposait « l’atmosphère que l’on respire dans notre pays avec l’air de liberté qui souffle en Amérique... Pour quelqu’un qui est resté cinq longues années hors de France, il ne fait aucun doute que le Nazisme y a imprimé sa marque. Oui, un pays ne peut pas subir la loi du fascisme pendant aussi longtemps sans en souffrir d’une manière ou d’une autre. Par exemple, je suis étonné par les multiples barrières qui entravent désormais toute activité. Je ne peux pas accepter que quelqu’un qui porte le projet d’un film doive d’abord s’adresser à autant d’autorités administratives qui peuvent lui dire « non » s’il ne peut pas prouver que son projet est conforme à je ne sait quels règlements arbitraires ».

Le législateur français maintint, et même élargit les entraves à la libre entrée dans les activités du cinéma. Les syndicats se virent reconnus un droit légal d’exclusion. Le syndicat des techniciens, par exemple, demanda et obtint que personne ne fût habilité à diriger la réalisation d’un film s’ils n’avait lui-même déjà travaillé comme assistant-réalisateur sur au moins trois autres films. Après-guerre, les activités du cinéma se trouvèrent virtuellement fermées à tout apport de sang nouveau.

Le gouvernement français de l’époque négocia un accord de quota avec les États-Unis, dans l’intention de protéger l’activité des studios français. Il demandait que les cinémas soient contraints de programmer des films français pendant au moins seize semaines par an. Les Américains, qui craignaient pire, ont alors accepté d'annuler certaines dettes de guerre de la France en échange du retour à un système de quotas moins sévère que ce qu’ils avaient craint. Mais, progressivement, les français ont durci leur législation.

Protégez-nous des protectionnistes

Les gouvernements protectionnistes créent eux-mêmes les problèmes contre lesquels ils cherchent à protéger leur industrie cinématographique nationale. Prenons par exemple quelques unes des charges que l’Etat français impose à ses producteurs de films. Le prélèvement de taxes parafiscales sur les places de cinéma est, en France, une vieille habitude; mais c’est avec un intérêt redoublé que le législateur d’après-guerre s’est penché sur la fiscalité du cinéma. Dans les années 50, la part d’impôt prélevée par l’Etat représentait 48 % de la recette brute des cinémas. Le poids de cette fiscalité a été allégé dans les années 1970 avec l’application au cinéma de la TVA; mais le prélèvement est encore de 17 à 19 %, qui se surajoutent à la TVA, plus un prélèvement supplémentaire de 4 % pour les films classés X.

Dans les années 1980, le gouvernement français a mis en place un régime sévère de quotas contre les importations de magnétoscopes japonais. Du fait du prix élevé de ces machines, beaucoup plus élevé qu’aux États-Unis ou dans les autres pays européens comparables, il a fallu que les producteurs de films français attendent beaucoup plus longtemps avant d’exploiter le potentiel commercial offert par le développement de ce nouveau marché de loisirs domestiques.

Le cahier des charges imposé aux chaînes de télévision pour la diffusion de films a eu des effets pervers encore bien plus désastreux. Comme dans beaucoup d’autres pays, la télévision française contribue au financement du cinéma par l’achat de droits de diffusion. Ils représentent environ 40 % des besoins de financement de la production cinématographique nationale. En 1980 les films diffusés à la télévision ont été regardés par 24 fois plus de téléspectateurs qu’il n’y a eu de gens allant au cinéma.

Malgré l’importance de la télévision en tant que vecteur de masse, le gouvernement français a freiné le développement de la télévision par câble. On exige par exemple de Canal Plus qu’il reverse 18,5 % de ses recettes avant impôt pour subventionner l’industrie française du film. En échange, Canal Plus reçoit le droit exclusif de programmer la diffusion des nouveaux films français bien avant les autres chaînes. Mais ceux qui font ces films reçoivent l’argent versé par Canal Plus quelque soit le nombre de téléspectateurs qui les ont effectivement regardés.

L’apparition des nouvelles technologies est bien sûr un défi au protectionnisme. Les gouvernements européens ont jusqu’à présent réussi à maintenir leur main mise sur la programmation des chaînes de télévision. La moitié de ce qui est diffusé doit être d’origine européenne. Mais le développement des satellites et des réseaux câblés, avec possibilité d’accès à un nombre considérable de programmes (100 chaînes et plus), ne peut que vider cette politique de quotas de toute efficacité. Entre les quotas et l’accès aux nouvelles technologies, les européens devront choisir.

Le câble ouvrira le marché européen de l’audio-visuel aux télévisions anglo-saxonnes. Même si sur cent chaînes accessibles 51 sont européennes, il se peut que ce soient les 49 autres qui captent la plus grande audience. Les réglementations audiovisuelles nationales (ou européennes) ne peuvent effectivement réussir à orienter les habitudes des téléspectateurs que si les possibilités de choix restent très limitées. C’est ainsi que le gouvernement français, très conscient de ce fait, empêche la diffusion par le câble de nombreux services américains - par exemple le Cartoon Network. La difficulté de préserver ce régime de quotas sera cependant encore plus grande avec les systèmes satellites. La caractéristique des antennes paraboliques est en effet de permettre au téléspectateur de capter pratiquement n’importe quel programme de télévision dans le monde.

Les défenseurs d’un protectionnisme culturel se trouvent donc coincés. S’ils accordent la liberté d’accès aux nouvelles technologies, les systèmes de quotas nationaux deviendront rapidement inefficaces, voire totalement inopérant. Si l’on bloque l’accès aux nouvelles technologies, les productions audio-visuelles de ces pays tourneront de plus en plus en circuit fermé et en deviendront encore moins compétitives sur les marchés tiers. La demande de protection se fera encore plus forte, et les téléspectateurs se verront offerts des produits d'encore moins bonne qualité.

La raison en est que les quotas, comme les subventions, se retournent contre ceux que l’on croit aider. Où que ce soit, l’expérience a toujours démontré que la mise en place de quotas encourage les cinéastes à faire du « vite fait - mal fait » afin de remplir les contingents de films et d’épuiser les budgets auxquels ils ont annuellement droit. Ces productions « bâclées » sont une caractéristique de tous les pays qui ont choisi, à un moment ou un autre, la voie du protectionnisme cinématographique et audio-visuel : Canada, Grande Bretagne, France, Brésil, par exemple. Ce sont des petits films à petits budgets, exploitant des formules à succès toutes faites fondée sur le sexe et la violence, et qui paradoxalement contribuent à étendre encore davantage l’influence des pires aspects du cinéma américain. Qui plus est, ceux qui en ramassent les bénéfices sont souvent les financiers américains qui ont apporté l’argent, généralement à travers l’écran de filiales françaises.

Les critères qui servent à l’attribution des subventions ont pour effet d’appauvrir la qualité des films produits. Jusqu’en 1953, le système prenait pour critère les recettes que le producteur du film avait réalisé lors de sa précédente production. Cela conduisait à renforcer la position des anciens dans le métier au détriment des nouveaux venus. L’aggravation de la médiocrité des films produits dans le cadre de ce mécanisme a conduit à changer le système.

Les français proclament que les subventions sont dorénavant accordées en fonction du mérite artistique de chaque projet, et non pas de sa valeur commerciale supposée. En 1953, le législateur a posé le principe que le gouvernement ne devait aider que les films de qualité. Si, initialement, ce régime de financement n’a peut être pas été étranger au formidable succès des cinéastes de la Nouvelle Vague, très rapidement le système est entré dans la zone des rendements décroissants.

Les prêts sans intérêts que l'État accorde au cinéma jouent également contre la qualité des produits cinématographiques. Le remboursement de ces prêts ne se fait que si l’exploitation du film s’avère rentable. Il en découle que ceux qui font des films n’éprouvent aucun besoin de faire des films qui se vendent. Ce genre de politique réduit l’intérêt qu’il y a à rechercher le succès commercial.

Enfin, il est fréquent que les subventions que les européens accordent à leurs producteurs de cinéma aboutissent en définitive dans les poches des producteurs américains qui travaillent en coopération avec les sociétés européennes d’audio-visuel. Un film est peut-être en apparence européen, mais l’essentiel du capital est apporté par des partenaires américains qui, en retour, captent ainsi l’essentiel de la subvention. Même la société européenne de production n’est souvent qu’une filiale d’une compagnie américaine. Un grand classique du cinéma des années 1970 comme Dernier Tango à Paris a été produit par United Artists en association avec une de ses filiales française et un producteur italien. Grâce à des montages internationaux astucieux, les compagnies de production américaines peuvent profiter des subventions de trois pays différents, ce qui permet de couvrir jusqu’à 80 % des coûts de production. Autrement dit, ce sont d’un côté les contribuables européens qui finissent par couvrir les frais de production de films qu’ils ne désirent pas voir, de l’autre des financiers américains qui en encaissent les profits financiers, et tout cela au nom de la défense de la culture européenne !

Tels quotas, tel art

L’Etat français n’impose pas qu’il y ait un nombre minimum de français parmi les chefs d’orchestre habilités à diriger des ensembles musicaux nationaux. Dans pratiquement tous les pays, les chefs d’orchestre nationaux sont sous représentés par rapport au nombre d’allemands et d’autrichiens. Mais qui s’en soucie ? Qui se plaint que la diversité culturelle soit menacée par la surreprésentation des musiciens allemands parmi les chefs d’orchestre ? Personne. Et cela va de soi car ce n’est certainement pas l’obligation de mettre davantage de nationaux à la tête des orchestres français qui permettrait de produire en France davantage de petits Beethoven.

Pourtant c’est exactement ce que fait le législateur français lorsqu’il exige des stations de radio de diffuser au moins 40 % de chansons françaises. « Comment peut-on prétendre qu’il soit excessif de demander qu’au moins deux chansons sur cinq diffusées soient françaises ? », faisait un jour remarquer un haut fonctionnaire; « sans de telles mesures de sauvegarde notre culture se trouverait avalée, homogénéisée ! ». Pour protéger cette diversité culturelle, le Ministère français de la culture a même un jour imaginer de créer un organisme pour promouvoir le « Rock ‘n’ Roll » français. Mais ce projet fut abandonné.

Le protectionnisme culturel se concentre sur la « culture populaire », précisément le domaine où les artistes américains jouissent d’une suprématie phénoménale et où les producteurs européens ont le plus besoin d’être réveillés par l’aiguillon de la concurrence. L’attitude des consommateurs français fait apparaître une inadéquation caractéristique de la production culturelle par rapport aux goûts et attentes des gens. Les partisans du protectionnisme sont conscients de cette inadéquation et en sont malades, tout comme les américains sont souvent jaloux de la culture soi-disant aristocratique des parisiens. Dans les deux cas, ce sont des sentiments humains, mais qui ne justifient rien.

Les avocats du protectionnisme culturel considèrent souvent que la souveraineté du consommateur en matière de culture n’est qu’un mythe. Selon eux, c’est la puissance oligopolistique des distributeurs américains qui, par la publicité, crée la demande pour leurs films. Le public, comme un troupeau de moutons, ne fait que répondre passivement à ce qu’on lui offre, quel que soit le produit offert.

Si cela était vrai, il serait facile de sauver le cinéma européen. L’Etat n’aurait pas besoin de subventionner ses cinéastes, ni même de placer des quotas sur la distribution de films américains. Il lui suffirait de subventionner la publicité pour les films nationaux, ou peut-être d’interdire la publicité pour les films américains. Cela lui coûterait bien moins cher. Mais à l’évidence cela ne marchera jamais car ce n’est pas la publicité qui fait défaut, mais les films européens qui ne réussissent pas à faire le plein de la clientèle.

Lorsque la clientèle européenne n’aime pas ce que les producteurs américains lui proposent, elle n’est pas moins sévère pour eux que pour les producteurs nationaux. Elle ne se déplace pas davantage, et cela quel que soit le volume de publicité. Peu de produits américains ont bénéficié d’une campagne de Marketing aussi intense qu’EuroDisney, le parc de Marne la Vallée. Son ouverture fut qualifiée de « pas en avant gigantesque vers l’homogénéisation culturelle mondiale ». Pourtant quand il ouvrît, ce fut loin d’être le succès attendu. Ce ne sont pas les français qui y vinrent les plus nombreux. Et la culture française y a jusqu’à présent survécu.

L’autre aspect du protectionnisme

Si les États-Unis avaient suivi l’exemple français et s’étaient lancés dans le protectionnisme, Hollywood n’aurait jamais acquis ce qui fait aujourd’hui sa richesse artistique ni sa force commerciale. De même que les metteurs en scène français ont beaucoup appris des américains, de même les américains ont beaucoup emprunté à l’Europe. Jean Renoir tourna un certain nombre de ses meilleurs films à Hoolywood. Il y a peu, c’est également aux Etats-Unis que le compatriote de Renoir, Luc Besson est allé tourné Le cinquième élément. Alfred Hitcock, Fritz Lang, Billy Wilder et Ernst Lubistsch font partie de ces nombreux européens émigrés aux États-Unis qui ont amené avec eux idées et techniques.

Les techniques cinématographiques américaines doivent beaucoup au film français. La technique visuelle utilisée dans La Liste de Schindler n’aurait certainement pas été la même sans la profonde connaissance acquise par Spielberg de l’art cinématographique européen. Les meilleurs réalisateurs européens, comme leurs homologues européens, sont des gens qui croient au caractère cosmopolite de l’art et qui savent que celui-ci transcende les frontières nationales.

Les américains n’ont pas seulement trouvé des idées en Europe. Hollywood y a aussi trouvé une bonne partie des capitaux qui ont permis son démarrage au début du siècle. En 1912, c’est 35 000 dollars, une somme énorme pour l’époque, que Adolphe Zukor a payé pour obtenir les droits du film français La Reine Elizabeth. Le film rencontra un énorme succès aux États-Unis, et c’est avec l’argent ainsi gagné que Zukor fonda la Paramount.

Le financement du cinéma est devenu une affaire mondiale. Un grand nombre des productions d’Hollywood dépendent en réalité d’un financement international. Le Dernier Empereur ainsi que Danse avec les loups ont été produits en association avec des capitaux britanniques. Ce n’est pas parce que sociétés françaises de production n’ont pas les mêmes ressources financières qu’Hollywood que les films français ne sont pas compétitifs, mais l’inverse. S’ils ne bénéficient pas des mêmes ressources de financement c’est parcequ’ils ne sont pas d’une qualité suffisamment concurrentielle. Durant les années de l’âge d’or de l’avant-guerre, c’étaient les capitaux allemands, anglais ou américains qui se déversaient sur l’industrie française du cinéma.

Aujourd’hui, ce sont les marchés européens et français qui contribuent à entretenir la richesse et la diversité de la production d’Hollywood. Parmi les producteurs américains les plus inventifs, quelqu’un comme Woody Allen n’a jamais fait un grand succès dans son pays. Si ses films sont financièrement viables c’est grâce au public de fans qu’il a su se créer ailleurs, notamment en Europe. En assurant la carrière de personnalités comme Woody Allen l’Europe contribue à enrichir Hollywood, pour le plus grand bien tant du public américain que du public européen.

La politique de quotas sur les importations de films américains fait bien plus de mal aux producteurs indépendants qu’elle n’en fait aux grands producteurs de films commerciaux. Si, à cause de ces restrictions quantitatives, les distributeurs européens doivent à un moment ou un autre choisir entre programmer un nuveau Woody Allen ou Titanic, c’est bien évidemment le premier qui sera sacrifié. La présence de quotas contribue ainsi à rendre la vie encore plus difficile aux producteurs et créateurs indépendants. Elle rend plus difficile leur financement extérieur. Même limités à un seul pays, les quotas réduisent la diversité de l’offre mondiale de films.

Le succès artistique ne se décrète pas. La culture cinématographique, comme toute culture, est un processus dynamique. Ce n’est pas de protection dont le cinéma français a besoin, mais de stimulants. Sans stimulation, la forme s’atrophie. Si les européens partent du postulat que leur production cinématographique est trop faible, tout ce qu’ils feront ne pourra jamais qu’ajouter à cette faiblesse.

wl:Tyler Cowen